Author: Garnier F.  

Tags: histoire   histoire du moyen age   moyen âge  

ISBN: 2-86377-014-4

Year: 1982

Text
                    FRANÇOIS/GARNIER
Chargé de Recherche
Institut de Recherche et d’Histoirc des Textes
Centre National de la Recherche Scientifique
LE LANGAGE DE L’IMAGE
AU MOYEN ÂGE
Signification et symbolique
LE LÉOPARD D’OR
8, rue DUCOÜÉDIC
75014 PARIS
TéL : 327-57-98

AVANT -PROPOS Les recherches dont une partie des résultats est présentée dans ce volume ont été commencées il y a vingt-cinq ans. Elles sont nées de la constitution d’une documen- tation photographique destinée à l’édition d’une Bible en vingt-deux volumes, où devaient être reproduites 4000 scènes et figures. L’ampleur du projet invitait à ne pas se limiter à la reproduction de chefs-d’œuvre connus de la peinture et de la sculpture. Une publication d’une telle importance méritait un renouvellement de l’illustration. Le choix s’est porté sur la période médiévale. Il a été déterminé par le nombre, la variété et l’intérêt des représentations. Dans tous les champs de l’art, grandes réalisations ou petits sujets, elles décorent quantité d’édifices et d’objets. Les manuscrits en particulier sont riches d’une profusion d’images qu’aucun inventaire n’a jusqu’ici dénombrées. La documentation s’est accumulée. L’organisation, le classement et l’analyse ont progressivement mis en relief des faits de langage iconographique que seule la réunion d’un grand nombre de documents répartis en séries peut éclairer et confirmer. Les constantes qui ont émergé des masses documentaires ne paraissaient liées ni au sujet représenté ni à l’origine de l’œuvre. Elles concernaient la signification d’un ensemble de relations, des situations des personnages, de leurs positions et de leurs gestes. L’idée que les imagiers utilisaient une syntaxe aux règles rigoureuses, générales et universelles devint rapidement une hypothèse de travail. Les circonstances en facilitèrent l’exploitation. Monsieur Jean Glénisson, Directeur de l’institut de Recherche et d’Histoire des Textes, m’appela à m’occuper des sources iconographiques dans ce laboratoire du Centre National de la Recherche Scientifique. La constitution du corpus des enluminures des bibliothèques publiques de France, entreprise en accord avec la Direction du Livre et avec son concours, met à la dispo- sition du chercheur une documentation scientifiquement valable. Je pus approfondir la réflexion sur le langage iconographique et donner à la recherche documentaire des dimensions nouvelles.
8 inctorat d’Etat sur «l’imagerie biblique miroir du monde La préparation d un de l’analyse iconographique», sous la direction de médiéval, méthode et tec du Jourdin, membre de l’institut, m’a conduit Monsieur le Professeur ic e erches sur l’explication de l’image médiévale, dont d’autre part à développer mes r * ,un aspect. Bientôt ce qui n’était qu’un travail les problèmes du langage ne ^vélé suffisamment important et intéressant pour méthodologique préliminaire s Avec les encouragements et les conseils de Monsieur justifier une étude particulière. l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Jacques Le Goff, Directeur u pæfesseUr au Collège de France, cet essai sur le et de Monsieur Jacques ’ corpS. Présenté comme thèse de troisième cycle, langage iconographique mé i va a Yves Bruand, Professeur à l’université de ü a reçu de plus"fut alors souhaitée. Toulouse-Le Miraiapu æ particulier aux facilités offertes par l’institut C’est aujourd’hui chose yexteSj dont le Directeur, Monsieur Jean Glénisson, de Recherche et d’Histoire es Plusieurs personnes ont participé à la réalisation m’a amicalement permis de isp _ de pinstitut de Recherche et d’Histoire des du livre. Mademoiselle Odi e e é’ja compOsition. Mademoiselle Marguerite Leroy Textes, en a suivi l’élaboration e contributions. Mes sœurs ont relu les épreuves, a fait le relevé des dessins, en re a bienveillance et apporté leur concours je tiens à A tous ceux qui m’ont témoign exprimer ici mes remerciements. Note sur la rédaction ., _ , l’ovnression verbale sont différentes par nature. Il est quelquefois d fr ,.LexPressæn e tra(juire l’image par des équivalences sémantiques. Or cette étude sur i icile, voire impossible, nrODOSe pas d’expliquer les représentations par un commentaire mais autan/que possible l’originalité de ses formes. Il a donc semblé nr^f'adwre !ima8e en dTrieueur et de fidélité, de plier l’expression écrite aux exigences de la préférable, dans un souci de rigueur et é et une élémentaire correction. traduction, dans les limites que permettent i inw< &* Renvois Les renvois se font de la façon suivante. , - (00) Un nombre seul, entre parenthèses, renvoie au numéro du document reproduit en fin de - (00 A) Un nombre suivi d’une lettre, entre parenthèses,, renvoie à un dessin. Le nombre indique la page et la lettre précise le dessin. - (p.00) La lettre P suivie d’un nombre, entre parenthèses renvoie au numéro de la page. Us nutï^Ægnalent les renvois les plus importants.
INTRODUCTION La recherche sur les images emprunte toutes les voies que l’esprit humain peut ouvrir et tracer dans les grandes disciplines du savoir. Historique, psychologique, socio- logique, philosophique, esthétique, elle situe, décrit, explique, apprécie. Elle s’intéresse aux œuvres, aux auteurs, aux techniques, aux styles, aux influences. Le travail sur les représentations figurées ne cesse de créer des monographies approfondies et des synthèses, variées par les objets auxquels il s’applique, par les problèmes qu’il pose et par les méthodes qu’il utilise. Dans ce grand arbre, l’iconographie n’est qu’une branche, et le langage iconographique un rameau de cette branche. L’évocation sommaire des sciences de l’image et des grandes orientations de l’histoire de l’art permet de situer l’étude de la syntaxe de l’image dans cet ensemble, avant de l’en détacher pour entrer dans le champ étroitement circonscrit de sa recherche particulière. Le problème des relations dans le langage iconographique médiéval semble recou- vrir un programme très vaste, trop vaste peut-être pour ne pas paraître exagérément ambitieux. En fait, une fois déterminées la nature et les limites de son objet, une fois précisées ses méthodes et sa finalité, cette étude se réduira à une enquête qui pose des problèmes autant qu’elle en résoud. L’expression langage iconographique recouvre deux réalités. Dans un sens large, elle s’étend à tous les procédés utilisés par un artiste pour exprimer des sentiments et des idées, ou pour illustrer un récit. Chaque élément, chaque forme ayant valeur de signe, le choix des personnages figurés, l’organisation du décor, les artifices de la technique peuvent être considérés comme des manières de dire quelque chose. Dans un sens plus précis et plus étroit, on entendra par langage iconographique l’ensemble des signes et des rapports entre les signes utilisés de façon constante et universelle avec la même signification, quels que soient le sujet représenté et le style propre de l’imagier. Construit par combinaison de figures, le langage de l’image se développe et s’enrichit dans la mesure où sa morphologie et sa syntaxe s’établissent et se fixent, dans l’espace et la durée.
10 Le vocabulaire fait depuis longtemps l’objet d’études systématiques. Des signes spécifiques, comme lé trône, la couronne et le sceptre, la mitre et la crosse, des formes conventionnelles comme l’auréole et la mandorle, les attributs des saints, les différents symboles des vertus et des vices, ainsi que quantité d’autres éléments ont été inventoriés, décrits, répertoriés. Certaines relations ont également retenu l’attention, la position en majesté, par exemple, ou le geste de la main bénissante. Mais dans l’ensemble les travaux approfondissent des sujets et des thèmes étroitement circonscrits, avec des préoccupations qui ne sont pas celles du langage. La syntaxe n’est liée ni à des espèces morphologiques définies ni à des sujets déter- minés. Les structures qui la constituent ont une capacité d’expression indépendante des contenus auxquels elle s’applique pour leur donner une signification cohérente. Ce sont là les termes du postulat sans lequel cette étude n’aurait pas de sens. Elle se propose en effet de mettre en évidence les principales relations typiques qui informent l’éventail des imageries médiévales. La démarche n’est pas arbitraire et gratuite. Elle a pour point de départ une expérience. Le contact avec un grand nombre de documents fait naître progressivement la conviction que ce langage existe, c’est-à-dire que les imagiers, consciemment ou inconsciemment, utilisent une même syntaxe pour s’exprimer, que cette syntaxe est irréductible à la transmission de copies, de modèles, à la reproduction de stéréotypes. Mais les impressions et les certitudes partielles ne satisfont pas la raison. L’élargissement et la systématisation de la recherche peuvent seuls garantir la valeur des données ponctuelles et accidentelles. Seules les conclusions de l’enquête pourront en justifier le bien-fondé. Car c’est bien d’une enquête qu’il s’agit. Cette étude ne partira que de l’observation des faits, du moins est-ce la règle qu’elle se propose. Analyser les images, déceler les relations qui se répètent avec des significations constantes, tenter d’organiser la typo- logie des structures de façon cohérente et féconde, telle est la tâche limitée qu’elle se donne. Cette perspective exclut quantité de problèmes, sur lesquels il conviendra cependant de jeter quelque lumière, sans les traiter, comme celui de l’origine de ce langage, de la connaissance claire ou confuse qu’en pouvaient avoir ceux qui l’utilisaient, de sa transmission, etc. On évitera en particulier, ou tout au moins essaiera-t-on de le faire, les explications fondées sur d’autres données que celles de l’image. Il est si tentant de projeter sur les représentations le fruit des expériences personnelles et de l’acquis culturel. Conduite au niveau de la constatation, cette recherche n’est tributaire que de la documentation. Elle seule peut révéler et imposer les propriétés syntaxiques communes des images médiévales. Elle ne parle certes que si on l’interroge. L’idée dirige l’observa- tion, comme dans les autres sciences. Mais la méthode utilisée évitera quantité de points de vue et de recours qui ont leur place ailleurs. Ce parti pris méthodologique justifie la part donnée à la documentation et à sa méthode d’exploitation. On pourra seulement regretter que la nature du document-image ne se prête pas avec autant de souplesse que l’écrit à la citation, aux rapprochements et aux comparaisons. La photographie offre néanmoins des possibilités sans cesse accrues à une telle recherche. Elle facilite la lecture par la diversité des éclairages, la multiplicité des plans et le grossissement. Elle
11 est plus fidèle et plus fiable que le relevé et surtout que les descriptions. Elle permet les comparaisons, les mesures relatives et les statistiques, qui, comme on le verra, trouvent leur place dans l’étude de certaines relations. Elle permet enfin l’extension d’une masse documentaire qui réponde aux nécessités de la généralité et de l’universalité. On peut espérer de cette recherche plusieurs fécondités. La connaissance du langage est intéressante en elle-même. Elle instruit sur les comportements des hommes dans une de leurs activités les plus élevées, la création artistique. Elle éclaire la fonction de l’image dans la vie de l’élite intellectuelle comme dans celle du peuple illettré. Une certaine maîtrise de la syntaxe devrait conduire à une compréhension approfondie des représentations. Il n’entre pas dans les objectifs de ce travail d’appliquer les règles mais de les inventorier. On notera cependant au passage, à l’occasion de représentations données en exemples, que l’analyse syntaxique enrichit la lecture de l’image et indivi- dualise par des nuances de sens quelquefois importantes des figurations qu’un rapide examen regroupe sans distinction dans un stéréotype uniforme. On verra également qu’elle permet de préciser certaines interprétations peu sûres et même de les corriger. La connaissance de la syntaxe du langage iconographique médiéval devrait donc contribuer, à sa place, à une utilisation correcte du document figuré comme source historique. La méfiance des historiens par rapport à l’image, encore très grande aujourd’hui, quoi que l’on en ait dit ou écrit, a deux causes principales. Les représentations figurées sont utilisées depuis longtemps comme illustrations des textes, en appoint d’exposés établis à partir d’autres sources. Elles apportent seulement l’éclat de la forme et jouent donc un rôle mineur. Il s’ensuit une habitude de solliciter l’image qui jette sur elle le discrédit. N’ayant pas fait dans son traitement l’objet des mêmes exigences que le texte, elle paraît moins sûre. Lue et interprétée en fonction de données historiques et de théories, et non à partir de ses propres caractères, elle semble se prêter avec souplesse aux besoins de la pensée. Une meilleure connaissance du langage iconographique devrait, entre autres facteurs, aider à corriger ce qu’il y a d’arbitraire dans l’utilisation de l’image et offrir des garanties d’objectivité rassurantes. Une réflexion méthodologique précédera la typologie des relations. Elle précisera la nature et les propriétés du langage iconographique. Elle présentera la documentation, ses caractères, son extension chronologique, de 1000 à 1500, son extension géogra- phique et les formes de sa présentation. Elle déterminera les principales règles suivies dans son exploitation. Dans les recherches de ce genre, qui s’appliquent à un ensemble si vaste qu’elles n’en effleurent souvent qu’un aspect, l’énoncé et l’affirmation prennent facilement une forme catégorique. Ce qu’il y a apparemment d’excessif dans une formule simple qui résume son objet doit toujours être tempéré par le sens du caractère fragmentaire et relatif des analyses. Dans une perspective globale, l’allure incisive des détails s’estompe.
CHAPITRE I LE LANGAGE ICONOGRAPHIQUE Le langage iconographique est constitué par l’ensemble des éléments et des relations dont les combinaisons permettent de créer des images en donnant aux repré- sentations des significations perceptibles et intelligibles. Les signes qui composent ce langage reproduisent plus ou moins fidèlement les données de l’expérience visuelle. Le signe est naturel lorsque le figuré copie le perçu1. Il devient conventionnel et symbolique dès qu’une signification associée s’ajoute à la copie du réel, non par la fantaisie d’un fantasme individuel, mais en fonction d’un usage collectif. Simplification, constance, répétition, sont les caractères essentiels d’un système destiné à la communi- cation. Le langage d’un seul n’est le langage de personne. Les éléments, simples ou complexes, sont les unités signifiantes du langage. Un cercle, un arbre, une mitre, une main, un sceptre, un édifice peuvent être considérés comme des éléments d’une représentation. Les éléments naturels ou fabriqués, utilitaires ou symboliques, font l’objet d’études spécifiques que nous ne prendrons pas en considération1 2. 1. La notion de signe naturel peut paraître ambiguë. Tout langage n’est-il pas le fruit d’un acquis de l’espèce? Cette expression n’inclut-elle pas une contradiction en confondant deux ordres distincts, et même opposés, celui du donné et celui de l’acquis? Serait naturel le comportement qui détermine une adaptation par le seul jeu des composants spécifiques d’un être. Serait conventionnel et pourrait avoir valeur de signe, le comportement qui s’effectue grâce à un processus de communication acquis par l’individu ou par l’espèce. Il n’entre pas dans le cadre de cette étude de procéder à des analyses physio- logiques, sociologiques et psychologiques pour déterminer la part du donné et la part du construit dans le langage des êtres humains ou des animaux, et dans le langage iconographique. Les émotions, les sentiments et les passions, les conduites de défense et d’agressivité, la recherche de la communica- tion ou la fuite se traduisent par des réactions qui par certains aspects sont immédiates et spontanées, communes aux individus d’une même espèce, voire d’espèces différentes. Dans la mesure où la trans- cription iconique reproduit ce comportement on parlera de signe naturel. L’intelligibilité du signe tient alors à l’expérience commune. Mais lorsque la signification, d’une relation ne découle pas de l’observation d’une adaptation spécifique, lorsqu’elle ne se déchiffre qu’à l’aide d’un code, on parlera de signe conventionnel symbolique. 2. Dans sa thèse Les illustrations du Psautier d’Utrecht, Suzy DUFRENNE fait l’inventaire des formules iconographiques (p. 69-153) et de l’archéologie iconographique (p. 154-192). Elle présente ainsi les fruits de sa recherche : «La première étude, celle du vocabulaire iconographique, permet de dégager les formules de base composées d’objets ou d’êtres animés, isolés ou en groupe; ces formules correspondent à des unités sémantiques et expriment sensations, sentiments ou idées élémentaires» (p. 69). Elle considère les illustrations du Psautier d’Utrecht comme «un assemblage original de formules iconographiques juxtaposées pour les seuls besoins de la transposition visuelle de certains termes du texte» (p. 70). Cette nomenclature d’éléments, destinée pour une part à la mise en évidence de leur origine antique, correspond à des préoccupations sans rapport avec la syntaxe. Le fait que ces formules soient de simples transpositions visuelles de termes du texte, juxtaposées, réduit l’imagier au rôle de copiste d’images.
14 Les relations sont des rapports visibles signifiants. Le fait qu’un élément soit plus grand ou plus petit qu’un autre, placé au-dessus, au-dessous ou à côté, est une relation signifiante dans la mesure où s’attache aux dimensions relatives et aux différentes situations une signification précise et constante. Les positions et les gestes constituent également des manifestations visibles et signifiantes du comportement. Mais on ne les considérera comme des signes d’un langage iconographique que dans la mesure où une signification conventionnelle s’ajoute au sens obvie. L’image d’un mouvement automa- tique de défense ou du maniement d’un outil est immédiatement comprise, par référence à une expérience individuelle. Il n’y a pas besoin d’un code pour en déchiffrer le contenu. Elle détermine une reconnaissance qui ne passe pas par les formes intermé- diaires du langage, nécessairement abstraites dans leur intelligibilité bien que concrètes dans leur exécution. Si près qu’elle soit de la réalité qui lui a donné naissance, une relation ne s’introduit dans le système d’un langage iconographique que lorsqu’elle se charge d’un contenu symbolique et perd un peu de sa singularité circonstancielle1. LE LANG A GE DE L ’IMA GE ET LES DONNEES DE L'EXPERIENCE SENSIBLE Un assemblage conventionnel s’organise d’autant plus librement que les contraintes de la vraisemblance ne pèsent pas sur la composition. Mais dès que des préoccupations réalistes, le respect d’une certaine perspective et des proportions par exemple, lui imposent leurs contraintes, l’imagier sert la fidélité de la description au détriment des significations symboliques. Le passage progressif du symbolisme au réalisme, entre les XIIIe et XVe siècles, est bien connu. Il n’a pas affecté seulement le contenu et le style des représentations, mais aussi la forme syntaxique de l’expression. L’évolution de l’image ne s’opère pas de façon rapide et régulière. On trouve à la fin du XVe siècle des figurations de relations purement conventionnelles, dans des scènes traitées sur d’autres plans de façon réaliste1 2. Dès le XIVe siècle, et même avant, des nécessités de composition, de vraisemblance, introduisent dans les scènes des relations dont on ne peut savoir s’il leur faut accorder la signification précise qu’elles avaient antérieurement. La difficulté se rencontre surtout dans l’interprétation des positions et des gestes des bras, des mains, des jambes, comme le montrera un exemple. L’ensemble des illustrations d’un manuscrit de l’Histoire romaine de Tite-Live, exécuté au temps de Charles V, pose le problème du degré de finesse auquel on peut légitimement aller dans l’utilisation des relations du langage iconographique pour l’interprétation des images3. Jusqu’à quel point peut-on pousser l’analyse sans prendre 1. On ne s’arrêtera ici ni sur les variations d’emploi du terme iconographie, pris tantôt dans un sens large, tantôt dans un sens étroit, ni sur l’acception et la valeur du terme iconologie. Voir à ce sujet Erwin PANOFSKY, Essai d'iconologie, traduit avec des notes abondantes par Bernard TEYSSEDRE, p. 1 sq. L’expression langage iconographique a été préférée à d’autres parce qu’elle semble simple et claire. 2. Cf. une Chronologie universelle du début du XVe siècle, Orléans, bibl. mun., ms. 470 (171) et le Missel de Philippe de Luxembourg, Le Mans, bibl. mun., ms. 254, fol. 65 v (179). 3. Tite-Live, Histoire romaine, traduction française de Pierre de Bressuire, deuxième moitié du XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 777.
15 pour des relations signifiantes des positions et des gestes qui s’expliquent simplement par le respect de la réalité, la fantaisie et l’art? D’après Tite-Live, lorsqu’il fallut désigner le roi de Rome, «Romulus choisit le Palatin et Remus l’Aventin comme emplacement pour prendre les augures. Ce fut d’abord Remus qui obtint, dit-on, un augure : six vautours. Il venait de le signaler lorsque le double s’en présenta à Romulus...»1. La scène étant narrative, la succession dans le temps se fait de gauche à droite, dans le sens de la lecture (163). C’est bien ici Remus qui le premier a vu six vautours. L’imagier a placé les deux frères côte à côte et non chacun sur une colline. C’est là un procédé artificiel du langage iconographique, qui néglige les exigences de la répartition spaciale des êtres pour servir l’idée, ici la confrontation et le conflit qui en résulte. La figuration des témoins (cf. p. 88), le geste de la main droite, sont également des signes traditionnels, exprimant des relations précises. Mais peut-on tenir le croisement des bras de Romulus pour signifiant? Ne s’agit-il pas d’une pose naturelle à laquelle l’attribution arbitraire d’une signification ne serait qu’une projection subjective résultant de l’esprit de système? Il est évident que si l’on interprète ce croisement des bras dans un sens fort, comme dans d’autres représen- tations médiévales (p. 220), il signifie contradiction, duplicité, fourberie, affirmation qui va à l’encontre du droit, réclamation injustifiée... En allant encore plus loin, on pourrait opposer l’attitude de Remus arrêté, de face, à celle de Romulus en marche. On verrait là l’expression de l’antériorité du premier augure. Cette interprétation est très compatible avec le texte, mais est-on en droit d’affirmer que l’artiste a mis dans l’image, consciemment ou inconsciemment, les significations qu’on lui trouve? Dans ces cas délicats, il faut toujours tenir compte des caractéristiques de l’ensemble des illustrations d’un manuscrit, pour avancer avec prudence des hypothèses. Un nombre élevé de concordances, sans avoir toujours valeur de preuve, permet de croire à autre chose qu’une série de coïncidences fortuites. LANG A GE ICONOGRAPHIQUE ET CREA TION L’imagier qui illustre un texte, le maître verrier qui compose un vitrail, sont soumis, consciemment et inconsciemment, à un nombre d’usages, de règles et autres impératifs, tel qu’il est bien difficile de discerner dans l’œuvre achevée les facteurs qui en ont déterminé le contenu et la forme. Ces contraintes, d’autre part, ne suppriment pas la liberté de création, dont les contours demeurent indiscernables. Or l’étude du langage iconographique s’attache à des rapports constants spécifiques, au niveau de l’expression, qu’elle isole, identifie et interprète. Il lui faut donc sans cesse éliminer de ses exemples et de ses analyses les formes de figuration qui ont d’autres origines et ne sont pas des faits de langage. Pour cela il lui faut connaître l’ensemble des facteurs susceptibles d’intervenir dans la création, et, les ayant toujours en mémoire, dissiper en permanence les confusions éventuelles. On ne mentionnera ici que deux aspects particulièrement importants pour l’iconographie médiévale. 1. Tite-Live, Histoire romaine, I, VII.
16 La contrainte du texte Dans l’étude des enluminures en particulier, la relation entre l’image et le texte pose de nombreux problèmes1. Pour s’en tenir aux remarques utiles à l’étude du langage iconographique, on peut faire une triple distinction. Ou bien l’image est une réplique fidèle du texte, une transposition visuelle de l’expression verbale. Les personnages, les objets et les actions sont figurés comme si l’imagier avait recopié l’écrit, mais avec des figures au lieu de mots. Les relations ainsi reproduites ne peuvent être tenues pour des faits de langage, même s’il y a coïncidence entre la lettre du texte et les usages iconographiques. C’est le cas, au moins de façon approchée, dans l’illustration mot à mot et dans certaines illustrations narratives2. Ou bien l’imagier présente les mêmes faits, les mêmes idées que l’écrivain, mais sous une forme différente. Il choisit, organise, interprète. Dans ce cas, les procédés spécifiques du langage iconographique apparaissent avec netteté. Les illustrations du manuscrit des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, auxquelles on se référera fréquemment dans cette étude, constituent un ensemble typique homogène. Elles partent d’un fait, ou d’une suite de faits, présentés ou évoqués dans le texte, et racontent une histoire selon des formes qui ne doivent rien à l’écrit (107-140)3. Ou bien l’imagier interprète le texte au point d’exprimer des idées et de décrire des faits qui ne sont pas présentés dans l’écrit. C’est le cas des illustrations thématiques, qui s’apparentent au texte par l’esprit mais en diffèrent profondément par le contenu. 1. L’illustration des textes bibliques et des commentaires des Pères de l’Église, du XIe au XIIIe siècle, est certainement la plus riche et la plus variée. Elle peut être utilisée pour l’étude de toutes les ques- tions que posent les relations entre l’image et le texte. Dans Words and Pictures, Meyer SCHAPIRO prend comme exemple principal l’illustration d’un passage de l’Exode (17, 9-13), et il souligne l’influence des commentaires de Justin, de Tertullien, d’Origène et d’autres écrivains ecclésiastiques sur les stéréotypes successifs du sujet et leurs connotations. Mais cette étude chronologique ne tient pas compte de la syntaxe en tant que telle. 2. Pour le Psautier d’Utrecht, voir Suzy DUFRENNE, Les illustrations du Psautier d’Utrecht et p. 13, note 2. Les récits poétiques et les romans ont donné lieu à des imageries narratives qui suivent de très près le texte, sans toutefois être de pures copies. La transposition élément par élément de phrases du Cantique des Cantiques et de l’Ecclésiastique, appliquées à la Vierge, décorent des manus- crits, des livres et des vitraux du XVe et du XVIe siècle. L’illustrateur d’un Miroir de VHumaine Salvation a représenté une tour couverte d’écus armoriés, qui correspond exactement au texte biblique : «Comme la tour de David est ton cou, bâtie qu’elle est pour les trophées; mille boucliers y sont suspendus, tous les écus des braves» Cantique 4, 4 ; miniature du.XVe siècle, Chantilly, musée Condé, ms. 1363, fol. 7 ; le verset «Tu es un jardin bien clos, ma sœur épouse, un jardin bien clos une fontaine scellée » est également transposé de façon littérale : une fontaine, entourée d’une grille solide, occupe la quasi totalité de l’image (ibid, fol. 4).- Dans un missel à l’usage d’Orléans, du milieu du XVIe siècle, dans un vitrail de Vendôme, et ce ne sont que deux exemples d’un stéréotype répandu, la porte du ciel, l’étoile de la mer, la plantation de roses et les autres images qui conviennent à la Vierge sont distribuées autour de Marie sans qu’il y ait entre ces figurations une quelconque relation. 3. De nombreuses séries d’enluminures illustrent un récit par des tableaux dont la forme est originale, par exemple le Miracle de Théophile de Gautier de Coincy, milieu XIIIe siècle, Besançon, bibl. mun., ms. 551 (88-91), les Fleurs des chroniques de Bernard Gui, fin XIVe siècle, Besançon, bibl. mun., ms. 677 (167-170).
17 Ces images sont à la fois les plus difficiles à déchiffrer avec certitude tant qu’on ne possède pas le vocabulaire et la syntaxe adéquats, et les plus riches pour l’étude du langage, parce que les enlumineurs utilisent librement toutes ses ressources dans leurs compositions1. Le poids des traditions iconographiques Soucieux de rétablir l’ordre de succession et de dépendance qui seul peut donner au tableau historique des créations artistiques sa vérité chronologique, les historiens de l’art ont éclairé en priorité les problèmes d’origine et de transmission, qu’il s’agisse des sources d’inspiration, des styles ou des formes1 2. Il n’est pas question de sous-estimer le rôle des archétypes traditionnels, des schémas iconographiques et des modèles, que l’enlumineur copiait quelquefois grâce à des techniques de piquetage, de découpage et de calque. Mais le poids de la convention n’a pas éliminé les facteurs personnels de la création, en particulier dans l’utilisation des structures syntaxiques. Maurice Smeyers écrit, en parlant des contraintes qui pèsent sur le choix des sujets : «On peut invoquer ici l’exemple des Psautiers. Pour les enluminer, on s’est servi constamment de quelques systèmes, fixés dès le XIe siècle, qui déterminent aussi bien la disposition que le contenu des illustrations»3. On est surpris au contraire par la diversité des mises en œuvre, grâce en particulier à des variations syntaxiques, qui donnent à des lettres historiées, assez proches en apparence, des significations très différenciées. La richesse du contenu ne tient pas seulement à la quantité et à la nature des éléments représentés. Elle n’est pas seulement donnée par leur disposition générale dans la surface figurée. Les relations syntaxiques jouent un rôle essentiel dans la détermination du sens profond. C’est du moins ce que les recherches sur cette partie du langage sembleraient montrer4. L ’ËTUDE D U LANG A GE ICONOGRAPHIQ UE ET SES PR OBLÈMES Un langage naît, vit et meurt, comme tous les faits de civilisation. Mais il n’apparaît pas spontanément, sans père ni mère. Fruit d’un temps et d’un milieu, il se développe sur des fonds traditionnels dont il se nourrit, tantôt reprenant les signes sans les modifier, tantôt métamorphosant le signifiant et le signifié. Les recherches sur la filiation des images éclairent les origines, les formations, les croissances et les dispari- tions. Elles intéressent la vie des arts dans son ensemble et concernent directement tous les problèmes que pose le langage iconographique5. 1. Le Cantique des Cantiques, et surtout les nombreux commentaires qu’il a suscités, ainsi que les livres sapientiaux et l’Apocalypse ont permis aux imagiers de multiplier les créations où le contenu et la forme de l’image n’ont qu’un rapport lointain avec le texte (1,2, 3, 4, 35,42...). 2. Maurice SMEYERS fait une synthèse des principaux aspects de ces questions et des réponses qui leur ont été données, dans La Miniature, Typologie des sources du Moyen Age occidental, 1974, Brepols, Turnhout. Voir en particulier p. 47-65. Il ne traite que de l’enluminure, mais de nombreuses remarques pourraient s’appliquer à d’autres champs. 3. M. SMEYERS,op. cit.,p,54. 4. Voir F. GARNIER, Les conceptions de la folie d’après l’iconographie médiévale du Psaume Dixit insipiens. 5. Dans Les illustrations du Psautier d’Utrecht, Suzy DUFRENNE s’attache à retrouver les origines antiques de l’illustration de ce Psautier,et montre les copistes carolingiens à la recherche «des modèles anciens,fournissant sujets, thèmes et inspiration»,p.219.-Dans WordsandPictures,Meyer SCHAPIRO suit l’illustration d’un sujet biblique de la période paléochrétienne à la fin du Moyen Age.
18 Mais l’étymologie des termes n’épuise pas le contenu d’un discours. Elle peut même en fausser la compréhension, si le texte n’est pas situé et saisi comme le donné d’une époque, d’un genre et d’un homme. De même, les représentations figurées ne s’expliquent pas par le seul passé des formes. Leur langage est à la fois un héritage et une actualité. C’est à partir de ce dernier aspect seulement que cette étude essaie d’en saisir les structures, en les traitant comme des choses. Une forme d’expression est un moyen. La syntaxe donne à la langue sa richesse et sa souplesse, en permettant, par la variété des rapports et de leurs combinaisons, de nuancer le contenu représentatif des images. Entre la juxtaposition des termes et la construction complexe et subtile de phrases bien articulées, il y a la même différence qu’entre les idéogrammes élémentaires et les compositions raffinées. Le choix des moyens, la finesse et la délicatesse dans leur utilisation déterminent les caractères originaux de l’œuvre, sur le plan de la signification. La richesse des formes syntaxiques est difficile à établir avec précision. Leur inventaire et leurs transcriptions intelligibles se font dans les cadres et avec les termes propres aux analyses logiques et grammaticales de la langue écrite et parlée. Les traductions sont souvent inadéquates, parce que la relation figurée ne correspond pas exactement à un concept. Plus près des situations concrètes que le mot, puisqu’elles en reproduisent souvent les apparences sensibles, les images décrivent et suggèrent plus qu’elles n’analysent et n’expliquent. La part de la signification conventionnelle, isolée et fixée dans la structure symbolique, est difficilement appréciable pour ceux qui ont perdu toute pratique de la langue. Existe-t-il des synonymes dans le langage iconographique médiéval? Au niveau des éléments, certainement. Le sceptre et la couronne, la crosse et la mitre, s’ils sont des signes différents, peuvent être utilisés indistinctement pour désigner le roi ou l’évêque. Au niveau de la syntaxe, il existe également des relations figurées différentes ayant le même sens ou des sens très voisins. On peut exprimer la supériorité ou l’infério- rité par la situation verticale, la situation latérale, la dimension, la position, de même que l’on peut dire «plus grand que, plus élevé que, plus fort que, supérieur à , le plus grand...». Un fait de langage n’est jamais contraignant. La diversité des moyens d’expression laisse à l’imagier une latitude relativement grande de choix et de combinaisons. Il peut utiliser un signe pour exprimer une idée ou un sentiment, mais il ne doit pas nécessai- rement l’employer. Les goûts et les usages individuels ne facilitent pas la tâche de ceux qui étudient le langage, car cette souplesse dans l’utilisation des signes ne permet pas d’appliquer les grilles d’analyse sans discernement et de traduire les résultats de l’obser- vation avec un automatisme rigide. En contrepartie, de même qu’il y a une originalité des styles au niveau de la forme, on peut parler pour certains artistes de leur «style iconographique», c’est-à-dire de la façon personnelle dont ils utilisent le vocabulaire et la syntaxe. Une étude comparée des langages iconographiques ouvrirait des perspectives nouvelles sur tous les champs qui intéressent l’histoire de l’art médiéval. Mais il semble qu’un travail de ce genre ne doive pas être entrepris prématurément. Chaque fois que l’on découvre une correspondance entre une expression iconogra- phique et une expression verbale, on est tenté d’établir un lien entre les deux langages,
19 et même d’imaginer une relation entre les comportements de l’homme du Moyen Age et ses manières de parler, d’écrire et de représenter. Les légendes épiques, par exemple, abondent en descriptions de scènes de deuil, de désespoir ou de colère. Les mêmes formules se retrouvent dans la Chanson de Roland, « Braminonde la reine pleure sur lui, elle arrache ses cheveux», dans Erec et Enide, «qui ne l’aurait vu mener grand deuil, tordre ses poings, arracher ses cheveux et verser des larmes», dans Doon de Mayence, «il se prend par les cheveux», pour ne citer que trois cas parmi des centaines. L’homme qui éprouve une douleur violente se tire les cheveux. Ce geste se retrouve avec la même signification en iconographie (p. 223). La constatation de cette concordance permet- elle d’affirmer l’existence d’un lien réel entre les deux langages, et même de voir dans la peinture imagée des comportements un reflet de la vie concrète ? Il ne faut pas se laisser aller à des interprétations et à des généralisations hâtives. Une collection de similitudes ne légitime pas les extrapolations. Mais il serait intéressant de procéder à une enquête méthodique et systématique dans ce domaine, pour aboutir à des conclusions scientifiquement valables. Ce n’est pas l’objet de ce travail, qui n’aura recours qu’acci- dentellement à l’expression littéraire pour expliquer ou confirmer la signification d’un geste (p. 164). L’étude de la syntaxe iconographique médiévale porte sur la période 1000 -1500. Cela ne signifie pas que le langage iconographique médiéval soit né en l’An Mil pour s’éteindre avec le XVe siècle ! Mais il a semblé utile de bien distinguer les problèmes. Avant de faire l’histoire d’une réalité, en particulier d’en déterminer les origines, il convient de savoir de quoi on parle, de cerner cette réalité dans un espace et dans un temps donnés, de la décrire, de l’analyser. Il faut examiner ce qui est et non expliquer ce qui doit être en fonction de la connaissance que nous avons du passé. Le problème des origines, dont l’intérêt historique est considérable, ne conditionne pas l’étude du langage iconographique médiéval. On ne trouvera ici aucune explication par des pratiques antérieures, aucune référence à l’antiquité, à l’art chrétien primitif, à la période carolingienne. On n’abordera pas non plus d’autres problèmes tout aussi passionnants, mais qui seront posés correctement et recevront, peut-être, des solutions valables une fois seulement que les faits auront été bien établis. Quelle part faut-il faire à la pratique commune traditionnelle? Quelle part à la théorie? Existait-il un véritable code? A-t-il donné lieu à des formulations écrites? Comment se transmettait-il? Les questions ne manquent pas. On s’abstiendra de proposer des réponses prématurées.
CHAPITRE II LA DOCUMENTATION ET SON EXPLOITATION Cette étude du langage iconographique est fondée essentiellement sur l’observation des images médiévales. Sa qualité dépend de la valeur de la documentation autant que des méthodes de description et d’analyse utilisées. Un fait de langage étant, par nature, général et universel, la documentation qui permet de l’établir doit être étendue. Toutes les représentations figurées, quel que soit leur sujet, quel que soit leur support, quelle que soit la perfection ou la maladresse de leur exécution, sont des expressions signifiantes. Le moindre élément, la relation la plus simple contient en puissance une information. A défaut d’un impossible regroupement de l’ensemble des représentations figurées qui sont parvenues jusqu’à nous, dont l’encombrement paralyserait d’ailleurs l’exploita- tion, un inventaire systématique des genres et des espèces, prenant en compte tous les aspects de l’image, devrait suffire à fonder une recherche valable, à condition que le nombre des documents de chaque catégorie soit suffisamment élevé. La diversité des sources tient à la nature des supports, aux techniques, au contenu des représentations, à leurs auteurs, à leurs destinataires, à leur répartition géographique et chronologique. La multiplicité des classes documentaires justifiera peut-être un jour des études de syntaxe comparée. Les méthodes d’exploitation, esquissées ici dans leurs grandes lignes, feront sans doute l’objet de développements et de systématisations. Dans cette étude les analyses des différentes relations s’arrêteront à un degré de finesse en rapport avec l’état actuel de la documentation, de ses moyens d’exploitation et des résultats acquis. L’utilité d’une vue d’ensemble et de développements à peu près équilibrés l’a emporté sur l’attrait d’approfondissements partiels qui conduisent à des conjectures.
22 EXTENSION DE LA DOCUMENTATION Du XIe au XVe siècle, les images se sont progressivement multipliées dans les cadres de vie, sur les édifices et sur le mobilier. Elles ont décoré les livres et les menus objets, disposant partout des présences religieuses et profanes, comme si la vie des hommes avait besoin de se nourrir, même dans ses activités matérielles, d’idées et de beauté. Sculptures et peintures, tapisseries, vitraux, ivoires, émaux, racontent des histoires empruntées aux textes sacrés, à la littérature ou simplement au spectacle de la vie quotidienne. La diversité des supports, des emplacements, des destinations ne s’accompagne pas seulement de variantes stylistiques, de richesse ou de sobriété, de perfection ou de maladresse. Le langage iconographique est susceptible de s’adapter à un public raffiné ou populaire. Un religieux ne parle peut-être pas comme un laïc. Il est nécessaire de comparer des représentations différentes par l’esprit et l’exécution, par l’inspiration, la technique et le talent, pour discerner les composantes d’un langage universelles particularités d’une expression déclassé ouïes caractéristiques individuelles d’une syntaxe. Il n’y a donc pas, aux yeux de l’historien, de documents privilégiés pour des raisons de perfection formelle et de beauté. Comparées aux imageries que l’on pourrait qualifier d’exceptionnelles, des figurations plus banales et communes offrent un intérêt différent. D’abord elles se présentent sans l’habillage de l’habileté, comme des témoins proches des réalités, comme des manifestations plus spontanées du savoir et du savoir-faire. D’autre part leur grand nombre permet de confirmer, grâce aux séries de similitudes ou d’identités, la valeur de leur témoignage. Les représentations populaires, peintes ou sculptées dans les églises médiévales, montrent que les imagiers savants ou peu instruits, talentueux ou malhabiles, copient rarement sans modifier, par quelques traits de langage, le stéréotype dont ils s’inspirent, quand ils partent d’un modèle, ce qui n’est pas toujours le cas. L’extension dans l’espace et dans le temps est une des propriétés importantes du langage. Sans généralité et universalité, il n’y a pas d’intelligibilité. L’expérience montre que le langage de l’image a des frontières beaucoup plus larges que celles des langues vernaculaires, le latin gardant, au Moyen Age, un caractère universel. Pour étudier l’évolution d’une relation et de sa signification, il convient donc de la suivre pendant plusieurs siècles dans des œuvres différentes par le sujet et le style. Une exacte apprécia- tion des transformations de l’expression, avec des datations approchées, ne deviendra possible que lorsque le langage lui-même aura été établi comme ensemble d’éléments et de relations signifiantes. Pour le moment, seules les modifications progressives des représentations de certains sujets sont étudiées avec précision, sur le plan stylistique surtout, par les historiens de l’art. La syntaxe historique n’est probablement pas encore née, du moins si l’on ne confond pas l’étude des relations qui constituent le langage dans sa généralité avec la transmission de motifs. Le fait syntaxique est au contraire celui qui peut résister, de l’intérieur, à une tradition historique, à un héritage, pour modifier le sens d’une figuration. Qu’il y ait eu une très profonde transformation de l’iconographie médiévale entre les périodes que l’on appelle romane et gothique, entre
23 les XIIe et XIIIe siècles, tout le monde s’accorde pour le reconnaître. Mais il n’y a pas coïncidence nécessaire entre l’évolution de l’image, considérée dans son entité formelle et signifiante, et celle de la syntaxe. Sans perdre ses caractères génériques, une langue s’adapte aux nécessités intellec- tuelles ou pratiques des groupes sociaux et professionnels par des particularités spécifiques de vocabulaire et de syntaxe. Le juriste, le médecin, le philosophe et le théologien, l’homme politique et l’artisan, par pratique traditionnelle utilisent des formes qui leur sont propres. Elles s’introduisent dans la chaîne du discours commun, chargées d’un sens précis pour les initiés, difficilement compréhensibles pour les autres. Il n’y a pas plusieurs langues mais une seule, dont les structures universelles se prolongent par des rameaux spécialisés. L’étude de ces langages spécifiques a en même temps l’intérêt de mettre en valeur les originalités linguistiques et de montrer l’impor- tance de ce qui ne change pas, des structures fondamentales d’une expression. L’étude des relations dans le langage iconographique doit suivre dans les imageries spécifiques du droit, de la médecine, de la littérature, de l’histoire et de la religion, du jeu et de la guerre, les positions et les gestes typiques, pour en noter les constances et déceler s’il y a lieu les emplois idiomatiques. On n’en finirait pas d’énumérer les facteurs qui modulent l’emploi d’une langue sans la détruire, qui l’assouplissent et l’adaptent aux besoins et aux pratiques des hommes. Le pays, la province, la ville, l’abbaye, l’école philosophique ou théologique, les influences d’une personnalité ou d’un art étranger, une quantité indéfinie de variables peuvent affecter les structures communes de formes plus ou moins dialectales, sans porter atteinte à la nature profonde du langage. La documentation doit donc franchir chacune de ces frontières, en tenant compte de son existence. LES CORPUS Les considérations qui précèdent ont évoqué les ouvertures et les conditions idéales d’une recherche qui, concrètement, s’effectue dans des cadres relativement étroits, et avec des instruments de travail limités. L’effort international pour la consti- tution de photothèques, pour la publication et la diffusion de documents, ne met encore à la disposition des chercheurs qu’une partie des images d’art, celles que l’on pourrait appeler les plus nobles1. Cette diffusion satisfait, dans une mesure relative, l’étude historique et esthétique des grandes œuvres. Elle est insuffisante pour celle du langage, car elle laisse dans l’ombre la zone étendue des œuvres mineures, dont on ne connaît même pas les contours. La constitution de corpus, c’est-à-dire le rassemblement de la totalité des éléments appartenant à une même catégorie de documents, est ébauchée ou en voie de réalisation dans certaines institutions publiques ou privées. Quelques champs, assez restreints il est vrai, sont même couverts d’une façon systématique. Un rapide inventaire des formes que peuvent prendre ces corpus, selon les caractères spécifiques retenus pour définir leur unité, permettra de mieux saisir les éléments dont on dispose pour l’étude du 1. Voir par exemple, la sélection des manuscrits retenus par Lilian M. C. RANDALL pour son livre Images in the margins of gothic manuscripts, Berkeley, 1966.
24 langage, et d’apprécier l’écart qui sépare l’état actuel de la documentation ainsi que les moyens effectifs de son utilisation, des caractères de la documentation idéale. Les monographies Le corpus le plus simple, le plus ancien et le plus répandu, est la monographie. La monographie regroupe tous les éléments artistiques d’un ensemble restreint, et les étudie en détail. Cet ensemble peut être un édifice, une collection, un manuscrit. La monographie d’Etienne Houvet sur la cathédrale de Chartres est un modèle assez rare, car elle contient la reproduction de l’ensemble des œuvres figurées, et en particulier des vitraux. Le plus souvent les monographies donnent plus de place au texte qu’à l’image. C’est moins vrai depuis quelques années, mais les reproductions sont choisies pour la qualité de la photographie et la beauté de l’œuvre. Ceci est particulièrement sensible lorsqu’il s’agit de la présentation de sculptures. Les éclairages et les cadrages rendent les reproductions difficilement utilisables comme documents. Lorsqu’il y a volonté de multiplier les photographies dans un souci documentaire, la qualité est souvent moins bonne et les formats trop petits pour permettre un déchiffrage correct. Ces monographies, précieuses par leur nombre et par les informations historiques qu’elles contiennent, constituent un fond actuellement irremplaçable. Mais diverses dans leurs conceptions et leurs valeurs, réparties dans des publications plus ou moins rares, et donc difficiles à approcher, elles ne sauraient fournir une base documentaire convenable pour une étude comme celle du langage iconographique. Le fac-similé donne une forme idéale à la monographie du manuscrit. Il se consulte comme l’original et le texte qui accompagne la reproduction est généralement bien fait. Mais le prix et la rareté des fac-similés les réservent à quelques.bibliothèques. D’autre part leur exploitation est difficile, car il n’existe pas d’instrument de travail, comme des index iconographiques, et leur maniement pour effectuer des comparaisons est malaisé. Enfin seuls les manuscrits les plus beaux et les plus célèbres ont été repro- duits sous cette forme très onéreuse, c’est-à-dire un très faible pourcentage par rapport à la masse documentaire potentielle. L’étude du langage iconographique ne peut se faire à partir d’une sélection aussi étroite1. Les corpus thématiques La cohérence d’un ensemble iconographique peut se concevoir sur deux plans, selon l’origine du texte illustré et selon les caractères spécifiques communs des représentations. L’unité de pensée et d’expression écrite se situe à plusieurs niveaux : unité de l’œuvre d’un auteur, unité d’une œuvre particulière, unité d’un fragment. On peut réaliser un corpus des illustrations de l’œuvre de saint Augustin, un corpus des illustra- tions de la Cité de Dieu, ou du B de Beatus vir dans les Commentaires sur les Psaumes. La constitution de corpus regroupant l’ensemble des représentations qui concernent un même thème facilite la recherche dans des secteurs spécialisés du savoir : 1. Exposé d’ensemble sur ces publications en fac-similés dans M. SMEYERS,La Miniature, p. 110-122.
25 histoire, droit, littérature, médecine, sciences, techniques, arts. Au sein de chacune de ces disciplines, des distinctions justifient, si besoin est, la création de corpus plus limités : illustration des sources narratives - illustration des livres de Chroniques — illustration des Grandes Chroniques de France, etc. Très utiles pour les chercheurs spécialisés qui en organisent l’exploitation en fonction des travaux de leur discipline, ces regroupements sont difficilement utilisables pour des études différentes. Les corpus thématiques offrent un avantage appréciable pour l’étude de la syntaxe : ils regroupent des images représentant le même sujet, la même scène, la même figure. On se trouve donc en présence de séries documentaires homogènes, qui permettent d’étudier une relation1. Malheureusement les publications, même importantes, ne reproduisent qu’une partie des documents connus1 2. Les corpus par champ La constitution systématique de collections documentaires recouvrant l’ensemble d’un champ correspond aux besoins de l’histoire moderne. Le développement des techniques photographiques et informatiques l’ont rendue possible. Il n’est pas question d’établir ici un répertoire des entreprises qui, à l’échelon d’une université, d’un pays, d’une coopération internationale, réalisent des corpus sur les vitraux, les émaux, les enlu- minures, les ivoires, les tapisseries, etc. Mais les principes de constitution de ces corpus appellent deux remarques, quant à leur extension et à leurs formes d’exploitation. Nombre de collections importantes se constituent par sélection. La photothèque de la Bodleian Library d’Oxford, exploitée par informatique à Purdue University sous la direction de Thomas H. Olgren, comprend quelque 30 000 diapositives «of their chief illuminated manuscripts and early-printed books, dating in the main, from the ninth century through the seventeenth century»3. Il est difficile de se faire une idée du pourcentage des représentations retenues et des critères qui ont déterminé les choix. Or la linguistique a des objectifs propres, et certaines images présentent un intérêt pour elle alors que, à d’autres points de vue, elles peuvent être tenues pour négligeables. La généralisation de la mise en informatique des corpus iconographiques facilitera de plus en plus les recherches en histoire de l’art comme dans les autres secteurs de la connaissance. Mais la conception des programmes et des lexiques conditionnera leur fécondité pour les recherches sur le langage. Il ne semble pas que les systèmes élaborés et appliqués jusqu’ici prennent en compte certaines données qui seraient utiles à ces études. 1. Cf. p. 72-73. 2. Anthony MELNIKAS a publié The corpus of the miniatures in the manuscripts of Decretum Gratiani en ne reproduisant, et même en ne mentionnant qu’une partie des enluminures. Par exemple, il ne donne que celle du fol. 107v (Causa II, fig. 19) du manuscrit 341 de la bibliothèque de Dijon, alors que celui-ci contient 38 illustrations. 3. Thomas H. OLGREN, The Bodleian Project : Computer Cataloging and Indexing Médiéval Illumi- nated Manuscripts and Early-printed Books, dans First International Conférence on Automatic Processing of Art History Data and Documents, Conférence Transactions I, Pise, 4-7 septembre 1978. Le corpus des Enluminures des Bibliothèques publiques de France, entrepris récemment par l’institut de Recherche et d’Histoire des Textes, retient la totalité des enluminures, quels que soient leur état de conservation et leur qualité d’exécution.
26 BASE DOCUMENTAIRE DE L’ÉTUDE La base documentaire de cette étude est étroite, si on la compare aux vastes perspectives qui viennent d’être évoquées, et relativement large dans la mesure où elle comprend des ensembles. Le dossier documentaire reproduit dans ce livre est plus restreint que la base sur laquelle sont fondés les exposés et les démonstrations. Les nécessités matérielles limitent en effet le nombre des photographies et des dessins. La documentation présentée ne reflétera que partiellement la documentation étudiée. DOCUMENTA TION ETUDIEE L’observation et la réflexion ont porté en priorité sur une documentation photo- graphique réalisée en plus de vingt ans. Cette collection personnelle comprend, pour la part qui intéresse l’étude du langage iconographique médiéval, plusieurs dizaines de milliers de clichés. Elle couvre principalement quatre champs : la sculpture, romane et gothique, la peinture murale, le vitrail et l’enluminure. Ivoires, émaux et tapisseries ne représentent que quelques centaines de clichés. Les sculptures de Saint-Benoît-sur-Loire, Autun, Vézelay, Chartres, Bourges, Poitiers, Le Mans, comptent parmi les plus importantes, en quantité et en qualité, d’un fond qui en contient d’autres, réunies de façon non systématique, du Maine, de l’Anjou, de Saintonge et de Bourgogne principalement. La lecture des sculptures n’est pas toujours chose facile, à cause des détériorations dues au temps, aux déprédations et aux restaurations. Les caractères propres au matériau et à la technique déterminent d’autre part des exécutions qui sans s’écarter des règles en usage dans les autres formes de figuration les modifient quelque peu. Les vitraux de Chartres, Bourges, Angers, Auxerre, Clermont-Ferrand, Poitiers, Rouen, Sens, Tours, Troyes, pour ne citer que les principaux ensembles photographiés en partie, offrent des grandes compositions dont les nombreux médaillons contiennent des scènes variées. Mais le dessin n’est pas toujours facile à déchiffrer. Certaines lectures sont en effet conjecturales, lorsqu’elles portent sur des éléments trop petits, effacés, abîmés ou refaits. Cette dernière altération est particulièrement à prendre en compte, les vitraux ayant eu, dans leur ensemble, des histoires mouvementées, au cours des- quelles ils ont pu subir des modifications plus ou moins profondes. Il faudrait pouvoir s’appuyer sur les travaux et publications du Corpus Vitraearum Medii Aevi pour s’assurer de la valeur documentaire des représentations. Mais cette entreprise ne fournit encore que peu d’instruments de travail. Les peintures murales ont elles aussi connu les infortunes de ce qui est fragile et exposé aux méfaits des intempéries comme aux caprices des hommes. Néanmoins elles sont d’un grand intérêt, par leur situation, dans des églises rurales le plus souvent. Les enquêtes et les campagnes photographiques ont porté principalement sur les peintures murales du Maine et de la vallée du Loir, où elles ont été conduites systématiquement. Les enluminures constituent la partie la plus importante, quantitativement et qualitativement, de cette documentation photographique. La totalité des peintures des
27 manuscrits de la bibliothèque du Mans et à thèque Sainte-Geneviève, des séries i ’t que ques enluminures près, de la biblio- Mer, Arras, Douai, Amiens, Cambrai y| rantes des bibliothèques de Boulogne-sur- Orléans, Poitiers, de la bibliothèque M enciennes> Reims, Troyes, Dijon, Rouen, Tours, l’objet d’observations et d’analyses H^,anne’ pour ne citer que les principales, ont fait des exemples qui, pour certaines relat'1* 3 Semb^ nécessaire de mettre en référence l’absence d’une photogranhie • se(seraient comptés par centaines mais, en H u5*<tpme ou d un dessin, n auraient ata .„ • ï a« duraient été que des allusions. Les reproductions éditées ont égalent! at - et confirmer des hypothèses. De préférence l’^ C°nsultees avec Profit> pour vérifîer présentant des ensembles, fac-similés ou ttentlOn s’est portée sur les publications sont cités dans la bibliographie. corPus. Un certain nombre de ces ouvrages LA DOCUMENTA TION PRESENTEE La documentation est présentée sous 1 exigences méthodologiques complémentaires^ T’ qUi correspondent à deux originale et les rapprochements sous fnrn«T’ J Contact permanent avec l’œuvre présentant des caractères communs T a ^lb e et ^teJiigible, des relations figurées de dessins répondent en partie à ces deux néœsSïtés°nS photographiques et Ies pIanches Les reproductions de documents du langage et de ses ri^sformatin^ indispensable à la mise en valeur des constances S°"“S d’inSpira,i0"' de cinq siècles, de lOOOà 1500 mX i ?rodlutes se succèdent pendant une période importante daôs ficonoarapMt desX e “K documents sera donc plus élevée. * eS’ P°Ur Iesquels la densité des distinguer de^caractèresP^1'6 effaC.e les sin8ularités locales, ou du moins permet de les distinguer des caractères généraux et universels du langage Les imaees sont empruntées LXTd’un^?68 éco,es différentes’ et interprétées au’à narfr cbapdeaux historiés en particulier, ne peuvent être lues et interprétées qu a partir d une reproduction complète de la reorésentation dans un format assez grand, la multiplicité des md» a P ae la représentât on, dans un de découvrir des détails qui ont leur im™ ! d T permettant d éviter des erreurs et Il serait d’autre part uthe lmp°^tance dans ddcbiffrage de la signification, cnmnlexes nnnr . P qUer et de commenter des représentations souvent nemeS i Z eVlde",CeJeS relations ataxiques. L’ampleur de ces dévelop- présentés ont la fnrm \’6 objet et les limites de ce travail. Les rares exemples présentés ont la forme d une allusion plus que d’un exposé. ensembleXe^nr1^^^6 ^te 3UX erdundnures tient à ce qu’elles jouissent d’un dimensions elî 3 1,6 Se rencontrent dans aucun autre champ. De petites variété des’ th' PeUVe” netre reproduites de faÇon lisible. Leur grand nombre et la variété des thèmes qu elles illustrent sont uniques. Histoire, religion, philosophie sciences, médecine, droit, littérature ont inspiré des imageries qui ne se rencontrent
28 nulle part ailleurs avec une telle diversité. La signification de l’enluminure est souvent éclairée par le texte pour lequel elle est faite. Rarement restaurée et altérée, elle s’offre à l’examen comme un document de valeur scientifique certaine. Il résulte de ces propriétés que la place privilégiée faite aux enluminures n’est pas arbitraire. Il a semblé utile de montrer ce que peut apporter l’illustration d’une unité codico- logique à la connaissance du langage. Un manuscrit célèbre des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, conservé à la bibliothèque Sainte-Geneviève sous le numéro 782, contient 38 enluminures, lettres historiées et vignettes, représentant des sujets et des thèmes suffisamment divers pour que l’on puisse y étudier les relations syntaxiques avec la rigueur souhaitable (106-143). Les Bibles et les commentaires des Pères sur l’Ecriture constituent la source iconographique la plus riche pour les XIe, XIIe et même XIIIe siècles. Leurs sujets, souvent précis et circonstanciés, offrent des garanties générales d’interprétation. Les reproductions sont empruntées en partie à des manuscrits célèbres, comme certaines Bibles d’Arras, de Dijon, de Moulins et de la bibliothèque Sainte-Geneviève, en partie à des imageries plus simples et communes. Il fallait associer des représentations exceptionnelles et des illustrations ordinaires. Les autres documents viennent de livres liturgiques, de livres de droit, de livres de médecine, d’écrits hagiographiques, d’œuvres littéraires, ils illustrent des thèmes divers. Les planches de dessins Les planches de dessins ont été réalisées pour compléter les reproductions photo- graphiques, rendre plus claires les analyses et confirmer les démonstrations. Le dessin permet de relever et de rapprocher des détails qui passent facilement inaperçus dans la composition complexe de l’image, et dont les figurations contiguës rendent évidentes les similitudes. Partiel et schématique, il n’a pas valeur de document. Pour faciliter le report aux œuvres, le plus grand nombre de ces dessins a été fait à partir de quelques éditions, en particulier d’une Bible en 22 volumes, contenant plus de 3000 illustrations, et de la Bible moralisée conservée à Vienne dont il a été publié un fac-similé1. 1. Bible, trad. E. O ST Y, iconographie F. GARNIER, éd. Rencontre, Lausanne, 1968-1973 Bible moralisée de la Bibliothèque nationale d’Autriche, codex vindobonensis 2554, reproduit en fac-similé intégral, étude par R. HAUSSHERR, Paris, 1973.
29 EXPLOITATION DE LA DOCUMENTATION L’étude du langage iconographique médiéval peut se faire de plusieurs façons. On a déjà insisté sur la nécessité de traiter simultanément des masses documentaires comprenant des images différentes par la forme et par le contenu. Mais avant de préciser les caractères des séries documentaires scientifiquement valables, certains choix s’imposent, car la description du document peut suivre plusieurs voies et utiliser des vocabulaires différents. L’énoncé de quelques principes fondamentaux situera et éclairera la démarche. RÈGLES DE DESCRIPTION Les qualificatifs par lesquels s’exprime une émotion personnelle menacent l’analyse iconographique de multiples façons. A l’objectivité du donné, ils risquent de substituer la subjectivité du senti ; la richesse et la pauvreté de l’habit, la qualité esthétique des formes, engendrent des jugements sur les réalités qu’elles recouvrent. Cette littérature, si elle rend en apparence l’exposé plus agréable, l’alourdit, prête à confusion, dilue l’essentiel au lieu de le mettre en valeur. La différence entre l’épithète descriptive et l’épithète appréciative peut être mince. La sobriété dans la description permet seule de saisir les relations dans ce qui les constitue en propre. Il aurait été possible d’utiliser, pour donner à cette étude un caractère plus formel, les procédés de la notation symbo- lique, de la linguistique. Il a semblé préférable de s’en tenir à une observation, à une méthode d’analyse et à un vocabulaire plus proches des réalités que la recherche voulait saisir. Les formalisations ne peuvent s’introduire que progressivement dans les sciences. Prématurées, elles risquent de devenir un jeu et, loin de servir la connaissance de leur objet, de n’avoir pour fécondité que le plaisir de ceux qui les conçoivent1. A ces raisons méthodologiques et épistémologiques s’ajoute la nécessité de conserver dans les approches des différentes représentations le sens de la complexité et de la relativité dont, dans l’état actuel des connaissances et des instruments de travail, les procédures formelles peuvent difficilement tenir compte. Le choix d’une voie spécifique, entre les développements destinés à faire sentir les beautés de l’œuvre d’art et les analyses sémiologiques formalisées, tient à la finalité même de cette recherche : inventorier et répertorier les principales relations du langage iconographique médiéval. A NA L YSE ET SYNTHÈSE La nature —et même l’existence — d’un langage iconographique ne peut être saisie que par un survol complet des genres et des formes d’expression, sur une large étendue et pendant une durée qui dépasse les caprices des modes. Certes le parti pris de synthèse expose à l’imperfection des analyses, aux dénombrements incomplets, aux descriptions 1. «La notation symbolique n’est donc pas en soi une procédure de découverte. Il n’empêche que la possibilité de l’utiliser dans un domaine donné apporte la preuve indirecte que le terrain de recherches choisi est passablement déblayé», A. J. GREIMAS, Sémantique structurale, p. 17.
30 approximatives, à l’ignorance des cas particuliers émaillant le plus curieusement une production riche en lieux communs, qui peuvent paraître fades comparés aux singularités géniales, ou jugées telles. Mais un langage est d’abord une trame continue, faite d’usages si profondément enracinés que l’on ne prend même pas la peine de réfléchir sur leur nature et leur valeur. L’exceptionnel, en matière de langage, a un grand intérêt de folklore, d’épiphénomène ou de cas clinique. Marginal en tant que phénomène, il ne saurait apparaître dans la recherche linguistique que comme une friandise peu nourrissante. Dans le langage de l’image, plus que dans l’expression verbale où l’intrusion de formes étrangères est impossible, des fragments de réalité perçue se joignent à la chaîne la plus conventionnelle de signes typiques. Ces reflets du monde dans un ensemble fabriqué ne paraissent pas insolites, parce que tout ce qui est donné par les sens a un aspect familier. Devant un néologisme, on marque un recul. Une interrogation est immédiatement posée, et la réponse se traduit par une compréhension et une acceptation, ou par un rejet. La présence d’un lambeau de réalité dans une image symbolique est au contraire rassurante. Elle donne une authenticité et un caractère de véracité au témoignage, alors qu’elle en perturbe l’harmonie. Il faut donc se méfier des apparences de l’image médiévale, surtout des XIe et XIIe siècles, lorsqu’elle se présente sous les traits d’une vieille connaissance. En matière de convention, le bon sens est le dernier des arbitres. Voilà pourquoi une vue synthétique s’est imposée comme le seul itinéraire où le détail n’orienterait pas dans des sentiers d’égarement une recherche prompte à se prendre à son propre jeu, au moindre détour d’une difficulté. Tous les problèmes sont intéressants, mais ils ne peuvent être bien posés et recevoir de solution valable que situés dans un éclairage d’ensemble. La focalisation excessive rend myope. Pour prendre un exemple, l’étude de la position de la tête regardant en arrière (p. 147-158) pourrait s’effectuer sur une masse documentaire de centaines de représentations, et, procédant par analyse formelle systématique, calculer les variations concomitantes des bras, des mains, des jambes, etc. de telle sorte que les mailles d’un filet logiquement et fermement fabriqué ne laissent échapper aucune des combinaisons possibles. Mais cette méthode de travail conduirait à une multitude d’hypothèses inutiles, au moins dans l’état actuel des connaissances, opérerait à un degré de finesse sans rapport avec les moyens d’appréhension, et surtout exposerait à créer des monstres imaginaires, au lieu de déchiffrer le sens de ce qui est écrit avec des éléments et des relations figurés. La signification de la tête tournée en arrière dépend de la situation du personnage, de ce qui est devant lui, de ce qui est derrière lui, de tout un contexte où les détails n’existent et n’ont de sens que par rapport à l’ensemble. On ne s’approche du centre de la spirale que par un mouvement lent et progressif, qui prend en compte successivement tous les aspects de l’image pour conduire à la connaissance d’un centre qui n’est centre que par ce qui l’entoure. Cette démarche suppose que le langage iconographique s’apprend, qu’il y a un acquis, que cet acquis n’est pas seulement mémorisation de motifs, accompagnés de leur signification comme les mots du dictionnaire, mais également art d’appliquer une syntaxe. Combien de fois ceux qui ont enseigné le latin n’ont-ils pas déploré la méthode de traduction d’élèves prompts à chercher la solution de l’énigme dans le dictionnaire,
31 sous forme d’expressions qui, s’identifiant avec les mots du texte, permettent de reconstituer la signification? Un texte n’est pas une pile de mots. Une image médiévale n’est pas un agrégat d’objets et de figures. GRANDS NOMBRES ET SERIES Balbutié au seuil de l’ignorance ou ciselé avec art et habileté par un maître, le langage est à la fois le même et différent. Mis au service de l’exposé théologique ou juridique, de la démonstration morale ou scientifique, de la commémoration ou de l’édification, il s’adapte comme un instrument souple à ces finalités. Le vocabulaire surtout s’enrichit de termes spécifiques. C’est sous les écorces variées de ses différentes fonctions que le fait de langage, la relation dans ce qui la constitue en propre comme signifiant et comme signifié, peut être saisi dans son essence et son universalité. Une série est un ensemble limité de représentations susceptibles d’offrir à l’étude un échantillonnage suffisamment complet d’exemples pour que les caractères acci- dentels des figurations s’annulent et s’éliminent, ainsi que les similitudes dues à la copie de modèles ou à d’autres incidences. Une série scientifiquement valable, justifiant une généralisation, présente les caractères principaux suivants : Extension de la série Les échantillons constituant la série doivent être pris dans une diversité de repré- sentations, tenant compte de tous les facteurs qui interviennent pour en modifier le fond et la forme. facteurs techniques Certaines techniques ont une incidence sur la réalisation des figurations. Il est souhaitable que les représentations d’une série soient prises dans les principaux champs : enluminure, peinture murale, tapisserie, vitrail, sculpture, ivoire, émail, etc. La nature et la qualité du matériau facilitent les finesses d’exécution ou les rendent impossibles. La petitesse de certaines surfaces limite le nombre des figures et des relations signi- fiantes, alors que par leurs grandes dimensions la tapisserie, la peinture murale et le vitrail se prêtent aux compositions riches et complexes. Dans la sculpture romane, surtout si elle est le fait d’artisans apparemment peu habiles travaillant une pierre difficile, la simplification des sujets et des formes n’est pas la même que dans les enluminures. La représentation tridimensionnelle détermine des formes et des relations syntaxiques spécifiques. destinataires Le langage des représentations peut être plus ou moins simple ou complexe, populaire ou savant, selon qu’il s’adresse à un petit cercle d’initiés ou à un public élargi. Les peintures et les sculptures des églises sont destinées au peuple chrétien tout entier, alors que les manuscrits cisterciens sont exécutés par les moines, pour leurs propres besoins. Une étude de la syntaxe de l’image en général et d’éventuelles caractéristiques des syntaxes propres aux différents destinataires permettrait d’aborder sous un jour intéressant la comparaison de l’art savant et de l’art populaire.
32 sources d’inspiration - diversité des thèmes Les relations syntaxiques fondamentales se retrouvent dans les expressions théma- tiques les plus variées. C’est pourquoi il convient de choisir les échantillons d’une série dans l’illustration des principaux thèmes : vie du corps et vie matérielle quotidienne, vie religieuse et morale, vie publique, vie militaire, ensemble des activités professionnelles et artistiques. sources d’inspiration - diversité des sujets Pour éviter les similitudes dues aux copies de modèles, pour bien distinguer les constances qui résultent du poids de la tradition dans la représentation d’un sujet et celles qui sont déterminées par un fait de langage, il est nécessaire d’étendre les analyses à une gamme de sujets telle que les confusions soient écartées. genre iconographique Les séries complètes devraient comprendre des exemples puisés dans les différents genres iconographiques : figures et scènes images narratives et images thématiques représentations en état et représentations en action représentations symboliques, allégoriques, et représentations réalistes. origine Les particularités dues aux auteurs, aux écoles, aux usages régionaux ne peuvent être isolées, et étudiées séparément comme des dialectes, que si l’on tient compte de l’origine de la représentation dans la constitution de la série. Qualité des exemples La qualité des exemples est aussi importante que leur quantité et leur diversité pour la constitution d’une bonne série. Il est souhaitable qu’ils soient simples, lisibles, clairs et que leur signification ne prête pas à équivoque. lisibilité Certaines images sont difficiles à déchiffrer, pour des raisons d’exécution ou de conservation. La lecture conjecturale ne peut servir de fondement et de preuve. authenticité Les restaurations et modifications ont pu altérer la représentation, par des suppres- sions, des adjonctions, des modifications de tous ordres. L’authenticité de chaque document ne peut être établie que par les spécialistes d’une discipline. C’est pourquoi le travail des iconographes est subordonné à celui des historiens de l’art qui, dans chaque champ, établissent le corpus scientifique des œuvres. signification non équivoque Si une bonne connaissance du langage iconographique doit servir à la compréhen- sion des œuvres dont la signification est douteuse, elle ne peut fonder sur de tels documents les études qui aboutiront à sa propre élaboration. Il y aurait là un cercle vicieux. La proximité du texte, entre autres critères, permet de tenir pour assurées certaines lectures d’images. C’est une des raisons qui a fait retenir un grand nombre d’enluminures dans la documentation de ce travail.
33 L’éventail rapidement ouvert des qualités de la série idéale est à la fois rassurant et inquiétant. Les garanties qu’offriraient à la recherche des séries bien constituées lui permettraient d’aboutir à une objectivité que les travaux menés sur des séries limitées, particulières, souvent occasionnelles, ne peuvent pas avoir. Mais leur caractère idéal -et probablement irréalisable pour l’étude de certaines relations, assez rarement figurées — les place au niveau des souhaits plus que des possibilités. Pour les XIe et XIIe siècles, par exemple, la majorité des représentations illustrent des sujets et des thèmes religieux, et même bibliques. L’état actuel des documentations, sélectives et cloisonnées, rend difficile l’accès simultané aux différents types de sources. L’utilisation et la présentation des documents sont malaisées parce que, même sous la forme de reproductions photographiques, ils sont peu maniables. En quelques lignes de note, on peut citer dix textes différents. Il faudrait plusieurs pages pour reproduire dix représentations, dans un format lisible. La description littéraire ne remplace en aucun cas la présence de l’image. Elle- même fruit d’une lecture, elle interprète l’œuvre, quelque impartiale et objective qu’elle se veuille. Souvent une idée, une théorie oriente le déchiffrage. On ne peut fonder une synthèse sur ces traductions nécessairement incomplètes et quelquefois fautives1. Dans le cadre de ce travail, il ne sera pas possible de présenter une série idéale, ce qui supposerait plusieurs dizaines de documents, pour une seule relation comme «bras croisés - mains pendantes», «main appuyée sur la hanche» ou «personnage en mouve- ment - regardant derrière lui - se dirigeant vers un lieu». Si l’observation a porté sur des dizaines de milliers d’images, ses conclusions n’en présenteront que quelques centaines. Les enluminures seront plus nombreuses que les autres espèces d’images, parce qu’elles traitent des sujets et des thèmes plus variés, et pour les raisons d’authen- ticité et de lisibilité dont on a déjà parlé. Les documents présentés pour la relation «bras croisés» vont du XIIe au XVe siècle, illustrent des textes bibliques, théologiques, juridiques, une comédie, un roman, un livre de Chroniques; les enluminures ont été faites à Paris, dans le nord, en Champagne, en Bourgogne, en Espagne, en Allemagne; 1. Les exemples de lectures fautives inspirées par une interprétation a priori ne manquent pas. En voici une empruntée à une publication importante et sérieuse. Dans Sculpture romane d’Auvergne, Zygmunt SWIECHOWSKI, décrit un chapiteau de Saint-Nectaire après avoir exposé les explications d’Emile MÂLE sur les représentations de l’âne musicien (p. 193-194, fig. 186). Il écrit : «Pour l’Auvergne, nous trouvons des représentations typiques de l’âne à la lyre dans la nef de l’église de Saint-Nectaire et dans la nef Nord de Chauriat, où il est accompagné du symbole de la Luxure, sur un bouc. Ceci prouve incontestablement que, dans ce cas là, l’âne fut représenté comme le symbole du péché de bêtise et non, comme parfois, le personnage de la fable». Or l’animal représenté sur le chapiteau de Saint-Nectaire a les sabots fendus, ce qui est incompatible avec la morphologie de l’âne, et sa robe est constituée de boucles de poils assez longs, en forme de virgules, qui caractérisent les chèvres et souvent les boucs dans l’imagerie médiévale. Cela modifie complètement la signification de la sculpture. Dans Images in the margins of gothic manuscripts, Lilian M. C. RANDALL a essayé d’établir un index des sujets clair et non interprétatif. Pour cela, elle a adopté comme principe de base de relever la nature des êtres figurés et d’éviter le plus possible d’interpréter les relations. «Figures holding objects are cited as «with», for example, Cleric with a book» (p. 41). Une partie seulement des nombreux sujets notés dans les 190 pages de l’index, sont reproduits dans les planches. Certains documents permettent de mesurer l’écart qui existe entre l’interprétation et l’image. Par exemple, pl. CXXVIII, fig. 609 (243 E), la légende est : «St. Francis cutting habit : Y. T. 13, fol. 180v». Or, en fait, un homme bien habillé, dont aucun signe ne permet de dire qu’il s’agit de saint François, présente un habit de religieux, entièrement confectionné, en le tenant devant lui par le bas. Une paire de ciseaux est certes disposée au-dessous de l’habit, mais le personnage ne l’utilise pas. Les mots « St. Francis cutting habit » ne correspondent pas du tout à l’image, dont le sens est différent.
34 on y voit des hommes, des femmes, un diable, des gens de conditions différentes, du serviteur à la reine (p. 219 et 221). On a cru inutile de développer ce qui est le mieux connu et admis, et préférable d’attirer l’attention sur des propriétés moins évidentes du langage iconographique. Chaque chapitre, chaque paragraphe ou presque, pourrait ouvrir un débat. La rigueur des structures syntaxiques se dissimule quelquefois sous le décor, ou risque de passer inaperçue dans les compositions complexes. Il faudrait situer, analyser, justifier l’apport de chaque image. On n’en dira ici que ce qui est indispensable à la compréhension de la relation. Pour que les grandes lignes de l’architecture se dégagent, il faut passer outre aux fantaisies de l’ornement, sans les ignorer, mais en les situant à leur place, c’est-à-dire en leur conservant leur caractère d’accident par rapport à la signification. L ’IMA GE ET LE TEXTE Les enluminures sont plus précieuses que d’autres espèces de représentation pour l’établissement de la syntaxe iconographique, parce que l’image peut bénéficier du texte dans lequel elle est insérée. La lettre historiée, en particulier, est inséparable de l’écrit avec lequel et pour lequel elle est née. Les relations entre l’image et le texte posent de nombreux problèmes qui n’intéressent pas directement la syntaxe iconographique. L’étude de celle-ci suppose simplement que l’on connaisse avec une précision et une certitude suffisantes la signification des documents qui servent de fondements à sa recherche. Sur ce plan, il faut se mettre en garde contre les utilisations abusives du texte pour expliquer l’image et préciser en contrepartie les garanties que l’écrit peut apporter à sa lecture. Que les représentations figurées, et plus particulièrement les miniatures, aient été dans leur ensemble inspirées par des textes, par la pensée et l’expression des auteurs les plus divers, qu’elles portent la marque des prédications et du théâtre, tout cela ne fait de doute pour personne aujourd’hui, encore que des réserves aient été faites sur les théories trop générales et catégoriques1. Mais il y a loin des indications générales du sujet, du thème, des personnages et même des objets, à la réalisation de l’œuvre. La diversité des exécutions est là pour prouver que, en dehors des copies, les imagiers marquent, parle langage, leurs compo- sitions d’une forme personnelle, qui peut modifier la signification de leur modèle, lorsqu’ils en ont un. Cette réserve étant rappelée, les images insérées dans des textes, les enluminures des manuscrits ou les représentations accompagnées d’inscriptions, jouissent d’une lumière particulière, qui évite quantité d’erreurs dans leur interprétation. Le sujet est situé. L’identification des personnages pose en général peu de problèmes. L’unité codicologique, lorsque le manuscrit est abondamment illustré, permet des comparaisons grâce auxquelles les illustrations s’éclairent les unes les autres, sur le plan de la relation entre l’image et le texte en même temps que sur les caractères de la syntaxe employée par l’imagier. rriHnnpePafr,ifXen?P}e ,^onoSraPhie de l’art chrétien, t. I, p. 262 sq., le résumé des critiques faites a la these d E. MALE sur l’influence du théâtre dans la transformation de l’art L111C| UC •
35 Un exemple fera mieux comprendre comment le texte peut être indispensable à l’analyse d’une relation figurée. Dans la relation donner - recevoir, le geste de celui qui donne un objet et le geste de celui qui le reçoit sont les mêmes. Les deux personnages tiennent ledit objet. A moins que ce ne soit un seul. Comment savoir qui est le donneur et qui est le receveur? C’est pourtant là une relation dont la connaissance conditionne la compréhension d’une scène. Pour voir s’il y a un langage exprimant sans équivoque cette relation, il n’y a qu’un moyen : examiner le plus grand nombre possible de scènes dans lesquelles l’identité des personnes et le sens de la relation sont indiscutables, et noter d’éventuelles constances de positions et de gestes. Cette méthode donne, on le verra, des résultats encourageants (p. 240). CONTEXTE ET CORRELA TIONS ESSENTIELLES Le contexte d’une relation consiste en un ensemble de significations, générales ou particulières, qui ont une incidence sur la signification de cette relation. On distinguera ce contexte de la corrélation typique (p. 37). En effet, s’il s’agit d’un signe comme un geste, une position ou une expression typique, la corrélation essentielle est un fait de langage et constitue une «relation de relations » signifiante en tant que telle. C’est le cas pour des corrélations comme «position allongée — sur le côté — la main sous la tête — les yeux fermés» (p. 117 et 184). Ces relations complexes sont différentes du contexte au sens où nous l’entendons ici. Les contextes sont constitués par des signifiants ou des significations sans rapport direct avec la structure de la relation. On peut en distinguer trois espèces principales. Le contexte thématique L’image est placée dans un contexte religieux, juridique, médical, littéraire, militaire ou autre, et la signification de la relation prend des nuances et s’accorde avec le thème traité. Le contexte événementiel Les particularités de certains sujets, dues à des conjonctures uniques, sont incompréhensibles si on ne situe pas la représentation dans son contexte historique et légendaire. L’édification de la tour de Babel, par exemple, n’est pas une scène de construction comme les autres. Dieu confond le langage des bâtisseurs qui ne peuvent réussir leur entreprise. Dans certaines représentations, les comportements des personnages s’expliquent par ce contexte (145 ; p. 41). Le contexte hiérarchique Le rang d’un personnage dans une hiérarchie peut intervenir comme facteur déterminant dans la signification d’une relation. Lorsque la supériorité et l’infériorité établissent d’une façon universelle et constante le sens de la relation, que ces écarts hiérarchiques soient eux-mêmes exprimés par des éléments ou par d’autres relations, elles constituent des corrélations typiques. Dans d’autres cas, elles créent un contexte particulier. Corrélations typiques et contexte doivent être précisés et analysés séparé-
36 ment. Les unes déterminent le sens de la relation elle-même, l’autre permet de nuancer son interprétation dans des applications à des thèmes différents. LES EXCEPTIONS On entend par exception l’utilisation d’un signe dans un sens différent de son sens habituel, l’absence d’un signe alors que la signification, clairement donnée à partir d’autres facteurs, exigerait normalement sa présence, enfin l’emploi d’un signe peu ou pas connu pour exprimer une relation. L’exception peut être due : - à la particularité d’un usage caractéristique d’une région, d’une école, d’une période. Seule notre ignorance de cette singularité idiomatique du langage nous la fait prendre pour insolite. - aux goûts et à l’invention originale de l’artiste. Si sa personnalité se manifeste par des particularités de composition, elle peut aussi se traduire par des inventions, des audaces syntaxiques et des néologismes. - aux fautes et aux confusions de l’artiste. Certes, on ne devrait parler d’irrégularités qu’après avoir bien déterminé les usages et les règles. Mais l’hypothèse de la négligence ou de la faute ne doit pas être écartée, même si on ne peut la déterminer et la prouver. Il existe des cas, au niveau de sujets biens connus, où l’erreur est évidente. Dans une Bible du XIIIe siècle, l’imagier a fait au moins deux confusions. Il a mis le V de Verbum du Livre d’Amos à la place de celui du Livre de Joël, le même mot commençant les deux textes (79). Le berger assis, enseignant, ne peut être qu’Amos. La confusion est aussi évidente lorsque le même imagier commence la première Êpître de saint Jean, qui débute par Senior avec le S de Symon Petrus, initiale de la première Ëpître de saint Pierre, illustré par une figure de l’apôtre, coiffé de la tiare et tenant les clés1. S’il existe des erreurs au niveau des sujets, quelquefois inexplicables tant elles conduisent à l’invraisemblance, on ne peut écarter a priori que les imagiers fassent des fautes de langage. - aux erreurs et aux variantes du texte. Le caractère fautif de la représentation figurée peut ne pas être imputable à l’imagier. Certains contresens de l’image sont dus à des contresens dans le texte qu’elle illustre. Dans une Bible historiée du XIIe siècle, le copiste a écrit : Surrexit itaque abraam mane et tollens panem et utrem aque imposait scapulis suis, tradiditque puerum et dimisit eum (66). Le texte de la Vulgate est : Surrexit itaque Abraham mane, et tollens panem et utrem aquae, imposuit scapulae ejus, tradiditque puerum, et dimisit eam. L’imagier suit le texte et place l’outre d’eau sur les épaules d’Abraham et non sur celles de la servante chassée dans le désert. Le eum au lieu de eam explique peut-être que Ismaël ait la position du chassé. - à des raisons esthétiques. L’explication de l’anomalie par les nécessités de composition est tentante, parce qu’il est facile de prêter à l’artiste une liberté qui enfreint les règles, de faire primer un beau insaisissable, qui défie l’analyse, sur la correction des formes du langage. Elle satisfait en apparence aux exigences de l’art. Mais elle repose en fait sur un postulat, et ne peut jamais être prouvée de façon irréfutable, même s’il est raisonnable de penser qu’elle est valable. 1. Bible du XIIIe siècle, Le Mans.bibl. mun,, ms. 262, t. IV, fol. 269 et 272.
CHAPITRE III ASPECTS GÉNÉRAUX DU LANGAGE ICONOGRAPHIQUE CADRES ET STRUCTURES La langue écrite ou parlée s’adapte aux sujets qu’elle traite et aux genres littéraires. Ici la syntaxe est plus simple, là plus complexe. Ici elle subit les contraintes de la matière et de la forme imposée, ailleurs elle est plus libre. Le langage iconogra- phique est également assujetti aux lois des genres. Le contenu et la forme de l’image peuvent avoir une incidence sur la syntaxe. La distinction de corrélations typiques aura pour but de situer et d’éclairer ces caractères généraux de l’image qui, sans faire partie des relations, doivent être pris en considération pour leur lecture correcte. Les relations syntaxiques du langage iconographique peuvent être classées en plusieurs catégories. Les unes concernent la composition des images. D’autres expriment les comportements personnels des personnages et leurs relations interpersonnelles. Une réflexion préliminaire sur ces types génériques de relations permettra de définir les notions fondamentales. CORRÉLATIONS TYPIQUES L’image peut raconter des événements ou développer des idées, mettre en valeur un personnage ou montrer une scène, figer un état ou animer une action. La significa- tion des relations syntaxiques est subordonnée dans une certaine mesure à ce que 1 on appellera par commodité des corrélations typiques. Il y a corrélation typique lorsqu’un genre typique modifie les formes et la signification du langage iconographique.
38 GENRE ICONOGRAPHIQUE L’étude des relations dans le langage iconographique médiéval ne peut se faire dans le cadre strict des appellations traditionnelles de l’histoire de l’art, dont les distinctions, souvent trop fines et fondées sur des caractères stylistiques autant qu’iconographiques, disperseraient une recherche qui doit avant tout s’intéresser aux ensembles, pour mettre en relief les rapports et leurs significations à un haut degré de généralité. Mais on peut réunir sous le terme genre iconographique des espèces de représentation ayant des caractères essentiels communs, et qui ont une incidence directe sur les formes et les significations des relations. Figure Par figure, on entend toute représentation d’une personne seule, ne se livrant à aucune activité. En pied, en buste ou à mi-corps, le personnage qui n’accomplit aucune action précise, comme manger, écrire, labourer la terre, a cependant une position générale du corps. Il est assis, debout ou couché. L’imagier l’a représenté de face, de trois quarts ou de profil. Ses mains sont placées dans des positions signifiantes ou non signifiantes. La description et l’interprétation de la figure isolée peut se faire avec la même rigueur que celle d’une scène, en tenant compte de ces relations. Le I initial d’un prologue de saint Jérôme sur Job est illustré par un personnage debout, de face, le visage légèrement orienté de trois quarts (36). Les positions respectives de ses deux pieds sont celles des personnages de qualité, rois et prophètes par exemple, engagés dans une action, au sens large du terme, c’est-à-dire affrontés à un problème et non en majesté. Ses deux mains ouvertes presque symétriques, les paumes vers l’avant, traduisent la complète acceptation. Chacune des relations de cette lecture sera étudiée plus loin. Il ne s’agit ici que d’attirer l’attention sur la possibilité de discerner dans une figure les signes d’un langage, pour tenter de comprendre sa signification en se fondant sur un lexique des relations. Groupe de figures Les groupes de figures, dans lesquels sont juxtaposés des personnages sans qu’aucune relation permette d’affirmer qu’il s’agit d’une scène, forment un genre à peine différent, puisqu’il n’ajoute qu’une relation, la juxtaposition et par conséquent l’appartenance à une même classe dont il faut déterminer les principes de groupement. Cette unité de disposition permet néanmoins d’enrichir et de préciser la compréhension de chacun des éléments, en relevant les similitudes, les différences et les complémen- tarités. C’est le cas pour les statues-colonnes de Chartres, du Mans ou d’Angers. Scène Le terme scène a un sens très général. Il recouvre toutes les compositions dans lesquelles l’être humain ou divin, seul ou non, est représenté en action. Une scène a une signification principale : le paysan taille la vigne, Abraham offre Isaac en sacrifice, deux armées s’affrontent dans un combat. Un ensemble de relations mettent des éléments en rapport et déterminent cette signification. Mais il est rare qu’une scène ne soit pas riche de plusieurs significations secondaires que l’analyse systématique des éléments et des relations peut expliciter.
39 SUJET ET THÈME Les imageries exploitent virtuellement les mêmes domaines que les textes. Les problèmes et les comportements des hommes, intellectuels, affectifs et pratiques, sont susceptibles d’être visualisés, au passé, au présent et même au futur. Les représentations médiévales sont riches de contenus variés comme les fruits de la mémoire, de l’expé- rience et de l’imagination. Scènes bibliques et historiques, visions de la lutte du bien contre le mal, fictions poétiques et allégories moralisées, nées sans programme d’ensemble, ont été reproduites, modifiées, transformées aux rythmes de l’évolution d’une civilisation. Elles sont aujourd’hui figées comme des vestiges innombrables. La lecture des messages peints ou sculptés est conditionnée par une connaissance préalable du fond culturel sur lequel ils se détachent comme des affleurements particulièrement expressifs. Ce patrimoine est constitué de faits et d’idées, d’hommes et d’événements, de croyances et de valeurs. Une distinction fondamentale permet de regrouper les significations dans deux catégories qui, du point de vue du langage iconographique, déterminent deux corrélations typiques. On les appellera les sujets et les thèmes. Sujet Le contenu de l’image est particulier lorsque ses éléments et leurs relations, réels ou imaginaires, sont identifiables. On réservera le terme sujet à ces représentations. La prise du Mans par Philippe Auguste est un sujet, la lapidation de saint Etienne est un sujet, parce que les personnages ont des noms, les lieux sont connus, ainsi que le déroulement des événements (139, 48). Thème Le contenu de l’image est général lorsque par l’intermédiaire de personnages anonymes, appartenant à la condition humaine et non à l’histoire événementielle, ou par le truchement d’autres êtres, elle décrit des modes de vie et exprime des idées. Ces représentations illustrent des thèmes généraux, comme le mensonge, la lutte du bien contre le mal, la construction, l’enseignement (1, 22, 97, 176...). Le mot thème sera réservé à ces représentations. L’analyse iconographique d’un sujet ne se conduit pas comme celle d’un thème. Qu’il soit historique, biblique, mythologique ou littéraire, le sujet a une trame imposée. Les relations d’espace et de temps, les situations, les gestes essentiels sont rapportés dans un récit et dans une tradition. L’imagier doit faire une mise en scène avec un décor, des personnages et une action relativement définis et précis. Les premières lignes du deuxième Livre des Rois racontent l’histoire d’Ochozias avec des détails dont l’imagier tient plus ou moins compte (40 ; p. 149). On ne peut identifier les personnages et comprendre les sujets sans se référer au texte ou à la tradition. La connaissance des relations syntaxiques profite de cet éclairage et en retour permet d’approfondir les différentes représentations d’un même sujet et d’en comprendre les singularités. L’analyse iconographique d’un thème se fait uniquement à partir du vocabulaire et de la syntaxe, éclairée quelquefois par une inscription et un texte. A la limite la distinction entre sujet et thème est difficile à établir. La représen- tation allégorique du mensonge dans un traité de saint Augustin est l’illustration d’un
40 thème (22). Les personnages du Roman de la Rose représentent également des vices (158-162). On pourrait considérer qu’il s’agit de représentations de sujets. Les cas difficiles ne diminuent pas l’utilité de la distinction. IMAGE NARRATIVE ET IMAGE THEMATIQUE Il faut distinguer clairement la forme de l’image de son contenu. On vient de voir que par son contenu elle pouvait illustrer un sujet ou un thème. Au point de vue de la forme de l’expression, il faut différencier l’image narrative et l’image thématique. Image narrative L’image narrative est constituée par un ensemble d’éléments et de relations qui présentent un fait et racontent une histoire. Elle se lit comme le compte rendu d’un fait, comme un récit. Situé dans l’espace et dans le temps, le déroulement de l’action a un sens particulier (116, 118 ; p. 88). Image thématique L’image thématique est constituée par des éléments dont la répartition et l’assemblage excluent la référence à un espace concret. Elle échappe pour tout ou partie aux impératifs de la distribution temporelle. Les situations des éléments dans la composition sont déterminées par les exigences de la pensée, que le langage conven- tionnel sert avec plus de clarté et de rigueur dans la mesure où il se sépare de la vision banale du réel, souvent équivoque (2, 3,4, 35...; p. 61). Un sujet peut être développé sous la forme d’une image narrative, ou résumé et interprété dans une image thématique1. Un thème peut être présenté sous forme narrative. Qui ne connaît la fable, ce récit en images, si facile à exprimer dans les deux langages verbal et visuel? Le thème s’exprime également, c’est l’évidence même, dans l’image thématique. La distinction entre image narrative et image thématique est très importante, car la lecture de la représentation ne s’y fait pas de la même façon, en particulier en ce qui concerne les significations de la gauche et de la droite (p. 88-91). L’opposition entre ces deux formes de représentation, très nette en théorie, ne l’est pas toujours autant dans la pratique. Lorsque l’imagier interprète l’événement au lieu de le présenter en tant que fait, il utilise simultanément les deux formes d’expression. Il faut établir avec quelque certitude le genre de l’image avant de lire correctement, dans le détail, son contenu. Cette identification, difficile lorsqu’on se trouve devant une représentation isolée, est plus aisée lorsqu’il s’agit d’une série, et lorsque les illustrations sont éclairées par un contexte. Dans les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, dont les enluminures forment un ensemble assez homogène, illustrant un même texte, il est possible de contrôler la lecture des différentes images en les comparant. Elles constituent un bon exemple de langage iconographique conciliant forme narrative et interprétation thématique (106-143). 1. Parmi les documents présentés ici, les illustrations de la Bible de Saint-Bénigne de Dijon corres- pondent sans doute le mieux à ces synthèses scripturaires, théologiques et morales, par lesquelles s’expriment des idées et se manifestent des mentalités qui diffèrent du contenu du texte.
41 REPRESENTATION EN ETAT ET REPRESENTATION EN ACTION Dans le Légendaire de Cîteaux, les vies des saints commencent par des lettres histo- riées mettant en valeur la fonction principale du personnage et le titre qui lui a valu la sainteté. Saint Bertin dirige les moines de son monastère, saint Philibert solitaire tient la règle de son ordre1. Saint Matthieu est représenté en train d’écrire son Évangile (24). C’est du moins l’explication première que suggère l’image : il a dans sa main droite un calame, juste au-dessus de la corne d’encre fixée sur son siège ; sa main gauche maintient ouvertes sur un lutrin les feuilles sur lesquelles il écrit. En fait, cette interprétation sommaire est fausse. Saint Matthieu est représenté en majesté, assis de face bien droit, le visage parfaitement régulier et impassible. Son regard fixe n’est orienté vers aucun objet particulier. Cette position typique est incompatible avec quelque occupation particulière que ce soit1 2. La façon même dont l’évangéliste présente son instrument et son livre exclut toute activité d’écriture. Il serait donc abusif de chercher dans cette représentation «en état» des indications sur la façon d’écrire au Moyen Age, car la position et les gestes sont purement conventionnels. En revanche, cette image insiste sur le caractère inspiré de l’œuvre de l’évangéliste, au-dessus duquel se tient, exactement dans son axe, son attribut qui porte avec respect le livre, symbole de l’inspiration qui vient de Dieu. Une représentation de saint Grégoire rédigeant sous l’inspiration de l’Esprit est différente (28). L’auteur est en train d’écrire. Il tient l’encrier d’une main et le calame de l’autre. Son attention est concentrée sur ce qu’il fait. L’imagier l’a figuré en action, mais sa composition exprime néanmoins des valeurs par un ensemble de relations conventionnelles (cf. p. 89,91, 150). On peut faire les mêmes remarques pour une représentation de Pline taillant sa plume (47). La représentation en état et la représentation en action ont des significations différentes, surtout lorsqu’elles s’opposent dans une même scène3. Un caractère permanent ou éphémère, sérieux ou futile, bon ou mauvais, essentiel ou accidentel marque les comportements et leur donne des valeurs qu’ils n’auraient pas sans cela4. Le contexte seul permet d’apprécier la nature de ces significations associées et d’en mesurer l’importance. On verra que lorsque l’action devient agitation, le comportement du personnage est marqué d’un mal plus ou moins profond (9,10, 48,49 ; 123 A-J). 1. Légendaire de Cîteaux, XIIe siècle. Dÿon, bibl. mun., ms. 642, fol. 62 et ms. 641, fol. 22v. 2. Cf. p. 124 et 142. Nombreuses représentations de personnages en état dans les documents repro- duits (2, 3,7,9,11, 13,35,36,38,79,158, etc.). 3. Meyer SCHAPIRO consacre deux chapitres de Words and Pictures à l’étude de Thetne of State and theme of action (p. 17-36). Il prend comme exemple la représentation de Moïse levant un bras ou deux, soutenu ou non par Aaron et Hur. Il décrit peu les attitudes de Moïse et ne s’arrête pas à leurs significations intrinsèques. Il relève des analogies entre certaines de ces attitudes et les représentations d’autres sujets, comme le Christ en croix. Il établit des liens entre les différentes formes de représenta- tions de ce sujet et les contextes historiques, théologiques et artistiques susceptibles d’expliquer l’évolution des modèles. 4. Dans de nombreuses images des XIe et XIIe siècles, l’opposition entre l’état et l’action, la stabilité et le mouvement, participe à l’expression de la signification principale. L’empressement des fidèles contraste avec l’autorité digne du Christ (4), le mouvement du peuple d’Israël avec la stabilité de Moïse, debout, bien droit, dans l’attitude de l’enseignement (43). Voir aussi (45, 68, 1 16, 167, 176) etp. 112, 129.
42 La distinction entre les représentations en état et en action ne correspond pas avec l’activité et la passivité d’un personnage. Le prophète Amos est représenté en état d’enseignement (79). C’est le signe d’une autorité qui s’exprime de façon permanente, donc d’un état d’activité. Certains personnages, comme les damnés en Enfer, se démènent alors qu’ils subissent impuissants les tourments que leur infligent les démons (105). ASPECTS GÉNÉRAUX DES COMPOSITIONS Une représentation n’est pas une grille d’idéogrammes. Reflet de la vie, elle associe des éléments empruntés à des ordres divers. Reflet de la pensée elle s’organise selon ses idées et dans ses cadres. Fruit de l’imagination, elle s’élance ou se contraint, se transforme et se métamorphose selon les exigences du goût. Il est par conséquent impossible de traiter des relations dans l’image sans tenir compte des possibilités d’invention autant que des nécessités d’obéissance aux réalités et aux usages. Pour cela, et en se plaçant au seul point de vue de la signification, on traitera les compositions en distinguant les trois plans principaux sur lesquels la création peut modifier les données de l’expérience perceptive. Éléments et ensembles L’imagier choisit les éléments de sa représentation, les associe en des ensembles plus ou moins nombreux, qu’il traite à leur tour comme des parties dans des compositions plus vastes. Avant d’entreprendre l’étude des relations à proprement parler, il sera utile d’insister sur la notion d’élément simple et d’élément complexe, et sur les différentes extensions des ensembles (p. 57-66). Dimensions L’imagier médiéval modifie les grandeurs. Par le jeu des dimensions, il crée des hiérarchies qui s’imposent à l’attention et s’interprètent en ordre de valeurs. Les dimensions proportionnelles sont d’abord saisies sous forme d’impressions. Leur appréciation quantifiée peut-elle donner plus de rigueur dans la détermination et la compréhension des données? On insistera sur les problèmes de mesure dans un domaine où la sensibilité de chacun joue souvent le rôle d’arbitre (p. 67-73). Situations Comme un metteur en scène, l’imagier dispose les éléments de sa figuration dans l’espace. Au Moyen Age, aux XIe et XIIe siècles surtout, le cadre d’un espace tridimen- sionnel imposé n’exerce pas de contrainte. Les situations des éléments figurés peuvent donc s’ordonner selon des usages et des règles, et constituer un langage simple, immédiatement accessible et compréhensible. Encore faut-il en établir la syntaxe d’après un système de coordonnées valable (p. 81-91).
43 ASPECTS GÉNÉRAUX DES COMPORTEMENTS PERSONNELS Il a toujours été difficile de faire entrer les conduites des hommes dans des cadres rigides. Complexes et changeants, dans leurs manifestations comme dans leurs motivations, les comportements personnels sont insaisissables. Même simplifiés et immobilisés sous forme de représentation, même exprimés à l’aide d’un langage qui réduit l’équivoque, ils se laissent difficilement étiqueter sous des termes précis. Ce lieu commun de la pensée ne change rien à la nécessité d’utiliser quelques mots simples pour désigner des réalités simples, quitte à corriger ce que cette simplicité a de brutal et d’imparfait par des réserves et des nuances. Multiplier les appellations pour diversifier par des divisions encore arbitraires, les types de comportements, conduirait à des complications et des difficultés de lecture inutiles. Avoir recours prématurément aux notions très abstraites des théories, alors qu’il ne s’agit encore que de comprendre des significations et de déceler des procédés d’expression au niveau le plus élémentaire, celui-même où, dans une spontanéité quelquefois inconsciente, ils furent conçus et utilisés, créer des néologismes pour cerner des réalités qui demandent au contraire que l’on se dépouille de ses préjugés pour se laisser envahir par elles, ce serait substituer aux données de l’observation les projections de ses exigences mentales, et inventer un écran supplémentaire de catégories et de mots, pour voiler les témoignages médiévaux au lieu d’en révéler le sens. En ne retenant que trois termes principaux pour les analyses, en les affectant de déterminants correspondant aux données et au vocabulaire de l’expérience, on a pris le parti de la plus grande simplicité, pour la compréhension la plus humaine possible des comportements humains. Encore faut-il que ces mots soient clairement définis, ainsi que les réalités auxquelles ils correspondent. Un homme manifeste ses sentiments, ses idées et sa volonté par des gestes, des positions et des expressions, dans les images comme dans la vie. LE GESTE Le terme geste s’applique au mouvement d’une ou de plusieurs parties du corps, qui accomplit une action ou manifeste des dispositions intérieures. Celui qui fait un geste, soit opère une modification sur lui-même ou sur son milieu, soit traduit par une réaction, consciente ou non, réfléchie ou non, sa manière de penser et de sentir. La figuration d’un mouvement peut montrer simultanément la finalité de l’acte et la nature de l’opération, l’état intérieur dont il procède et ses effets observables. Mais il arrive que des gestes signifiant des intentions et des tonalités affectives ne correspondent pas à ceux de l’exécution concrète. Ils ne sont pas empruntés, au moins directement, aux réponses naturelles de l’homme en situation, mais résultent d’usages qui ont progressivement affiné et précisé le signe et sa signification symbolique. Dans le geste naturel, les mouvements sont imposés et coordonnés par la nature de l’acte produit : frapper, tordre, serrer, pousser, nécessitent des mouvements spéci- fiques, variés et adaptés. Le geste conventionnel n’est pas assujetti à ces contraintes. Dans les limites des capacités anatomiques et physiologiques, que franchissent souvent les imagiers de la période romane, tout mouvement de la tête, de la main, du bras ou de
44 la jambe peut devenir signe symbolique, indépendamment d’une éventuelle efficacité et quelquefois à l’encontre de la simple vraisemblance (p. 128 sq.). Pour mettre de l’ordre dans la variété des aspects sous lesquels le geste peut être considéré, voici, résumées dans un tableau, quelques distinctions utiles dans l’analyse des images comme dans l’établissement de leur langage. La structure de cette classification, essentiellement logique, prend en considération certains caractères du comportement qui ne trouvent pas d’expression et de correspondance dans les représentations figurées. Il a semblé néanmoins utile de les mentionner. nature du geste geste efficace portant sur un objet portant sur une personne sur soi-même . sur autrui geste symbolique typique traduisant une manière de penser une manière de sentir une manière d’agir une manière d’être origine du geste geste naturel geste conventionnel geste rituel forme du geste geste simple geste complexe Les gestes rituels Les religions et, dans un sens plus général, les sociétés, ont engendré des pratiques réglées. Une fois déterminés et fixés, les rites constituent de véritables codes gestuels, qui assurent aux signes une permanence, une longévité sans commune mesure avec celle des comportements de la vie quotidienne et de leur expression. Tant que dure la tradition à laquelle ils sont liés, les gestes rituels constituent une forme simple et claire d’expression et de communication. Mais ils ont la particularité ou l’universalité du groupe par lequel et pour lequel ils sont faits. Enclos dans un ensemble restreint, réservés à des initiés, les gestes rituels, et leurs significations, sont au langage iconogra- phique ce que les dialectes et les patois sont à une langue. Les gestes rituels de la liturgie chrétienne médiévale étaient compréhensibles dans toute la chrétienté et le sont demeurés jusqu’à ces dernières années dans des pays qui ne parlent pas la même langue. Il faut tenir compte pour l’étude des gestes rituels d’une quantité de facteurs spécifiques ou particuliers qui justifient des recherches différentes de celles qui s’appliquent à la connaissance du langage iconographique en général. Dans la mesure, par exemple, où la représentation d’une cérémonie reflète un rituel, les gestes des célébrants relèvent de l’étude de ce rituel autant que de l’iconographie.
45 Geste simple et geste complexe Le mouvement gestuel peut mettre en action un nombre plus ou moins élevé de parties du corps. Le geste le plus simple se fait à l’aide d’un seul élément, ou membre considéré comme élément : geste d’un doigt, geste d’une main, geste d’une jambe. Les gestes les plus complexes coordonnent l’action de plusieurs parties du corps1. La quan- tité des combinaisons possibles est théoriquement illimitée. Mais en fait—et c’est ce qui permet de parler de langage—le nombre des gestes signifiants est limité en iconographie médiévale. Certaines variantes nuancent le geste type, mais ne constituent pas des espèces particulières du point de vue de la signification. Il ne faut pas confondre geste complexe et accomplissement simultané de plusieurs gestes, différents, complémentaires ou contradictoires. Dans le cas du geste complexe, tous les mouvements accomplis ont une seule fin précise. L’absence de l’un d’entre eux compromettrait la réussite, et aucun autre n’est nécessaire à l’achèvement de l’acte. Un homme peut accomplir simultanément plusieurs gestes ayant la même signi- fication. C’est unê façon de formuler le superlatif : deux ou trois gestes exprimant la joie ou la douleur signifient qu’il s’agit d’une grande joie ou d’une grande douleur1 2. Dans le cas de gestes contradictoires, il résulte de la contradiction même une signification irréductible à la somme ou à la différence des deux autres, d’autant plus importante qu’elle détermine ordinairement la signification principale de la scène. C’est pour avoir omis cette traduction que certains ont interprété des images simples en apparence de façon incomplète, voire erronée. D’où l’importance de l’étude des mouvements contraires et contradictoires3. Analyse du geste Dans l’analyse du geste, il faut distinguer trois aspects principaux, en se plaçant successivement au point de vue de celui qui produit l’acte, de l’objet sur lequel il agit et de la nature de l’opération produite. le geste considéré au point de vue de l’agent Celui qui pose un acte agit consciemment intentionnellement volontairement inconsciemment automatiquement par contrainte L’analyse objective d’un fait de conscience passe par l’examen méthodique de la position, des gestes et des expressions du personnage représenté. Elle doit tenir compte de son identité et du contexte iconique. On prête facilement des sentiments et des intentions à des personnages, à partir d’impressions et d’habitudes de pensée. Un grand 1. Voir gestes des deux mains (p. 209) et gestes des deux bras (p. 216). 2. La figure de la Tristesse accumule positions et gestes ayant la même signification : corps affalé, tête baissée, elle s’appuie sur sa cuisse et croise ses bras, les mains pendantes (158). 3. Voir, par exemple,le mouvement de la tête tournée en arrière alorsque le personnage est en marche, avec ou sans geste de la main (p. 151 sqq.).
46 nombre des erreurs dans les interprétations d’images viennent d’une appréciation subjective des dispositions intérieures des personnages, ou du désir inconscient de retrouver un texte dans une image1. Laissant à des analyses plus particulières et précises la description et l’interpré- tation des gestes qui expriment des aspects de la vie de conscience, nous ne signalerons ici que quelques caractères généraux du comportement et de ses effets pouvant être interprétés comme des signes correspondant à la conscience et l’intentionnalité la coordination des gestes1 2 la réussite de l’action3 correspondant à l’automatisme et la contrainte les mouvements désordonnés4 le geste considéré au point de vue de l’objet La nature de l’objet sur lequel porte l’acte tient une part importante dans la signification du geste, que cet objet soit considéré comme appartenant au monde de la vie courante ou comme symbole de réalités spirituelles. On peut distinguer sommairement, en se plaçant à ces deux points de vue : l’objet réel L’action produite sur ou avec un objet-réalité peut affecter l’objet lui-même création modification destruction utiliser l’objet comme instrument c’est le cas de tous les outils et des armes l’objet symbolique L’action produite avec ou sur un objet symbolique tient l’essentiel de sa signifi- cation de la finalité de l’acte (enseigner, expliquer, convaincre, effrayer, etc.). L’agent montre ou modifie l’objet pour exprimer une idée, présenter un exemple, donner une leçon, produire un effet soit sur les autres personnages figurés dans la scène, soit sur celui qui regarde l’image. Aux XIe, XIIe et XIIIe siècles, l’effet produit sur un objet symbolique est lui- même simplifié et schématisé, donc purement symbolique. La destruction d’une ville, par exemple, n’est figurée que par la cassure de l’extrême pointe d’une tour (239 B et C). Si on se place au point de vue de l’objet considéré dans sa nature même, il faut distinguer les gestes qui s’appliquent 1. Cf. p. 33 note 1,64, 152. 2. Cf. portraits de Convoitise, Avarice et Envie (160, 161, 162) fuite de l’occasion du péché (1) ;- changement de vie (71) cf. p. 147. 3. La volonté d’un chef est souvent signifiée par la réalisation de ce qu’il ordonne ; - cf. exécution (15, 19, 93, 111), construction (116, 176). 4. Cf. p. 123.
47 à l’homme selon sa fonction selon son ordre social selon son sexe à l’animal au végétal à l’objet naturel fabriqué nature de l’opération produite Le nombre des opérations qu’un agent peut produire sur un objet est très élevé, si on entre dans le détail de leur réalisation. Par exemple couper peut se faire de beaucoup de façons, par pression, par sciage, par torsion, par brûlure. La modalité d’accomplissement de l’acte est donnée le plus souvent par le type d’instrument utilisé, lorsqu’il s’agit d’une activité pratique, technique. Les gestes sont déterminés par la forme et le mode d’utilisation de l’instrument. La compréhension du geste est donc assez facile pour ces activités précises et spécialisées. Mais pour quantité d’actes il en va tout autrement. L’objet sur lequel ils portent n’indique ni la nature ni le sens de la relation. Tenir, donner, prendre peuvent s’appliquer à n’importe quel objet. Or il est important de savoir quel est celui qui donne et quel est celui qui reçoit. Dans le cas du geste rituel, il n’y a pas de difficulté, le rite supposant la régularité et la permanence. Mais en dehors de ce cas, les gestes ont-ils été figurés selon des habitudes ou des codes même, de telle sorte que l’on puisse les interpréter avec quelque chance de ne pas se tromper? Lorsque deux personnages tiennent une bourse, font-ils des gestes qui permettent de savoir lequel donne et lequel reçoit? L’analyse comparative d’un grand nombre de représentations du même genre montre des constances intéressantes (p. 240 sq.). Il résulte des remarques qui précèdent que les opérations se répartissent en trois classes. Les opérations techniques (serrer, couper, moudre) se définissent par leur finalité et leur forme. Le geste est déterminé par la nature de l’instrument utilisé et de l’objet. Les opérations rituelles (religieuses, sociales, politiques, juridiques). Le geste est réglé par une convention transmise comme tradition. Les opérations (accepter, refuser, lever, baisser, mettre, enlever) dont le sens et l’effet ne sont pas déterminés par l’objet. Il appartient à l’étude du langage iconogra- phique de préciser les caractères constants qui permettent de les interpréter. moment du geste L’exécution d’un geste demande un certain temps. Entre l’ébauche et l’achèvement, les phases intermédiaires du mouvement se succèdent plus ou moins vite. L’imagier fixe un instant de cette succession. Le choix qu’il en fait résume l’acte dans une figure privilégiée. Ce choix se fait-il au hasard ou correspond-il à un ordre que l’imagier
48 respecte et utilise à dessein pour exprimer des idées? Cette recherche, effectuée nécessairement sur des grands nombres pour que des comparaisons soient possibles avec une probabilité statistique suffisante, doit être conduite en tenant compte des modes de représentation de l’espace et du temps1. LA POSITION La position d’un être correspond à la façon dont son corps se tient dans l’espace. Alors que le geste se traduit par des verbes (saluer, ordonner, enseigner, refuser, donner), la position s’indique par un adjectif, un participe ou un adverbe (stable, assis, debout, bras levés). La position du corps et des membres s’apprécie par rapport aux trois dimensions, en tenant compte de l’axe vertical et de la ligne des épaules. On étu- diera successivement les positions du corps, des bras et des mains, et de la tête. GESTE ET POSITION Souvent il est impossible de distinguer le geste de la position, le mouvement de l’état plus ou moins durable, par exemple s’agenouiller être agenouillé lever le bras avoir le bras levé tendre la main avoir la main tendue II n’y a pas d’équivoque lorsque l’imagier représente le geste en train de s’accom- plir, fige le mouvement au cours de son déroulement, et non à son commencement ou à son achèvement, à condition que l’on puisse voir dans quel sens le geste se produit. La continuité du mouvement, essentielle au geste, ne peut être rendue que par une position ou plusieurs positions successives, ce qui semble en altérer nécessairement la nature. Par quels procédés l’imagier montre-t-il qu’il s’agit cependant d’un mouvement? Le déséquilibre et la chute impliquent un mouvement de personne ou d’objet (115 H, 123 A-E, 239 B-G). L’accomplissement simultané de deux gestes peut, si l’on se réfère aux données de l’expérience et de la perception, suggérer le mouvement. Le cas le plus simple est celui de la marche. Un certain écartement des jambes, l’une devant l’autre, le personnage s’appuyant sur la pointe des pieds et levant les talons, montre qu’il marche. Il ne s’agit en fait que d’un déséquilibre ordonné. Mais dans certains cas le mouvement apparent ne signifie pas qu’il y ait changement de lieu (131 A-G). L’orientation et le caractère exagéré d’un geste indiquent quelquefois le mouve- ment. Il faut distinguer alors les gestes concrets, particuliers et anecdotiques, et les gestes typiques, à signification générale. Dans le cas du geste typique, qui ne porte sur aucun objet particulier et traduit une manière d’être ou de se comporter, l’orientation indique la nature et la finalité de l’acte, l’exagération joue le rôle de forme du super- latif (173 A). Dans le cas des gestes concrets, accomplissant une action particulière, 1. Voir en particulier le geste de l’exécution (15, 93, 111) et (178, 179).
49 l’orientation et l’exagération jouent, en plus, le rôle de déterminants par rapport à la signification du mouvement, dont elles peuvent marquer la rapidité, la force, la violence, l’efficacité. L’EXPRESSION L’expression est la manifestation extérieure d’une tonalité affective. Les émotions, les sentiments, les désirs se traduisent par deux comportements différents : l’action, exécutée par des gestes, est une réponse concrète à un problème, dans une situation déterminée; l’expression consiste, elle, en des réponses qui, accompagnant ou non l’action, ne produisent aucun effet, n’ont pas d’incidence directe sur la situation parti- culière, du moins dans leur manifestation première. Les larmes ou le rire peuvent avoir des origines très différentes, s’intégrer dans une conduite d’adaptation ou ne pas être en relation avec la résolution d’un problème. Dans ce cas précis, l’expression exprime un état, une disposition, une réaction personnelle. Qu’elle se traduise par des gestes efficaces ou non, elle donne une des signi- fications essentielles de l’image, colorant les faits présentés, qui ajoute à leur matérialité la valeur humaine du fait de conscience. Mais si la réalité que recouvre ce terme est assez facile à définir, les formes de l’expression le sont moins. Toute position, tout geste peut manifester une disposition intérieure, une réaction émotive, et donc être considéré, au sens large, comme une forme d’expression. Il existe par contre des mouvements du corps qui ne s’intégrent pas dans des conduites d’adaptation et constituent seulement une extériorisation de fait de conscience : haussement d’épaules, mouvement des yeux, de là bouche. Véritables gestes parce qu’ils mettent en jeu des muscles dans un mouvement organisé, par nature ils ne peuvent produire aucun effet. Il conviendrait de les appeler gestejTexpressifs, pour les distinguer des gestes efficaces1. | j Dans un sens étroit, le terme expression pourrait être réservé, dans lidesçriptij>n iconographique, aux manisfestations corporelles, en particulier du visage, dont le seul rôle est de traduire un fait de conscience. L’ATTITUDE Le terme attitude désigne tous les comportements de l’homme qui manifestent ses dispositions intérieures, et plus particulièrement ses dispositions conscientes. L’attitude met en jeu, ensemble ou séparément, tous les pouvoirs d’action et d’expression du corps. Elle se traduit par des situations, des positions, des gestes et des expressions. Synthé- tique, elle correspond à des comportements typiques. En ce sens on peut parler des attitudes de l’insensé, du maître, du chef, et des attitudes de l’homme triste, joyeux, fier, coupable. 1. Voir en particulier ce qui concerne l’expression du visage, ouvrir la bouche, tirer la langue, froncer les sourcils (p. 133-139).-Pour l’expression de la douleur, voir p. 181-184 etp. 198.
50 ASPECTS GENERAUX DES RELATIONS INTERPERSONNELLES REPETITION - IMITATION Dans la vie, les relations entre les personnes s’établissent et évoluent par le jeu des comportements individuels. La parole assure la majorité des échanges. Moyen de communication simple, clair et précis, elle permet les informations rapides, les mises au point, les réserves et les approbations nuancées. Les gestes et attitudes accompagnent habituellement la communication par la parole comme une expression secondaire qui, éventuellement, soutient et renforce l’énoncé verbal et lui donne des inflexions. Ils n’ont pas eux-mêmes de contenu signifiant précis. Du moins est-ce vrai pour les communications de connaissance et les relations ordinaires de la vie pratique. Les manifestations émotionnelles en effet, et d’une façon générale tout ce qui relève de la sensibilité et des motivations personnelles, s’expriment plus difficilement par des mots que les idées. L’attitude complète la communication orale et donne à la relation personnelle son intensité, sa chaleur, la qualité et le degré de l’engagement individuel. Par nature, l’expression figurée jouit de propriétés contraires à celles de l’expres- sion verbale. Muette lorsqu’il s’agit de transmettre des idées, ou au moins très pauvre en vocabulaire et en syntaxe, elle évoque avec une puissance et une richesse de nuances inégalables ce que le langage verbal a du mal à décrire. Il n’est pour s’en rendre compte que de comparer quelques grandes et belles œuvres de la sculpture et de la peinture aux écrits qu’elles ont suscités. Les descriptions et commentaires, fussent-ils remarquable- ment conduits, s’essoufflent sans épuiser la richesse de leur objet et varient avec les observateurs. On ne se posera donc pas, pour l’expression figurée, de problèmes particuliers concernant les relations interpersonnelles sur le plan de la vie pratique et affective. Toutes les descriptions, toutes les analyses contribueront à une synthèse qui, par nature, répond à ces questions. Il est important, au contraire, de rechercher avec une application particulière les signes qui peuvent traduire, sur le plan des relations interpersonnelles, ce qui s’expose et s’explique mieux par l’expression verbale. Le simple assentiment ou le refus, qui s énoncent,si facilement par le oui et le non, ont-ils des équivalents dans le langage de 1 image? L affirmation d’une divergence de vue, l’acceptation d’une idée ou d’un ordre, peuvent-elles se traduire d’une façon non équivoque, et même nuancée, dans des images? Une relation figurée semble remplir une fonction très générale dans l’expression de la communication :1a répétition du comportement. Elle est fréquente dans tous les champs de 1 iconographie médiévale, et devient de plus en plus rare dans les représen- tations postérieures au XVe siècle où les attitudes s’individualisent. La similitude de deux positions, de deux gestes, est immédiatement perçue comme un donné. Une part de construction et d’appréciation personnelle ne peut s’introduire dans la lecture de 1 image que lorsqu’elle est matériellement difficile à déchiffrer1. pîètement l’image (HS^Ts^p6*76) Pape S°nt tf°P effacés pour <lu’On Puisse lire et interpréter corn-
51 L’interprétation de la reproduction d’un comportement est plus délicate. Sa signification varie avec des corrélations typiques. Lorsqu’elle est établie entre deux êtres ou deux catégories d’êtres de niveau hiérarchique différent, elle marque l’accep- tation, l’accord, l’adhésion. Lorsque, au contraire, les personnages sont figurés à égalité de rang, la répétition du même geste marque une réserve, une opposition. Cette distinction fondamentale est sans doute la seule qu’il faille prendre en considération, car la signification est la même dans la vie intellectuelle, la vie active et la vie affective. IMITATION D’UN SUPERIEUR PAR UN INFERIEUR La supériorité d’un être se reconnaît à ses attributs (couronne, mitre, auréole), ou à des relations comme la situation, la dimension et la position. Il est donc assez facile d’identifier le rang hiérarchique des personnages d’une même représentation1. Lorsqu’un inférieur reproduit en partie ou en totalité le comportement d’un supérieur, il manifeste son accord et sa soumission. Cette relation, qui se rencontre souvent dans les contextes les plus divers, mérite d’être mise en lumière, car elle détermine pour une part la signification principale des images. Reproduction totale d’un comportement Il est rare qu’un personnage copie dans ses moindres détails le comportement d’un modèle. Il existe cependant des exemples d’une telle fidélité dans l’imitation. Un manuscrit des Pastilles sur les Epîtres contient un des cas les plus typiques qui se puissent concevoir d’une similitude tendant à l’identité, de la volonté de conformité d’un disciple par rapport à son maître. Elle illustre l’Epître de Jacques (165). Saint Jacques se distingue du dévot qui le suit par la dimension, la barbe et l’auréole, qui montrent sa sainteté, sa grandeur et sa sagesse. A ces trois détails près, marquant la distance qui sépare le modèle et l’imitateur, le disciple reproduit exactement tous les comportements de son maître. Le mouvement général de son corps, l’orientation de sa tête, les positions de ses mains et de ses pieds, les formes et les plis de son vêtement, reproduisent scrupuleusement dans le détail, à une échelle moindre, la figuration idéale du modèle. Cette conformité appliquée manifeste le désir d’une sainteté identique à celle de l’apôtre, d’autant plus qu’aucun élément étranger à cette relation ne distrait l’attention. Une illustration postérieure du même sujet et du même thème, la dévotion à saint Jacques et l’imitation du modèle, présente des caractères semblables, mais avec moins de rigueur (172). Les pèlerins cheminent dans un paysage. La supériorité de l’apôtre est signifiée par la tenture qui le sépare artificiellement du cadre assez réaliste de la scène. Les deux dévots s’appliquent à suivre leur modèle autant qu’à l’imiter. Sur une frise du dôme de Borgo San Donnino, à Fidenza, le jeune Roland copie l’attitude de son père Milon, lorsqu’il l’accompagne dans la forêt2. l .Cf. p. 74,83,91,99, 112, 113, 124, 125, 135, 136, 142, 143. 2 . Frise sculptée du dôme de Borgo San Donnino, vers 1200, Fidenza (Italie), (repr. dans R.LEJEUNE et J. STIENNON, La légende de Roland dans l'art du Moyen Age, fig. 133).
52 Reproduction partielle d’un comportement La signification de l’imitation partielle d’un supérieur s’interprète à partir du geste et de la position reproduits, d’une part, de la condition et de la fonction des personnages, d’autre part. La position et le geste du personnage supérieur ont deux significations principales, selon leur finalité : l’enseignement, la communication d’un savoir, d’une vérité, le commandement, l’expression d’une volonté. Ces deux finalités peuvent être réunies et même confondues. Lorsque Dieu, ou l’un de ses intermédiaires, s’adresse aux hommes, on ne peut dissocier valablement les finalités d’instruction, de sanctification et de commandement. La supériorité de celui qui est imité est déterminée par sa nature (Dieu, ange, diable, homme), son âge, son sexe, son appartenance sociale, sa place dans une hiérarchie civile, religieuse ou militaire. Selon sa place et sa fonction, celui qui imite est le disciple qui reçoit un savoir ou apprend un savoir-faire, l’agent qui transmet et fait exécuter, le simple exécutant. disciple imitant un maître compréhension subordonné imitant un chef acceptation obéissance L’élève, les disciples, le peuple des fidèles manifestent leur réceptivité à l’enseigne- ment, leur docilité et leur compréhension en répétant le geste de celui qui s’adresse à eux1. Le P de Paulus, initiale de l’Epître aux Colossiens dans la Bible de Manerius, offre une image typique de cette relation (60; 55 C). L’apôtre est à l’extérieur de l’édifice. Plus grand que les fidèles, il fait le geste de l’enseignement, en présentant avec respect un livre ouvert, symbole de la vérité dont il est l’annonciateur. Un des membres de 1 Eglise de Colosses reproduit son geste du bras et de la main. Il ne s’agit pas d’un inter- médiaire qui transmettrait le message, car ce geste ne s’adresse à personne. Le fidèle exprime seulement sa réceptivité. Des comportements identiques, ayant même signification, se rencontrent dans d’innombrables images du XIe au XIVe siècle. Dans une scène d’enseignement de la rhétorique, le professeur fait les gestes qui correspondent à l’art de bien recevoir les propositions d’autrui et de bien exposer les siennes (97). Les clercs qui sont devant lui regardent leurs mains et s’appliquent à reproduire avec le plus d’exactitude possible l’exemple donné par le maître. Le fait qu ils ne pointent qu’un doigt au lieu de deux tient à leur condition d’élèves (p. 165). Ici la répétition signifie plus que l’adhésion à un savoir, elle traduit l’acquisition d’un savoir-faire. 1. Pour les gestes signifiant l’enseignement et l’ordre, voir p. 165 et 167-170.
53 Gaston Phébus fait le même geste que les filles de la Sagesse (166; 55 E). Il montre par là non seulement qu’il reçoit les enseignements théoriques de la Sagesse, mais qu’il entend mettre en pratique ses enseignements. La relation d’enseignement n’est pas la seule qui manifeste les liens qui existent entre le maître et les disciples. Illustrant un texte célèbre de l’Evangile «Laissez les enfants venir à moi... Quiconque n’accueille pas le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas», un imagier a représenté Jésus les bras écartés et les mains ouvertes, dans le geste de l’accueil1. Un groupe d’enfants s’avance vers lui. Tous reproduisent son geste. L’imitation marque une correspondance profonde, une entente, un accord, un accueil réciproque que l’on trouve dans d’autres relations comme celle d’Esther avec Assuérus dans une Bible du XIIe siècle (44). Le roi est assis sur un trône, alors que la reine se tient très droite. Leurs visages sont légèrement tournés l’un vers l’autre. Assuérus incline son bâton, son sceptre, vers Esther qui le touche de la pointe de son index dans un geste de main semblable à celui du roi, qu’elle reproduit également de sa main gauche. L’insensé qui suit le diable manifeste son obéissance en répétant le geste de l’ordre (77 ; 145 H). Son caractère mauvais est marqué par d’autres similitudes : tête de profil, bouche ouverte1 2. intermédiaire, représentant être investi d’un pouvoir imitant un supérieur transmettre faire exécuter Le personnage qui par sa nature, réelle ou allégorique, et par sa fonction est le représentant d’une autorité, reproduit le ou les gestes de cette autorité pour signifier la conformité de son action à la volonté du maître. Trois exemples permettront de caractériser les formes les plus typiques de la reproduction du comportement d’un supérieur par son agent. Dans les Bibles comme dans les commentaires des Pères, le Cantique des Cantiques est illustré souvent par une figuration du Christ et de l’Eglise. Dans la Bible de Saint- Vaast, du milieu du XIe siècle, le Christ est assis en majesté, la main ouverte, dans un geste qui signifie à cette époque l’enseignement sous sa forme la plus magistrale, venant de l’autorité divine (3). Une femme se tient debout à côté de lui. Elle représente allégo- riquement l’Eglise, et reproduit exactement de sa main droite le geste du Christ. Le prophète, intermédiaire entre Dieu et l’homme, reproduit les positions et les gestes du Christ, en respectant les marques de sa place hiérarchique inférieure (45 ; 55 D). L’architecte fait exécuter la construction qu’on lui commande. Ce rôle d’agent est clairement figuré dans les miniatures. Un roi ou un empereur désigne l’édifice, déjà à moitié construit, ce geste signifiant l’ordre de bâtir (176 ; 55 A et B). L’architecte, situé entre le prince et l’église ou le château, se retourne pour regarder celui qui ordonne, imite son geste de commandement en pointant lui aussi le doigt vers l’édifice. 1. Illustration de Marc 10, 14-15. Pèlerinage de Jésus-Christ de Guillaume de Digulleville, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1130, fol. 199v. 2. Voir F. GARNIER, Les conceptions de la folie d’après l'iconographie médiévale du psaume Dixit insipiens, p. 221.
54 IMITA TION D ’UN EGAL similitude des gestes opposition de deux égaux face à face discussion conflit Lorsque deux ou plusieurs personnages situés face à face apparaissent dans une scène comme agissant à égalité , quelle que soit leur condition, la similitude de leurs gestes marque une opposition. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une reproduction et d’une imitation, en ce sens qu’on ne peut désigner celui qui accomplit le geste le premier. Le problème d’une antériorité ne se pose d’ailleurs pas dans une image qui représente l’état de conflit et non le récit d’une rencontre. Les scènes dans lesquelles on trouve ces oppositions sont principalement de deux ordres. Lorsque les personnages font le geste de l’affirmation de pensée, il s’agit d’une discussion ou d’un affron- tement d’idées (p. 170). Lorsque les personnages font le geste de l’ordre, il s’agit d’un conflit (p. 168). Le premier type de relation, la confrontation des idées se trouve souvent dans l’illustration de l’initiale de l’Épître aux Hébreux de saint Paul. Cette dernière épître n’a pas en effet le même contenu que les précédentes, qui consistent en exposés doctrinaux et en conseils pastoraux. Saint Paul s’adresse aux Juifs. Le problème traité est celui de l’opposition entre la Loi ancienne et la Loi nouvelle. Les imagiers représentent l’apôtre seul d’un côté du M, et de l’autre des Juifs lui faisant face. Dans la Bible de Manerius, un Juif, suivi d’une foule de coreligionnaires, s’appuyant sur un tau, brandit le rouleau RÉPÉTITION - IMITATION A - Charlemagne fait construire une église. Grandes Chroniques de France, vers 1420. Toulouse, bibl. mun., ms. 512, fol. 96. Charlemagne désigne l’église qu’il donne l’ordre de construire. L’architecte répète le geste de sa main, signe qu’il se conforme à l’ordre reçu et fait exécuter le travail. B - Un roi ordonne de construire un château. Gilles de Rome, Du gouvernement des rois et des princes, XVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1015, fol. 1. Dans cette enluminure le roi est figuré arrêté, mais l’architecte marche vers l’édifice en construc- tion. Ce mouvement souligne l’application qu’il met à bien exécuter les ordres qu’il reçoit du roi, la répétition du geste de désignation signifiant son obéissance (p. 151,166). Enluminure présentée dans F. GARNIER, La guerre au Moyen Age XIe-XVe siècle, p. 35. C - Saint Paul s’adresse aux Colossiens. Bible de Manerius, seconde moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, fol. 279v. D - Ézéchiel s’adresse aux Juifs. Bible, XIIe siècle. Troyes, bibl. mun., ms. 28,1.1, fol. 220. E - Gaston Phébus imite le geste des filles de la Sagesse. Barthélémy l’Anglais, Livre des propriétés des choses, traduction provençale anonyme, troisième quart du XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1029, fol. 8v. F - Discussion entre saint Paul et les Juifs. Bible de Manerius, seconde moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, fol. 291v.
55 F (61) E (166)
56 de l’Ancienne Loi, en pointant le doigt horizontalement; devant lui, saint Paul fait le même geste de la main droite, mais tient le livre de la Loi nouvelle dans sa main gauche (61 ; 55 F). Opposition doctrinale, discussion, délibération, simple entretien mettent face à face des adversaires, des collaborateurs ou des amis. Lorsque l’image est suffisamment riche, le contexte permet de préciser la signification de ces gestes faits simultanément et de la même façon par les personnages en présence. Héloïse et Abélard sont assis sur le même banc, figurés de trois quarts, à une certaine distance (211 B). Job et sa femme s’affrontent de plus près mais dans des conditions différentes (85; 211 E). Le pape Innocent III oppose à Frédéric II le geste de l’ordre (211 A).
CHAPITRE IV LES ÉLÉMENTS L’expression « élément de la représentation » semble claire alors qu’elle est très générale, vague et équivoque. On peut considérer comme élément le signe le plus simple, un trait, une lettre de l’alphabet comme alpha ou oméga. Un arbre, un animal, une personne sont des éléments par leur unité de nature. Mais on peut analyser séparément les rapports des parties constitutives d’un être : tête, bras, main, jambe, pied... Un outil, une machine, une tour, une porte, un édifice entier, dont l’unité est donnée par la structure et l’usage, un groupe de personnages, peuvent être traités comme des entités dans le jeu des rapports. L’analyse iconographique des relations distingue et prend en compte, comme éléments, des réalités très différentes, tant au niveau du signifiant que du signifié. Il n’entre pas dans le champ de cette étude de définir et de classer les types d’éléments que peut contenir une représentation, encore moins d’en faire l’inventaire sous forme de répertoire organisé. Mais on ne peut entreprendre une typologie des relations sans attirer l’attention sur certains caractères de l’image médiévale qui ont un effet sur la détermination des relations importantes. Ils concernent les ensembles complexes qui entrent dans la composition des images narratives et des images thématiques ainsi que les incidences de la signification des éléments sur la signification de la relation elle-même. ELEMENTS SIMPLES ET ELEMENTS COMPLEXES Un ensemble constitué d’éléments plus simples, unifiés par des relations spécifiques, peut être traité à son tour comme un élément simple dans un autre système de relations. La «femme-qui-tient-son-enfant-en-le-protégeant» tourne la tête en arrière, vers le soldat qui massacre les Innocents (61 B). La signification de la relation «tête tournée en arrière» est partiellement déterminée par celle du groupe que forment la mère et l’enfant.
58 Le «pape-qui-se-présente-la-corde-au-cou» s’agenouille devant un autre pape, les mains jointes (61 C). Sa position agenouillée et son geste des mains ne se comprennent pas si l’on ne traite pas le personnage comme un ensemble. Un «homme-qui-tombe-de-cheval-les-bras-croisés», dans une position ridicule, signifie l’orgueilleux (61 D). Il fait partie de deux ensembles. Dans un même registre, il est associé à des guerriers qui se battent, l’orgueil et la violence caractérisant les hommes mauvais. Dans un plan vertical, il s’oppose au comportement des bons, des religieux qui cultivent la terre en paix. Dans l’initiale du Livre des Proverbes de la Bible de Saint-Bénigne de Dijon (38; 61 E), Salomon pointe l’index de sa main droite qui tient le sceptre; il croise le bras gauche, sa main gauche laissant pendre un phylactère vers des personnages placés au-dessous de lui, son corps est de face et sa tête de trois quarts. Ces diverses relations simples ont des significations qui se complètent pour constituer et présenter le person- nage du Maître de Sagesse. Ses relations avec les autres figures de la lettre historiée ne peuvent être étudiées de façon valable qu’après une bonne lecture de cet ensemble partiel. Une analyse plus poussée de quelques enluminures choisies comme exemples permettra de mieux comprendre l’importance des éléments complexes dans les images thématiques et dans les images narratives. ELEMENTS COMPLEXES DANS L’IMAGE THEMATIQUE L’image thématique épouse, dans son fond et dans sa forme, les capacités de création artistique et intellectuelle de l’homme. S’il ne peut pas dire n’importe quoi n’importe comment, sous peine d’être inintelligible, laid et rejeté, l’imagier a le pouvoir d’exploiter, dans les limites de la cohérence et de la qualité plastique, toutes ses connaissances et toutes les structures d’expression que son imagination lui suggère. L’histoire des arts montre qu’à l’échelle du globe et dans une longue durée ces virtua- lités se concrétisent en des réalisations qui vont du respect scrupuleux de règles strictes aux extravagances du délire. L’image thématique médiévale associe souvent ces deux mouvements de la nature humaine, dans des cadres qui ne sont pas ceux des habitudes logiques et de la sensibilité de notre temps. L’image thématique la plus simple unit deux éléments par une relation claire : « un - homme - frappant - un - ennemi ». La représentation allégorique du mensonge, illustrant un texte de saint Augustin, est déjà plus compliquée (22). La femme, dont il faut prendre en compte les positions du corps, de la tête, des bras et des mains, est ficelée par un petit diable au-dessus de la gueule de l’enfer. Certaines compositions, formées d’un nombre élevé d’éléments liés entre eux par une résille de relations, ont une richesse de contenu que seule une analyse systématique, passant par degrés, après une synthèse préliminaire, du simple au complexe, des ensembles partiels à l’unité de l’image, permet d’inventorier. La littérature sapientiale de la Bible, les Psaumes et les commentaires qu’en ont faits les Pères, traitent des problèmes profonds et permanents de la nature humaine : le bien, le mal, la vérité, la
59 sagesse, la faute etc. L’analyse d’un frontispice du Livre de l’Ecclésiastique montrera l’utilité de la décomposition des images en ensembles partiels pour une bonne lecture des relations entre les éléments complexes. ILLUSTRA TION DU LIVRE DE L ECCLÉSIASTIQUE DE LA BIBLE DE SAINT- VAAST Le Livre de l’Ecclésiastique d’une Bible célèbre, conservée à Arras, commence par une initiale ornée et historiée, le O de Omnis sapientia a Domino Deo est, entourée par les figures des vents. Mais l’illustration principale est un frontispice rectangulaire (2; 61 A). Cette enluminure se compose d’ensembles, eux-mêmes complexes et structurés. Le repérage, la description et l’interprétation de chacun de ces ensembles seront plus riches et exhaustifs si la recherche est orientée et conduite méthodiquement. Parmi les facteurs qui déterminent les unités signifiantes, on considérera d’abord ceux qui maté- rialisent formellement leur séparation et leurs situations relatives, puis on distinguera les éléments et les relations qui, au niveau des significations, enrichissent et unifient les ensembles partiels. Une rapide synthèse achèvera cet examen. La structure de l’enluminure est indiquée, en premier lieu, par des cloisonnements géométriques au dessin nettement défini. Un cercle parfait circonscrit la personne divine. Une ligne horizontale sépare les représentations superposées des quatre vertus, en haut, et de quatre personnages qui écrivent, au-dessous. Des similitudes d’architec- ture et de décor rendent plus sensibles l’unité et la spécificité de chacun des trois champs. Le cercle a un fond rouge, sur lequel se découpe le fronton d’un temple porté par sept colonnes. Les quatre vertus sont logées sous des arcs, dessinés sans motifs architecturaux, sur des fonds bleus et jaunes. Les quatre personnages de la zone inférieure habitent un espace déterminé par des colonnes et des chapiteaux portant des voûtes. Ils se détachent sur un fond vert uniforme. Les caractères et les comportements spécifiques des êtres occupant chacun de ces champs ajoutent à l’unité formelle des ensembles l’unité de signification. Médaillon central Sa forme circulaire et sa situation, au centre du frontispice, font du médaillon central la clé de la signification d’un ensemble. Il est lui-même une composition complexe, dans laquelle on peut distinguer trois sous-ensembles : Le Christ en majesté dimension : plus grand que tous les autres personnages situation : diamètre vertical du cercle position : assis, de face, en majesté, pieds posés sur la tête des ennemis gestes : tient le globe dans sa main gauche, tient une lance pointée vers ses ennemis lui servant d’escabeau Les méchants écrasés servant d’escabeau dimension : les plus petits (p. 68), Christ I méchant 0, 20 situation : en bas, au-dessous de position : accroupis gestes : inactifs, subissent
60 L’architecture Sept colonnes surmontées de chapiteaux portant un linteau et un fronton. Edifice complété à l’extérieur de la circonférence, par des tours. Sept têtes en majesté surmontent les chapiteaux. Le Christ est figuré en état et non en action, ce qui montre le caractère étemel de son être, de sa sagesse et de son triomphe sur le mal. La relation entre le maître, juge du monde, et les deux personnages qui lui servent d’escabeau s’éclaire à la lumière du psaume 109 dont le premier verset a été attribué à l’exaltation du Christ : Sede a dextris meis, donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum1. Ce texte est utilisé deux fois par saint Paul dans l’Epître aux Hébreux. Il le cite au début du premier chapitre et le reprend au milieu du livre : hic autem unam pro peccatis offerens hostiam, in sempi- ternum sedet in dextera Dei, de cetera expectans donec ponantur inimici ejus scabellum pedum ejus1. 1. «Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que je place tes ennemis comme un escabeau sous tes pieds» (psaume 109, 1). L’initiale du psaume Dixit Dominus est illustrée par une relation identique dans la Bible de Manerius ; le Christ en majesté, dans une mandorle portée par deux anges, pose les pieds sur les têtes de deux méchants, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 9, fol. 227v.- Dans une autre lettre historiée, le Père et le Fils, assis sur le même trône, ont les pieds sur les mécréants affrontés, dans Commentaires sur les Psaumes de Pierre Lombard, XIIe siècle, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 56, fol. 185. 2. «Lui, au contraire, a offert pour les péchés un sacrifice unique ; puis il s’en est allé asseoir pour tou- jours à la droite de Dieu, attendant désormais que de ses ennemis lui soit fait un escabeau pour ses pieds» (Hébreux 10, 12-13). ÉLÉMENTS COMPLEXES A Frontispice du Livre de l’Ecclésiastique. Bible de Saint-Vaast, première moitié du XIe siècle. Arras, bibl. mun., ms. 435, t. III, fol. L B - Massacre des Innocents. Quadrilobe de la cathédrale d’Amiens, XIIIe siècle. Le guerrier pose la main sur la tête de l’enfant, signe de la prise de possession (p. 196). H tient l’épée levée, comme le symbole de l’acte qu’il va accomplir, mais on n’assiste pas à la scène de massacre. L’opposition entre l’élément complexe, formé parla femme qui protège son enfant, et le guerrier qui prend possession est signifiée par la tête tournée en arrière (p. 151, 156). C - L’antipape Nicolas V demande pardon à Jean XXII. Bernard Gui, Fleurs des Chroniques, fin du XIVe siècle. Besançon, bibl. mun. ms. 677, fol. 82. D - Homme tombant de cheval l’orgueilleux. Saint Augustin, Cité de Dieu, vers 1125. Florence, Bibliothèque Laurentienne, ms. Plut. XII, 17 fol. Iv (repr. dans H. SWARZENSKI, Monuments of Romanesque Art, pi. 87, fig. 201). Ce détail d’une enluminure où s’opposent les bons et les mauvais constitue un ensemble complexe signifiant l’orgueil. La position agenouillée (p. 113), la chute de cheval (30), les avant-bras croisés (p. 216) permettent aisément d’interpréter la représentation. Une fois établie la signification de l’élément complexe, il faut l’intégrer dans l’explicitation globale de l’image, où il s’associe aux scènes de violence pour s’opposer à l’attitude digne et laborieuse des religieux qui travaillent la terre. E - Salomon enseignant la Sagesse. Initiale du livre des Proverbes. Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2 fol. 289.
61 A (2) E (38)
62 L édifice devant lequel siège le garant de la justice pourrait signifier l’Eglise» ou plus probablement la Jérusalem céleste, les sept colonnes et les sept têtes correspon- dant aux sept Eglises avec leurs sept Anges, dont parle l’Apocalypse1. Registre supérieur Les quatre vertus cardinales sont représentées allégoriquement par des personnages auréolés, de dimensions voisines, soit par rapport au Christ Christ 1 Vertu 0, 30 Elles sont assises sur des sièges en forme de trône, leurs gestes ont un caractère com- mun. Chacune est accompagnée des attributs qui indiquent sa nature, et n’accompli1 pas d opération particulière : la Justice désigne la balance qu’elle tient suspendue, mais elle ne pese nen ; la Force présente le bouclier et la lance, mais n’affronte aucun ennemi ; la Tempérance, figurée de face, presque en majesté, élève un plat à bout de bras, mais elle ne mange pas; la Sagesse feuillette un livre, pointe l’index, faisant le geste de l’ensei- gnement mais elle n’écnt pas, elle ne s’adresse à personne. Chacune de ces vertus accomplit un geste spécifique, indiquant son identité et l’ordre de valeur qu’elle sert à un niveau assez evé de généralité, ce qui donne une unité de signification à ce registre supérieur. Registre inférieur dans dï DosffiL^°TageA dU regiStfe inférieur occuPent des Ouations différentes l’encre dans un ° 68 «. Un Se retourne complètement pour tremper sa plume dans deX ï U n?Peu nOrmaL L’endroit où est P,acé son encrier, c’est-à-dire traduit l’annlicaf16" i & S°n activité- Mais ce 8este demandant un effort exagère genoux ators aX’ avec lesquels il se donne à sa tâche. Un autre écrit sur ses troisième est assis sif ? Un pupitre devant lui. Ses pieds ne touchent pas terre. Un traduit également ia f î X’ j?n adoss.é- $a Position redressée suppose un effort qui autres par plusieurs r V° T* aPPhcation. Le quatrième personnage se distingue des de son corps est de nettement Plus qu’eux, puisque la superficie atteignent environ 0 F*1 rapp°rt à celle du Christ, alors que les trois autres scribes générale ressemble à’ celle S,eCOnd ieu’d a la tête levée et regarde Dieu. Son attitude qu’il tient. & 3 VertU de Sagesse- 11 * ne s’en distingue que par la plume situations** dateurs t Te meme activité : ils écrivent. La diversité de leurs dans le scriptorium On n°^ dÊ eUrS geSteS suggère intensité et la ferveur du travail hommes ne distinguent-X Se P°Jer des cluestions, comme : les singularités de l’un des Quelle est la signifient- Pi&S auteur de ceux qui reproduisent les œuvres • identifiable?1 oXgSX ? qUi ferme une arcade? Le scriptorium est-il autres champs. P°Se 6S pro^^mes> indépendamment de ses relations avec les 1. Il n’entre pas dans notre propos d’approfondir ce point. Remarquons seulement qu’une iHustr du Cantique des Cantiques situe le Christ et l’Église, l’épouse, devant un édifice qui pourrait a même signification.- Pour les sept Églises et les sept Anges, voir Apocalypse 1,4 et 1,11.
63 Considéré dans son ensemble, le frontispice u, . rs dimensions. Le médaillon synthèse théologique, philosophique et historique P et jes dans Ce qu’ils central, chargé de références scripturaires, énonce es • verset du texte Omnis ont de transcendant et d’étemel. Il illustre direc emen , signifient les habitudes de sapientia a Domino Deo est. Les quatre vertus car 1 l’homme qui se soumet bien agir qui concrétisent dans l’idéal les compor e l’espace et dans le aux exigences de la Sagesse. L’activité humaine, si temps, recueille et fixe les préceptes de vie. ELEMENTS COMPLEXES DANS L’IMAGE NARRATIVE Dans l’image narrative, le déroulement chronologique des événements se traduit par une succession des représentations dans le sens de la lecture, de gauc e a croi e de haut en bas1. Mais les différents épisodes ne sont pas toujours isoles par aes structures graphiques ou des cadres signifiants. Une représentation unique peu e r composée de plusieurs scènes, traitées chacune comme un ensemble ayant sa signitica- tion propre, et qui s’intégrent dans une séquence dont elles déterminent a signi ica 10 Par une relation précise. Les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis ottrenr trois exemples d’une même structure où la situation d’un groupe qui délibéré preceue et justifie l’acte posé par le personnage principal de la scène. CO UR ONNEMENT DE PEPIN LE BREF Le couronnement de Pépin le Bref illustre le premier livre de4a Geste du roi Charle- magne (114 ; 65 A). Amédée Boinet donne comme, légende : « A la partie prieure e figuré, à droite, le couronnement de Pépin le Bref à Rome par le pape Etienne II, à gauche, deux ecclésiastiques conversent entre eux»2. Cette description de• 1 image considère séparément deux groupes de personnages, comme s il s agissait de deux scenes sans relation, la seconde n’ayant d^ailleurs pas grande signification. Or il s agit en fai d un ensemble formé de deux scènes juxtaposées. Les deux ecclésiastiques qui conversent reproduisent de la ^on la la plus simple le schème de la discussion et de la délibération (p.211)^JXnamm- couronne sur la tête du nouveau roi agenouillé. C’est là une scene cour ment banale. Mais le texte des Grandes Chroniques permet de supposer un lien entre a délibération et le sacre2. Pépin exerçait en fait le pouvoir alors que celui qui avait le L Par exemple, l’histoire de Paris enlevant Hélène sur l’ordre de_Priam est racontée en quatre scènes éparées par des cloisonnements, dans les Grandes Chroniques d A. BOINET, Les manuscrits à peintures de la bibliothèque Sainte . . # . A Vapostoile Estiene, qui lors estoit, demanda li princes Pe^^îq^ roiaume!ou cil qui de tôt a cure et Pres et i°inz, et par eut h roiaumes estoitau Jmaniéré li conferma l’onction et la corons eStre rois’ de tot aV0/{ le P°°" % ^Le^Grandel Chrotüques de Œ publiées pour la ororçe du roiaume ; si fu rots en tele maniéré. Cf. Les oranaes q Société de l’Histoire de France par Jules VIARD, t. III, p. 8.
64 titre de roi ne se préoccupait nullement du gouvernement du royaume. Il demanda au pape si celui qui en assumait les lourdes charges devait aussi devenir roi. Et c’est à la suite d’une décision, prise sans doute après délibération, comme le montre l’image, qu’ayant tranché en sa faveur, Etienne II lui remit la couronne du royaume. Cette interprétation resterait une hypothèse, si de nombreuses structures iden- tiques ou similaires, porteuses de la même signification, ne conduisaient à tenir pour un pro.cédé d’expression la juxtaposition d’une délibération et des opérations qui la suivent. LA TRAHISON DE GANELON L’illustration de l’enluminure placée en tête du chapitre sur la trahison de Ganelon a, elle aussi, été l’objet d’interprétations discutables (118; 65 B). D’après Amédée Boinet, «Charlemagne envoie le traître Ganelon auprès des deux rois de Saragosse, Marsile et Baligand, qui sont figurés à droite, conversant entre eux»1. Dans leur étude sur La légende de Roland dans l’art du Moyen Age, Rita Lejeune et Jacques Stiennon reprennent cette explication : «Trois arcatures prenant appui sur d’élégantes colon- nettes divisent la peinture en trois compartiments. Assis au centre, sur un fond d’or, Charlemagne donne ses instructions à Ganelon. Entre-temps, les deux rois de Saragosse Marsile et Baligant, comme à Chartres, complotent la trahison»2. Or des détails nombreux et importants semblent interdire cette lecture. Ils seront rappelés dans les différents chapitres traitant des positions et des gestes, mais il a paru utile de faire une synthèse, car elle situe le groupe des personnages qui délibèrent et complotent. Il est impossible de voir dans ce roi l’empereur Charlemagne : le visage bestial est de profil et la bouche entrouverte, attitude incompatible avec la dignité d’un roi chrétien, qui ne se rencontre dans aucune autre enluminure du manuscrit (p. 135 et 142). Le roi n’envoie pas Ganelon en mission ; il lui tient le bras, geste qui signifie la prise de possession de la personne (p. 199). Il ne donne donc pas un ordre à un vassal, mais au terme d’une discussion, il conclut un pacte avec l’homme (p. 52). Le roi pose son pied sur celui du traître, avec un mouvement de la jambe, avancée vers sa gauche, qui marque l’intentionnalité de son comportement (p. 232). 1. A. BOINET, Les manuscrits à peintures de la bibliothèque Sainte-Geneviève, p. 42. 2. R. LEJEUNE et J. STIENNON, La légende de Roland dans l’art du Moyen Age, p. 281. ÉLÉMENTS COMPLEXES A - Le pape Étienne II couronne Pépin le Bref. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, vers 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 107. B - La trahison de Ganelon. Même manuscrit, fol. 152. C - Le pape Innocent III condamne Arnaud de Chartres. Même manuscrit, fol. 312.
65 B (118) C (140)
66 Que les personnages qui se font face soient des infidèles qui discutent et mûrissent un mauvais dessein, cela résulte de leur position rapprochée, de leurs visages de profil, la bouche ouverte, et des gestes de leurs mains (p. 107). Ils portent un fin turban et non une couronne, attribut royal couramment donné à Marsile et à Baligant. Il conviendrait donc de voir dans le groupe le conseil qui décide et organise la trahison que le roi infidèle, probablement Marsile, réalise. L’enluminure n’illustrerait pas l’envoi de Ganelon par Charlemagne, lor manda par Ganelon que il receussent baptesme, ou que il U envolassent treü, mais serait inspirée par la suite du texte, A Ganelon, le traitor, qui le message avoit fait, présentèrent, pour lui décevoir, XX chevaus charchiez d’or et d’argent et de dras de soie pour ce que il lor livrast, pour occierre, Rolant et Olivier et les autres combateors de l’ost, et li traîtres s’i acorda et reçut les richeces. Quant il orent ensi la traïson pourparlee et confermee, Ganelons retorna a Karlemaine1. CONDAMNA TIONDE L’EVÊQUE AMA URIDE CHARTRES En tête du premier chapitre du livre III des Gestes de Philippe Auguste, Comment l’eresie des Amoriens fu atainte et pugnie^ une illustration apparemment banale représente le pape Innocent III et deux groupes de personnages (140 ; 65 C). L’interpré- tation faite par Amédée Boinet, à partir du texte de la Chronique tient en partie compte de l’image. Il écrit : «Le pape Innocent III condamne l’hérésiaque Amauri de Chartres»2. L’identité des personnes n’est connue que par le texte juxtaposé. La relation «condamne», suggérée par le texte est, elle, directement exprimée par le comportement du pape, dont la position et le geste de la main ne diffèrent en rien de ceux des autres rois qui, à la même époque, portent des condamnations, en particulier de chrétiens au martyre (93, 111). Le religieux qui lui fait face oppose son opinion par le geste du doigt levé avec une certaine familiarité puisqu’il pose sa main sur le dossier du siège pontifical. Les deux clercs qui discutent à la droite du pape, et à la gauche de l’image dans le sens de la lecture chronologique représentent la délibération au terme de laquelle le pape formule sa sentence. Les trois documents étudiés ont une signification claire et précise. Une autre représentation du même manuscrit appelle une lecture similaire. Philippe 1er consulte ses barons avant de prendre une décision et d’accepter les terres d’Harpin, vicomte de Bourges, qui part en Croisade (134). Dans d’autres manuscrits, la même structure se présente sous des formes analogues. Le personnage qui accomplit l’action principale, placé après le groupe qui délibère, ne pose un acte qu’en fonction d’une décision anté- rieure. Par exemple, la promotion à une dignité et responsabilité religieuses fait suite à une réflexion, figurée par le geste de l’argumentation, sur les capacités de l’élu (92). Dans un vitrail du XIIe siècle, à Chartres, la délibération des «grands prêtres et scribes du peuple», interrogés par Hérode, précède l’entretien au cours duquel le roi envoie les mages à Bethléem. vi ai ^eS Grandes Chroniques de France, publiées pour la Société de l’Histoire de France par Jules VIARD, t. III, p. 262.- Dans la Chanson de Roland, les pourparlers qui précèdent sont largement déve- loppes (vers 450-600) : La purparolent la traïsun seing droit. 2. A. BOINET, Les manuscrits à peintures de la bibliothèque Sainte-Geneviève, p. 44.
CHAPITRE V LES DIMENSIONS Dans les représentations réalistes, les dimensions relatives des objets et des êtres animés dépendent de leur disposition dans l’espace par rapport à la situation de l’artiste qui les a observés et reproduits, ou simplement imaginés. Un nain placé au premier plan paraît plus grand qu’un homme normal figuré dans le lointain. L’échelle de l’environ- nement permet de corriger cette impression. Les dimensions elles-mêmes, résultat d’une copie, n’ont aucune signification conventionnelle. Cependant, par le choix qu’il fait d’un angle de vue mettant particulièrement en valeur un élément de premier plan, l’artiste peut donner une certaine portée symbolique à la grandeur relative des éléments. Les photographes connaissent bien ce procédé, dont ils augmentent considérablement le pouvoir par l’utilisation du grand angle. Mais il s’agit d’un artifice destiné à créer un effet plus qu’à traduire des valeurs. La déformation et l’exagération volontaire permettent au caricaturiste d’exprimer de façon claire des idées fort simples. L’augmentation du volume de la tête facilite l’accentuation des modelés significatifs. D’autres parties du corps peuvent prendre des formes et des dimensions ridicules. Les proportions anormales sont chargées de signifi- cations. Dans la mesure où ces procédés sont d’un emploi universel, la relation est une composante du langage de l’image caricaturale. Néanmoins, comme la caricature a pour objet la satire de défauts particuliers, de travers propres à un personnage, à un métier, ou à des comportements événementiels, ce langage n’est utilisé que dans les limites du genre. Son caractère exceptionnel lui donne une puissance qu’il perdrait s’il tombait dans l’usage commun. Il en va tout autrement pendant la période médiévale, jusqu’au moment où le réalisme, la perspective et le calcul savant des proportions feront reculer le symbole et l’élimineront. La convention pratique par laquelle certains éléments figurés sont repré- sentés plus grands que d’autres n’inclut aucune visée satirique et s’applique à tous les types de figurations sacrées et profanes. La grandeur des éléments peut correspondre à leur importance dans la représentation, à un degré hiérarchique. Elle est un moyen d’ex- primer la supériorité, l’égalité ou l’infériorité sur quelque plan que ce soit. Une lecture d’image qui n’en tient pas compte est donc incomplète, et peut même devenir fautive.
68 Dans certains cas cette relation donne à l’image sa signification essentielle. La rencontre de Charlemagne et de Constantin VI de Constantinople serait une image banale, une figuration anecdotique sans portée, si l’on ne tenait compte du soin avec lequel le maître verrier a établi une égalité quasi parfaite entre les deux empereurs (131 A). Situés au même niveau, ils ont la même taille et occupent la même surface dans le médaillon. Cette similitude traduit l’aspiration constante de l’Occident à être l’égal de l’Orient1. L’étude des dimensions pose plusieurs problèmes de méthode. Quelles mesures choisir? Comment les effectuer? Comment traduire et apprécier les résultats des comp- tages? Sur quels critères fonder l’interprétation pour attribuer, avec un degré de certitude valable, des significations précises à des signes qui peuvent apparaître comme des caractères accidentels de la représentation? En définitive, comment peut-on faire les observations, que peut-on en déduire et à quelles conditions? MÉTHODE DE MESURE L’appréciation des dimensions respectives de plusieurs éléments figurés, particuliè- rement des personnages, n’est pas facile. Par nature, les objets sont longs ou courts, plats ou épais. Hommes et femmes sont figurés de face ou de profil, debout, agenouillés ou assis... La diversité des positions et des formes rend approximative la détermination de la taille. La mesure linéaire ne doit donc être pratiquée qu’avec prudence1 2. L’expérience montre que la mesure des surfaces occupées par les personnes est plus aisée à réaliser et surtout plus significative que celle de leurs tailles. Il suffit en effet de superposer un quadrillage sur une reproduction assez grande d’un document pour compter les carrés circonscrits par les contours de l’élément figuré. Des comptages effec- tués sur les mêmes images par des personnes différentes donnent des résultats dont les écarts, en pourcentage par rapport à 1, n’excèdent pas 0, 03, donc peuvent être tenus pour négligeables3. Dans certaines scènes, les personnages occupent par nécessité des situations parti- culières qu’il faut prendre en considération, derrière une partie d’édifice, derrière un cheval, derrière une table4. Il est prudent de ne comparer que ce qui est comparable. Quelques applications de cette méthode vont essayer d’en montrer la légitimité et la fécondité. Elles seront effectuées à trois niveaux : au niveau de l’unité icono- graphique, sur quelques images considérées isolément; au niveau codicologique, sur l’ensemble des enluminures d’un manuscrit ; au niveau de l’unité thématique. 1. Vitrail de Charlemagne, première moitié du XIIIe siècle, cathédrale de Chartres. Sur ce médaillon, voir F. GARNIER, Le vitrail au XIIIe siècle, histoire de Charlemagne, p. 20. 2. Pour essayer de préciser la taille relative des outils par exemple (cf. p. 78). 3. Il existe une méthode de mesure très rigoureuse mais d’un emploi long, onéreux et en définitive d’une précision inutile. On découpe les surfaces des éléments à comparer dans une épreuve photogra- phique d’assez grandes dimensions, tirée sur un support épais. Il n’y a plus qu’à peser sur une balance sensible les morceaux séparés pour connaître les rapports entre les surfaces. Cette méthode, utilisée dans les sciences exactes, ne correspond pas pour le moment aux besoins et aux possibilités de notre recherche. 4. On ne peut, par exemple, comparer la taille du compagnon d’Henri 1er, à moitié caché par un cheval, à celle du roi (133).
69 MESURES DANS L’UNITE ICONOGRAPHIQUE Les proportions des figures d’une représentation doivent être établies à partir d’un élément choisi comme unité de référence. Le rapport entre les divers composants de l’image et sa surface totale n’est pas sans intérêt, mais les problèmes qu’il pose ne concernent pas directement la lecture de la représentation. Ils seront étudiés à part1. On prendra comme unité de référence le personnage le plus important de la scène, ce système s’étant révélé commode et significatif. Cette importance est elle-même relative. Dans l’unité iconographique, le personnage le plus important est le plus grand. Dieu bénissant en majesté, domine le personnage assis de profil à sa droite, le visage de face (31 ; 71 C). Le chef est plus grand que ses hommes1 2. Mais il faut se méfier des propor- tions imposées par le sujet, comme celles de David — personnage le plus important mais le plus petit — tuant Goliath (98 ; 71 F). Dans une unité codicologique, on pourra être amené à prendre pour référence le personnage le plus souvent représenté, ce qui facilite les comparaisons. Ce parti a été choisi pour l’étude des dimensions dans les Grandes Chroniques de France, de Saint-Denis (121 ; 71 D ; p. 74). INITIALE DU DEUXIÈME LIVRE DES MACCHABEES L’initiale du deuxième Livre des Macchabées de la Bible de Saint-Bénigne de Dijon renferme deux scènes (41 ; 71 A). Dans la partie basse de la hampe, un personnage debout tient un phylactère dont un homme beaucoup plus petit, assis au-dessous, saisit l’extrémité. Cette communication illustre les premiers mots du livre biblique : «A leurs frères qui sont en Egypte, salut!» (II Mac. 1,1). Le phylactère représente la lettre envoyée par les Juifs de Jérusalem à ceux d’Egypte. La partie supérieure de l’initiale historiée illustre un fait raconté dans une deuxième lettre, où les Juifs remercient Dieu qui a combattu contre le roi Antiochus, «taillé en pièces dans le temple de Nanaéa, grâce à un artifice dont usèrent les prêtres de la déesse... Dès qu’Antiochus fut entré, ils fermèrent le temple et, ouvrant la porte secrète du plafond, ils foudroyèrent le chef en jetant des pierres; puis ils mirent en morceaux [les cadavres]...» (Il Mac. 1, 13-16). Transmission de la lettre Le Juif de Jérusalem, situé au-dessus de son correspondant, fait le geste qui affirme la prééminence de sa personne et de sa communauté. Le rapport de surface entre les deux personnages est Juif debout, de face 1 Juif assis, de profil 0, 25 1. Ils relèvent de l’étude des éléments figurés plus que des relations syntaxiques. Des comparaisons portant sur plusieurs manuscrits des XIIIe, XIVe et XVe siècles mettent en évidence une évolution régulière. Les surfaces relatives des éléments humains, des animaux, des végétaux, du cadre naturel, des édifices, du mobilier et des objets semblent avoir des proportions significatives. Mais il faudrait multiplier les observations, en déterminant les conditions scientifiques de l’interprétation des résultats, pour dépasser le stade de l’hypothèse et donner une fécondité à cette recherche. 2. Le terme chef doit être pris dans un sens large. Le Christ (2, 3,7, 35), Moïse (56, 64),Salomon (14, 38), saint Jacques (165, 172), Enée et Turtus (171) sont des chefs à des titres divers. Il est à remar- quer que dans les scènes de guerre la taille des chefs excède rarement celle des combattants. Mais ils sont en général situés au premier plan, offrant une plus grande surface visible (139, 174, 175).
70 Les dimensions confirment donc les significations de la situation, de la position et du geste1. Mort d’Antiochus Les surfaces proportionnelles des éléments figurés sont exprimées en prenant celle du grand prêtre de Nanaéa pour unité grand prêtre 1 Antiochus voleur 0, 60 personnage tenant la lance 0,26 personnage jetant des pierres 0,08 cadavres des « amis » du roi 0, 08 diables zoomorphes 0, 11 temple 0,35 calice 0, 04 Cette échelle de dimensions correspond à deux ordres de valeurs : une hiérarchie sociale, où le chef est plus grand que les subordonnés, et une hiérarchie morale, où les bons sont plus grands que les mauvais. Pour montrer la complémentarité des procédés d’expression et confirmer la lecture de ces dimensions, il convient d’appliquer à cette image deux séries de relations qui ne seront étudiées que dans les chapitres suivants, la situation et la position, en tenant compte du fait que, bien qu’elle illustre un événement, il s’agit d’une représentation thématique. Elle ne montre pas le déroulement chronologique d’une action, mais résume ses significations essentielles en les interprétant, dans un tableau où les détails empruntés au récit sont choisis et traités comme des signes. 1. Cette prééminence sera exprimée d’autres façons dans l’illustration du deuxième Livre des Maccha- bées aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles. Celui qui remet la lettre à un messager est un personnage impor- tant, un évêque et même un roi. La taille du représentant de la communauté de Jérusalem demeure d’ailleurs un des signes de sa qualité jusqu’à ce que, la signification des proportions se perdant progres- sivement, des attributs restent ses seuls signes distinctifs. DIMENSIONS A - Mort d’Antiochus. Initiale du deuxième Livre des Macchabées. Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 393v. B - Mains du Christ, de l’Église et d’un fidèle. Initiale du Cantique des Cantiques. Même manuscrit, fol. 301. C - Le Christ bénit David assis à sa droite. Saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes, début du XIIe siècle. Valenciennes, bibl. mun., ms.41,fol.56v. D - Hincmar de Reims couronne Louis le Bègue. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, vers 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 202v. E • Turtus s’éloigne de Troie. Chronologie universelle, rouleau du début du XVe siècle. Orléans, bibl. mun., ms. 470. F - Combat de David contre Goliath. Initiale du psaume Beatus vir. Psautier, fin du XIIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 157, fol. 8.
E (171) F (98)
72 grand prêtre - à droite de - séparé dans le cloisonnement - debout, corps de face, tête de trois quarts Antiochus - au centre de l’image, où il reçoit des coups venant de droite, d’en haut et de gauche - couché sur le dos, tête tournée vers le bas, yeux fermés, un bras pendant personnage tenant la lance - en haut, à gauche de, au-dessus des diables - debout, légèrement penché, corps de profil, tête de trois quarts personnage jetant des pierres - au-dessus de cadavres - au-dessous de - couchés, tête tournée vers le bas diables zoomorphes - en bas, à gauche de - de profil, bouche ouverte La localisation de la scène est faite par quelques éléments d’architecture, très réduits : un arc, un toit, une tour surmontée d’une croix. La nature du crime royal, le vol du trésor du temple, est signifiée par un seul objet, le calice arraché par le grand prêtre à la main de l’impie. La punition du coupable est signifiée au niveau de trois agents : le personnage qui vient du haut, frappant de sa lance, est assimilable à l’ange du Seigneur, à l’ordre providentiel ; le grand prêtre, dont la crosse perce la poitrine du roi, est le chef qui commande ; le petit personnage brandissant des pierres est un simple exécutant. CONSTR UCTION DE LA TOUR DE BABEL Les dimensions des personnages d’une construction de la tour de Babel de la fin du XIIIe siècle, donc plus tardive, ont aussi leur éloquence ( 145). personnage du bas, mains croisés 1 maçons au sommet de la tour 0, 67 0,67 maçons vus de dos 0,57 manœuvres dans la cage d’écureuil 0, 22 0,22 A l’exception des manœuvres, en action dans la cage d’écureuil, les ouvriers ont cessé le travail. Sa dimension, sa position de face, debout à côté de son outil déposé, les mains croisées, désignent celui du bas comme le chef1. L’infériorité des manœuvres par rapport aux maçons est nettement soulignée. 1. Ces signes ne permettent pas d’affirmer qu’il s’agit de Nemrod, qui aurait dirigé la construction de la tour de Babel.
13 LA CÈNE Dans une peinture murale du XIIIe siècle, représentant la Cène, à Amné-en- Champagne, Judas est figuré au premier plan, devant la table (101). La dégradation du mur a fait disparaître la partie inférieure de son corps. Mais ce que nous voyons aujourd’hui est suffisant pour établir un rapport de surface entre lui et les autres personnages, que l’on ne voit d’ailleurs qu’à mi-corps. Sa tête fait le tiers de celle du Christ (sans compter l’auréole). Dimensions des personnages à mi-corps Jésus Pierre Jean Judas 1 0, 95 0,52 0,40 La taille relativement petite de Jean s’explique sans doute parle fait qu’il se penche devant le Seigneur. Représenté plus grand, il le cacherait. Judas est nettement plus petit que lui. Si on rapproche cette représentation de la Cène de celle du Psautier d’Ingeburge, on est frappé par la similitude des proportions1. Cène d’Amné Christ 1 Judas 0,52 Cène du Psautier 1 0, 54 Par ses dimensions relatives, Judas est donc le moindre de tous. D’autres relations s’ajoutent à ce signe pour en faire le dernier, le mauvais. II est en effet figuré de profil et légèrement penché vers l’avant (101 ; 145 O). CONSTR UCTION D'UNE EGLISE Une scène de construction d’église, du début du XVe siècle, associe les traits réalistes aux procédés du langage traditionnel, comme il ressort de la mesure des personnages (176). empereur 1 premier baron 0, 48 maître d’œuvre 0,42 sculpteur 0,27 tailleur de pierre 0,33 mortellier 0,48 maçon 0,30 manœuvre 0,24 L’empereur, situé au second plan, est de beaucoup le plus grand des personnages. Les nobles de sa suite et le maître d’œuvre ont également des tailles sans rapport avec leur situation. Que le manœuvre soit le plus petit de tous, c’est dans les usages du langage. Mais l’importance du mortellier est peut-être due à sa situation au premier plan. Les nombreuses illustrations de ce manuscrit offrent des alliances comparables de vraisemblance et de convention. 1. Psautier d’Ingeburge, XIIIe siècle. Chantilly, musée Condé, ms. 1695, fol. 23.
74 MESURES DANS L’UNITÉ CODICOLOGIQUE Certains manuscrits contiennent des enluminures d’une même main qui illustrent des textes variés et sont de genres différents1. Figures, scènes historiques et scènes thématiques, traitées avec un même langage, permettent de mettre en évidence ce qu’il y a de permanent dans les signes, sous la diversité de leurs emplois. Déjà intéressante pour la connaissance du langage lui-même, la comparaison des enluminures d’une unité codicologique aboutit à une meilleure compréhension de ce que signifie chaque image, ainsi que de l’ensemble de ses représentations. C’est du moins la conclusion à laquelle nous ont conduit plusieurs études systématiques. Le manuscrit des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, dont la totalité des illustrations sont reproduites et examinées dans ce travail, fournit un des exemples les plus significatifs (106-141). Dans le tableau récapitulatif qui suit, la surface occupée par le roi est prise pour unité de référence. Dans deux cas seulement, en l’absence de roi, le pape ou un noble, le personnage principal de la scène, a servi de repère à la comparaison. Il a semblé utile de distinguer le pape, l’évêque ou l’abbé et le religieux, car l’abondance des représentations de membres du clergé justifie ce classement hiérarchique. Dans l’établissement du tableau, certaines représentations n’ont pas fait l’objet de mensurations. Les unes parce qu’elles ne mettaient en scène qu’un seul personnage et qu’il n’y avait pas matière à comparaison, les autres parce que le caractère particulier de la scène excluait la possibilité d’une interprétation valable, soit parce que les personnages n’avaient pas d’identité individuelle ou spécifique, soit parce qu’ils occupaient des situations rendant les mesures douteuses1 2. Les scènes figurant des actions rapides et violentes, comme les batailles et prises de ville semblent échapper aux règles déterminant la hiérarchie des personnes3. Le mouvement prime dans ces représentations l’expression par les dimensions. Ces réserves étant faites, la lecture du tableau est éloquente. Les exceptions apparentes que donnent les chiffres confirmeront les conclusions qui s’imposent lorsqu’elles auront été situées et expliquées. De façon générale, les membres du clergé, pape, évêque, religieux, ont toujours des dimensions supérieures à celles du roi, qui lui-même est plus grand que les autres laïcs. Deux fois un religieux est représenté plus petit que le roi, dans les scènes de remise du livre des Grandes Chroniques de France au souverain (106, 141). Cet acte d’offrande, accompli le genou plié, suppose une attitude de soumission et de respect que la dimension légèrement inférieure (0, 84 et 0, 98) traduit. Le roi apparaît plus grand que les religieux dans une autre scène, mais c’est justement lorsque, se faisant couper la barbe et déposant sa couronne, il abdique la royauté temporelle et se retire au mont Soracte, pour y fonder le monastère de Saint- Sylvestre (114). 1. L unité du manuscrit a été préférée à d’autres programmes, en sculpture peinture ou vitrail, pour lesquels la même étude serait possible. 2. Charlemagne regardant la Voie lactée ( 117) ; le roi Raoul quittant une ville (126); Philippe Auguste trônant (137). 3. Dans toutes les scènes guerrières (111 haut, 113, 120, 123, 125, 130, 139) la signification princi- pale est exprimée par une ou deux relations tout à fait typiques (p. 156, 245).
75 GRANDES CHRONIQUES DE FRANCE DE SAINT - DENIS Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782 Dimensions relatives des personnages Fig. Folio pape CLERGÉ évêque religieux ROI NOBLE NON NOBLE 106 1 0,84 1 107 2v 1 0,81 (Paris) 108 16v 1 0, 50 109 36 1 0,87 (reine) 110 62v 1 0,70 111 79 b. 1 0,60 112 100 1,20 1 113 103 1-0, 90 114 •107 h. 1,40 1 0,63 114 107 b. 0,86 1 0,67 115 121v 1,20 1 115 121vb. 1 1 116 129v 1 0,30 117 141 118 152 1 0,67-0,87 119 161 h. 1, U 1 119 161 b. 1,15 1 120 187 121 202v 1,37 1 122 206 1,30 1 123 208vA 124 2O8vB 1,18 1 125 209 126 211v 127 212 1,22 1 128 217 1,26 1 0,67 129 219 A 1,42 1 0,75 130 219B 131 219v 1 0, 76-0,62 132 220 1,22 1 133 224v 1 1,23 (Richard) 134 230 1 0, 89-0,80 135 242 1,38-1,32 1 136 265v 1 0,77... 0,73 137 280 A 138 280 B 1 1,06 (reine) 139 295 140 312 1 0,66-0,62 141 326v 1,32 1, 18-0,98 1 0,81
76 Après avoir été sacré par Léon III, Charlemagne, assis à côté du pape sur le même banc, rend la justice (115 ; 85 E). On peut croire qu’en les plaçant dans la même position et en leur donnant exactement la même dimension, l’imagier a voulu mettre à un rang égal, dans ce cas particulier, le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. L’image est abîmée et il est impossible de déchiffrer les visages. L’imitation du geste du pape par l’empereur prendrait une signification un peu différente s’il regardait le pontife. On devrait en effet voir un lien entre la sentence qu’il rendrait et le pouvoir spirituel qui en serait en quelque sorte le fondement premier. Lorsque Robert de Normandie accueille Henri 1er, celui-ci est roi en droit, mais pas encore en fait. Le rôle de Robert est de le prendre sous sa protection et de l’aider à conquérir un royaume que sa mère lui dispute. Sa plus grande taille tient à cette conjoncture (133 ; 131 D). La reine, représentée deux fois seulement, est un peu plus petite que le roi dans une scène (109) et à peine plus grande dans l’autre, où elle est figurée en tant que mère de Philippe Dieudonné (138). Les serviteurs et les ouvriers sont trop rares et mal situés dans l’illustration de ce livre de Chroniques pour qu’on puisse établir des généralités. Ils font à peine le tiers des autres personnages1. La rigueur et la constance du langage iconographique de ces Grandes Chroniques de France ne sont pas exceptionnelles. Au XIIe siècle en particulier, certains manuscrits semblent distribuer les personnages selon les situations, avec les dimensions et dans les positions qui correspondent à leur place dans les hiérarchies sociales et morales. C’est là un fait dont les calculs permettent d’éliminer les facteurs subjectifs d’appréciation. Les problèmes que pose son explication se situent au-delà de la constatation. Le recours aux proportions comme relation signifiante est plus difficile à saisir dans les manuscrits postérieurs, surtout à partir de la fin du XIVe siècle. Il semble cependant que l’analyse systématique des illustrations de certains manuscrits révélerait des survivances intéressantes. Dans une Chronologie universelle du début du XVe siècle, plusieurs médaillons représentent le chef militaire au milieu de ses troupes. La différence des dimensions défie la mesure, tant les guerriers sont figurés petits (171). MESURES DANS L’UNITE THEMATIQUE Le maître et le disciple, l’acheteur et le vendeur, l’expéditeur et le messager, le bourreau et la victime, constituent des groupes typiques, définis par des comportements spécifiques. Il y a dans le langage iconographique un ou plusieurs gestes, une ou plusieurs positions signifiant l’ordre, l’enseignement, l’achat, l’envoi de lettre, l’exécution d’un condamné. Ce ne sont pas les seuls signes. Les dimensions des personnages contribuent à déterminer la nature et le sens de la relation. 1. Compagnon, ou serviteur, d’Henri 1er ( 133) ; ouvriers construisant une chapelle (116).
77 Suivre dans une succession chronologique, à travers les images religieuses et profanes, narratives et thématiques, l’évolution des proportions de deux personnages liés par un rapport spécifique présente un intérêt méthodologique et un intérêt historique. Le lien qui en fait un groupe social défini étant caractéristique et déterminé par un ensemble de signes complémentaires, il est possible d’éliminer de la série étudiée les cas douteux. Dans la relation maître-disciple, choisie à titre d’exemple, on peut retenir comme principales corrélations : maître disciple situation plus haut plus bas à droite de à gauche de position debout, stable assis de face de profil tête baissée vers tête levée vers geste index pointé main ouverte imitation coiffure tiare, mitre, couronne, bonnet de docteur... attribut crosse, sceptre, verges, auréole... dimension plus grand que plus petit que Il n’est pas rare que tous ces signes caractéristiques soient réunis dans une même représentation. Quelquefois, seul un attribut et un geste, une position et un geste, déterminent la signification de l’image. La dimension relative des personnages ressort comme une constante signifiante d’un tableau comparatif, portant sur 25 représen- tations échelonnées du XIe au XVe siècle (p. 79). La liste des œuvres aurait pu être indéfiniment allongée, car la relation maître-disciple, au sens large, est souvent figurée au Moyen Age. Mais les résultats étant concordants, cet échantillonnage a semblé suffisant. Il ressort de ce tableau que le maître, quelle que soit la nature de son autorité et la façon dont il l’exerce, est figuré nettement plus grand que ceux auxquels il s’adresse. L’écart des surfaces est plus important aux XIe et XIIe siècles que pendant la période suivante. Dès la fin du XIIIe siècle, il va être assez réduit (97). Certains chiffres font exception, donnant au disciple une taille qui s’approche de celle du maître. Il s’agit à chaque fois d’un personnage que des signes non équivoques, comme l’auréole, la mitre ou même l’inscription de son nom, désignent autant comme un collaborateur que comme un inférieur1. C’est le cas dans les panses des initiales de Paulus où l’apôtre écrit à Timothée1 2. 1. Mais Saint Augustin dicte son texte à un religieux auréolé, nettement plus petit que lui, dans saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes, milieu du XIe, siècle. Orléans, bibl. mun., ms. 46, fol. 1. 2. Pierre Lombard, Commentaires sur les Ëpîtres de saint Paul, XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 77, fol. 204v et 210v.
78 Un certain écart peut également être discerné entre le disciple ou le fidèle représenté seul et celui qui, situé devant un groupe dont les silhouettes sont à peine ébauchées, indique sa nature. Dans ce dernier cas en effet, il semblerait que le disciple soit plus grand et son dessin plus précis, comme s’il était important de bien identifier la nature de ce groupe (64 ; p. 106). La dimension proportionnelle des personnages n’est qu’une relation parmi d’autres, qui demande à être complétée et nuancée s’il y a lieu. Dans certains cas les mesures peuvent être effectuées sur des parties du corps seulement, et principalement sur la main, instrument privilégié de l’action et de l’expression1. L’exagération souligne l’importance du geste et renforce sa signification. DIMENSIONS DES OBJETS ET DES EDIFICES Les dimensions des objets concernent à un double titre la connaissance historique. Leurs proportions symboliques entrent dans l’étude du langage iconographique et leurs mesures réelles, en même temps que leur mode d’utilisation, intéressent l’historien des techniques, pour ce qui est des outils, et d’une façon plus générale, la connaissance de la vie matérielle. DIMENSIONS SYMBOLIQUES DES OBJETS L’objet, excepté lorsqu’il est figuré seul, en raison d’une valeur sacrée par exemple 1 2, est subordonné aux actes humains et à leurs significations. Ceci implique deux consé- quences. Au niveau du choix, seuls sont figurés les objets et instruments chargés d’un contenu symbolique spécifique3. Au point de vue de leurs dimensions, ils sont modifiés conformément aux exigences de la lisibilité et de la signification. Les objets petits sont fortement agrandis. Par exemple une bague ou une alliance peut atteindre la dimension d’un bracelet. Les édifices, au contraire, sont réduits de telle sorte qu’on en discerne la nature et la situation sans qu’ils écrasent les êtres humains4. DIMENSIONS REELLES DES OBJETS Les bâtiments, les bateaux et, d’une façon plus générale, toutes les grandes cons- tructions sont, ainsi qu’il vient d’être dit, figurés à une petite échelle. Leurs dimensions ne peuvent pas être utilement comparées à celles des autres éléments de la représen- tation. Au contraire, les objets, et surtout les instruments dont l’homme se sert dans la 1. Main du Christ (35 ; 71 B), main de l’officiant (177 E), main des fidèles qui suivent les prescriptions de l’Église (173 A). 2. De telles représentations sont fréquentes dans les manuscrits des Postilles sur l’Ancien Testament de Nicolas de Lyre, où sont figurés le mobilier et les objets du Temple, le chandelier à sept branches par exemple. 3. Le vase d’or, les pièces d’or, les étoffes et les fourrures pendues, le coffre, séparément ou ensemble, représentent les richesses (160, 161). Les opérations acquérir, garder jalousement, convoiter, voler etc. sont figurées à l’aide de ces objets. Antiochus ne tient qu’un calice pour signifier le pillage du temple de Nanaéa (41 ; 71 A ; p. 70). Dans le vitrail du mauvais riche de la cathédrale de Bourges, à la mort du riche un personnage emporte les étoffes suspendues au-dessus du lit ainsi qu’un vase d’or. 4. Villes (54, 56, 60, 64, 113, 126, 139...), églises et temples (41, 90, 116, 122, 176...), palais et maisons (40, 107...). ’
79 RELATIONS MAÎTRE - DISCIPLE Dimensions relatives des personnages Siècle Référence Maître Disciple XIe Fig. 4 Christ 1 0,41 fidèle Saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes (LI-C). Orléans, bibl. mun., ms. 46, fol. 1. Augustin 1 0, 80 saint moine écrivant sous dictée XIIe Fig. 14 Salomon 1 0, 24 (à droite de) 0, 19 (à gauche de) 0, 17 (à gauche de, de profil) Fig. 33 médecin 1 0, 19 préparateur assis 0,19 autre médecin 0, 14 préparateur debout Fig. 38 Salomon 1 0,17 1er disciple 0, 18 2ème disciple Fig. 34 enseignant 1 0,38 enseigné Fig. 45 Ézéchiel 1 0,66 peuple Fig. 56 Moïse 1 0,53 peuple Fig. 60 Pierre Lombard, Commentaires sur les Ëpïtres de Paul 1 0, 16 fidèle saint Paul* Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 77, fol. 1. Paul 1 0,40 clerc 0,24 fidèle 0,20 personnage extérieur Idem, fol. 204v. Paul 1 0,75 Timothée Idem, fol. 210v. Paul 1 0,81 évêque Fig. 64 Moïse 1 0, 57 peuple Fig. 75 Grammaire 1 0,23 enseigné XIIIe Gossuin de Metz, L'image du monde. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2200, fol. 57v. enseignant 1 0,52 enseigné Fig. 97 enseignant 1 0,88 enseigné Bible. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1185, fol. 237. prophète 1 0, 77 peuple Roman du Saint-Graal. Le Mans, bibl. mun., ms. 354, fol. 7v. prophète 1 0,43 peuple Avicenne, Canon de Médecine, Besançon, bibl. mun., ms. 457, fol. 365. médecin 1 0,36 préparateur Bible. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 15, fol. 253. Salomon 1 0,45 enseigné Bible. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1181, fol. 199. Salomon 1 0,73 enseigné XIVe XVe Bible historiale, Bibl. Mazarine, ms. 313. Barthélémy l’Anglais, Livre des propriétés des choses. enseignant 1 0,49 enseigné Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1028, fol. 122v. enseignant 1 0,67 enseigné Idem, fol. 395. enseignant 1 0,60 enseigné Grandes Chroniques de France. Toulouse, bibl. mun., ms. 512, fol. 78. Turpin 1 0,51 clerc écrivant sous dictée
80 vie pratique sont habituellement proportionnés à la taille de l’utilisateur. On a constaté que les personnages d’une scène de construction d’église avaient une taille symbolique (176; p. 73). Le sculpteur, le tailleur de pierre, le mortellier, le maçon et son aide emploient les outils adaptés à leurs activités. En prenant comme taille de référence de l’homme moyen 1,65 mètre, on arrive aux dimensions suivantes1 mortellier . houe .. . seau. . . . . fer manche . . L : 30 . L : 80 . H :20 1 :22 0:20 sculpteur . ciseau . . . L : 44 masse. . . tête .... . 0:13 L : 20 manche . . L : 25 tailleur de pierre laie . . . . fer . L :41 1 : 9 maçon règle .. . L :50 marteau manche . . L : 30 Les mesures faites dans une autre enluminure, représentant un pavement de rue et la construction d’un mur sur l’ordre de Philippe Auguste, aboutissent à des résultats aussi vraisemblables (167). Les personnages ont des dimensions relatives symboliques, correspondant à leur rang dans la hiérarchie sociale, roi 1 paveur 0,57 maçon 0,45 mais les outils sont proportionnés à ceux qui les utilisent. Pour enfoncer les pavés, 1 ouvrier se sert d’une hie dont la structure et la hauteur (1, 85 m) sont identiques à celles des hies encore en usage au début du XXe siècle. D’autres observations portant sur des documents antérieurs au XIVe siècle, conduisent à une conclusion générale. Si l’on écarte quelques cas particuliers, où l’objet chargé d’une valeur symbolique a des dimensions sans rapport direct avec la réalité, la grandeur de l’instrument est proportionnée à celle de son utilisateur. 1. Les dimensions sont exprimées en centimètres, ce qui évite la confusion avec les proportions des surfaces des éléments, établies par rapport à 1.
CHAPITRE VI LES SITUATIONS .. nnur désigner la localisation d’un élément figure, Nous réserverons le terme situationp langage verbal, cette situation s’exprime simple ou complexe, dans un ensemble. U terme situation a été préféré à à l’aide des adverbes et des prépositions ' d,une étymologie assez claire, d’autres, parce que moins utilisé, moins eq signifiante dans ia mesure où La situation d’un élément simp e f s’exprimer. S’il traduit fidèlement l’artiste utilise de fait un langage convent disposition des éléments figurés dans un texte en image, on ne peut attribuer reproduit une scène qui se déroule l’espace une signification symbolique origin Lon pour leur donner des significations, sous ses yeux, on ne peut prendre en cons & un jntérêt iconographique d’autant les répartitions des êtres. La situation de des apparences sensibles pour exprimer plus grand que le genre de figuration s e dier les vaieUrs des différentes situations l’intelligible. C’est pourquoi il est plus aise illustrations narratives de sujets où le dans des représentations thématiques que choses dans l’espace comme dans contenu du récit distribue déjà les personnages e letemPS' . oeut être déterminée par rapport à un espace La situation d’un élément figu P défini ou par rapport à un repère. spécifi<lues „„ Certaines structures déterminen & deux dimensions, peut correspondre particulières. La circonférence, représen a . .fication de la situation des éléments au cercle ou à la sphère, ce qui modi ie Paiphabet ont chacune leur forme. Les circonscrits (p. 83). Les différentes lettre des barres créent des espaces, parfois dispositions des panses, des hampes, des qu significations par les imagiers, cloisonnés, dont la répartition a été ennc fimage> des caractères propres à Il convient de tenir compte, dans a e exempie de l’incidence de l’insertion une forme, à un genre ou à une techniq > ecturale, du fait qu’un chapiteau est d’une représentation dans une structure arcm historié sur trois ou quatre côtés etc.
82 SITUATION DANS L’ESPACE dans un espace défini par rapport à un repère verticalité en haut à mi-hauteur en bas au-dessus de sur à la même hauteur que sous au-dessous de horizontalité latéralité à gauche au milieu à droite à gauche de au milieu de, entre à droite de profondeur devant sur le même plan que derrière distance à l'intérieur de à l'extérieur de à côté de près de loin de sécant SITUATION VERTICALE L’habitude de superposer les échelons des hiérarchies se traduit dans le langage courant par des oppositions de termes comme «plus haut-plus bas», «plus élevé — moins élevé», «supérieur-égal-inférieur». Le langage utilisé pour décrire le monde sensible est appliqué sans difficulté aux réalités spirituelles. On parle d’une «intelligence supérieure», des «plus hautes distinctions», et des «sentiments les plus bas». Dans l’expression verbale, le caractère insolite de ces images ne choque pas, parce que la transposition symbolique du sens figuré les a pratiquement vidées de toute évocation concrète. Au contraire, la représentation visuelle conserve aux situations dans la verti- calité la puissance de leur valeur réelle. Dans quelle mesure l’iconographie médiévale met-elle ces relations au service de l’expression des idées? La lisibilité d’une représentation suppose que soit conservé un certain équilibre entre ce qui est naturel, connu voire familier, d’une part, et les signes conventionnels et symboliques d’autre part. Le bouleversement complet des données de la perception aboutirait à un langage ésotérique, réservé aux initiés. Jusqu’au XIIIe siècle, l’iconogra- phie médiévale utilise comme moyen d’expression la situation dans la verticalité, mais en conservant ordinairement à ses dispositions, même arbitraires, un lien plus ou moins étroit avec l’organisation des choses. Elle accommode l’ordre du monde, mais en respectant ses données essentielles. C’est d’ailleurs la vraisemblance des situations dans la verticalité qui marquera les premiers pas du retour au réalisme.
83 SITUATION VERTICALE DANS UN ESPACE DEFINI La situation verticale d’un élément dans un espace défini s’exprime par les locutions en haut, à mi-hauteur, en bas. En règle générale, la situation verticale des êtres correspond à leur rang hiérarchique, en même temps qu’à l’ordre des choses, perçu ou pensé. Le ciel, Dieu, les anges sont situés en haut, le diable et tout ce qui est mauvais en bas. Les représentations inscrites dans des formes abstraites comme la circonférence appellent quelques remarques. L’Enfer et le Paradis ne sont pas situés de la même façon dans le monde figuré sous la forme de sphères concentriques et dans une carte de la terre circulaire et plane1. Dans le premier cas, Dieu trône à l’extérieur et au-dessus de l’univers. L’Enfer occupe le noyau de la terre, au centre du monde. Dans le second cas, la carte est orientée, le Paradis se situant à la partie supérieure, l’Enfer à la partie inférieure, et Jérusalem, nœud de l’histoire providentielle, au centre du cercle. La situation verticale dans un espace défini s’accompagne habituellement d’une relation avec un ou plusieurs autres éléments qui renforcent et précisent sa signification. SITUATION VERTICALE PAR RAPPORTA UN REPÈRE La situation verticale d’un élément par rapport à un autre considéré comme repère s’exprime par les termes au-dessus de, sur, à la même hauteur que, sous, au-dessous de. Au-dessus de, au-dessous de La situation d’un être au-dessous d’un autre marque son infériorité dans un ordre hiérarchique, la situation au-dessus, sa supériorité. La relation la plus simple et la plus courante marque la transcendance de Dieu par rapport à l’homme1 2. L’ange est au-dessus du saint (24). Celui qui détient le savoir et le pouvoir, le maître et le chef,est situé au-dessus des autres (33,38,82,84) ou, au moins, plus haut qu’eux (64). On pourrait multiplier indéfiniment les exemples de la supériorité de nature ou de valeur exprimée par la situation au-dessus de, plus haut que, dans l’imagerie des XIe, XIIe et même XIIIe siècles. La lettre historiée, et particulièrement le I, le L et le P, se prête à des super- positions éloquentes. Dieu s’adresse directement à Moïse dans le montant du L de Locutusque est Dominus ad Moysen (85 B). Il transmet l’inspiration à l’évangéliste par l’intermédiaire de son attribut dans le I de In principio erat Verbum (55 ; 85 C). Quelquefois ce ne sont pas trois mais quatre personnages que relient des phylactères descendants : Dieu transmet par son ange au prophète le message que celui-ci communique au peuple (54). Dans ces dernières images, les relations au-dessus de — 1. Comparer les représentations du monde dans Gossuin de Metz, La Mappemonde ou Le Miroir du Monde, fin XIIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 587, fol. 191 (93 F) et une illustration du même texte dans un manuscrit de 1277, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2200, fol. 115v, avec une carte de la terre du début du XIVe siècle (143 ; 93 G). 2. Cette relation est si fréquente qu’elle échappe souvent à l’attention (7,25,37;39,42,45,49,63...).
84 au-dessous de sont chargées de sens théologique. Salomon est au-dessus de ceux auxquels il enseigne la sagesse (38), le Juif de Jérusalem est au-dessus de son frère d’Egypte (41 ; p. 69). Sur—sous Un personnage posé sur un autre est directement en contact avec lui, alors que situé au-dessus il en était séparé. La relation est différente. La contiguïté a une signifi- cation. Ou bien elle correspond à un mouvement, à une pression exercée de haut en bas, ou bien à la prise d’appui d’un personnage. Dans le premier cas, à l’idée de supériorité s’ajoute celle d’une domination et d’une victoire du bien sur le mal. Cette situation de l’adversaire vaincu sur lequel Dieu ou les saints posent les pieds se rencontre aussi bien dans les scènes1 que dans les figures. Les personnages des lettres historiées ou des statues ont pour socle l’ennemi, à figure diabo- lique souvent, qu’ils ont combattu toute leur vie et dont ils ont triomphé2. L’exemple le plus connu, l’image de la Vierge écrasant la tête du dragon, n’est qu’un cas privilégié. Lorsque le personnage s’appuie sur un autre la signification est très différente. Saint Jean à califourchon sur les épaules d’Ézéchiel est l’image traditionnelle de l’évan- géliste du Nouveau Testament continuant l’œuvre du prophète de l’Ancien Testament mais qui, juché sur ses épaules, voit plus loin que lui (70; 85 A). Dans certaines lettres 1. Le prophète Zacharie, debout sur un diable cornu, reçoit d’un ange, sous la forme d’un phylactère, le message qu’il est chargé de transmettre (85 D). 2. Dans une sculpture de l’église de Villalcazar de Sirga (100), saint Michel est debout sur le dragon dont il a triomphé; au-dessous de lui, une femme couchée, la poitrine nue, représente la luxure égale- ment vaincue.- Dans la partie du Légendaire de Cîteaux du début du XIIe siècle, plusieurs saints sont figurés en présentation, debout sur des êtres diaboliques. Dijon, bibl. mun., ms. 641, fol. 11,20v, 37 ; ms. 642, fol. 57,88v. SITUATION VERTICALE A - Saint Jean juché sur les épaules d’Ézéchiel. Pierre Lombard, Commentaires sur les Psaumes,XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 56, fol. 77v. B - Dieu parle à Moïse. Initiale du Livre des Nombres. Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 14, fol. 53. La lettre L est allongée comme un I, la barre inférieure étant très courte. Cette forme a permis à l’imagier de mettre en évidence la transcendance divine tout en gardant à Moïse, debout et droit, une position hiératique. La vision vient du Très-Haut, ce que montre le mouvement de haut en bas. Moïse est séparé de Dieu par une boule de feu placée au sommet d’un arbre, dans laquelle il faut probablement voir une représentation du buisson ardent. La séparation, renforcée par un cloisonnement, souligne la transcendance divine (cf. p. 99). C - Saint Jean l’évangéliste. Bible de Manerius, seconde moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, fol. 191v. D - Zacharie debout sur un diable. Lettre historiée. Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 230v. Le prophète Zacharie, debout sur un diable, reçoit d’un ange, sous la forme d’un phylactère, le message qu’il est chargé de transmettre. E - Charlemagne et le pape Léon III. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 121v.
85 E (115)
86 historiées du XIIe siècle, un chevalier debout sur les épaules ou le dos d’un homme attaque un dragon1. Cela n’implique pas que celui qui le porte soit mauvais. Même s’il est au-dessous et plus petit, il lutte à son rang contre l’adversaire commun à tous les hommes. La situation au-dessous de, sous marque une infériorité. Mais le mot ne doit pas toujours être pris dans un sens négatif. Celui qui se prosterne devant Dieu ou son repré- sentant se met lui-même en état de soumission ; il reconnaît sa petitesse et adore le Tout-Puissant. Celui, qui, au contraire, est projeté et écrasé au sol par une force, bonne ou mauvaise, qui le terrasse, subit sa déchéance. Le rapprochement de deux lettres his- toriées de Moralia in Job du XIIe siècle (29, 30), permettra de comparer des situations d’infériorité dont les significations, clairement précisées par plusieurs signes, sont très différentes. Quamvis (29) Quod a me (30) situation ange constitue la forme circulaire de la lettre cheval manteau traverse la panse dans la panse moine en bas au-dessous de l’ange cavalier en bas sous les sabots du cheval dimension ange 1 cheval manteau 0,50) ! 0, 50) moine 0, 15 cavalier 0,25 position ange incliné vers cheval en extension tête tournée en arrière bouche ouverte moine corps allongé en équilibre tête levée de profil cavalier corps allongé en déséquilibre tête baissée de profil geste ange bénédiction présentation du livre cheval coups de sabot moine mains ouvertes presque jointes cavalier gestes désordonnés bras repliés jambes pliées 1. Un des exemples les plus célèbres illustre l’initiale du manuscrit des Moralia in Job de Grégoire le Grand, XIIe siecle, Dijon, bibl. mun., ms. 168, fol. 4v.
87 Le religieux prosterné a les mains ouvertes, presque jointes, à hauteur du pied de l’ange. C’est un geste d’accueil et de soumission volontaire1. Tout est ordre, harmonie et grâce dans cette représentation de l’humilité. Dans la représentation de l’orgueil tout est désordre et violence (p. 117; 30; 123 E). Le cavalier, désarçonné par son cheval fougueux, ayant perdu le manteau dans lequel il se drapait, est écrasé au sol dans une posture ridicule. A la même hauteur que Les personnages qui participent à une action commune marchent sur le même sol et se trouvent au même niveau, fait qui n’a rien de symbolique. La situation à la même hauteur que est signifiante à partir du moment seulement où le contexte de l’image la met en valeur. D’autres signes, comme les dimensions, les positions, les gestes, font de l’égalité relative des êtres une des significations principales de la représentation. Les personnes de la Trinité, le roi appelé à siéger à la droite de Dieu, le pape et l’empereur, sont assis sur un même trône ou banc pour marquer des égalités et des rapprochements de nature ou de dignité (115 ; 85 E ; p. 113). SITUATION VERTICALE DANS LES PROGRAMMES NARRATIFS ET THËMA TIQUES Les épisodes d’un récit se suivent de gauche à droite et de haut en bas. La lecture linéaire s’effectue comme celle d’un écrit. Une pleine page de la Bible d’Etienne Harding raconte ainsi toute l’histoire de David en 16 tableaux accompagnés de textes explicatifs2. Font exception à cet usage les programmes qui n’exposent pas seulement une suite de faits, réels ou imaginaires, mais lui donnent un sens religieux et moral. L’orientation verticale de la lecture de bas en haut peut être utilisée. On dit que les vitraux se lisent ordinairement de gauche à droite et de bas en haut. Ce qui est vrai. Mais si l’on y fait attention, les histoires que racontent ces vitraux sont souvent édifiantes autant que narratives. A Bourges, la parabole du Mauvais Riche et de Lazare, et celle de l’Enfant prodigue s’achèvent, pour le bon Lazare, dans le sein d’Abraham, pour le fils prodigue, par une réconciliation. Les vies des saints sont traitées comme des ascensions. Elles se terminent par l’apothéose du martyr et l’accueil dans le ciel. Il n’est pas possible de prendre en considération ici la relation entre les programmes iconographiques de vitraux, leurs significations et le sens de la lecture. Il s’agit d’une recherche spécifique. Mais des observations faites sur plus de cent grandes verrières du XIIIe siècle, d’Angers, de Bourges, de Chartres, de Clermont-Ferrand, du Mans, de Rouen, de la Sainte-Chapelle, de Sens et de Tours, inclinent à penser que la compo- sition verticale des grandes verrières est en relation avec la signification du programme3. L Dans une Bible de la fin du XIe siècle, Moïse allongé saisit de la main droite le pied de Dieu qu’il désigne de l’index de la main gauche (7). 2. Bible d’Ëtienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 13. 3. Le vitrail du Bon Samaritain de Sens et celui de Bourges se lisent de haut en bas. La parabole commence par «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho». A Sens, la Jérusalem céleste est figurée au sommet du vitrail.
88 SITUATION LATÉRALE Qu’il s’agisse d’édifices, comme les églises, ou de représentations plastiques, la détermination de la gauche et de la droite a posé plus de problèmes que l’interprétation de chacune de ces situations1. Doit-on choisir le point de vue de l’observateur? Doit- on se placer au point de vue de l’œuvre? Sans faire ici l’historique de la question, sans avoir recours aux textes des Pères et des théologiens, ni aux données de la physiologie, de la psychologie et de la sociologie, on étudiera le problème à partir du seul examen de la masse documentaire, soit d’un ensemble de représentations allant du XIe au XVe siècle. Il résulte des observations deux constatations. L’orientation de la gauche et de la droite n’est pas la même dans les images narratives que dans les images thématiques. Dans les images narratives, les épisodes se succèdent de gauche à droite;la lecture linéaire, traitant l’image comme un texte, parcourt un récit de l’avant à l’après. Dans les images thématiques, la pensée se développe autour d’un élément principal, habituelle- ment central. C’est par rapport à lui que l’on apprécie les situations à gauche de, à droite de. La détermination des situations dans la latéralité rejoint ici dans ses règles générales celle de la verticalité. Pour une plus grande clarté, et pour respecter les constructions iconographiques, on utilisera les termes en distinguant bien la situation dans un espace défini et la situation par rapport à un repère central : à gauche à droite à droite de au centre à gauche de SITUA TION LA TERALE DANS L TMA GE NARRA TIVE L’étude des éléments complexes a déjà montré l’importance de la disposition des groupes de personnages en séquences, constituant un enchaînement chronologique et logique (p. 63-66). Dans les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, une illustration montre, de gauche à droite : Charlemagne donnant un ordre — deux ouvriers montant des matériaux, ce qui signifie construire — une église, objet de l’ordre de la construction — la Vierge en l’honneur de laquelle cette église est édifiée (116). La suite des personnages et des éléments, comme la chaîne des termes du discours, raconte un événement qui se déroule dans un temps assez long. On peut décomposer de la même façon, en séparant les éléments de l’image, d’autres représentations. Dans une enluminure il est montré que : le roi (Clotaire II) donne l’ordre — de mesurer les enfants mâles (des Saxons) en prenant pour référence une (son) épée — et de tuer (ceux qui sont plus grands). Dans ce récit en images l’identité des personnages ne peut être fournie que par le texte, ainsi que certaines précisions, comme celles qui concernent la discrimination des enfants condamnés à mourir. Mais les phases essentielles de l’histoire sont juxtaposées dans leur ordre de succession, de gauche à droite (111). 1. Cf. D.A.C.L., art. Droit (côté), t. VI, col. 1547-1549 ; art. Gauche (côté), t. VI, col. 664.
89 SITUATION LATËRALE A SIGNIFICATION THËMA TIQUE Les images purement narratives sont assez rares, surtout avant le XIVe siècle. L’imagier interprète même quand il raconte. Son objectivité est inspirée par la fidélité aux valeurs, plus que par le respect des dispositions et des comportements concrets des êtres. Les représentations d’événements sont enrichies de signes que ne fournit pas le récit, ou qui en modifient le contenu. Il est délicat de prêter des intentions sans preuve formelle. La disposition latérale des personnages fait partie des relations dont la constance peut donner à croire qu’il s’agit de signes intentionnels. Les situations à droite de et à gauche de sont déterminées par rapport à une situation centrale privilégiée, souvent occupée parle personnage principal de la scène1. Les êtres situés à droite de ont une supériorité de valeur ou de rang hiérarchique sur ceux situés à gauche de. Telle est la conclusion à laquelle conduit l’examen d’une masse documentaire étendue. Cette règle peut être considérée comme universelle. Mais formulée de façon aussi simple et catégorique, elle risque de devenir un instrument de lecture fallacieux. La répartition latérale des personnages est importante. On insistera donc sur l’attention qu’il faut porter au contexte pour la bien apprécier. Nulle représentation ne respecte mieux cette disposition latérale que celle du Jugement dernier. Elle suit le texte de l’Ecriture : «... il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : venez les bénis de mon Père... Il dira à ceux qui seront à sa gauche : Allez loin de moi, maudits, au feu étemel... »(Mt. 25,33-34,41). Dans l’initiale du livre XI d’une Cité de Dieu du XIIe siècle, le Christ est debout, situé exactement dans l’axe central de la base de la lettre I (46). La main ouverte et accueillante, il tourne la tête et le buste vers les élus, la moitié inférieure de son corps restant de face, comme il convient à sa dignité. Le Christ Juge, au registre supérieur, et l’archange qui pèse les âmes occupent également l’axe vertical médian de l’image du Jugement dernier et de la Résurrection des morts dans le Psautier de Marguerite de Bourgogne (105). Les damnés situés à leur gauche, sont emmenés de force par des diables. Abel offre l’agneau du sacrifice à droite de l’autel, Caïn est situé à gauche de ( 144)1 2. Lorsque Pilate juge Jésus, il siège à gauche de3. Cette situation est rare pour les papes, les évêques, les rois, les juges et les maîtres, qui sont assis soit au centre soit àdroitede4. 1. Ce qui est vrai pour l’enluminure (2, 3, 14, 21,28, 35,45, 76...) l’est aussi pour d’autres formes d’expression. Cette situation est particulièrement intéressante pour l’interprétation des chapiteaux à trois faces, où la représentation centrale éclaire souvent le sens des faces latérales. 2. Initiale de la Genèse danslaBzôZe de Manerius, deuxième moitié du XIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 8, fol. 7v.- Initiale du Commentaire sur T Ancien Testament d’Origène, XIIe siècle, Saint-Omer, bibl. mun., ms. 34, fol. Iv. 3. Vitrail du Bon Samaritain, fin du XIIe siècle, cathédrale de Sens.- Psautier d’Ingeburge, XIIIe siècle, Chantilly, musée Condé, ms. 1695, fol. 55.- Vie de Jésus, en allemand, début du XVe siècle, Chantilly, musée Condé, ms. 1455, n° 27. 4. Lorsque le maître n’est pas assis au centre, il est assis à droite de, c’est-à-dire dans la situation qui met son rang en valeur (4, 33, 34, 56, 60, 64, 75, 97). Dans toutes les enluminures du Canon de Médecine d’Avicenne, XIIIe siècle, Besançon, bibl. mun., ms. 457, du Livre des Propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais, début du XVe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1028 ; dans les Bibles où les Épîtres de saint Paul sont illustrées par des scènes d’enseignement, Bible de Manerius, XIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, Bible historiale de Guyart Desmoulins, XIVe siècle, Soissons, bibl. mun., ms. 211 ; dans les illustrations des Commentaires sur les Ëpîtres de saint Paul de Pierre Lombard, XIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 77, le maître est toujours situé du «bon côté», à droite de.
90 Ceux qui font exception, comme Pilate, sont généralement des mauvais, tels le prince des diables qui reçoit l’hommage de Théophile (88)1 et Hérode donnant l’ordre de massacrer les Innocents. La distinction entre la lecture narrative à gauche, à droite, et la lecture thématique à gauche de, à droite de, éclaire probablement les deux formes de représentation de l’Église et de la Synagogue. L’Église est tantôt à droite, tantôt à gauche. Historiquement, la Synagogue, figure allégorique de l’Ancienne Loi, précède l’Église. Chronologiquement, elle se situe donc à gauche, pour celui qui regarde l’image. Dans les représentations théologiques, opposant l’excellence de l’Église à la cécité et à la défaillance de la Synagogue, les situations sont inversées. C’est la disposition normale dans les scènes où les deux femmes sont placées de chaque côté du Christ ; l’Église est à sa droite et la Synagogue à sa gauche (35)1 2. Lorsque l’Église et la Synagogue sont représentées seules, les deux dispositions sont possibles. L’une marque une relation d’antériorité et l’autre une relation de supériorité3. L’Êpître aux Hébreux de saint Paul n’est pas une lettre comme les autres. L’apôtre s’adresse aux Judéo-chrétiens et non aux jeunes communautés venues du paganisme. Il leur montre la misère du sacerdoce d’Aaron au regard de celui du Christ, il ouvre des yeux encore éblouis par les grandeurs de l’histoire d’Israël à des lumières nouvelles, par rapport auxquelles les précédentes n’étaient que des ombres. Il argumente, il discute, il exhorte. Cette finalité et cette forme de l’Êpître aux Hébreux se sont répercutées en échos diversifiés et originaux dans l’illustration des initiales historiées. Le tracé du M de Multifariam détermine deux champs verticaux parallèles. Les imagiers ont utilisé cette structure pour traduire soit des oppositions de valeur, soit la succession dans le temps. Dans une Bible du XIIIe siècle, saint Paul, situé à droite du montant médiant du M, brandit la croix;la Synagogue baisse une main et laisse échapper la Loi (81). Un Juif dolent a la même situation que la Synagogue dans une autre initiale (86). Lorsque l’Ancienne et la Nouvelle Loi s’affrontent dans une discussion, l’apôtre est situé après les représentants' du judaïsme, dans une image qui se lit de gauche à droite (61 )4. Il faut bien distinguer, en effet, les représentations de l’enseignement magistral de celles de la discussion (p. 170 et 54). Les unes soulignent la prééminence de l’autorité, les autres affrontent les adversaires en les situant sur le même plan. 1. Dans le même manuscrit, fol. 8v, Théophile remet le pacte au diable.- Même sujet dans un vitrail du XIII© siècle, cathédrale du’Mans (chapelle de la Vierge).- Hérode est représenté à gauche de dans le massacre des Innocents du Tropaire d'Autun,début du XIe siècle, bibl. de l’Arsenal, ms. 1169, fol. 15. Mais ce dernier sujet est souvent développé ; la scène se déroule sous forme narrative, de gauche à droite. C’est le cas dans le vitrail de la vie du Christ du porche royal de Chartres où elle occupe trois médaillons et dans des peintures murales du XIIe siècle, à Poncé-sur-Ie-Loir, et du XIIIe siècle, à Sargé- sur-Braye. Le récit est alors décomposé en deux ou trois phases où sont juxtaposés le commandement donné par le roi et l’exécution (cf. 116 et 111). 2. Liber Floridus, vers 1120, Gand, bibl. universitaire, ms. 92, fol. 253.-Missel, XIIe siècle, Tours, bibl. mun., ms. 193, fol. 71.- Pontifical, début XIIIe siècle, Montpellier, bibl. de la faculté de médecine, ms. 399, fol. 108.- Vitrail de F Alliance, vers 1215, cathédrale de Bourges.- Vitrail, vers 1230, cathé- drale de Rouen.- Graduel, fin XVe siècle, Munich, Staatsbibliothek, ms. lat. 23041, fol. 18 Iv. 3. Exemple d’antériorité : Bible historiée, fin XIIe siècle, Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 193.- Pierre Lombard, Sentences, XIIe siècle, Troyes, bibl. mun., ms. 900, fol. 3. Exemple de supériorité, Sacramentaire, XIVe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 103, fol. 121v. 4. Cf. p. 54. Autres exemples : Pierre Lombard, Commentaires sur les Ëpîtres de saint Paul, XIIe siècle bibl. Sainte-Geneviève, ms. 77, fol. 2 15v;P<mtilles sur les Ëpîtres de saint Paul, XIVe siècle, bibl. Maza- rine, ms. 168, fol. 87v.
91 Dans tous les exemples présentés, les personnages qui occupaient des situations latérales signifiantes avaient une identité caractéristique, signifiée par des attributs et des comportements. La situation latérale renforçait un sens dont elle n’était pas la seule forme d’expression. L’interprétation était donc guidée par un contexte signifiant. La nature de la représentation, suggérée par le texte illustré et par la composition générale de la représentation, offrait à la lecture des garanties de vraisemblance. Mais cette convergence de signes fait quelquefois défaut, et certains caractères de l’image peuvent opposer des incompatibilités à la lecture thématique de la situation latérale. Lorsqu’un personnage central est entouré, au même niveau ou à un niveau inférieur, par plusieurs personnages de moindres dimensions, faisant des gestes identiques, occupés dans une même activité, il n’y a pas lieu d’établir entre eux une hiérarchie. Les deux petits personnages qui écrivent de part et d’autre de saint Grégoire, assis à ses pieds, ne présentent aucun trait distinctif qui permette de les différencier (28 ; p. 150)1. Lorsque Salomon, au contraire, communique la sagesse sous la forme symbolique d’un long phylactère, le personnage situé à sa droite, seul et assis sur un siège, est plus grand que le groupe placé à sa gauche (14). La condition de l’un est donc supérieure à celle des autres. Le cas de la représentation de la divinité est particulier. Située au-dessus, dans le ciel, elle échappe à la comparaison au plan de la situation latérale, ou du moins aux règles précisant les significations des êtres selon leur emplacement à un même niveau. Dieu, figuré dans la nuée, occupe une situation latérale en rapport avec les exigences de la scène, comme si la transcendance divine, à laquelle est réservée la situation verticale la plus haute, n’avait besoin d’aucune relation latérale signifiante. On peut noter cependant que la manifestation divine est située le plus fréquemment au milieu ou à droite (89, 144). INTERIORITE - EXTERIORITE - DISTANCE La distribution des éléments figurés dans l’espace ne s’apprécie pas seulement en termes de verticalité et d’horizontalité. Les situations relatives des formes considérées comme entités signifiantes, en particulier des personnages, relèvent d’une analyse et d’une interprétation différentes. L’inclusion d’une figure dans une autre, les franchisse- ments artificiels de limites, les séparations et les éloignements s’expriment par les termes à l’intérieur de sécant à l’extérieur de contigu rapproché séparé - éloigné 1. Même remarque pour les anges situés de chaque côté de Dieu et les Juifs groupés autour du pro- phète Ézéchiel (45).
92 SITUA TION INTERIEURE Lorsqu’un élément est représenté en superposition à l’intérieur d’une autre figure, sans qu’un lien de nature ou de fonction justifie une telle situation, cette inclusion conventionnelle, surtout si elle est soulignée par une forme géométrique, marque une relation d’identification. L’Évangile de Jean commence par une affirmation théologique : In principio erat Verbum et Verbum erat apud Deum. L’enlumineur qui a illustré l’initiale de la Bible de Saint-Bénigne de Dijon traduit cet énoncé d’une façon simple et claire : un médaillon circulaire, portant l’effigie du Christ en majesté, est superposé à Dieu le Père, également en majesté (37 ; 93 B). La situation intérieure aune portée ontologique : le Verbe existe en Dieu. Le même procédé est utilisé par l’illustrateur de Moralia in Job du XIIe siècle, qui place Job dans un médaillon que la Vierge tient devant elle (93 A). Deux glaives se croisent devant la poitrine de celui qui souffre persécution, ceux-là mêmes qui signifient, dans d’autres images, les douleurs de Marie, et font de Job, selon le texte de saint Grégoire, la préfigure du Christ souffrant. Dans un manuscrit à peine antérieur, au-dessus de saint Matthieu écrivant son Évangile, une femme, la Vierge, et un homme, probablement Zacharie, tiennent des médaillons où sont figurés Jésus, reconnaissable à son nimbe crucifère, et Jean-Baptiste. Jésus est le fils de Marie, Jean-Baptiste le fils de Zacharie. La relation à l’intérieur de signifie ici la relation parentale (93 E). SITUATION INTÉRIEURE A - La Vierge présentant un médaillon où est figuré Job. Saint Grégoire, Moralia in Job,XW siècle. Saint-Omer, bibl. mun., ms. 12, t. II, fol. 84v. B - Le Verbe dans le sein du Père. Initiale de l’Évangile de Jean. Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 442v. C - Dans le sein d’Abraham. Initiale du premier Livre des Chroniques. Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 332v. Le premier Livre des Chroniques commence par une liste de noms : Adam, Seth, Énoch... L’initiale A est illustrée par un vieillard barbu, auréolé, en majesté. Il tient dans son sein, selon la formule de la parabole de Lazare et du Mauvais Riche, les âmes des élus. L’appellation traditionnelle de cette représentation est «dansle sein d’Abraham». D - Un faux sage. Initiale de l’Épître aux Romains. Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1180, fol. 334v. E - Parents et enfants. Évangiles d'Hénin-Liétard,milieu du XIIe siècle. Boulogne-sur-Mer,bibl. mun.,ms. 14,1.1, fol.22v. F - Dieu, le monde et l’Enfer. Gossuin de Metz, La Mappemonde ou Le Miroir du Monde, fin du XIIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 577, fol. 191. G - Carte de la terre. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, vers 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 274v.
93
94 L’ensemble des illustrations des Epîtres de saint Paul d’une Bible de la fin du XIIIe siècle, présente une originalité et un intérêt exceptionnels1. L’exécution en est malheureusement médiocre et la lecture difficile. Le plus souvent il s’agit non de la représentation d’un événement, d’un épisode de la vie de Paul par exemple, mais d’un développement thématique de la prédication de l’apôtre. L’initiale de l’Epître aux Romains offre un exemple original de situation à l’intérieur de (80; 93 D). Sa signifi- cation se comprendra mieux si l’illustration est éclairée par le texte. Saint Paul s’élève contre les hommes, les Juifs, qui «se prétendant sages sont devenus fous, et ils ont échangé la gloire du Dieu incorruptible pour des images représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles» (Rom. 1, 22-23). Plus loin il précise : «Leurs femmes, en effet, ont échangé les relations naturelles pour celles qui sont contre nature, et pareillement les hommes, abandonnant les relations natu- relles avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres » (Rom. 1,26-27). L’initiale du manuscrit 1180 contient deux personnages debout, en présentation plutôt qu’en scène. L’un, dont le caractère juif s’identifie par le chapeau pointu qu’il porte, fait d’une main le geste du détenteur de l’autorité, le doigt pointé «ils se pré- tendent sages». Sur l’autre main, recouverte du pan de son habit en signe de respect, il porte un bouc, quadrupède qui symbolise la lubricité en même temps que l’idolâtrie. Le second personnage tient sur la poitrine, on devrait dire dans la poitrine, un panneau peint ou plutôt une niche ouvrante. L’idole figurée est un buste nu, de femme proba- blement. Est-ce là une façon de traduire «l’homme corruptible», et étant donné la situation de cette figuration, la transformation de l’homme «abandonnant les relations naturelles», s’identifiant avec la femme idole? La main qu’il pose sous le coude de l’autre homme et les regards qu’ils échangent semblent exprimer ce comportement. L’examen des autres initiales du manuscrit confirme que l’interprétation de cette illustration est vraisemblable tant chaque image est traitée, en rapport étroit avec le texte, d’une façon forte, et dans un langage iconographique précis et rigoureux. Les représentations de bienheureux dites «dans le sein d’Abraham» incluent, mais sans les circonscrire par un tracé géométrique, un ou plusieurs personnages dans l’effigie du patriarche. Dans l’illustration du premier Livre des Chroniques de la Bible de Saint- Bénigne de Dijon, ils sont nombreux, parce que le texte est celui d’une généalogie (93 C). Au sommet du vitrail du Mauvais Riche, à Bourges, il n’y en a qu’un, le pauvre Lazare2. L’initiale du Cantique des Cantiques de la même Bible, pose un problème (35). Un petit personnage situé au milieu de l’image, sur le Christ enseignant, entre l’Eglise et la Synagogue, ne peut être identifié ni à partir du texte, ni par comparaison avec d’autres figurations du même sujet. Tout au plus la tradition autorise-t-elle à penser que cette illustration du Cantique est faite de variations sur le thème de l’époux et de l’épouse. Il reste, à défaut d’attributs, à interpréter la présence et la signification de cette figure en fonction de sa situation, de sa position et de ses gestes. 1. Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1180. Y*lraü du Mauvais Riche, XIIIe siècle, cathédrale de Bourges. Dans une sculpture du porche ouest k "J61116 cathédrale, Abraham porte 4 personnages. Dans la Bible de Souvigny, les élus dans le sein nromiî a? constituent une véritable multitude (p. 106) : deux personnages sont figurés en entier, au mun ms] fol 255v ’ d°nt Certaines sont à peine esquissées, expriment la quantité. Moulins, bibl.
95 Située à l’intérieur de l’effigie du Christ enseignant, elle est également placée, mais debout, sur le diamètre vertical du O, sa main droite étant au centre de la circonférence imparfaitement dessinée par le tracé de la lettre. Cette main reproduit exactement le geste de l’Eglise, située à droite du Christ. L’une et l’autre montrent le Christ. De sa main gauche le personnage central pointe l’index comme s’il faisait le geste de l’ordre, de l’enseignement qui a autorité. Il imite ainsi, compte tenu de la différence de nature, le geste que fait le Christ de sa main droite. Peut-on donner une signification au fait qu’il pose son pied gauche sur celui du Christ ? Cette relation signifie-t-elle une adhésion, le choix d’une appartenance? C’est possible (p. 232). Il n’est pas nécessaire de l’affirmer pour comprendre l’image. Les relations précédemment identifiées conduisent à voir dans ce petit personnage l’être humain qui, grâce à l’Eglise, s’établit dans le Christ, par obéissance et imitation, l’âme qui devient l’épouse du Christ. Lorsque la fille de Pharaon, dans une lettre historiée du même manuscrit, présente Moïse à son père, elle le tient devant elle de telle sorte qu’il s’inscrit sur son corps, comme le petit personnage dont il vient d’être question sur le Christ en majesté (203 F). Cette situation signifie l’adoption et la protection. La situation intérieure d’une figure, dans le sens où cette notion a été définie et appliquée à l’étude de quelques exemples, exprime un lien profond entre les êtres : coétemité des personnes divines, relation d’appartenance physique ou morale, prise en charge et protection. Il ne faut pas la confondre avec la localisation d’un élément dans une structure géométrique, signifiante elle aussi, mais d’une autre façon, car il s’agit d’un emplacement signifiant qui n’implique pas de lien de personne à personne (p. 59-63). SITUA TION SÉCANTE Lorsque l’image a une forme nettement définie par un tracé qui circonscrit un champ illustré, le cadre peut en être franchi partiellement par un élément ou un groupe d’éléments. Ce dépassement de la limite est fréquent dans les enluminures des XIIe et XIIIe siècles, sous la forme de pieds qui sortent, d’extrémités d’objets qui entament fort librement les frontières de l’image. Assez rarement, des éléments plus importants, par la dimension et la signification, sont figurés en partie à l’extérieur, en partie à l’intérieur du champ circonscrit. Cette situation, que l’on appellera sécante, a-t-elle valeur de signe ? L’explication esthétique s’impose pour les dépassements infimes et nombreux, qui se répètent de façon systématique, d’éléments de moindre intérêt pour le sens général de l’image. L’extrémité des pieds, la pointe des armes, le fuseau d’une quenouille, rompent la rigidité monotone du cadre pour le seul plaisir de l’œil, semble-t-il. Mais il est d’autres cas où l’étude attentive, les rapprochements et les comparaisons incitent à prendre en compte la situation sécante d’éléments figurés pour aboutir à une lecture correcte et à une interprétation complète de l’image. Les enluminures des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis offrent les deux types de situation sécante. Dans la plupart des images, les pieds des personnages dépas- sent le cadre, les extrémités des lances et des épées mordent sur les lignes et les bordures ornées. Mais ces brisures effleurent les marges sans affecter le sens de l’image (114 ; 97 A)1. 1. Voir aussi(108, 111,112, 115, 118, 119...).
96 Plus prononcés, sans toutefois présenter la netteté et l’importance de ceux que l’on étudiera ensuite, trois dépassements constituent des formes intermédiaires délicates à interpréter. Lorsque Pâris vient plier le genou devant Priam pour recevoir ses ordres, son pied gauche est situé à l’extérieur de l’édifice évoqué par un arc et l’ébauche d’une colonne qui se confond avec le cloisonnement de l’enluminure (107)1. Peut-on dire que cette situation sécante est signifiante et marque le passage d’un lieu dans un autre? 11 serait audacieux de l’affirmer. Dans deux scènes différentes, un pape sacre un monarque. Lorsque Étienne II pose la couronne sur la tête de Pépin le Bref, sa tiare coupe nettement le cadre orné (114; 97 B). Lorsque Léon 111 fait Charlemagne empe- reur, un arc brisé, enclavé dans la bordure, cerne le dépassement de sa tiare, augmentant l’impression de sa grandeur (115 ; 97 C). En marquant par ces situations partiellement sécantes la taille plus élevée des pontifes, l’imagier a-t-il voulu souligner leur supériorité? C’est possible. Dans quatre scènes, l’importance du déplacement des personnages est renforcée par des dépassements de cadre. L’armée des Normands qui atteint la porte d’une ville vient de loin : alors que l’élément d’architecture et les cinq guerriers représentant la troupe sont figurés dans le champ déterminé par le tracé de la lettre M, la croupe du cheval est encore à l’extérieur (123 ; 97 D). La défaite des Normands devant l’armée de Richard, duc de Bourgogne, tourne à la déroute et à la fuite éperdue : les chevaux fran- chissent les montants d’un autre M initial (125 ; 97 E). La même situation sécante d’un cheval qui sort de la lettre historiée se retrouve dans une scène qu’Amédée Boinet inter- prète comme une simple promenade, alors qu’il s’agit en fait d’une fuite pour échapper à la prison (126; 97 F;p. 152). Dans une dernière initiale, les chevaux en situation sécante n’ont que la tête et le poitrail à l’intérieur du champ illustré (133;97 G; p. 129). Le roi Henri 1er arrive à Fécamp;il vient chercher refuge et aide auprès de Robert le Diable. Il semble que la situation sécante ne soit pas un fait de hasard ou un artifice de style, mais qu’elle ait ici une signification précise. Dans ces quatre cas elle correspond aux autres données de la représentation, confirmées par le texte. Il s’agit deux fois de personnages qui, venant de loin, arrivent dans un lieu, et deux fois d’un éloignement sous forme de fuite précipitée. 1. Même situation sécante de la jambe lorsque le moine vient offrir son livre au roi (106). SITUATION SÉCANTE Tous les dessins reproduisent des parties d’enluminures du même manuscrit : Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, vers 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782. A - Carioman, fils de Charles Martel, se retire au mont Soracte (fol. 107 bas). B - Le pape couronne Pépin le Bref (fol. 107 haut). C - Le pape couronne Charlemagne (fol. 121v haut). D - Les Normands arrivent devant une ville (fol. 208v). E - Fuite de l’armée normande devant le duc Richard (fol. 209). F - Le fils de Charles III le Simple fuit une ville (fol. 21 Iv). G - Arrivée de Henri 1er à Fécamp (fol. 224v).
F (126) G (133)
98 Cette interprétation ne paraît ni insolite ni forcée si l’on se reporte au procédé , très courant du franchissement d’une limite figurative, de forme conventionnelle, comme signe d’une arrivée, d’un départ, d’une prise de ville, d’une expulsion, bref d’un mouvement avec changement de lieu. Les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis offrent plusieurs exemples de telles figurations (113, 130, 139). Qu’il s’agisse de la porte d’une ville ou d’une fenêtre, la situation sécante a toujours un sens fort. Pour s’arracher à la promiscuité dangereuse de ceux qui commettent l’iniquité, un grand personnage figurant le juste franchit le seuil de l’édifice où se déroulent des scènes condamnables (1 ;p. 244). La porte constitue le montant de la lettre E. Lorsque les moines de Tours enlèvent le corps de saint Martin à ceux de Poitiers, ils le font passer à travers une fenêtre dont on ne voit que le cadre, le mur n’étant pas matérialisé1. De l’expulsion d’Adam et Ève du Paradis terrestre à la fuite de David poussé par Mikal, dans les illustrations hagiographiques et historiques, les exemples ne manquent pas. Une translation de saint Julien, tardive puisque le manuscrit est de la fin du XVe siècle, est encore plus parlante (179). SITUATION EXTERIEURE - DISTANCE L’extériorité des êtres les uns par rapport aux autres est un caractère normal, commun à toutes les personnes, à tous les objets. Ils se juxtaposent dans les représen- tations comme dans la vie selon des nécessités physiques et logiques. Il n’y a pas lieu de traiter de ces situations comme de faits de langage. Mais si l’extériorité en tant que telle n’est qu’un corollaire de la différenciation des êtres, leur rapprochement et leur éloignement peuvent prendre valeur de signification. Dans l’iconographie médiévale, la séparation, la proximité et la contiguïté signifient plus qu’une distance physique. Ces situations, utilisées comme procédés d’expression, relèvent donc de l’étude du langage. Eloignement Les personnages occupent la plus grande superficie des images, surtout aux XIe et XIIe siècles. L’écart qui les sépare les uns des autres ne peut donc être que de petite dimension. S’il a son importance, l’éloignement est souvent matérialisé, par des formes signifiantes ou non signifiantes. Car c’est la séparation elle-même plus que la distance physique, qui a valeur de symbole. î séparation par la distance L’individu isolé par rapport à un groupe a une personnalité qui, en bien ou en mal, et quelle que soit sa situation dans une hiérarchie, joue un rôle déterminant pour la signification globale de l’image. Chef militaire ou religieux, maître qui enseigne ou criminel que l’on présente au juge, le personnage séparé donne la clé de la représentation. Moïse se détache en tête du groupe des Israélites qu’il fait sortir d’Egypte (173 B, 173 D). Lorsqu’il s’adresse au peuple, dans le H initial du Deutéronome, il lui fait face 1 Missel de Tours, XIIe siècle. Tours, bibl. mun., ms. 193 (245 D).- Vitrail du XIVe siècle, cathédrale rl p loiirc ’
99 à une certaine distance. Le contraste entre sa situation isolée et le groupement de la foule, déjà sensible dans la Bible deManerius l’est plus encore dans la Bible de Souvigny (64; 105 A). Dans la Bible de Sens, Moïse est loin du groupe dont Aaron se détache légèrement. Comme la dimension, la distance sépare le maître des disciples (4, 60, 97...). Des illustrations d’autres thèmes utilisent le même procédé. La séparation des personnages qui ont des activités particulières, rend plus claire et facile la lecture de l’image. Dans une vignette illustrant une Chronique, «le roi donne l’ordre —de paver les rues-et de construire un mur autour de» (167). Si le lieu et les personnes ne sont pas identifiables sans le recours au texte, les significations thématiques ne prêtent pas à équivoque. La Convoitise et l’Envie désirent des objets qu’elles ne possèdent pas, donc qui se trouvent loin d’elles. Cette distance est fortement marquée dans les allégories d’un Roman de la Rose alors que l’Avarice, en possession de son bien, est tout près des objets qui symbolisent la richesse et touche son or (160-162). éloignement par une séparation matérialisée L’éloignement est souvent renforcé par la matérialisation de l’appartenance des personnes à des espaces différents. Ce procédé permet de créer des oppositions et des contrastes éloquents à l’aide de moyens réduits. Il ne faut cependant pas confondre ces situations signifiantes avec les répartitions de figures dans des structures géomé- triques et dans les parties des lettres historiées, inspirées par des motivations esthétiques ou dues à de simples commodités. Les relations gestuelles et les positions permettent la plupart du temps de faire la distinction. Les tracés des éléments séparateurs sont de deux sortes : les uns purement formels et décoratifs, n’ont pas de signification en dehors de leur pouvoir d’exclusion ; les autres par nature signifiants, peuvent indiquer en même temps que la distance la nature et les circonstances de l’éloignement. séparation matérialisée par une forme non signifiante Par forme et structure non signifiantes, on entend les lignes et surfaces qui, résultant d’une création conventionnelle, ne figurent ni un objet ni un être animé identifiables, et n’ont aucun sens symbolique particulier. Le tracé d’une lettre, d’une forme géométrique, d’un élément décoratif, un fond conventionnel déterminent de telles formes non signifiantes. le tracé d’une lettre Les structures des différentes lettres de l’alphabet offrent aux imagiers des champs juxtaposés ou superposés, des hampes, des hastes, des jambes ou montants qui constituent des surfaces distinctes et des cloisonnements. Ils les utilisent pour séparer, isoler les personnages et les scènes. Il est impossible d’entrer ici dans les utilisations particulières à chacune de ces lettres. On se limitera à quelques remarques générales. La division horizontale d’une surface par un tracé ajoute une séparation matérielle à la supériorité marquée par la situation plus haute d’un personnage ou d’une scène. Les deux barres obliques du M de Miserere mei Deus, isolent comme dans un cadre le Dieu transcendant vers lequel monte la prière des religieux (68). Le S de Salvum me fac
100 permet le même éloignement (155 C)1. David pénitent et Dieu en majesté représentés sur le même fond sont néanmoins situés dans deux champs différents, circonscrits dans la boucle inférieure et la boucle supérieure de l’initiale. Lorsque l’illustrateur brise le tracé de la lettre, il marque la transcendance en séparant par un autre procédé la figure divine, comme un feston dans le ciel. Dans un A initial de^lcZ te, Domine, levavi animam meam, Dieu en majesté est séparé de la scène d’offrande à laquelle il se superpose par la barre horizontale du A et par le feston du ciel1 2. Dans toutes ces représentations, la matérialisation de la séparation s’ajoute à la distance et à la situation haute pour signifier la transcendance. La Causa III du Décret de Gratien fait porter une accusation contre un évêque, devant un juge de moralité douteuse criminoso judicf par deux hommes infâmes qui produisent des témoins de leur entourage proche et d’autres d’une province extérieure. Certains accusateurs ne se présentent pas à l’audience et se contentent d’adresser une lettre à charge. Cette scène est illustrée dans l’initiale d’un manuscrit du XIIe siècle3. A l’intérieur de la panse de la lettre Q, le mauvais évêque qui juge (il est assis à gauche de) écoute les deux accusateurs et les témoins qu’ils produisent. Mais ceux qui envoient une lettre d’accusation, sous la forme d’un phylactère qui monte vers le juge, sont situés à l’extérieur du tracé de la panse. D’une façon générale, les personnages qui adressent un message sont séparés de leurs destinataires lointains par le tracé normal de la lettre historiée ou par un cloison- nement ajouté. Dans les initiales des Ëpîtres de la Bible de Manerius, saint Paul est situé à l’exté- rieur et séparé de plusieurs façons. Il est figuré soit dans la hampe du P et les membres de l’Eglise à laquelle il s’adresse sont inclus dans la panse de la lettre, soit dans la panse mais à l’extérieur d’un édifice ou d’une ville peuplée de ses habitants4. une forme géométrique Les cloisonnements et autres tracés géométriques ne divisent pas au hasard les représentations médiévales. Certes ils sont disposés selon les exigences de l’esthétique, mais les espaces qu’ils déterminent sont créés ou utilisés pour la signification. Le I ini- tial d’une Cité de Dieu réunit plusieurs formes différentes d’un tel emploi (46). A la partie supérieure, une femme en majesté, tenant un immense phylactère, est située sur le diamètre vertical d’une circonférence. Ce cercle, qui l’isole des autres éléments figurés, est en même temps le symbole de la plénitude et de la perfection. D’épais traits horizon- taux, dans lesquels sont écrites les indications sur les scènes et les personnages figurés, séparent les groupes de saints du Paradis. Des demi-cercles, échelonnés verticalement, contiennent neuf représentations d’anges - est-ce une façon symbolique d’évoquer les neuf chœurs des anges? — qui encadrent ce Paradis. Dans un demi-cercle un peu plus grand et entouré de flammes, situé plus bas, un petit diable tire sur une chaîne et traîne les damnés vers l’Enfer. Un grand diable est étalé prisonnier sous le pied de la lettre. 1. Psaume 68. Même composition dans de nombreuses Bibles des XIIe et XIIIe siècles, comme Bible, XIIIe siècle, Le Mans, bibl. mun., ms. 262, t. IV, fol. 14. 2. Psaume 24. Graduel, XIVe siècle. Laon, bibl. mun., ms. 240. 3. Décret de Gratien, fin du XIIe siècle. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, ms. Clm. 17161, fol. 61. 4. Bible de Manerius, XIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10. Paul dans la hampe : fol. 247v, 265, 271, 28 Iv, 283v, 287v. Paul dans la panse, les membres de l’Église dans l’édifice ou la ville : fol. 277, 279v (60), 290v.
101 La situation marginale de certains diables mérite une attention plus minutieuse. Dans un autre Jugement dernier, des diables, situés à l’extérieur du cadre géométrique de la pleine page illustrée, tirent également les réprouvés comme s’ils voulaient les faire sortir de l’espace où résident Dieu, ses anges et les élus ( 105). Le Satan qui éprouve Job, dans l’initiale de la Bible de Saint-Bénigne de Dijon, vient de l’extérieur de la lettre dont il chevauche le tracé1. Dans l’initiale du Livre de Job delaÆzh/e de Manerius, Dieu et le diable, qui interviennent de l’extérieur dans les affaires et les problèmes humains, sont situés dans des espaces extérieurs au champ de la lettre, Dieu en haut et le diable en bas (58). Dans la Bible de Souvigny, le diable situé également en bas est debout à l’exté- rieur de la lettre, par dessus le tracé de laquelle il se penche pour tourmenter Job (62). Un cloisonnement vertical et horizontal sépare les cases rectangulaires où se répar- tissent, trois par trois, les confesseurs, les vierges, les apôtres, les martyrs, les patriarches et les prophètes, au-dessus du lit où repose le corps de saint Orner entouré de ses religieux, au-dessous de la mandorle, portée par des anges, qui renferme son âme1 2. Certains cloisonnements séparent des scènes juxtaposées, qui se complètent pour former une histoire, mais sans avoir d’incidence de signification l’une sur l’autre3. un élément décoratif Les éléments décoratifs jouent éventuellement le même rôle que les tracés géomé- triques : ils circonscrivent et délimitent des espaces qui isolent les personnages. Dans une Bible du XIIe siècle, Dieu et le prophète Ezéchiel sont ainsi entourés par une arabesque de rinceaux, dont l’extrémité intérieure leur sert de siège (45). Dans ce cas précis, on peut se demander si la spirale, harmonieuse et parfaite comme un cercle,n’a pas la valeur symbolique de cette forme géométrique. L’initiale de l’Evangile de Jean de la Bible de Saint-Bénigne, est parcourue par un ruban décoratif grimpant, qui se croise et forme des espaces où se superposent l’évangéliste et Dieu (37). Ces cadres ne font qu’accuser la séparation déjà déterminée par la distance et surtout parles situations verticales des personnages. Le contraste des positions oppose ces deux figures autant que les autres relations. un fond conventionnel L’inclusion d’un élément figuré dans un fond différent de celui du reste de l’image matérialise l’écart qui sépare l’être ainsi circonscrit des autres éléments de la représentation. Un fond se distingue par sa nature, par sa couleur ou par son dessin. L’appartenance à une autre condition, à un autre ordre de valeur ou à un autre monde, des éléments situés dans des fonds conventionnels différents, s’apprécie en fonction du contexte. La couleur qui particularise un fond ne fait souvent que compléter et rehausser le dessin d’un cadre, lorsque le personnage est représenté dans une lettre ou partie de lettre. Le roi qui commande le massacre des Juifs, dans le F initial du second Livre des Macchabées de la Bible d’Etienne Harding (15), la reine Esther debout de face dans le I, à la droite du roi (44), se détachent bien sur la surface colorée du signe alphabétique. 1. Bible de Saint-Bénigne, XIIe siècle, Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 235v. 2. Vie de saint Orner, fin du XIe siècle. Saint-Omer, bibl. mun., ms. 268, fol. 26. 3. Voir l’histoire de Paris et d’Hélène (107), mais deux des scènes se passant dans un intérieur sont encadrées par des éléments d’architecture ; les quatre scènes de l’histoire de David :1a panse du B de Beatus vir est partagée par un cloisonnement en croix (98).
102 Le fond conventionnel distinct isole de l’environnement les objets des visions et des apparitions. Les têtes du Tétramorphe se manifestent à Ezéchiel endormi sur un fond qui diffère de celui de la lettre par la couleur, par la forme et le dessin du quadril- lage (78). Parmi les représentations de Job dites «sur son fumier», celles du XIIe, du XIIIe et même du XIVe siècle, ont pour particularité, quelquefois, de ne représenter aucune matière putride. L’homme qui endure avec persévérance les souffrances providentielles est simplement allongé sur un fond uniforme qui le sépare de ceux qui l’entourent. Dans la Bible de Souvigny, Job repose sur une forme ovoïde, assez proche de la mandorle, dont la couleur bleu foncé se découpe sur les ors du reste de la lettre (62). Le dessin de sa couche, si l’on peut utiliser ce terme, est presque identique à celui du fond sur lequel dort le prophète Isaïe, dans le même manuscrit1. Il est courant que le juge, ou l'évêque qui en remplit la fonction, soit figuré sur un fond différent, par le dessin et la couleur, de celui sur lequel sont présentées les parties ( 157)1 2. séparation matérialisée par un élément signifiant Dans la réalité, le ciel, la terre et l’eau sont des espaces spécifiques, habités par des êtres adaptés à leurs propriétés. Par destination, une haie, une palissade et une muraille séparent deux espaces, une porte et une fenêtre permettent le passage d’un lieu dans un autre, une tenture partage une salle. Pour que ces éléments naturels et fabriqués gardent dans les représentations leurs caractères et leur signification, il faut qu’ils s’insèrent dans un ensemble cohérent. Figurés séparément, simplifiés comme des hiéroglyphes, ils deviennent des symboles. Devenus des idéogrammes du langage iconographique, ils ne gardent de leurs propriétés spaciales que la fonction de séparation. élément de nature Le feston qui dessine le ciel dans l’initiale du Cantique des Cantiques de la Bible de Souvigny n’a rien de commun avec les formes que peuvent dessiner les nuages au-dessus de nos têtes, ni même avec les arabesques décoratives de beaucoup d’autres schématisations médiévales (63). La différence des fonds, or en haut et bleu en bas, le contraste des situations et des positions séparent les deux espaces et les deux êtres, Dieu et l’Eglise, entre lesquels cette manière de ciel forme un arc parfait. Mais ce genre de représentation est assez exceptionnel. Quelques lignes ondulées suffisent habituel- lement à isoler l’espace céleste (48). Non moins insolite, un médaillon de la Bible moralisée de Vienne utilise une circonférence d’eau pour enfermer les hommes porteurs d’argent et les sirènes luxurieuses3. Pour comprendre l’image, il faut se reporter au texte. Ce médaillon est le commentaire de la séparation de la Mer rouge par Moïse, interprétée comme l’action par laquelle les bons prélats protègent les âmes des tentations d’avarice et de luxure. L’opposition entre les deux groupes de personnages 1. Bible de Souvigny, Moulins, bibl. mun., ms. 1, fol. 170. 2. Autres exemples dans le même manuscrit, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 394, aux folios 18v, 39, 123v, 198v.- Dans les Institutcs de Justinien, Orléans, bibl. mun., ms. 393, fol. 1, le jugement est rendu par un roi représenté sur un fond particulier ; fol. 68v, le roi, les bourreaux et le criminel pendu sont peints sur trois fonds différents. 3. Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle, Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554,. fol. 21 v a. Texte accompagnant l’image : Ce qe moyses feri la meir par le commandement deu et la parti en .XII, parties senefie les boens prelaz qi governent les âmes, qi fièrent la meir del munde par le commandement ihesucrist, et il derumpent les laz des sereignes et de la gent spinouse.
103 et sa signification générale peuvent se comprendre à partir du contraste des fonds et des comportements. La présence de l’eau comme élément séparateur ne s’explique qu’à la lumière du texte biblique. élément architectural On a déjà vu que les structures architecturales intervenaient dans la composition des images comme éléments séparateurs et unificateurs (p. 59; 2; 61 A). Les arcades distinguent les êtres de nature différente. Le diable auquel s’adresse Ochozias paraît à une fenêtre d’où pend une tenture (40). Une arcade sépare un auteur du sujet dont il parle : saint Grégoire assis sous un arc désigne Job tourmenté par le diable, à l’extérieur de l’édifice schématisé (25). Dans quantité d’autres scènes, le personnage principal ou des groupes de personnages sont ainsi mis en valeur par des éléments d’architecture (4, 18, 34, 42, 1 18...). Ces signes complètent quelquefois le sens d’une image facile à com- prendre. Mais il arrive, en particulier dans les chapiteaux historiés, que la répartition des personnages sous des arcades éclaire une signification assez douteuse1. mobilier Le trône des rois est situé sous une tenture qui distingue et honore la personne. Ces rideaux pendants sont souvent figurés de façon schématique et conventionnelle, mais l’habitude de les représenter comme un signe distinctif a son origine dans une réalité. Au contraire, les tentures que certains imagiers placent systématiquement derrière les saints personnages, pour les séparer du commun des mortels sont des signes purement artificiels et honorifiques de leur valeur. Dans un livre d’heures du XVe siècle, saint Jacques chemine dans la campagne, suivi de pèlerins qui essaient d’imiter son exemple (172). Une bande d’étoffe, richement brodée, forme un fond insolite derrière un tel pèlerin dans un tel paysage. Les rois assis sur leur trône posent souvent les pieds sur un marchepied. Cette pièce de mobilier a une fonction utilitaire et un rôle honorifique. Mais aux XIe et XIIe siècles, certains personnages sont figurés debout sur de tels marchepieds sans qu’il puisse être trouvé de justification à cette situation autre que symbolique. Dans un Graduel de Saint-Denis, du milieu du XIe siècle, un des anges qui soutiennent le Christ ressuscité dans son ascension a les pieds posés sur un petit banc alors que l’autre replie les jambes1 2. A cette époque, les anges, intermédiaires actifs entre Dieu et les hommes, ne mettent presque jamais les pieds sur le sol, car ils n’appartiennent pas au monde terrestre. Dans une Bible un peu postérieure, la quasi totalité des saints personnages reposent sur un tel socle, même Tobit portant un mort qu’il va enterrer, même Moïse allongé aux pieds de Dieu3. Dans le Légendaire de Cîteaux, saint Maurille est debout sur un escabeau que porte sur la tête un personnage à moitié nu4. Le marchepied, signifiant la séparation d’avec la terre et ses contingences, se retrouve sous la même forme ou différemment dans des sculptures de la fin du XIe siècle et du XIIe siècle, à Saint-Benoît-sur-Loire par exemple. 1. C’est le cas pour un chapiteau du XIIe siècle de l’église dePirmil (Sarthe), représentant les méfaits de la musique profane qui conduit à la luxure. 2. R de Resurrexi. Graduel de Saint-Denis, XIe siècle, bibl. Mazarine, ms. 384, fol. 95v. 3. Bible, seconde moitié du XIe siècle, bibl. Mazarine, mss 1 et 2, Tobit portant un mort (ms. 2, fol. 116v), Moïse aux pieds de Dieu (ms. 1, fol. 41v;7), Ruth (ms. 1, fol. 82), Esther (ms. 2, fol. 112 bis), Dieu en majesté (ms. 2, fol. 157) sont debout sur un marchepied. 4. Légendaire de Cîteaux, XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 642, fol. 67v.
104 forme symbolique On a déjà rencontré le cercle et la mandorle, dont la fonction de séparation et la signification sont bien connues (p. 59). La division de l’espace par les éléments signifiants et non signifiants peut aboutir dans certaines compositions à des mosaïques si complexes et subtilement composées qu’il est difficile d’identifier toutes les relations et les significations qui en découlent. Dans la Bible de Saint-Bénigne* la vision d’Ëzéchiel se décompose en deux images (39). Le prophète est assis au milieu du peuple d’Israël dans la panse de la lettre historiée ; l’objet de sa vision est superposé à cette lettre dans une vignette rectangulaire. A l’intérieur du cadre, une forme semi-circulaire sépare Dieu du soleil de feu et des anges. Les fonds de la lettre, de la vignette et de la nuée sont différents. Proximité La répartition des personnages dans les représentations obéit pour partie à un ordre intelligible. Leur disposition fait plus qu’éclairer la lecture des images, elle en est quelquefois le point de départ. L’étude de la séparation et de l’éloignement a montré des relations de trois ordres : les unes traduisent des différences dans les natures des êtres, d’autres manifestent les valeurs opposées de leurs comportements, d’autres expriment une simple distance physique ou morale. Le rapprochement des gens peut, comme l’éloignement, être le signe de comportements typiques. A côté des groupes naturels, comme le couple ou la mère et l’enfant, dont les attitudes conventionnelles relèvent de la position et du geste plus que de la proximité, à côté des groupes d’action qu’une même occupation rassemble selon ses nécessités propres, il y a des groupes qui par leur structure conventionnelle, par leur signification univoque et par l’universalité de leur utilisation, font partie du langage iconographique. Deux relations typiques nous ont paru mériter une description et une analyse. En les caractérisant comme signifiés, on peut les distinguer par les termes groupe de masse et groupe confidentiel. SITUATION GROUPÉE A - Moïse parlant aux Israélites. Bible de Souvigny * seconde moitié du XIIe siècle. Moulins, bibl. mun., ms. 1, fol. 61. B - Foule au sommet d’une tour Initiale de l’Êpître aux Romains. Bible de Manerius* seconde moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 10, fol. 247v. La hampe de cette initiale, le P de Paulus* est occupée par une grande figure de saint Paul, qui présente un phylactère et fait le geste de l’enseignement dans la direction de la ville. Au sommet de la tour centrale, les têtes juxtaposées représentent le peuple chrétien. Certaines personnalités sont campées au premier plan (dessin D). C - Les Israélites suivent Moïse qui leur fait traverser la mer Rouge. Initiale du livre de l’Exode. Bible, XIIIe siècle. Troyes, bibl. mun., ms. 577, fol. 15. D - Groupe de chrétiens romains. Bible de Manerius* seconde moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, fol. 247v. E - Groupe de réprouvés. Bible historiée* fin du XIIe siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 255.
105 E A (64)
106 la foule La foule que nous montre l’image médiévale a des caractéristiques très précises : elle est une, homogène, déterminée par une conjoncture et le plus souvent ses compor- tements dépendent de ceux d’un homme qui la conduit ou auquel elle s’oppose. L’unité de la foule tient aux éléments qui la composent et à leurs comportements. Le groupe est homogène, les personnes qui le forment appartiennent à un même ordre, à une même classe et ne se distinguent les unes des autres que par des traits secondaires du visage ou des détails du vêtement. La représentation typique d’une multitude médié- vale est simple : un personnage — quelquefois il y en a davantage — situé au premier plan, est visible en entier, des pieds à la tête. Sa tenue, sa position et ses gestes indiquent la nature et le comportement du groupe. Il est comme l’étiquette signifiante d’une foule homogène. La quantité est suggérée par deux ou trois têtes, quelquefois dix ou vingt, qui se profilent derrière lui1. L’unité de cette masse est telle qu’on peut lui donner un nom :il s’agit du peuple d’Israël, des fidèles du Christ, des destinataires de saint Paul, d’une armée, des damnés, des élus etc. Il n’y a pas d’intrus, de curieux et de badauds dans ces groupes parce que la représentation médiévale souligne les idées principales et ne se complaît pas en digressions anecdotiques. Les exemples de collectivités anonymes ne manquent pas. Dans une Bible historiée de la fin du XIIe siècle, les têtes superposées par rang de sept, signifient «beaucoup d’hommes» et rien de plus (105 E)1 2. D’autres éléments de l’image complètent cette formule quantitative et lui donnent un sens. Au-dessus des faces est figurée une immense gueule de bête diabolique. Ce monstre indique qu’il s’agit de damnés. Le texte de saint Matthieu, écrit sous l’image comme une légende, confirme ce sens de la repré- sentation : Ligatis manibus et pedibus et mittete eos tenebras exteriores, ibi erit fletus et stridor dentium (Mt. 22, 13). L’enluminure ne traduit pas le texte évangélique en images de désordres et de souffrances, en langage d’émotion3. Elle exprime deux idées : les réprouvés sont en grand nombre, dans l’état d’asservissement à la puissance terrifiante et maléfique du diable. Quelquefois un groupe mieux caractérisé côtoie une masse anonyme, dans l’illustration de l’Epître aux Romains de \a Bible de Manerius par exemple (105 B et D). En haut d’une tour, sept têtes alignées représentent les gens du peuple. Une femme, debout sous une arcade, tient un livre, fait de l’autre main un geste d’acceptation, manifeste donc d’une façon plus complète et personnalisée l’attention qu’elle porte aux enseignements de saint Paul. Les têtes que l’on distingue derrière elle signifient qu’elle n’est pas seule de sa condition. 1. Le nombre des personnages représentés augmente régulièrement du XIIe au XVe siècle, comme si ce qui était précédemment suggéré devait de plus en plus être exprimé. 2. Bible historiée, fin XIIe siècle, Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 255. Dispositions de têtes iden- tiques ou semblables dans d’autres scènes du même manuscrit : pleine page de têtes pour le Jugement dernier, fol. 254 ; longue foule d’Israélites lors de l’immolation de l’agneau pascal, fol. 45. 3. D’autres représentations de l’Enfer insistent sur le sort misérable des réprouvés (105).
107 Le groupe et plus encore la foule, ne sont pas figurés seuls. Leur nature se définit et leur comportement s’établit par rapport à une personnalité ou à un autre groupe1. Face à un maître qui l’instruit et la commande, derrière un chef qui lui indique la voie à suivre et l’entraîne, opposée à un adversaire, la multitude réagit en dépendance. l’inspirateur Lorsqu’un être s’adresse à un autre en approchant sa tête et en lui parlant à l’oreille, il ne tient pas un propos banal. La communication dicte une conduite. Quelles que soient les apparences, animales ou humaines, du conseiller, la relation signifie l’inspira- tion divine, la bonne suggestion, la mauvaise proposition ou la tentation. Le caractère intentionnel de cette proximité et les orientations de l’incitation sont déterminés par la nature, la situation, la position et les gestes de l’inspirateur. l'inspiration divine Le caractère céleste de l’oiseau qui souffle à l’oreille l’inspiration divine est rarement équivoque. Ordinairement blanc comme une colombe, il descend du monde supérieur d’où il apporte son message. Dans une enluminure du milieu du XIIe siècle, la main de Dieu tient encore l’oiseau qui dicte l’Evangile à l’oreille de saint Jean (109 A). Représenté le plus souvent en vol descendant (109 B) il est quelquefois posé sur l’épaule de l’écrivain1 2. Celui qui parle à saint Grégoire, figure de l’Esprit, porte l’auréole (28; 109 C). le bon et le mauvais conseiller Le mauvais conseiller se place derrière celui auquel il murmure ses propos. Il le serre, il lui pose la main sur l’épaule. De profil, la bouche ouverte, il lui distille à l’oreille ses suggestions perfides et pernicieuses (109 E, F, I). Le diable n’agit pas autrement (109 D, H). Le bon conseiller, au contraire, ne se place pas derrière, comme un traître qui parle bas et complote, mais se tient à distance convenable, sur le côté ou devant. Il propose ouvertement ses avis (109 G). La conversation des fourbes qui préparent un mauvais coup se fait dans le secret, d’où le rapprochement des têtes de profil (118 ; p. 66). Dans les discussions et délibéra- tions loyales, les personnages sont figurés de trois quarts, à une distance normale (114). 1. Groupe face à un chef, le suivant ou l’assistant : 4, 14, 45, 54, 64 (105 A), ( 105 C) ; groupe de barons se tenant en retrait du roi : 121,124,128,129,131,134,136 ; groupe opposé à un homme : 61. 2. Dans une initiale historiée du Livre d’Esdras, la colombe, située sur l’épaule, pose son bec sur les lèvres du roi Cyrus, qui va ordonner la reconstruction du temple de Jérusalem. Bible, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 28, fol. 113.
108 SITUATION RAPPROCHÉE BON ET MAUVAIS CONSEILLER A - Dieu inspire l’évangéliste Jean. Ëvangéliaire de Liessies, 1146 (enluminure détachée d’un manuscrit détruit; Metz, bibl. mun., ms. 1151). Avesnes, Société historique. B - La mère des sept frères martyrs reçoit l’inspiration du ciel. Initiale du deuxième Livre des Macchabées. Bible de Manerius, seconde moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, fol. 110. C - L’Esprit inspire saint Grégoire. Saint Grégoire, Lettres, XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 180, fol. 1. Les quatre dessins qui suivent reproduisent des détails de médaillons de la Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554. D - Le serpent tentateur (fol. 8v c). Commentaire moralisé de la tentation de Joseph par la femme de Putiphar : la famé qui apela ioseph por lui concilier et décevoir senefie le serpent, qi engigna adan, qi vult engignier chacun preudhome et trair et décevoir. E - Le mauvais conseiller du roi (fol. 19 b). Commentaire moralisé de la deuxième plaie d’Égypte, où Moïse fait sortir les grenouilles de 1 eau: Ce qe moyses feri en l'eve et les raines en saillirent, les raines qi adès braent et crient senefie les losengiors et les gengleors des corz as rois et as princes qi adès crient as orilles des rois et des barons et des princes et lor conseillent qe il facent mal a lor poor. F - Des gens jaloux calomnient David auprès d’Achis (fol. 41 v D). Illustration du premier Livre de Samuel 29,2-11 '.Ici vienentlagent achis qiont moltgrant envie de ce qe david iert si amèz et si chier tenuz de lor signeor achis, et il vienent a achis et li mettent en s'orille mauveses novelles de david, et fon tant par lor fauses paroles q'achis done concilié a david et lidist qe il s'en aille et david s'en va. G - Le bon conseiller du roi (fol. 41v c). Commentaire moralisé du bon accueil fait à David par Achis : Ce q'achis ot chier david et il porta molt grant honor et le tint entor lui com compaignon senefie les rois et les princes et les haz homes qi ont les boens clers et les boens consilleors molt entor els, et les aiment et prisent et molt les tienent honorablement. H - Le démon souffle à Pilate un jugement inique. Vitrail du Bon Samaritain, fin XIIe siècle. Cathédrale de Sens. I - Noble personnage donnant un mauvais conseil à saint Médard. Fortunat, Vie de sainte Radegonde, fin du XIe siècle. Poitiers, bibl. mun., ms. 250, fol. 27v.
109
CHAPITRE VII LES POSITIONS DU CORPS Le corps humain, articulé et souple, prend des positions adaptées au milieu où il se trouve, aux problèmes qui se posent à lui, aux opérations qu’il accomplit. En évolu- tion perpétuelle dans les trois dimensions de l’espace, il se lève, se baisse, marche, s’arrête, fait des mouvements qui modifient la position de ses membres ou de tout son être. Ses dispositions dans l’espace sont insaisissables dans toute la gamme de leurs variétés, parce que trop complexes et mouvantes. Mais pour un observateur ces positions du corps, considérées comme un ensemble, peuvent se ramener à quelques types, dont toutes les autres ne sont que des variantes. Ce qui est vrai pour les données perçues dans l’expérience vécue l’est encore plus pour l’imagerie. L’artiste en effet choisit les attitudes, fige les personnages et si, comme au Moyen Age, il ne respecte pas les contraintes de la réalité et de la vraisemblance, il les place dans des positions conventionnelles signifiantes. En proposant pour la description de ces positions du corps des schèmes simplifiés, dont les cas particuliers se rapproche- raient comme des formules nuancées, on n’altère pas artificiellement les données de l’image. Les analyses seront faites par rapport à trois systèmes de coordonnées : les trois dimensions de l’espace, l’angle de vue sous lequel le personnage se présente à l’observa- teur, la mobilité relative du personnage. La description des positions et des gestes des différentes parties du corps doit compléter en la précisant cette vue synthétique.
112 STATION Etant donné son étymologie, le mot station convient surtout à la position de celui qui se tient debout et droit. Dans une acception étroite, l’expression «station couchée » contient une contradiction. Mais pris dans un sens plus large, comme la relation entre l’axe du corps et la verticalité, le mot station, à défaut d’un autre, peut servir de générique englobant un ensemble de positions typiques. STATION DEBOUT Le fait d’être debout n’est pas en lui-même signifiant. Du moins cette position ne prend-elle généralement son sens que par des relations complémentaires, naturelles ou conventionnelles : un homme se tient debout pour célébrer un office, debout ouvrant les bras pour accueillir, debout visitant un chantier, debout assistant à un conseil etc. Les notables sont debout à côté du roi assis sur son trône. Ces positions respectives correspondent à des écarts hiérarchiques, mais c’est le contraste entre la station debout et la position assise qui place les barons à un rang inférieur1. Dans d’autres circons- tances, la position debout immobile peut au contraire mettre en valeur la qualité et la dignité d’un personnage. Au début du Livre du Deutéronome, dans une Bible du XIIe siècle, Moïse présente les tables de la Loi à Aaron et au peuple d’Israël (43). Il est arrêté, stable, bien droit et fait le geste de l’autorité, alors que les Juifs marquent par les mouvements de leurs jambes et de leurs bras l’empressement avec lequel ils se portent vers leur chef et son message. La position debout, immobile, d’un personnage figuré seul, ou séparé d’un groupe, exprime en effet une supériorité, due à la nature, au rang, à la fonction et à la valeur. Les personnages bibliques célèbres des statues-colonnes de Chartres, du Mans et d’Angers, ont des ancêtres moins connus dans des manuscrits des XIe et XIIe siècles, dont la position droite et rigide ne s’explique pas par les nécessités d’une sculpture intégrée dans une architecture, mais par des raisons iconographiques. Des figures immo- biles, stables et hiératiques, qui représentent l’homme bon, illustrent, par exemple, des Commentaires sur les Psaumes1 2. Aucun mouvement ne dérange le bel ordre de sa tenue. Car c’est cela en définitive qui est le plus important, dans cette position comme dans tous les autres comportements : l’ordre, la mesurera stabilité s’opposent aux désordres, aux outrances, aux agitations et aux gesticulations, comme les valeurs du bien face aux 1. (118, 129).- Mais lorsque le roi siège avec ses conseillers pour traiter un problème, ceux-ci sont assis, alors que les autres personnages sont debout (136) ou plient le genou (134). 2. Saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes, fin du XIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 228. Ces lettres ont été étudiées par Odile LÉPIN A Y, Analy se iconographique des lettres ornées dans les manus- crits de la bibliothèque du Mans, mémoire de maîtrise, université du Mans, 1976, p. 103-105, 183, 187. Le lien entre l'image et le texte est clair et la position debout correspond au comportement du juste.- Dans une Bible de la deuxième moitié du XIe siècle, Ruth et Esther sont représentées droites et hiératiques comme des statues-colonnes, bibl. Mazarine, ms. 1, fol. 82 et ms. 2, fol. 112 bis, cf. p. 103. La forme de la lettre I se prêtait à de telles figurations, mais elle n’imposait pas la tenue hiératique.- Jérémie est figuré debout dans la panse du V de Verba hieremiae sans qu’aucune contrainte formelle justifie cette disposition, Bible de Saint-Vaast, première moitié du XIe siècle, Arras, bibl. mun., ms. 435, t. II, fol. 15.
113 valeurs du mal. On ne peut s’empêcher de penser en constatant l’invariabilité de ces significations dans l’iconographie médiévale, à l’expression qui résume l’attitude de l’homme idéal selon les stoïciens : vir gravis et fortis qui stat. POSITION ASSISE La signification de la position assise, ainsi que celle des autres attitudes, doit être étudiée dans les représentations où elle n’est pas imposée par une activité, comme manger assis à table, écrire assis devant un lutrin (1, 2, 47, 101...). Aux XIe, XIIe et XIIIe siècles, la position assise est réservée à Dieu et aux person- nages, réels ou allégoriques, qui jouissent d’une supériorité hiérarchique et d’un pouvoir: le roi, le pape, l’évêque, le juge exercent leurs fonctions assis. Le vieux Tobit, chef de famille, est assis alors que sa femme se tient debout près de lui, un peu en retrait (16). Le prophète Amos est figuré assis et faisant d’une main le geste de l’enseignement, alors qu’il n’est qu’un simple berger, comme le montrent la houlette qu’il tient dans son autre main et le mouton debout à ses pieds (79). On pourrait croire que le siège, en particulier le trône, est le symbole de la dignité de la personne qui l’utilise, mais il n’est pas rare de voir, avant le XIIIe siècle, des personnages en majesté en position assise sans que soit figuré un élément de mobilier (2,3,4,9,37,45). Par conséquent cette position est signifiante en elle-même, indépendamment de la qualité du siège. Le fait d’être assis sur un même banc, dans une présentation et non pour l’accom- plissement d’une tâche matérielle, marque une égalité entre deux êtres, ou l’appel d’une personne à accéder—en reconnaissance de ses mérites — à une position honorifique. L’exemple le plus fréquent et le mieux connu est celui des personnes de la Trinité assises sur un même trône, illustrant en particulier le psaume 109 Dixit Dominus Domino meo : sede a dextris meis. Le pape et l’empereur rendant la justice en parfait accord sont assis sur le même trône (115). L’amoureux, après avoir soupiré aux genoux de sa belle, est figuré assis à ses côtés, sur le même banc, lorsque, ayant obtenu ses faveurs, il est devenu son égal (96). Représenté de face, une main sur la cuisse, il affirme même une certaine supériorité, puisqu’elle est représentée de profil, tendant les bras comme si elle sollicitait l’affection. POSITION A GENO UILLËE En pliant le genou ou en s’agenouillant complètement, l’homme se met en état d’infériorité. Spontanée ou réfléchie, contrainte ou volontaire, cette position intéresse toujours la signification principale d’une représentation, car elle traduit un rapport essentiel de dépendance entre les personnes, dont d’autres éléments et d autres relations précisent le sens. Il en va de même pour la prosternation. Ce signe d’humilité et de soumission est inspiré par quatre finalités principales . l’adoration, de Dieu ou du diable, la demande d’un bienfait, la pénitence et le respect dû à un supérieur. Le diable lui-même s’agenouille devant Dieu, car, comme les autres créatures, il dépend du créateur et ne peut agir sans sa permission (25). En tant qu'attitude de la prière, l’agenouillement traduit une disposition person- nelle lorsque le personnage est représenté seul, devant la divinité ou devant son autel.
114 Cette position est rituelle dans de nombreuses cérémonies liturgiques. Dans le premier cas, le zèle qui jette à terre le religieux ou le fidèle se manifeste par une posture dyna- mique, l’activité* s’exprimant par les gestes des mains. Les moines des Xe et XIIe siècles représentés en prière et dans l’attitude de l’offrande sont à genoux, repliés sur eux- mêmes, mais leurs mains et leurs visages expriment une certaine tension (115 A et B). Certains personnages ont une position intermédiaire entre l’agenouillement et la prosternation. Leur mouvement traduit un véritable élan vers le haut. C’est le cas d’un apôtre pendant la Transfiguration du Christ, dans la Bible de Manerius (115 C). Dans une illustration de l’Apocalypse, saint Jean, projeté à terre, regarde le ciel et lève la main (115 F). On peut déjà voir là l’ébauche d’une extension plus complètement traduite dans d’autres représentations (p. 127). POSITION AFFAISSEE Il est difficile de réunir et de classer sous un seul terme générique les positions des personnages qui s’affalent, qui tombent, qui s’écroulent, renversés par une puissance physique ou morale. Et pourtant certaines attitudes typiques sont chargées d’une signification profane, soit que l’abattement et la passivité du personnage traduisent l’intensité de son accablement, soit qu’un signe de réaction manifeste sa vitalité. Dans le V initial du Livre de l’Ecclésiaste, dont le pessimisme, résumé dans le Vanitas vanitatum omnia vanitas, est célèbre, à côté du roi Salomon, qui enseigne et symbolise la Sagesse, gît affalé l’homme au destin sans lumière (115 G). Les adversaires de Dieu, POSITION AGENOUILLÉE - AFFAISSÉE - ALLONGÉE A - Religieux en prière. Raban Maur, Livre de la Croix, Xe siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 223, fol. 33v. B * Religieux en prière. Illustration du psaume 24 Ad te levavi animam meam, Psautier d’Odbert, vers 1000. Boulogne- sur-Mer, bibl. mun., ms. 20, fol. 30. C - Un apôtre pendant la transfiguration du Christ. Bible de Manerius, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, fol. 129v. D - Cistercien prosterné aux pieds d’un ange. Grégoire le Grand, Moralia in Job, 1111. Dijon, bibl. mun., ms. 170, fol. 6v. E - Ennemis de Dieu foulés aux pieds par le Père et le Fils. Initiale du psaume 109 Dixit Dominus, Pierre Lombard, Commentaires sur les Psaumes, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 56, fol. 185. F - Saint Jean projeté à terre regarde le ciel et lève la main. Initiale de l’Apocalypse, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 14, fol. 503. G - Homme affaissé, les yeux fermés. Initiale de l’Ecclésiaste, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1181, fol. 206v. L’initiale historiée du Livre de l’Ecclésiaste représente souvent, au XIIIe siècle, un homme affaissé, les yeux fermés. Quelquefois de face, quelquefois de trois quarts ou de profil, il a au moins une main en pronation (p. 180). H - Cavalier désarçonné dans un combat à la lance. Quête du Saint-Graal, XVe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 527, fol. 139v. La position offensante du cavalier n’est pas déterminée par les seuls hasards de la chute. Son cheval lui pose le sabot de sa jambe postérieure gauche sur le derrière.
115 G H
116 écrasés comme un «escabeau» sous ses pieds, sont réduits à l’impuissance, mais leur agitation témoigne de leur combativité (2 ; 115 E ; p. 59). POSITION COUCHEE La position couchée résulte d’une volonté personnelle ou d’une force dont l’indi- vidu subit la contrainte. L’homme peut être éveillé, endormi ou mort. La bonne lecture d’une image suppose la détermination précise et sûre de la signification d’une position aussi chargée de sens. Le nombre des représentations d’hommes couchés est assez élevé pour qu’une recherche systématique des corrélations typiques soit possible. La position couchée s’accompagne de signes distinctifs propres à ses différentes significations, avec une constance qui souffre peu d’exceptions. Il s’agit donc d’un fait de langage de première importance. Position couchée sur le dos, les yeux fermés L’homme représenté sur le dos les yeux fermés est le plus souvent mort. Cet état s’accompagne de deux positions principales des bras, qui pendent le long du corps ou sont ramenés sur le ventre, les poignets croisés1. Aux XIVe et XVe siècles, il est diffi- cile de savoir si le personnage est mort ou endormi, dans les images où l’on ne voit que la tête sortir des draps. Position couchée sur le dos, les yeux ouverts La position couchée sur le dos, les yeux ouverts, est celle du malade (40) ou de l’homme qui reçoit une apparition. Dans tous les Bestiaires, le moribond qui regarde la calandre, dont le mouvement de tête lui apprendra s’il va mourir ou guérir, est couché sur le dos, les yeux ouverts1 2. Ceux qui voient des personnages pendant leur sommeil sont figurés les yeux ouverts. Dans l’apparition, en effet, le sujet est en relation directe avec les êtres réels qui se manifestent à lui, quelquefois même le dormeur discute avec eux3. 1. Voir par exemple :Mort de la Vierge, Bible de Manerius, XIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, fol. 129.- Mort du Mauvais Riche, chapiteau, XIIe siècle, Vézelay ; Bible historiée, XIIe siècle, Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 179 ; vitrail, XIIIe siècle, cathédrale de Bourges. 2. Malade soigné par un médecin .Livre des Propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais, XIVe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1029, fol. 79;Canon de Médecine d’Avicenne, XIIIe siècle, Besançon, bibl. mun., ms. 457, fol. 260v;- accouchée : Nativité d’Alexandre, Histoire du bon roi Alexandre, XVe siècle, musée du Petit Palais, fol. 10.- David vieux et fatigué '.Bible de Saint - Vaast, XIe siècle, Arras, bibl. mun., ms. 435, t. I, fol. 128v. David n’était pas à proprement parlé malade, on le voit tantôt sur le dos, tantôt sur le côté.- Ochozias malade après sa chute : Bible de Manerius, XIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 8, fol. 245v\Bible historiale de Pierre Comestor, XIVe siècle, bibl. Sainte- Geneviève, ms. 20, fol. 186v.- Malade regardant la calandre '.Bestiaire d'amour de Richard de Fourni- val, 1277, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2200, fol. 178; même œuvre, XIIIe siècle, Dijon, bibl. mun., ms. 526, fol. 23v Livre des Propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais, XIVe siècle, bibl. Sainte- Geneviève, ms. 1029, fol. 147.- Dans les gravures de l'Ars bene moriendi du XVe siècle, le moribond est couché sur le dos. 3. Yahvé apparaît à Salomon '.Bible de Saint-Vaast, XIe siècle, Arras, bibl. mun., ms. 435, t. II, fol. 128v.- Dans les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis (117), Charlemagne couché sur le dos, les yeux ouverts, regarde la voie lactée en levant la main vers le ciel, mais au registre inférieur,
117 Position couchée sur le côté, les yeux fermés La position couchée sur le côté, les yeux fermés, est celle du dormeur qui rêve. La tête du personnage repose sur sa main ou sur son avant-bras. La corrélation entre cette position et le songe est constante et peut être étudiée sur un grand nombre de représentations, car la Bible, l’histoire ancienne, les romans et les poèmes sont riches en récits de songes célèbres qui ont fait l’objet d’illustration : songes de Jacob, Joseph, Pharaon, Cyrus, Astyage, Charlemagne, et fiction littéraire introduisant une œuvre imaginaire (119 A-C et F-I). Position couchée sur le côté, les yeux ouverts Cette position est celle de la Vierge dans les Nativités des XIIe et XIIIe siècles. Marie repose sur un lit, la tête relevée, quelquefois posée sur la main. Dans cette position, liée au fait qu’elle vient de mettre Jésus au monde, elle semble se recueillir. La position allongée sur le côté, les yeux ouverts, peut marquer simplement le repos, celui du paresseux par exemple (50 ; 119 J). Pendant sa vision, Ëzéchiel est couché sur le côté les yeux ouverts (78 ; 119 D). Position couchée, sur le ventre Le personnage allongé sur le sol dans une prosternation à signification religieuse fait preuve d’une grande humilité devant celui dont il reconnaît et adore la transcen- dance. Un geste des mains exprime le mouvement de son être vers Dieu ou vers son messager (7,29; 115 D). Toute différente est la position de celui qui se retrouve sur le ventre à la suite d’une chute ; sa posture, souvent ridicule, ne laisse aucun doute sur sa position de vaincu (115 H). Position couchée désordonnée A la suite d’une chute, en effet, ou comme signe d’une détresse morale, des personnages sont représentés allongés, mais non de façon régulière et harmonieuse. Leurs bras et leurs jambes s’agitent, font des gestes comme s’ils luttaient pour sortir de leur condition fâcheuse, ou bien ils se retrouvent dans des positions déséquilibrées qui témoignent de leur désarroi (42 ; 203 C). Les corps des guerriers qui jonchent le sol après un combat meurtrier se répartissent n’importe comment, mais le contexte ne laisse aucun doute sur leur signification. Il y a exception lorsque l’imagier les dispose autrement pour une raison précise. Par exemple dans le miracle qui permet à Charlemagne de distinguer les corps des chrétiens de ceux des païens, il allonge régulièrement les cadavres, couchés sur le côté, comme s’ils reposaient en paix. Mais ils portent une blessure à la tête, signe de leur trépas (119 E). il dort, couché sur le côté, et saint Jacques pose la main sur lui.- Dans une traduction française des Fleurs des Chroniques de Bernard Gui, fin XIVe siècle, Besançon, bibl. mun., ms. 677, il y a une apparition, où le personnage est couché sur le dos les yeux ouverts (fol. 57), un prodige, lors d’une naissance, l’accouchée étant allongée sur le dos les yeux ouverts (fol. 83), une vision en songe, où le personnage couché sur le côté, la tête sur la main, a les yeux fermés (fol. 50v).
118 POSITION COUCHÉE A - Songe de Jacob Genèse, Bible historiale de Pierre Comestor, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 20, fol. 30. B - Songe de Joseph Vitrail, XIIIe siècle, cathédrale de Bourges. C - Songe de Pharaon Histoire universelle, troisième quart du XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 562, fol. 49v. D - Vision en songe d’Ézéchiel Initiale du Livre d’Ézéchiel, Bible, XIIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 262, t. III, fol. 169. Le prophète ouvre les yeux, comme s’il était en présence d’une apparition, mais il regarde dans la direction opposée à la manifestation céleste. E - Cadavre d’un guerrier chrétien allongé sur le sol Karlder Grosse du Stricker, fin XIIIe siècle. Saint-Gall, Stadtsbibliothek, ms. 302, fol. 71. Le corps est allongé comme si le héros reposait, position qui convient à la dignité du personnage. La mort est signifiée par la blessure à la tête. F - Songe de Constantin VI de Constantinople Vitrail, XIIIe siècle, cathédrale de Chartres. G - Songe de Charlemagne Vitrail, XIIIe siècle, cathédrale de Chartres. H - Songe de Charlemagne Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, vers 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 141. I - Songe de Guillaume de Lorris Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, XIVe siècle. Bibl. Sain te-Geneviève, ms. 1126, fol. 1. La vision en songe est une fiction littéraire souvent utilisée pour introduire un poème. Voir, par exemple, l’illustration du Pèlerinage de la Vie humaine de Guillaume de Digulleville, XIVe siècle, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1130, fol. 2. J - Le repos du paresseux Chapiteau du XIIe siècle, Nieul-sur-l’Autize. K - Mort d’Abel Chapiteau du XIIe siècle, Nieul-sur-l’Autize.
1 19 H (117) K (51)
120 POSITION STABLE ET POSITION INSTABLE EQ UILIBRE ET DESEQ UILIBRE En règle générale, quel que soit le genre iconographique, les positions stables correspondent aux êtres bons ou qui agissent bien, les positions instables caractérisent les méchants et ceux qui, subissant les effets d’un mal, se débattent dans un état de désarroi. Stabilité et instabilité donnent aux différentes positions leurs caractères les plus significatifs. Il s’attache à ces manières d’être dans l’espace des connotations de qualité. La position équilibrée implique une appartenance aux valeurs du bien : nature transcen- dante, importance du rang social et de la fonction hiérarchique, sagesse, dignité... Le désordre des mouvements et les déséquilibres du corps manifestent l’incapacité d’adaptation, les détresses, les angoisses, les mauvaises dispositions de la conscience, la méchanceté et là perversité. Dans l’image, l’harmonie du comportement résonne avec l’ordre de la pensée et du cœur, mais les dissonances sociales, morales et religieuses retentissent comme un charivari gestuel. L’équilibre et la stabilité s’accordent avec les positions les plus variées. Debout, assis, agenouillé, couché, le maintien de l’homme peut respecter la mesure et l’ordre. Le martyr qui, agenouillé ou prostré, endure les coups, conserve la sérénité dans les tour- ments les plus cruels (48). Ses bourreaux gesticulent, se contorsionnent et grimacent. Le contraste entre l’aspect paisible du saint et les déchaînements outrés des persécuteurs durera pendant toute la période romane. Avec le réalisme naissant, la dramatisation des scènes ôtera progressivement aux comportements leurs significations symboliques. Stabilité ne veut pas dire immobilité. Certaines postures figées sont burlesques, certains mouvements restent harmonieux dans la vivacité. Il n’est pour s’en convaincre que de regarder et comparer les comportements des anges et des diables. La grâce des premiers résulte d’une mesure des gestes dont ils ne se départissent pas, même dans l’accomplissement de tâches matérielles1. La laideur grimaçante des autres manifeste leur méchanceté, ainsi que la trivialité d’agissements où l’excès des dérèglements frôle le burlesque et l’horrible (20, 21...). Il est d’usage de regrouper sous l’appellation «acrobate» les figures humaines renversées dans des positions insolites. Certes, les silhouettes de nombreuses sculptures et de certaines enluminures évoquent les contorsionnistes qui devaient s’exhiber en spectacle. Mais il est des images, en particulier aux XIe et XIIe siècles, dans lesquelles le déséquilibre a des significations précises, qui dépassent la fantaisie des drôleries, pour atteindre à l’expression de valeurs vitales. A partir de celles dont la signification peut être établie de façon claire et précise, on pourrait sans doute éclairer d’une lumière assez différente des représentations habituellement reléguées dans la zone des amusements gratuits. 1. Anges portant le Christ à bout de bras, Graduel de Saint-Denis, XIe siècle, bibl. Mazarine, ms. 384, fol. 95 et 133.- Saint Michel terrassant le dragon : saint Clément, Recognitiones, début XIe siecle, Avranches, bibl. mun,, ms. 50, fol. 1 porte de bronze , début XIIe siècle, église San Zeno de Verone;- Bible historiée, fin XIIe siècle, Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 202 (repr. dans F. GARNIER, La guerre au Moyen Age XIe-XVe siècle, p. 60, fig. 53).
121 La Bible rapporte, au commencement du deuxième Livre des Rois que «Ochozias tomba par le treillis de sa chambre haute à Samarie et il fut malade» (II Rois, 1,2). Dans les manuscrits latins, l’initiale de ce livre est le plus souvent illustrée par cette chute. Le roi se renverse complètement, lorsqu’il se penche à la fenêtre, et gesticule dans les positions les plus désordonnées (40; 123 A et B). Cette posture ridicule est devenue l’une des figurations symboliques de l’orgueil. La correspondance est claire- ment exprimée par le texte et par l’image dans des manuscrits de la Somme le Roi1. La chute de saint Paul sur le chemin de Damas a été traitée, elle aussi, comme une figure symbolique de l’orgueil (123 C et D). Dans les représentations médiévales, il n’y a guère de différence entre les attitudes de l’apôtre et celles du roi d’Israël : l’orgueilleux est précipité la tête la première, le corps renversé, dans une position désavantageuse où il perd toute dignité. La même posture ridicule, surtout en regard de la prétention que dénotent les autres éléments de la représentation, fait du cavalier désarçonné une caricature signi- fiante (30; 123 E; 115 H). A la fierté de l’homme drapé dans son grand manteau, chevauchant un destrier fougueux, a succédé la perte du vêtement, la perte de l’équilibre, de la dignité et de l’honneur. En situation basse, en position allongée, comme le moine prosterné aux pieds de l’ange dans une autre lettre historiée du même manuscrit (29), l’orgueilleux diffère du religieux, humble et priant, comme le déséquilibre et le désordre de l’équilibre et de l’ordre. L’initiale du Livre-des Nombres, le L de Locutusque est Dominas ad Moysen d’une Bible du XIIe siècle, contient trois personnages : Dieu, en majesté dans le ciel; Moïse portant les tables de la Loi, sur la montagne; un petit personnage nu, cabriolant, dans la barre inférieure de la lettre (49 ; 123 I). Ne serait-ce pas traiter à la légère une icono- graphie biblique habituellement sérieuse et chargée de sens, que de reléguer ce petit personnage dans la catégorie des « acrobates » ou de lui attacher l’étiquette plus générale de drôlerie? Par sa situation et sa position, par sa nudité indécente ne doit-il pas au contraire être tenu pour une figure du troisième élément qui est ordinairement représenté dans les scènes de révélation mosaïque, le peuple idolâtre, qui se livre dans la plaine aux «abominations devant Yahvé»2. Une opposition entre l’homme équilibré et l’homme déséquilibré se retrouve dans des lettres historiées de Vies des Saints de la fin du XIe siècle. Le I de Igitur Germanus, initiale de la vie de saint Germain, se termine à. sa partie supérieure et à sa partie inférieure par deux cercles, dans lesquels s’inscrivent, en haut, saint Germain, en bas, un homme complètement renversé (9). Le saint, situé dans le diamètre vertical du cercle, est assis en majesté. L’homme en situation inférieure est dans une position déséquilibrée et instable (123 H). Dans les panses circulaires formées par les boucles du S de Superna caritas, initiale des vies des saints Marin et Prélecte, les figures de deux hommes contrastent par leur nature et leur position. Celui du haut, contrefait, la tête dans la poitrine, les côtes 1. «Orguel Ocozias» fait face à «humilité», dans la Somme le Roi de frère Laurent, XIIIe siècle, bibl. Mazarine, ms. 870, fol. 89v. 2 Expression courante dans le Deutéronome pour dénoncer l’idolâtrie et les comportements iniques (Deut. 7,25 ; 12, 31 ; 13, 14; 29, 17 etc.).
122 saillantes, désarticulé et déséquilibré regarde vers le bas (10; 123 G). Celui de la panse inférieure, sain et bien campé, regarde vers le haut. Ces figures anonymes prennent le nom de vices et de défauts, à l’intérieur de séries homogènes. Dans la suite des vices, ces silhouettes plus ou moins instables s’appellent le désespoir (151 ; 123 J) ou la folie (148). L’insensé dont parlent les psaumes, celui qui dit en son cœur non est Deus, prend lui aussi des postures désordonnées et outrancières1. Une dernière catégorie d’images mais non des moindres, identifie les renversements et les contorsions à un vice, celles où la femme danse dans des positions provocantes. Illustration d’un sujet précis, comme la danse de Salomé devant Hérode2, ou dévelop- pement thématique des effets de la musique profane qui engendre la luxure ( 123 F), cette figure de la femme tient sa signification mauvaise de sa position. 1. Cf. F. GARNIER, Les conceptions de la folie d'après l’iconographie médiévale du Psaume Dixit insipiens. 2. Par exemple : vitrail du XIIIe siècle, cathédrale de Bourges; vitrail du XIIe siècle, cathédrale de Clermont-Ferrand ; vitrail du XIVe siècle, église Saint-Père de Chartres. DÉSÉQUILIBRE A - Chute d’Ochozias Initiale du deuxième Livre des Rois, Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 135v. B - Chute d’Ochozias Initiale du deuxième Livre des Rois, Bible, XIIIe siècle. Laon, bibl. mun., ms. 472. C - Chute de saint Paul sur le chemin de Damas Initiale de l’Épître aux Romains, Bible, XIIIe siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 23. La position du futur apôtre frappé par le feu du ciel ne correspond pas à la chute d’un cavalier désarçonné. Le personnage est presque figuré en présentation, en état de déséquilibre faisant le geste de l’étonnement et de la peur (p. 223). D - Chute de saint Paul sur le chemin de Damas Initiale de l’Épître aux Colossiens, Bible, XIIIe siècle. Boulogne-sur-Mer, bibl. mun., ms. 4. La silhouette de saint Paul est située dans le diamètre vertical de la panse du P. Elle a la même position que Salomé dansant devant Hérode dans des représentations de la même époque. Ce déséquilibre caractérise la mauvaise conduite de Saul plus qu’il n’exprime sa chute. E - Orgueilleux projeté à terre Lettre historiée, Grégoire le Grand,Moralia in Job, 1111. Dijon, bibl. mun., ms. 170, fol. 47. F - Femme dansant Peinture murale, fin du XIIe siècle. Poncé-sur-le-Loir. Un personnage joue d’un instrument à archet et une femme se contorsionne. 11 s’agit là non d’un sujet «très curieux et rare», comme on l’a écrit, mais de l’illustration d’un thème souvent repré- senté au XIIe siècle : les méfaits de la musique profane qui conduit à la luxure. Le comportement désordonné de la femme, quelquefois saisie parle diable (21), exprime cet effet néfaste. G - Homme difforme en déséquilibre Lettre historiée, Vies des saints, fin XIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 227, fol. 211. H - Homme en déséquilibre Lettre historiée, ibid., fol. 83. I - Personnage nu cabriolant Initiale du Livre des Nombres, Bible, fin XIIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 80, fol. 2v. J - Le Désespoir se suicidant Relief quadrilobé, XIIIe siècle, portail occidental de la cathédrale d’Amiens.
J (151)
124 ANGLE DE VUE Les personnages se présentent de face, de trois quarts, de profil ou de dos. Ces quatre positions relatives correspondent pour partie à des nécessités de la scène repré- sentée, pour partie à une disposition conventionnelle des personnages qui prend en compte leur situation hiérarchique et leur valeur. Ceux que leur activité applique à une tâche portent leur effort dans une direction imposée. Leur orientation est déterminée par des besoins circonstanciels. L’imagier a, par contre, la liberté de placer son person- nage dans la position de son choix lorsqu’il le représente seul, ou n’est pas contraint par des impératifs scéniques. L’angle de vue sous lequel se présente le corps est unique et simple si la tête, les épaules, le bassin et les jambes sont dans un même plan. Mais une rotation plus ou moins prononcée de la tête, du buste et de toute la partie supérieure du corps par rapport au bassin et aux jambes, engendre des positions complexes dont les torsions peuvent être signifiantes. On étudiera ici les positions simples et le mouvement de rotation du buste, réservant les positions qui intéressent particulièrement la tête à une étude plus approfondie (p. 147-158). POSITION DE FACE Peu de personnages sont figurés entièrement de face dans les présentations, et moins encore dans les scènes. Dans le manuscrit des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, le roi et le pape siègent quelquefois de face, mais leur tête est toujours de trois quarts. Réservée aux représentations dites en majesté, la position de face corres- pond à un état durable et parfait. Elle convient à Dieu, à la Vierge et même au saint parvenu à la félicité étemelle. Les deux côtés du corps de l’être en majesté sont symé- triques, non au sens géométrique du terme, qui suppose l’exacte correspondance des parties, mais dans un équilibre harmonieux, sans un geste anecdotique qui rompe l’unité de l’ensemble. Certes, le Christ en majesté enseigne et bénit d’une main alors que de l’autre il tient le globe ou le livre. Mais ce geste ne s’adresse à personne. Il s’agit d’un geste d’état et non d’action, qui exprime une relation permanente et universelle. De même qu’il est le détenteur de la Vérité et le Maître du monde, Dieu est l’Enseignant, le Bénissant (2, 3, 7, 31,35, 37,45, 49, 68). POSITION DE TROIS QUARTS La position du corps entièrement de trois quarts est trop fréquente pour avoir une signification précise. Intermédiaire entre la position de face et la position de profil elle ne marque apparemment aucune disposition particulière et aucune place hiérarchique, si ce n’est par comparaison1. 1. L’Église debout est tournée vers le Christ en majesté (3).- Un petit personnage est de trois quarts devant le Christ en majesté (35).- Contraste entre la position des Juifs et celle du prophète Ézéchiel (45).- Le Christ et la Vierge couronnée, assis sur le même banc au-dessus de l’univers, diffèrent par leur position : le Christ a le corps de face et ne fait que tourner légèrement la tête vers la Vierge ; la Vierge est entièrement de trois quarts; le Christ est droit, la Vierge penchée;dans Gossuin de Metz, L’image du monde, 1277, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2200, fol. 115v.
125 POSITION DE PROFIL La position entièrement de profil est liée, ainsi qu’il a déjà été dit, à l’activité des personnages. Les religieux qui chantent devant un lutrin regardent l’antiphonaire. Les guerriers qui s’affrontent dans les combats se font face, comme les gens qui discutent (17, 164). Néanmoins la position entièrement de profil, assez rare, contraste avec celle de trois quarts comme signe d’infériorité, par exemple dans une représentation simul- tanée du maître, corps de face et tête de trois quarts, d’un apothicaire de rang inférieur, de trois quarts, et de deux aides, de profil (33). L’étude des positions de la tête permettra de préciser les valeurs du profil du visage, plus nettes que celles du corps lui-même (p. 142). POSITION COMPLEXE Le mouvement de rotation du buste, par lequel la ligne des épaules peut venir jusqu’à la perpendiculaire du bassin, implique un effort, qui peut s’interpréter de deux façons : ou bien le personnage s’oriente volontairement vers quelqu’un ou quelque chose, et son mouvement traduit une intentionnalité; ou bien la partie inférieure du corps reste de face pour conserver sa signification de qualité, alors que l’activité du personnage demande qu’il soit de trois quarts ou de profil. Les représentations allégoriques de Convoitise et d’Envie donnent un excellent exemple de rotation du buste signifiant l’attention portée à un objet et même le désir intense de possession (160, 162). Le Christ du Jugement dernier tourne légèrement l’épaule vers sa droite, du côté des élus, mais la partie inférieure de son corps reste de face, ce qui est la position normale dans les figurations glorieuses (46). Une illustration du psaume Dixit Dominas Domino meo sede a dextris meis schématise cette position complexe (31 ; 71 C) : assis à la droite de Dieu en majesté, un personnage a la tête de face, la ligne des épaules et les bras de profil, formant un angle à 90 degrés, les jambes de biais. Si l’on ajoute à cela que cet homme n’est pas assis sur le même trône que Dieu, que son siège est situé un peu plus bas et légèrement oblique, que sa dimension par rapport à Dieu est 0,38, que son vêtement est court, on comprend que tout dans l’image marque son infériorité. Certes il est couronné et son visage est vraiment celui d’un être en majesté, assis à la droite de Dieu, mais il n’est qu’un roi de la terre honoré dans le ciel. POSITION FLECHIE ET POSITION EN EXTENSION La position fléchie du corps prend des significations différentes, et même opposées, selon que le corps est en extension ou en repliement sur lui-même. L’orientation et l’activité des bras indiquent le plus souvent le sens du mouvement. Ceux qui lèvent les mains manifestent leur dynamisme, ceux qui sont inactifs ou baissent les bras s’abandonnent à leur sort et même s’effondrent touchés à mort (127 I, J).
126 FLEXION ET EXTENSION A - Une religieuse et un religieux prient Dieu, représenté en majesté. Initiale du psaume 50 Miserere mei, Pierre Lombard, Commentaires sur les Psaumes, fin du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 56, fol. 89. B - Saint Étienne en prière pendant sa lapidation Vitrail de la seconde moitié du XIIe siècle. Cathédrale du Mans. C - Saint Étienne en prière pendant sa lapidation Chapiteau du XIIe siècle. Beaune, église Notre-Dame. Trois pierres restent posées sur la tête du martyr, comme signes symboliques. D - Charlemagne offre des reliques à la chapelle d’Aix. Vitrail, première moitié du XIIIe siècle. Cathédrale de Chartres. La mobilité expressive de l’empereur est rendue plus vive encore par la rigidité des éléments d’architecture et la station debout hiératique des autres personnages. E - Charlemagne prie Dieu de lui livrer la ville de Pampelune. Même vitrail. L’empereur s’est précipité devant son armée. Il lève les mains vers le ciel tout en se jetant à genoux. F - Offrande d’un présent à un grand personnage Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 8vc. G - Un vilain sollicite l’amour d’une femme en s’opposant à un noble. Lettre historiée, Décret de Gratien, fin du XIIe siècle. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, ms.clm. 17161, fol. 138. Le personnage de condition servile serre le poing en signe d’opposition à son adversaire mais plie le genou. Sa position contraste avec celle de la femme et du noble, debout et droits. H - Damné s’affaissant Tympan du portail occidental, milieu du XIIe siècle. Cathédrale d’Autun. I - Homme frappé à mort Illustration du deuxième Livre des Macchabées, Bible d'Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 191. Tandis qu’il plie les genoux, le guerrier a le bras droit ramené devant sa poitrine et tient son épée devant son bouclier de telle façon qu’il ne peut frapper. J - Un infidèle frappé par Roland s’affaisse, les mains en pronation (p. 180). Karl der Grosse du Stricker, deuxième quart du XIVe siècle. Berlin, Staatsbibliothek, ms. germ. Fol. 623, fol.22v.
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128 Le mouvement simultané de flexion des jambes et d’élévation des mains, généralement mis en valeur par la représentation de trois quarts ou de profil, correspond aux deux réactions contraires de l’homme devant Dieu : humilité et adoration s’expriment par l’agenouillement, demande et action de grâce par l’élévation des mains. La tête et le regard s’orientent vers le ciel où habite la personne divine. Le geste des mains s’accompagne, dans certains cas, de la présentation et de l’offrande d’un objet. Dans le vitrail qui lui est consacré, à Chartres, Charlemagne dépose sur l’autel des reliques, présent de Constantin VI, dans cette position (127 A-E). L’offrande d’un présent à un grand personnage peut se faire dans une position semblable (127 F). Les mouvements contraires traduisent l’intensité de la prière et de l’offrande. A partir du XIVe siècle, on représente les personnages en prière agenouillés, statiques et moins expressifs. La position qui allie les mouvements contraires d’abaissement et d’élévation est conventionnelle, la seconde plus réaliste est moins significative. L’extension des élus qui se redressent dans les résurrections des morts contraste avec l’accablement et la prostration des damnés. Le tympan de la cathédrale d’Autun offre un excellent exemple de cette opposition entre le dynamisme et l’inertie (26, 27 ; 127 H). Les élus se lèvent, exaltés, s’entraînent l’un l’autre vers le ciel qu’ils regardent et désignent. Les damnés s’effondrent, s’écroulent, la tête baissée ; ils se recroquevillent sur eux-mêmes. Ce repliement sur soi ne leur est pas réservé. Comme si la joie, la santé du corps et de l’ârne étaient liées à l’action et à l’enthousiasme, comme si la douleur était inhérente à l’individualisme, au ramassement sur soi et à la passivité, les différentes expressions de la souffrance s’accompagnent d’un mouvement vertical vers le bas. Il affecte la tête, le buste ou le corps tout entier. Une représentation de Tristesse, illustrant un Roman de la Rose du XIVe siècle, est d’une éloquence saisissante et instructive, tant elle reflète clairement des idées philosophiques et théologiques médiévales (158 ; 179 H). La femme âgée qui représente allégoriquement la tristesse est seule. Elle se détache sur un grand fond quadrillé dont elle occupe la partie basse et médiane. Affalée, la jambe droite repliée sous elle, le buste penché en avant, elle baisse la tête. Cette vieille appuie ses avant-bras croisés - signe de son impuissance — sur son genou gauche. Tout est accablement, pesanteur, lassitude, repliement sur soi, dans cette image. MOBILITE ET IMMOBILITE Le fait qu’un personnage soit représenté en marche, c’est-à-dire les jambes l’une devant l’autre et plus ou moins pliées, le pied en arrière ne reposant souvent que sur la pointe, a deux significations : ou bien le personnage est en train de se déplacer, et l’image reproduit un mouvement réel (131 C), ou bien les autres données de l’image impliquent que le personnage soit immobile tandis qu’il est figuré en marche. Son comportement prend alors des significations symboliques diverses mais précises, qui se lisent et s’interprètent d’après le contexte.
129 Le mouvement des jambes peut signifier qu’un personnage s’est déplacé, pour changer simplement de lieu ou pour se rendre auprès de quelqu’un. Dans ce cas, la position a un sens faible. Elle montre seulement qu’un parcours a été effectué. 11 faut quelquefois lui donner un sens plus fort, et admettre qu’elle souligne le caractère intentionnel et volontaire de la démarche. Au terme de son voyage et dès son arrivée, alors que Raphaël n’a même pas déposé son bâton et son bagage, Tobie s’empresse auprès de son père pour lui mettre sur les yeux la substance qui doit guérir sa cécité (16; 131 B). Son pied droit, en arrière, est sur la pointe, comme s’il marchait encore. Charlemagne avance une jambe, qui sort bien visible de sa tunique, et le pied qui est en arrière a le talon levé, quand déjà Constantin VI lui a passé le bras sur l’épaule, geste qui exclut toute marche, toute progression (131 A). Cette position traduit le caractère volontaire de sa venue. Une des enluminures des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis traite avec sobriété l’expédition de Henri 1er à Fécamp. Le jeune roi arrive pour demander à Robert de Normandie de l’aider à reconquérir son royaume (133; 131 D). Le duc l’accueille en lui passant le bras derrière l’épaule. L’étreinte suppose l’immobilité, mais les deux personnages semblent encore en marche l’un vers l’autre, ce qui traduit leur empressement. Un malade vient se présenter au médecin pour qu’il l’examine et formule son diagnostic (94; 131 E). Alors même qu’il reçoit et accepte les indications qui lui sont données, ce que signifient les gestes de ses mains (p. 174), il est encore dans la position de marche, ce qui signifie le désir de guérison qui a motivé son déplacement. Lorsque le contexte de l’image rend impossible l’hypothèse d’un déplacement, la représentation en marche d’un personnage néanmoins immobile a une signification symbolique différente, qui se situe uniquement au niveau du fait de conscience. Cette position traduit alors une intensité, une attention, une application, comme si l’empressement intellectuel, moral ou affectif s’exprimait par ce mouvement physique. Dans une illustration de l’Histoire naturelle, Pline écrit la nuit (47; 131 F). Un serviteur tient une chandelle pour l’éclairer pendant qu’il taille sa plume. Au lieu de ne pas bouger pour que la flamme ne vacille ni ne s’éteigne, le serviteur se précipite en avant, du moins la position de ses jambes et de ses pieds correspond-elle à une marche. En fait cet artifice montre l’empressement avec lequel il fait son travail. C’est également le zèle des fidèles qui les fait accourir vers le Christ enseignant (4 ; 131 G). Aaron et les Israélites manifestent une même ardeur par la même marche sur place, lorsqu’ils reçoivent de Moïse les tables de la Loi (43).
130 MOBILITÉ A - Constantin VI accueille Charlemagne à Constantinople (p. 48, 68, 214). Vitrail du XIIIe siècle, cathédrale de Chartres. B - Retour de Tobie, qui guérit la cécité de son père. Bible d'Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 165v. C - Un messager court annoncer à David la mort de Saül. Initiale du deuxième Livre de Samuel (II Rois), Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 114. Le texte biblique dit «... Voici qu’un homme arrive au camp, d’auprès de Saül, les vêtements déchirés et de la terre sur la tête» (II Sam. 1,2). L’illustrateur de la Bible de Saint-Bénigne a représenté deux personnages en train de courir les mains tendues en avant. Il insiste donc sur la rapidité du messager empressé d’annoncer la nouvelle à David et de lui remettre la couronne de Saül. D - Robert, duc de Normandie, accueille Henri 1er. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, vers 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 224v. E - Un malade souffrant d’un goitre vient consulter un médecin. Avicenne, Canon de Médecine, traduit par Gérard de Crémone, première moitié du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 457, fol. 170v. F - Serviteur éclairant son maître qui taille sa plume Pline, Histoire naturelle, XIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 263, fol. lOv. G - Disciples du Christ se précipitant pour entendre sa parole Bède, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, fin du XIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 20, fol.86v.
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CHAPITRE VIH POSITIONS ET EXPRESSIONS DE LA TÊTE La tête et le visage, par leurs formes et leurs mouvements, manifestent plus que toute autre partie du corps l’identité et la vie d’une personne. Les proportions et les modelés façonnent à chacun un masque individuel original. La sensibilité, l’intelligence et la volonté l’animent. A la frontière entre la conscience et le monde, le visage réagit à ce qu’il perçoit, curieux ou inquiet, ouvert ou fermé, avide de conquête et prompt à la défense. Entre les limites du rire et des pleurs, l’homme projette sur l’écran de sa face les mille nuances d’une vie intérieure insaisissable dans sa réalité. A l’exception de quelques figures traditionnellement marquées de traits distinctifs, comme celles de saint Pierre, de saint Paul et du Christ, les représentations médiévales de la tête humaine ne fixent pas les singularités des apparences, recueillies par l’obser- vation ou héritées de modèles. Le portrait ne naît comme genre iconographique qu’au XIVe siècle. Avec son réalisme s’amorce le long déclin d’un langage conventionnel. En effet, si elle néglige les caractères individuels, l’imagerie met à profit les mobilités et les capacités d’expression de la tête pour exprimer des états et des comportements ayant une signification universelle. Si le visage ne livre pas le nom d’une personne, il contribue à faire comprendre la nature et les réactions d’une personnalité. L’EXPRESSION DU VISAGE L’aspect du visage est harmonieux dans la mesure où ses différentes parties, le nez, la bouche, les yeux et les oreilles, ont des dimensions et occupent des situations que l’on pourrait qualifier de normales, en se référant à une moyenne et non à un canon esthétique. La configuration commune et banale est peu signifiante. Au contraire, les exagérations qui bouleversent le visage comme une altération de nature, les mouvements qui le déforment et le tourmentent ont un pouvoir expressif certain. L’imagerie médié- vale se sert de ces signes pour raconter des histoires et communiquer des idées. Avant d’étudier les mouvements de la tête, il convient donc d’inventorier, de décrire avec leurs significations générales les formes et expressions du visage qui ont une valeur typique.
134 L’étude de la tête, plus que celle d’autres éléments de la représentation, demande esprit critique et prudence. La petitesse de certaines enluminures, le caractère sommaire et grossier de certaines sculptures ne permettent pas de percevoir sous les formes des traits bien définis et une volonté précise d’expression. Données de hasard autant que de déterminations pensées, les lignes et les volumes ont des caractères généraux identi- fiables, mais il serait téméraire d’affiner leur lecture et de discerner des nuances subtiles là où il n’y a que le résultat fortuit d’un mouvement de plume ou d’outil. Néanmoins, il ne faut pas tomber dans l’attitude systématique contraire, qui consiste à affirmer a priori que, compte tenu de leurs dimensions, les enluminures ne peuvent comporter de visages expressifs. L’examen comparatif d’un nombre élevé de représentations montre des constances dans les formes et les mouvements du visage, en corrélation avec des situations et des significations bien établies, constances telles qu’il ne peut y avoir de doute sur leur caractère signifiant. Des imagiers originaux ont dessiné leurs personnages avec des particularités carac- téristiques qui échappent en partie aux usages communs et doivent être interprétées avec prudence. Ces exceptions sont relativement peu nombreuses, mais certaines cons- tituent des cas si singuliers qu’il convient de signaler leur existence. Par exemple une Bible conservée à la bibliothèque de Troyes ne connaît guère d’autre forme de visage que caricaturale et anguleuse. Saint Paul a la même face que ses bourreaux et ses juges1. FORMES ET EXPRESSIONS DE LA FACE Le dessin de la tête et en particulier du visage, n’est apparemment pas régi par des lois strictes, n’obéit pas, notamment dans l’enluminure qui par sa petite dimension rendrait l’exécution difficile, à des proportions mathématiquement établies. Mais 1 aspect du visage peut être caractérisé qualitativement. Les formes et les proportions de ses parties comme le front, le nez, le menton, et les mouvements qui l’animent présentent un aspect d’ordre, d’équilibre, de mesure, d’harmonie, ou au contraire certaines démesures, certains mouvements et plissements excessifs apparentés à la caricature plus qu’au portrait. Les exagérations et les déformations physiques correspondent à des anomalies psychologiques, sociales, morales et religieuses, selon cette équation fondamentale de la pensée et de l’imagerie médiévales que l’ordre correspond au bien et le désordre au mal. On retrouvera, plus accentuées et plus nuancées, les mêmes corrélations pour les mouvements et les déformations des yeux et de la bouche. Quant à la forme générale du visage, on peut faire les remarques suivantes : Les exagérations déforment surtout le menton, développé en galoche ou presque supprimé (40; 139 F et S, 145 N), le front, trop haut ou trop bas (10; 123 G), le nez, gros, busqué ou pointu (30, 118, 145 M). La calvitie caractérise les insensés ( 10)1 2. 1. Bible, XIIe siècle, Troyes, bibl. mun., ms. 2391, fol 219v ; par aux Éphésiens fol. 219v et dans celle de la deuxieme Êpitre aux Thessalomciens toi. 224 . 2. Pour les insensés, cf. F. GARNIER, Les conceptions de la faite d’apres liconograp te du Psaume Dixit insipiens.
135 Ces anomalies affectent principalement : les figures des vices les bourreaux torturant les martyrs les possédés les infidèles, considérés comme des méchants les insensés les ennemis de Dieu en général les diables Les yeux Les yeux fermés signifient le sommeil, la cécité ou la mort. L’aveugle est actif1. Le dormeur se distingue du cadavre par la position du corps et des membres (p. 117). Les yeux ouverts s’accordent le plus souvent avec les autres éléments signifiants du visage et avec l’orientation de la tête. Dans la position «en majesté», les yeux grands ouverts regardent droit devant ne s’accommodant sur aucun objet précis qui particulari- serait l’attention. D’une grande intensité, le regard ne se fixe en effet sur aucun détail, il marque l’état d’universelle disponibilité (31,35, 37, 42). L’orientation des prunelles accentue quelquefois un mouvement signifiant de la tête, latéralement ou verticalement2. Les froncements de sourcils accompagnent le plus souvent des plis similaires de la bouche. Ils donnent à certains gestes une partie de leur sens. Dans un groupe d’Israélites qui se portent au-devant de Moïse pour recevoir la Loi, un Juif barbu portant une coiffure, saisit la main d’une femme qui le suit et se retourne vers elle, ainsi que vers le personnage démonstratif représenté de profil (43). Les sourcils de ce Juif font un angle aigu, et marquent la réprobation. Assez rares, dans les représentations de l’homme, de telles particularités sont fréquentes dans les figures diaboliques (21). La bouche Quels que soient leur état et leur activité, qu’ils discutent ou qu’ils fassent un discours, les rois, les maîtres, les juges et autres personnages de condition n’ouvrent pas la bouche3. La communication orale est exprimée par d’autres moyens, en particulier par les gestes de la main et les phylactères (p. 170 et 212). La bouche fermée, les lèvres minces régulières, sont la marque d’une qualité et d’une dignité de la personne, qu’elle conserve dans les situations mouvementées, comiques ou dramatiques. La sérénité, l’impassibilité du visage ne se démentent qu'exceptionnellement, chez Job, par exemple, lorsque au plus profond de sa détresse, il est écartelé par des mouvements contraires (58 ; 139 A). Mais peut-on dire que Job soit dans une condition normale alors qu une accumulation invraisemblable de calamités l’affligent ? 1. Après qu’on lui ait crevé les yeux, Satnson joue de la musique, Bible historiée, fin XIIe s*ecle> Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 76; guérison de l’aveugle de Jéricho, gravure, Postules sur les Evan- giles, Lyon, \ 482. 2. Les prunelles dans le coin de l’œil, le «regard en coin», renforcent la signification des mouvements de la tête : David et Abisag ne se regardent pas seulement, ils se dévisagent (57); les apothicaires, dont la tête de trois quarts, presque de face, marque la supériorité sur les employés figurés de profil, regardent dans la direction indiquée par leur geste et nécessitée par leur travail (33). 3. Il faut cependant faire des restrictions pour les représentations sculptées (18, 19).
136 Dans les autres cas, les crispations et l’ouverture de la bouche sont des désordres qui correspondent à une infériorité sociale (33), à des dérèglements physiques et moraux, allant jusqu’à la mort et à la damnation. La modification la plus simple est l’abaissement ou l’élévation des commissures. Ces signes de la douleur ou de la joie, s’accompagnent ordinairement d’un mouvement semblable des sourcils. Ces représentations quasi réalistes se rencontrent même dans des enluminures de petite dimension (43). Mais ces expressions du visage restent des exceptions. La position ouverte de la bouche, plus fréquente, est facile à lire et à interpréter. Elle traduit les mauvaises dispositions d’un être. Les méchants sont représentés la bouche grande ouverte qu’ils soient bourreaux, calomniateurs, traîtres ou mécréants, bref quelle que soit la nature de leur tare (118 ; 139 B, 139 M et N, 211 I). Les dents bien dessinées, et exagérément grossies, accroissent l’aspect redoutable de l’agressivité et de la férocité des diables. Car c’est chez les démons qu’il faut chercher les formes grimaçantesles plus horribles (20,105 ; 139 D, I-M). Le monde des damnés est quelque- fois aussi tourmenté que celui des gardiens de l’Enfer vers lequel ils se dirigent, sur le linteau du porche d’Autun par exemple (27 ; 139 H). Il faut noter enfin que les morts, surtout s’ils ont péri de façon violente, sont représentés bouche ouverte (15, 44 ; 139 E et F, 145 P). La bouche fermée ne correspond pas au silence. La bouche ouverte ne correspond pas nécessairement au cri. La langue tirée A propos du porteur de brebis, qui se retrouve presque dans chaque église romane d’Auvergne, Zigmunt Swiechowski s’associe à Bernard Craplet pour refuser de voir dans ce thème la réapparition du «Bon Pasteur», thèse de la plupart des auteurs. Il écrit que «nous le voyons tirer la langue dans une vilaine grimace», ce qui est incompatible avec la dignité du Seigneur (139 P et Q)1. D’autres raisons valables peuvent être alléguées à 1 appui de cette thèse, mais celle-ci semble suffisante. En effet tout mouvement de la bouche est, dans l’iconographie médiévale, signe d’un désordre, et plus que d’autres le fait de tirer la langue. Les diables font ce geste, en particulier lorsqu’ils se moquent de leur victime (40 ; 139 S). D’une façon plus générale,c’est le comportement des gens méchants qui traitent avec dérision les choses sacrées, les saints et Dieu lui-même (139 C). Après la mort de Samuel, les fils d’Israël se lamentent mais les Philistins se réjouissent fort. La Bible moralisée de Vienne oppose ces deux comportements tant dans l’illustration biblique que dans l’image du commentaire. Elle varie les signes manifestant que les mescreant et li mauves en ont ioie et molt en sunt lié (139 N). Tête de profil tirant la langue, tête renversée, bouche ouverte, geste du refus, tête tournée, expriment de façons différentes 1. Z. SWIECHOWSKI, Sculpture romane d'Auvergne, p. 286.
137 et complémentaires la moquerie et la méchanceté. Dans le même manuscrit on voit Pharaon et ses gens se gausser de Moïse et Aaron en leur tirant la langue (139 O), ce qui signifie, d’après le commentaire, les rois et les princes qi gabent lor confessors... et lor font la moe (139 N). Deux géants inspirés par de gros oiseaux au bec long et pointu, debout sur le sol, tiennent deux petits hommes par les chevilles, et tirent la langue comme les porteurs de brebis d’Auvergne. Ces personnages incarnent des puissances maléfiques (13 ; 139 R). Signe de sentiments mauvais, d’impiété, d’idolâtrie, de satanisme, la langue tirée, assez rarement représentée, a une signification claire et précise. Les cheveux Il n’entre pas dans le cadre de cette étude de décrire l’évolution de la coiffure des hommes et des femmes au Moyen Age. L’arrangement des cheveux n’intéresse le langage iconographique qu’à partir du moment où il a une signification générale et universelle, qui transgresse les usages et les modes. Les dispositions signifiantes sont liées à des anomalies et à des désordres du comportement. la calvitie Il ne faut pas confondre les modifications naturelles ou conventionnelles de la chevelure, correspondant à l’âge ou à des pratiques rituelles, avec des signes typiques de comportements individuels. La tonsure cléricale permet de distinguer les religieux des laïcs (29, 141, 152...; 127 A, 115 A, B, D...). Les vieillards ont le sommet du crâne dénudé (16, 131 B). Dans le cas de Job accablé parles infortunes physiques, la calvitie va avec les autres manifestations de l’épreuve corporelle (62 ; 183 C). La calvitie de Paul est traditionnelle (123 D). La calvitie peut avoir une signification différente. Elle dénote un comportement aberrant, par exemple chez l’insensé dont parle le psaume 52 Dixit insipiens (145 I). Assez souvent le crâne du fou est complètement rasé. cheveux ébouriffés en forme de flammes La chevelure ébouriffée en forme de flammes caractérise les diables (139 I, K, L, S...), et les personnages mauvais. Dans la Bible moralisée de Vienne, les cheveux de ceux qui symbolisent les vices sont ébouriffés (139 B). D’assez nombreuses sculptures du XIIe siècle représentent la musique profane entraînant à la luxure. Une femme danse dans des positions souvent provocantes. Sa chevelure abondante se répand en longues tresses ondulantes. On rencontre de telles images en France, à Avallon ou à Pirmil par exemple, et en Espagne, à Carrion de los Condes, Aguero et Huesca. saisie des cheveux En se tirant les cheveux, un personnage manifeste une violente émotion, la colère ou le désespoir (225 F-J;p. 223). L’homme qui en persécute un autre et va le tuerie saisit parles cheveux (19,93,111 ; 203 B). La saisie de la barbe aies mêmes significations.
138 EXPRESSION DU VISAGE A - Job dans le doute etl angoisse . ., j yttc Rîhl Sainte-Geneviève Lettre historiée, Bible de Manerius, deuxieme moitié du XII siecle. Bibl. Sainte G n ms. 9, fol. 162. ” ' db X>ne siècle. Vienne, Bibl. codex elndobonensls 25S4, fLes 2Vlï. vertuz abatent et defollent toz les vices, et detrenchent les mescreanz et les popuhcanz. C - Un homme d’Israël blasphème le Nom de Dieu. Bible moralisée, op. cit., fol. 30 D. , , Ici vient uns des filz israel devant Damedeu si li torst la boche et h fîst la moe et le gaba. Tj • I q rininp Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, troisième quart du XlVe siècle. Bibl. Sainte-Genevieve, ms. 1126, fol. 2. E Tête d’un des frères martyrs . rr Initiale du deuxième Livre des Macchabées, Bible d Étienne Harding, • ijon, . •> ms. 14, fol. 191. F - Tête de Caïn tué par Lamech Chapiteau, première moitié du XIIe siècle, cathédrale d’Autun. G - Tête de Judas pendu par deux diables Chapiteau, première moitié du XIIe siècle, cathédrale d Autun. H Tête de damné Tympan du portail occidental, milieu du XIIe siècle, cathédrale d Autun. I - Tête de diable Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay. Jugement dernier. Psautier de Marguerite de Bourgogne, première moitié du XIIIe siècle. Bibl. Sain te-Geneviève, ms. 1273, fol. 19. K - Tête de diable Chapiteau, début du XIIe siècle, cathédrale d’Autun. L - Tête de diable Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay. M - Tête de diable mordant des crânes Peinture murale, XIIIe siècle, Asnières-sur-Vègre. N Roi se moquant Bible moralisée, op. cit., fol. 19 d. . . .. n Texte du commentaire :... senifîe les rois et les princes qi gabent lor confessors qan i s partid’els, et lor font la moe et sunt assez peior qe devant. O - Pharaon se moquant de Moïse et d’Aaron Bible moralisée, op. cit., fol. 19 D. t , Texte de l’Écriture -.Ici se toment moyses et aaron de devant pharaon et s en vont, etpnaraons retorne a sa gent et si lor font la moe. P - Porteur de brebis tirant la langue Chapiteau, XIIe siècle, église de Mozac. Q Porteur de brebis tirant la langue Chapiteau, XIIe siècle, église de Brioude. R - Avare tirant la langue Chapiteau, XIe siècle, Notre-Dame de la Couture, Le Mans. S - Baal-Zeboub tirant la langue o r i iqç Initiale du deuxième Livre des Rois, Bible de Saint-Bénigne. Dijon, bibl. mun., ms. z, roi. U3v.
139 S (40)
140 LES POSITIONS DE LA TÊTE La tête peut faire deux sortes de mouvements, qui se combinent pour former une gamme variée de positions intermédiaires : un mouvement latéral de rotation, vers la gauche ou vers la droite, et un mouvement vertical, vers le haut ou vers le bas. Selon que le corps est vertical, penché ou horizontal, de face, de trois quarts ou de profil, les angles de vue de la tête se modifient. Il serait fastidieux et inutile de faire l’inventaire de toutes ces positions. L’imagerie médiévale n’est pas un répertoire systématique de figures. Certaines orientations, proches du mouvement naturel, ont une signification générale. Il convient d’en relever rapidement les caractères essentiels. Les positions typiques, plus conventionnelles, qui dans des contextes déterminés présentent avec constance des significations déterminées sont peu nombreuses. Elles méritent un examen plus approfondi. POSITIONS CORRESPONDANT A UX MOUVEMENTS VER TICA UX DE LA TÊTE L’homme porte habituellement la tête droite. Cette position correspond à un état physique et mental stable et sain. Tenue normale de l’homme, elle ne prend de valeur signifiante qu’en conjugaison avec d’autres signes, dans l’attitude «en majesté» par exemple. La tête levée, baissée en avant, inclinée sur le côté, s’intégre dans un ensemble de positions et de gestes liés à une activité ou manifeste un état. Dans le premier cas, le personnage s’oriente vers un objet ou une personne. Il regarde, écoute, accueille, touche etc. La signification de la position de sa tête est liée à celle de tout son compor- tement. Il faudrait pour qu’elle ait une signification propre, qu’elle aille en sens inverse du mouvement général du corps, et s’oppose à sa finalité comme une restriction, qui en modifie le sens et la portée. Relever la tête lorsqu’on se penche vers quelqu’un pour l’accueillir et l’embrasser, baisser la tête en s’adressant à quelqu’un qui est en situation dominante, marque une retenue. En dehors de ces cas, où le contexte éclaire le carac- tère singulier du comportement, les mouvements verticaux de la tête liés à l’activité du moment n’ont pas de signification symbolique. Avoir la tête levée, baissée ou inclinée, sans que ce soit vers quelqu’un ou vers quelque chose, sont au contraire des attitudes signifiantes, qu’elles soient liées ou non à des positions et à des gestes complémentaires. Tête levée La tête levée a deux significations principales opposées, suivant le comportement du personnage : Elle exprime l’orientation et l’élan de la bonne conscience. Les élus qui ressuscitent regardent le ciel (26, 105), ainsi que l’homme en prière (127 A-E) et l’être d’un bon équilibre moral (10). Elle est une attitude de défi, dans les figures d’insensés qui, de profil, la massue à la main, narguent Dieu, souvent figuré dans le ciel. Saül devenu fou est représenté ainsi (163 F).
141 Tête baissée La tête baissée a également deux significations opposées, selon qu’elle résulte d’un acte volontaire d’abaissement, ou qu’elle est la conséquence d’un mal subi. Lorsque Radegonde se jette au pied de l’autel, elle baisse la tête (5). Cette position marque l’humilité. Les coupables baissent la tête, la femme saisie par le diable (21), les damnés livrés au désespoir (27, 105). L’échec et la douleur qu’il entretient courbent la tête de ceux qui pleurent les disparus (102), de la Synagogue quiaperdu sa prééminence (81 ; 179 J), de la tristesse (158 ; 179 H), de l’être déséquilibré physiquement et moralement (10). Tête inclinée La tête inclinée sur le côté, position qui s’accompagne plus ou moins d’un mouve- ment vers l’avant, a un sens proche de celui de la tête baissée, mais généralement moins fort. La femme remise comme épouse par son père incline souvent la tête, c’est un signe de soumission qu’il ne faut pas nécessairement prendre pour une résignation forcée. La tête penchée reposant sur la main signifie la douleur, dans un sens très général (73 ; 183 B, C, E-H, K, O). POSITIONS CORRESPONDANT A UX MOUVEMENTS LA TËRA UX DE LA TÊTE L’homme porte habituellement la tête de face. Les mouvements de rotation, à droite ou à gauche, correspondent à des adaptations circonstancielles et passagères. Les représentations réalistes des mouvements latéraux de la tête s’interprètent en termes de relations psychologiques, sociales et pratiques. Il faut distinguer de l’appréciation objective de la rotation de la tête par rapport à la ligne des épaules, l’angle de vue sous lequel la tête se présente à l’observateur. La tête d’un personnage peut être figurée de face, de trois quarts, de profil, indépendamment de la position du corps. Dans l’imagerie médiévale, cet angle de vue détermine la signifi- cation plus que le mouvement de rotation de la tête par rapport au corps. Les positions figurées diffèrent des positions réelles dans trois relations typiques, qui constituent de véritables «formules visuelles» à significations bien définies. Les autres positions s’intégrent dans le jeu normal de la composition scénique, ne devenant parlantes que par des oppositions bien mises en valeur : corps de face — tête de trois quarts (33, 160, 162), corps de profil — tête de trois quarts ou de face (31,71 C). On décrira donc comme relations typiques : - tête de face, dite le plus souvent «en majesté» - tête de profil - tête tournée en arrière Cette dernière position se révèle être la plus importante, car, en conjonction avec des éléments de l’environnement et d’autres traits du comportement, elle détermine le sens profond de l’image.
142 Tête de face «en majesté» La représentation de la tête droite et de face est réservée à certains personnages et à des types bien définis de présentations. Cette position de la tête est inséparable d’une expression du visage et d’une position générale du corps avec lesquelles elle s’accorde (p. 124)1. Elle ne se rencontre guère que dans une attitude traditionnelle appelée «position en majesté». Le tracé régulier du visage, du nez, de la bouche et des yeux n’est rompu par aucune particularité qui marquerait la physionomie d’un caractère individuel propre aux êtres humains. Ceci n’exclut pas les éléments que l’on peut tenir pour génériques, comme la barbe. Régularité et symétrie donnent à ce visage une apparence ordonnée qui ne se rencontre pas dans la vie. On a déjà noté que la prunelle, au centre des yeux grands ouverts, semble immobi- lisée dans une contemplation, qui regarde tout mais ne se fixe sur rien (p. 135). Figé dans un état d’universelle attention, le regard ne se pose sur aucun objet, sur aucun détail anecdotique dans l’espace et dans le temps. Le prince des diables représenté assis, de face, les yeux grands ouverts, ne peut être dit en majesté. Même lorsque son faciès est régulier et symétrique, des dispropor- tions bestiales lui donnent un air tourmenté et inquiétant. A Asnières-sur-Vègre, sa bouche démesurée laisse apparaître des dents menaçantes, et il empoigne à pleine main l’âme d’un damné1 2. Ce type de figuration est une caricature non équivoque de la position en majesté. Les rois ne seront représentés en majesté qu’assez tardivement. Il n’est que de comparer les images de sacres du XIIIe siècle et celles du début du XVe siècle pour s’en rendre compte. Dans les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, de 1275, le roi chrétien est toujours figuré de trois quarts, alors que dans un manuscrit des Grandes Chroniques du début du XVe siècle, on le voit de face, en majesté, pendant le sacre3. Tête de profil En règle générale, aucun personnage de qualité n’est représenté de profil. Les exceptions, relativement rares s’expliquent facilement par les nécessités de l’action4. La position de profil est en effet le signe d’une infériorité. La hiérarchie de valeur dans laquelle les personnages occupent des places différentes est habituellement suggérée de façon explicite par les attributs et les vêtements des personnes, leur situation, leur position, leur activité. Mais dans certains cas la position de profil est le signe principal qui éclaire la valeur d’un comportement, d’où l’importance de sa juste appréciation. Accidentelle ou essentielle, la relation 1. Pour face et profil, voir M. SCHAPIRO, Words and Pictures, p. 37-49. 2. Peinture murale représentant l’Enfer, XIIIe siècle, église d’Asnières-sur-Vègre (Sarthe). 3. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 783 ; dans sept des treize représentations du couronnement le roi est en majesté (fol. 124, 170v, 192v, 259, 337, 395v, 469). 4. Sont ainsi figurés de profil : Tobie et l’homme (l’ange) quittant Tobit ou revenant auprès de lui, Bible d’Ëtienne Harding, 1109, des guerriers affrontés, dans le même manuscrit (16, 17) ; Charles V et l’empereur Charles IV lors de leur rencontre à Paris en 1378, Bernard Gui, Fleurs des Chroniques, fin XIVe siècle, Besançon, bibl. mun., ms. 677, fol. 105.
143 d’infériorité peut être liée à une conjoncture passagère, à un rang social, à une altération superficielle ou profonde de la nature. L’homme qui s’applique à une activité matérielle regarde la pierre qu’il taille, l’échelle qu’il gravit en portant une charge, le matériau qu’il ajuste1. Les besoins du métier exigent de l’artisan une orientation de la tête et des membres par rapport à l’objet qu’il utilise ou transforme. Mais les imagiers les représentent tantôt de trois quarts, tantôt de profil. Cette dernière position correspond-elle à une mise en place consciemment organisée, qui marque l’activité matérielle d’une nuance péjorative? C’est possible, mais l’usage n’est pas suffisamment universel pour qu’on puisse l’affirmer catégoriquement. Le lien entre l’occupation actuelle et la position de profil est plus net lorsque des personnages, dont on connaît l’identité et la qualité, accomplissent des gestes qui requièrent cette attitude. Mardochée, après avoir reçu les honneurs royaux, chevauche fièrement, le sceptre à la main, en regardant droit devant lui. 11 est de profil pour celui qui observe l’image1 2. Tobie infligeant une correction à Asmodée, dont Raphaël immo- bilise les bras autour d’une colonne, regarde celui qu’il frappe d’un coup de .bâton et d’un coup de pied. Son visage a la même orientation que ses membres en action ; il regarde devant lui et nous apparaît de profil3. Une illustration du Livre de Judith donne un exemple d’intégration de la position de profil dans un ensemble de signes plus complexe et riche de signification. Le lieu où se passe l’action n’est pas figuré (59; 145 A). Holopheme repose allongé sur un lit au premier plan. Derrière sa couche, deux femmes debout se regardent. L’une, complètement de profil, tient Holopheme parles cheveux et lui a déjà enfoncé une épée dans le cou. Mais son regard est fixé sur celui de l’autre femme, Judith, d’une plus noble prestance. Celle-ci pointe l’index de sa main droite et tient dans sa main gauche la tête du chef de l’armée ennemie, comme si elle était déjà séparée du corps. Les gestes de ses deux mains se complètent pour signifier l’ordre donné à la servante de tuer Holopheme, l’initiative et le mérite revenant à la maîtresse, la tâche d’exécution incombant à la servante. Judith est de profil, parce que la communication avec la servante, dans l’action, est ici essentielle. Alors que le maître est figuré de face ou de trois quarts, le serviteur qui accomplit son travail auprès de lui est souvent représenté de profil, qu’il éclaire l’écrivain taillant sa plume(47; 145 B)4, qu’il apporte de l’eauàl’homme riche pour le lavement des mains5, 1. L’initiale du Livre d’Esdras, historiée par la scène de construction du Temple, permet de comparer des représentations nombreuses du XIIIe siècle. Dans sept initiales de ce livre biblique, sur vingt ouvriers au travail six ont la tête de profil, répartis dans seulement trois lettres : bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1185, fol. 127v;Troyes, bibl. mun., ms. 33, fol. 87 ;bibl. Sainte-Geneviève, ms. 15, fol. 185 ; Arras, bibl. mun., ms. 1, fol. 102v et ms. 919, fol. 76 ;bibl. Mazarine, ms. 72, fol. 91 ; Amiens, bibl. mun., ms. 23. 2. Bible, XIIIe siècle, Amiens, bibl. mun., ms. 23. 3. Bible de Saint -Bénigne, Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 366v. 4. Pline précise dans sa préface adressée à l’empereur qu’il a écrit son livre la nuit, pour ne pas empié- ter sur le temps dû au service de l'Etat. L’imagier a souligné ce fait en représentant deux éclairages : une lampe suspendue au plafond, que l’on ne voit d’ailleurs pas;un chandelier est approché par un serviteur. 5. Vitrail du Mauvais Riche, XIIIe siècle, cathédrale de Bourges. Dans cette verrière, le riche est repré- senté de trois quarts, même sur son lit de mort, au moment où les diables lui arrachent l’âme qui sort de sa bouche. Au contraire, les serviteurs sont de profil ou presque. Le pauvre Lazare lui-même, misé- reux et couvert de plaies, est figuré de profil quand il se présente à la porte du riche et lorsqu’il meurt.
144 qu’il accomplisse le service de la table de son seigneur, qu’il garde sa monture (133) ou exécute ses ordres (33). Mais son âme, emmenée en Paradis par les anges sous la forme d’un petit être nu, a le visage de face, alors que celle du riche damné a le corps de face mais la tête de profil. Cette opposition se retrouve dans la figuration de l’un dans le sein d’Abraham et de l’autre en Enfer. Les positions de face, de trois quarts et de profil correspondent donc d’abord à une hiérarchie sociale, puis à une hiérarchie de valeur religieuse. TÊTE DE PROFIL A - Judith et sa servante Initiale du Livre de Judith, Bible de Manerius, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 10, fol. 78. B - Le serviteur de Pline Pline, Histoire naturelle, XIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 263, fol. lOv. C Disciple apprenant la règle de saint Benoît Smaragde, Commentaire sur la règle de saint Benoît. Le Mans, bibl. mun., ms. 349, fol. 2v. D - Fidèle, disciple de saint Paul Initiale de l’Épître aux Colossiens, Bible de Manerius, op. cit., fol. 279v. E - Le fidèle soldat du Christ (p. 153). Initiale de la deuxième Épître à Timothée, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1180, fol. 352. F - Disciple du roi Salomon Initiale du Livre des Proverbes, Bible, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 4, fol. 196. G - Juifs écoutant le prophète Ézéchiel Initiale du Livre d’Ézéchiel, Bible, XIIe siècle. Troyes, bibl. mun., ms. 28,1.1, fol. 220. H - Insensé obéissant au diable Initiale du psaume 52 Dixit insipiens, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1185, fol. 159v. I - Figure de l’insensé Initiale du psaume 52 Dixit insipiens, Bible, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 4, fol. 182v. J - Défenseur d’une mauvaise cause Justinien, Vlnfortiat, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 394, fol. 198v. K - Femme perverse incitant à la débauche Initiale du psaume 58 Eripe me, Psautier d’Odbert, vers 1000. Boulogne-sur-Mer, bibl. mun., ms. 20, fol. 63v. L - Arius l’hérétique Initiale de l’Évangile de saint Jean, Bible d’Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 15, fol. 56v. M - Marsile le perfide Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 152. N - Philistins se réjouissant de la mort de Samuel Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol.40vA. O - Judas le traître Peinture murale, XIIIe siècle. Amné-en-Champagne (Sarthe). P - Aman châtié Initiale du Livre d’Esther, Bible de Saint - Thierry, XIIe siècle. Reims, bibl. mun., ms. 23, fol. 69v.
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146 La hiérarchie dans l’autorité et le savoir se traduit également par la position de la tête. Le disciple est souvent de profil, devant un professeur de face ou de trois quarts (34, 60, 82; 145 C-F). Une initiale du Livre d’Ezéchiel montre même les trois positions correspondant à trois niveaux nettement différenciés : Dieu en majesté, tenant le livre, représente la Vérité; le prophète, situé au-dessous de lui, le corps de face et la tête de trois quarts, transmet, en qualité d’intermédiaire, ses préceptes aux hommes d’Israël, qui les reçoivent de profil (45 ; 145 G). Il ne s’attachait aux relations d’infériorité dont il vient d’être question aucun caractère infamant. Mais la position de profil a d’autres significations, dans l’ordre des valeurs morales et religieuses. L’insensé, dont la silhouette illustre en particulier le psaume Dixit insipiens, ajoute cette position du visage aux autres désordres de son comportement (77, 148 ; 145 H, I). Le personnage de mauvaise foi qui comparaît devant le juge, la femme perverse qui incite l’homme à la débauche, le Juif hypocrite sont fréquemment représentés de profil (1,69, 155; 145 Jet K)1. Fait très rare, dans la Bible d’Etienne Harding l’Evangile de Jean commence par une illustration historique et théologique (145 L). Le personnage assis n’est pas l’évangéliste mais Arius, dont le nom est porté sur le phylactère qu’il tient, où sont aussi écrits les mots Erat aliquando quando non erat. Cette formule s’oppose à celle présentée par l’aigle, attribut johannique, Znprincipio erat Verbumet Verbum eratapud Deum. L’hérétique est représenté de profil. Les griffes de l’aigle lui enserrant la tête s’enfoncent dans les yeux, dans la bouche et dans l’oreille. Cette position de tête caractérise également l’infidèle et permet de le distinguer du chrétien. L’illustration d’un chapitre des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, racontant la trahison de Ganelon, a donné lieu à des lectures qui paraissent inexactes et que la position de profil, entre autres signes, permet de corriger (118; 145 M). Il est impossible de voir dans le visage de profil, au nez busqué, à la bouche ouverte, la tête de l’empereur Charlemagne. Pas une seule fois dans les trente-sept représentations de ce manuscrit le roi de France n’est figuré de profil. La tête de Marsile ne ressemble qu’aux deux profils des infidèles qui, dans la même enluminure, discutent et préparent la trahison de Ganelon (211 I). Dans ces Chroniques, deux guerriers se présentent également de profil, en tournant la tête dans leur fuite : Grippon, fils de Charles Martel, qui, mal conseillé, combattit ses frères Carloman et Pépin, par lesquels il fut battu (113) et Henri II Plantagenêt, ennemi de la France, chassé du Mans par Philippe Auguste (139). Parmi les autres mauvais désignés par leur profil, la bouche ouverte le plus souvent, on peut citer Judas et Aman dans le Livre d’Esther, tous les ennemis de Dieu et particu- lièrement les êtres diaboliques (22, 58, 77, 88 ; 145 N-P). Encore faut-il, pour ces derniers, tenir compte de leur place dans la hiérarchie infernale. Le prince des ténèbres peut être figuré de face, voire en fausse majesté, assisté de ses sbires silhouettés de profil1 2. 1. Dans son étude sur Le Juif médiéval au miroir de l’art chrétien, Bernard BLUMENKRANZ a publié de nombreux documents dans lesquels des Juifs sont figurés de profil (fig. 89, 90, 96, 103, lOS, 107, 108, 109 etc.). 2. Dans l’Enfer, XIIIe siècle, peinture murale de l’église d’Asnières-sur-Vègre (Sarthe), et dans l’illus- tration de VEn fer de Dante, XIVe siècle, Chantilly, musée Condé, ms. 1424.
147 Tête tournée en arrière La position normale de la tête par rapport au corps est droite et de face. Tourner la tête suppose un effort dès que le mouvement de rotation est prononcé. L’expression tourner la tête correspond, au sens physique, à un acte, spontané ou réfléchi, déterminé par une sollicitation extérieure ou une initiative personnelle. Un être ne peut conserver que peu de temps la tête en arrière, du moins fortement tournée. Sans établir un lien précis entre les données de l’expérience corporelle et les posi- tions de la tête par rapport au corps dans le langage iconographique médiéval, il paraît probable que le caractère signifiant et relativement exceptionnel de cette posture dans la vie se retrouve dans l’imagerie. La rotation latérale de la tête par rapport au corps traduit toujours une relation physique ou morale, supposant un certain degré de tension et d’attention. Mais les significations précises de cette attitude ne peuvent être établies correctement qu’en la situant dans son contexte iconique, en tenant compte du personnage qui tourne la tête : - immobile en mouvement, marche, course - passif, ne fait aucun geste des bras et des mains actif, geste de désignation, d’ordre ou de refus, exécution d’un travail de ce qui est derrière lui : - rien n’est représenté - un édifice, forteresse, église - un personnage ou un groupe passif actif, geste de l’ordre gestes d’agressivité de ce qui est devant lui : - rien n’est représenté - un édifice, forteresse, église - une personne ou un groupe personnage immobile regard sur le passé seul, inactif regret Dans les scènes de résurrection des morts, les élus surgissent de leur tombeau, animés par l’espérance, ils regardent le ciel en tendant les bras. Les damnés sont au contraire abattus. Dans un Psautier du XIIIe siècle, un des réprouvés, les mains pendantes, regarde derrière lui. Il y a deux explications à son attitude : ou bien il regarde derrière lui parce que devant il n’y a pas d’espérance, ou bien il regarde sa vie antérieure. La culpabilité est faite du poids d’un passé coupable sur la conscience. Ces deux interprétations ne s’excluent pas, mais la comparaison avec d’autres représenta- tions où le personnage fuit sa faute plaide pour le regard sur le passé (105 ; 155 C).
148 TÊTE TOURNÉE EN ARRIÈRE le personnage derrière lui immobile devant lui signification seul inactif regarder le passé son passé personne/ objet actif (désignation) porter attention à désirer personnage / groupe actif (désignation) personne/objet montrer quelque chose à quelqu'un attirer l'attention sur actif (geste refus) personne/objet se détourner de refuser en mouvement seul fuite du passé conduite insensée ville/édifice départ volontaire fuite d'un lieu personnage/ quitter quelqu'un groupe bienveillant partir en mission personnage/ geste ordre conduire, entraîner groupe en marche désignation personnage/ non combatif fuir un ennemi groupe en marche fuir le mal agressif lieu/édifice méfiance A - Romulus attire l’attention sur les oiseaux Tite-Live, Histoire romaine, deuxième moitié du XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 777, fol. 7. B - Saint Jean attentif regarde le Verbe dans le sein du Père. Initiale de l’Évangile de saint Jean, Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 442v. C - Disciple attentif à l’enseignement de saint Grégoire Saint Grégoire, Lettres, XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 180, fol. 1. D - Religieux prenant avis d’un conseil pour la consécration d’un clerc Gautier de Coincy, Miracles de Notre-Dame, milieu du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 551, fol. 23v. E - Convoitise se tournant vers les biens qu’elle désire Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1126, fol. 2v. F - Les messagers d’Ochozias vont consulter Baal-Zeboub et reviennent (p. 154). Initiale du deuxième Livre des Rois, Bible de Saint-Bénigne, op. cit., fol. 135v. G - Juif hypocrite se détournant de l’autel et accusant un pécheur Frère Laurent, Somme le Roi, XIIIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 870, fol. 89v.
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150 personnage immobile porter attention tournant la tête vers à quelque chose ou à quelqu un un objet ou une personne Le mouvement rotatoire de la tête en arrière exprime l’intensité de l’attention portée à une personne ou à un événement. Les imagiers utilisent ce procédé pour montrer le caractère insolite, étrange, d’une manifestation, d’une apparition divine par exemple, et la réaction qu’elle provoque chez celui qui s’y montre attentif. Le mouve- ment de rotation plus ou moins accentué marque les degrés du fait de conscience. Lorsqu’il outrepasse la vraisemblance, il traduit un état fort. Du moins ces conclusions semblent-elles découler des observations. Mais d’autres facteurs que la signification peuvent intervenir dans le dessin des formes et il faut rester mesuré et prudent, ici comme toujours, dans l’interprétation des positions. Les personnages assis de face qui se tournent vers des objets ou des personnes traduisent ainsi l’attention qu’ils leur portent. Ils renforcent quelquefois leur expression par un geste de la main qui désigne. La nature plus précise de la relation dont est ainsi soulignée l’intensité, est donnée par le contexte. Convoitise pourtraite, dans Roman de la Rose, regarde sur le côté le coffre et l’étoffe suspendue, objets de ses désirs (160; 149 E). D’une main elle les désigne, sur l’autre elle appuie sa tête, dans un geste qui marque sa douleur de ne les point posséder. Envie a la même position (162; 183 I), mais elle montre un couple qui s’enlace. On convoite quelque chose et on envie quelqu’un, dans ses possessions ou ses comportements. Le mouvement est plus prononcé dans d’autres représentations. L’évangéliste se retourne pour contempler la majesté divine dont il reçoit l’inspiration et sur laquelle il écrit (37 ; 149 B). Le disciple a un comportement identique, pour prêter toute son attention à l’enseignement qu’il reçoit du maître (28 ; 149 C). La signification est la même lorsque le personnage est debout, arrêté et se détourne de son activité du moment pour regarder une autre personne ou un événement. Un évêque célébrant la messe tourne la tête vers la main divine qui bénit son offrande (177 E). Cela ne signifie pas qu’il se détourne de son action sacrée rituelle, ce qui irait à l’encontre de la vraie dévotion. Son mouvement de tête traduit une attitude spirituelle d’intense attention portée à Dieu, qui se manifeste par le geste de la bénédiction. L’ange de l’Annonciation surgit souvent derrière la Vierge en prière, qui tourne la tête dans un geste qui peut exprimer la surprise mais aussi l’attention portée à l’envoyé divin et à son message1. Dans une enluminure des Miracles de Notre-Dame,de Gautier de Coincy,un religieux tourne la tête vers les moines qui ont élu celui auquel il impose la mitre (92 ; 149 D). 1. Chapiteau du XIIe siècle, San Juan de la Pena. Albâtre anglais, XVe siècle, Victoria and Albert Muséum.
151 personnage immobile se retournant vers un personnage ou un groupe et désignant quelque chose situé devant montrer quelque chose à quelqu’un attirer l’attention sur Le personnage qui désigne du doigt un élément placé devant lui à un homme ou à un groupe d’hommes vers lesquels il se retourne, montre cet élément et attire l’attention sur lui. Romulus et Remus consultent le vol des oiseaux pour savoir lequel sera roi de Rome (163 ; 149 A). Ils se retournent vers ceux qu’ils prennent à témoin, en désignant les vautours qui passent devant eux. La représentation simultanée de l’ordre donné et de sa réalisation place l’agent qui exécute, ou fait exécuter, dans une double position : d’une part il prête attention à l’autorité dont il reçoit les instructions, d’autre part il attire l’attention de celui qui commande sur le travail en voie d’achèvement. Cette situation est par excellence celle du maître d’œuvre. L’architecte se tourne vers l’empereur qui a ordonné de bâtir une église et lui montre l’édifice à moitié construit (176; 55 A). Un autre architecte a le même comportement devant un château (55 B). Il tient sa règle comme une canne et semble marcher. Mais le roi est arrêté. La présence d’une pierre et de sculpteurs qui travaillent écartent l’hypothèse d’un déplacement réel. Cette mobilité symbolique et fictive signifie le soin et le zèle apportés à l’exécution des ordres (p. 129). personnage immobile se détourner de tournant la tête refuser devant un objet ou une personne Tourner la tête en arrière devant un objet ou une personne est un signe d’aversion. Ce mouvement s’accompagne habituellement d’un geste de la main ayant même signification. Un Juif agenouillé devant un autel regarde derrière lui, tend un bras et pointe le doigt dans la direction opposée à cet autel, dont il se détourne, vers un «pécheur» (149 G). Sous ce personnage il est écrit «l’hypocrite». L’hypocrite est celui qui se détourne de la prière et accuse le pénitent sincère. Un noble se trouvant en présence d’une femme dont il doit faire son épouse, la trouve si laide qu’il tourne la tête et fait des deux mains le geste du refus (193 F). personnage seul en marche regardant derrière lui fuite du passé coupable conduite insensée Le personnage qui, occupant seul un champ circonscrit, avance en tournant la tête en arrière, a un comportement anormal. L’explication de cette position est double. Elle dépend de la tenue du corps et des gestes. Si l’homme jette les mains en avant, intensifiant ainsi l’impression de mouvement déjà suggérée par ses jambes, il fuit devant un ennemi invisible. La nature de cette puis- sance hostile est connue pour l’illustration du psaume 68 Salvum me fac : le roi David est harcelé par le remords. Le pécheur se retourne vers son passé, vers sa faute, dont il craint la sanction. Dans la panse inférieure du S historié d’un Psautier du XIIIe siècle,
152 nu et à moitié immergé, comme il est dit dans le texte, le roi coupable se projette en avant pour tenter d’échapper au souvenir obsédant de la faute et au châtiment qu’elle mérite (155 C). Dans la panse supérieure, Dieu, dont on pourrait dire d’après sa position qu’il est en majesté, s’il n’y avait l’orientation de ses yeux, regarde du même côté que le roi, c’est-à-dire vers le passé criminel. L’expression du visage divin est trop nette et trop rare pour ne pas avoir été dessinée comme représentation signifiante. Dans une autre initiale du même psaume, Dieu semble poursuivre le roi en fuite, qui tourne la tête, mais en levant les yeux vers le justicier1. Ici encore, le mouvement va dans le sens de la lecture des images narratives, de la gauche vers la droite. Lorsque les gestes des bras et des mains n’indiquent pas une fuite en avant, le fait de regarder derrière soi marque le caractère irrationnel d’une conduite. Cette position est un signe parmi d’autres de l’incohérence du comportement. Dans un quadrilobe de la cathédrale d’Amiens, le fou marche en regardant derrière lui (148). Cette anomalie complète une série de dérèglements : il porte une pierre à sa bouche, son vêtement bizarre ne lui couvre qu’une épaule, son manque d’attention lui fait recevoir une pierre sur la tête. Cette attitude n’est pas rare dans la représentation de l’insensé dont parlent les psaumes 13 et surtout 52, qui commencent par Dixit insipiens, que le fou soit repré- senté seul ou devant le roi David. L’absurdité de celui qui va dans un sens en regardant dans la direction contraire est encore mieux mise en évidence lorsque le personnage du sage oppose sa tenue morale et son bel équilibre aux agitations désordonnées de l’insensé1 2. Une gravure illustrant le chapitre De corrupto ordine vivendi de La Nef des fous, représente un homme debout sur sa tête, tournée vers l’arrière de la charrette qui le porte3. personnage en marche quitter volontairement un lieu regardant derrière lui fuir un lieu un édifice, une ville Le regard en arrière, vers un édifice ou une ville, d’un homme qui s’en éloigne, à pied, à cheval ou en bateau, signifie le départ, l’éloignement volontaire, quelquefois la fuite du lieu. L’inconstance, mise au nombre des maux dans la série des vices de la cathédrale d’Amiens, est figurée par un moine qui abandonne son monastère (150; 155 A). Ce religieux regarde derrière lui. Une analyse fondée sur l’expérience person- nelle, sur le bon sens, pourrait interpréter ce mouvement de tête comme le dernier regard de celui qui quitte un lieu à regret. Le grand nombre des images dans lesquelles le regard en arrière, dans un contexte semblable, signifie la fuite, interdit cette lecture. Amédée Boinet décrit l’initiale historiée du chapitre des Grandes Chroniques de France sur le Roi Raoul : «Le roi Raoul, fils de Richard, duc de Bourgogne, à cheval, accompagné d’un ecclésiastique» (126; 155 B)4. Il ne fait pas mention de la ville que 1. Bible, XIVe siècle. Laon, bibl. mun., ms. 254. 2. Bible, XIIIe siècle, Arras, bibl. mun., ms. 1, fol. 131 ; Psautier à l’usage de Paris, XIIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2690, fol. 63v. 3. Sébastien BRANT, Stultifera Navis, Bâle, Jean Bergmann, 1497. 4. A. BOINET, Les manuscrits à Peintures de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, p. 43.
153 regardent les deux personnages en tournant la tête. Il semble pourtant que cette relation donne la signification profonde de l’image. Que viendrait faire le tableau d’une simple promenade dans une illustration aussi riche? En interprétant la marche en avant, tête tournée en arrière, comme le départ volontaire, la fuite d’un lieu, on aboutit à une lecture qui s’accorde avec le texte des Chroniques. Il rapporte, comme un événement important, la fuite du fils de Charles III le Simple mort prisonnier à Péronne, futur Louis IV d’Outremer .Ses fiuz Loys que il avoit a Audalgive, la fille du roi d’Engleterre, s’enfui à son aioul, car il se doutait moult que autel mescheance ne li avenist corne à son pere1. personnage en marche quitter quelqu’un regardant derrière lui partir en mission un personnage ou un groupe bienveillant L’illustration d’une épître de saint Paul contient dans un résumé très parlant l’essentiel d’une relation qui se retrouve, avec la même signification, dans d’autres sujets. L’apôtre impose les mains à un personnage qui tourne la tête vers lui, bien qu’il soit déjà en marche. Ce chrétien porte l’épée et le casque. L’enluminure traduit fidèlement les données du texte de saint Paul, qui aimait les images empruntées au métier des armes1 2. Il met dans les mains du chrétien «le bouclier de la foi et le glaive de l’Esprit». Fait soldat du Christ le chrétien se met en marche vers les missions à accomplir (83). La même idée est exprimée dans certaines illustrations de l’initiale du Livre de la Sagesse. Au XIIIe siècle, la panse du D de Diligite justifiant sert fréquemment de cadre à la remise d’une arme, l’épée ou la lance, au nouveau chevalier. Le roi, Salomon, investit le jeune guerrier — ses traits semblent quelquefois ceux d’un enfant - du pouvoir et du devoir de combattre pour la Justice, l’Eglise et Dieu. Tantôt le récipien- daire est à genoux pour recevoir son arme symbolique, tantôt il est debout, tantôt comme le nouveau miles Christi auquel saint Paul vient d’imposer les mains, il part en tournant la tête vers le roi, afin d’accomplir la mission qui lui est confiée3. Dans cette figuration de l’envoi en mission, l’action à faire, l’objectif à atteindre importent plus que le fait de quitter quelqu’un. Et cette action est clairement indiquée par les éléments : le bouclier, l’épée, la lance signifient le combat dont l’imposition des mains ou le geste de l’ordre expriment la finalité et les motivations. Une scène de la Bible moralisée de Vienne illustre le texte ihesucriz envoia ses deciples as paiens, por qerre bones âmes por lui ressazier (173 C). Deux apôtres nimbés, en marche vers une ville, se retournent vers le Christ qui les envoie. Le voyage de Tobie a été traité de façon semblable, au XIIe siècle surtout. Le père du garçon, aveugle, est représenté assis. Sa femme se tient derrière lui. Tous deux 1. Autre document présentant la même relation :1e roi Lot quitte le château de la reine Genièvre, Robert de Borron,Histoire du Graal, vers 1280, Paris, Bibl., nat., ms. fr. 95, fol. 292v. 2. State ergo succincti lumbos vestros in veritate, et induti loricam justitiae, et calceati pedes in prae- paratione Evangelii pacis;in omnibus sumentes scutum fîdei, in quo possitis omnia tela nequissimi ignea exstinguere ; et galeam salutis assumite, et gladium spiritus (quod est verbum Dei); per omnem orationem et obsecrationem orantes omni tempore in spiritu (Éph. 6, 14-18). 3. Bible, XIIIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 21, fol. 285.
154 regardent l’enfant que Raphaël prend en charge. Tobie se retourne vers ses parents(16)F Ismaël envoyé dans le désert par Abraham se retourne vers le Patriarche (66), Rébecca remise à Eliézer se retourne vers son père (67). Ce mouvement de tête est très fréquent dans la figuration du départ. L’initiale du deuxième Livre des Rois de la Bible de Saint-Bénigne ajoute à la chute d’Ochozias, tombant par la fenêtre de son palais, une scène dont la lecture présente quelques difficultés (40; 149 F). Le roi malade est couché dans son lit. Un diable, situé plus haut que lui, apparaît à une sorte de fenêtre. Le lien entre cette image et le deuxième verset du livre est évident : «Allez consulter Baal-Zeboub, le dieu de Eqrôn, pour savoir si je guérirai de cette maladie» (II Rois 1,2). Le diable représente le dieu païen. Mais qui sont et que font les petits personnages, situés entre le roi et le démon? L’un d’eux a la tête tournée vers le roi dont il imite le geste. Un autre reproduit la même disposition en sens inverse : il regarde le démon et reproduit son geste. D’après les constances de signification du regard en arrière et de l’imitation (p. 51), on peut voir dans cette figuration une traduction rigoureuse de la fonction des messagers qui, sur l’ordre et avec les instructions du roi, vont consulter le diable, et s’en reviennent rapporter fidèlement ses paroles. Quant à la petite tête isolée, elle signifie sans doute qu’il y eut plusieurs messagers, ce que dit le texte (p. 106). 1. Autre représentation du même genre : Tobie, en marche, se retourne vers son père; l’ange lui a saisi le poignet et l’entraîne. Il s’agit bien d’une mission, Bible, seconde moitié du XIIe siècle, Clermont-Ferrand, bibl. mun., ms. 1, fol. 203. TÊTE TOURNÉE A - Religieux abandonnant son monastère Quadrilobe, XIIIe siècle, cathédrale d’Amiens, porche occidental. B - Roi fuyant une ville Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 21 Iv. C - David fuyant son péché Initiale du psaume 68 Salvum me fac, Psautier, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2690, fol. 79v. D - Lâche fuyant devant un lièvre Quadrilobe, XIIIe siècle, cathédrale d’Amiens, porche occidental. E - Fuite de Hugues Capet Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, op. cit., fol. 219. F - Avare regardant s’il n’est pas suivi Chapiteau du XIIe siècle, Nieul-sur-l’Autize.
155 E (130) F (53)
156 personnage en marche conduire se retournant vers entraîner des gens en marche geste d’autorité désignation, ordre Lorsqu’un être se retourne vers ceux qui le suivent, en manifestant sa qualité et son autorité, mais sans désigner un objectif précis à l’action, ou sans que d’autres éléments figurés donnent à cette action une orientation particulière, son geste a une signification générale. Il invite ceux qu’il appelle à copier leur conduite sur la sienne, à l’imiter comme un exemple, à le suivre comme un guide dans leur existence. Ce guide, qui se présente comme modèle, peut attirer vers un idéal élevé. C’est l’appel de Dieu et du saint. Dans un livre d’Heures du XVe siècle, saint Jacques, plus grand que ceux qui le suivent, séparé d’eux par une tenture qui l’isole artificiellement sur un paysage assez réaliste, tourne légèrement la tête. Les dévots le contemplent en levant les yeux et conforment leur comportement à celui de leur guide, en lui emboîtant le pas (172). Le diable procède comme le saint. Dans une illustration du psaume Dixit insipiens, il fait le geste de l’ordre et regarde l’insensé. Celui-ci imite son geste de commandement, en signe d’adhésion et d’obéissance. Il le suit comme un fidèle (77 ; 145 H). Dans les deux cas qui précèdent, le guide est en même temps le modèle, parce qu’aucun détail ne permet de situer son activité dans une fonction particulière. Dès qu’un élément précise la relation, il en limite le sens. A la proue du bateau qui les ramène dans leur pays per aliam viam, un des trois mages indique la direction à suivre en se tournant vers ses compagnons et vers le pilote (173 E). Mais ceux-ci n’imitent pas son geste. Il s’agit d’une simple indication de route. Moïse brandissant son bâton regarde les Israélites qui le suivent. Il leur fait traverser la mer Rouge, figurée par un feston (105 C, 173 B). Là encore il agit comme guide et non comme modèle de vie. Le guide ne tourne pas toujours la tête vers ceux qu’il conduit dans une direction ou vers un objectif déterminé. Ce mouvement, plus ou moins prononcé, souligne son rôle de chef ou l’importance qu’il y a à suivre la bonne voie. D’autres signes peuvent lui être ajoutés ou le remplacer (p. 171). personnage non combatif fuir un ennemi marchant ou courant en se retournant devant un ennemi Le personnage qui prend la fuite devant un ennemi se retourne vers celui qui le poursuit, sans faire le moindre geste de défense ou d’attaque. Les Grandes Chroniques de Saint-Denis présentent cinq armées en déroute, deux en rase campagne, deux à la suite d’une prise de ville et une à la suite d’une sortie de ville assiégée. Dans chacune de ces scènes les fuyards ont exactement le même compor- tement. Ils se retournent vers ceux qui les poursuivent et ne font aucun geste belliqueux.
157 Cette passivité dans la fuite permet de distinguer les vaincus en déroute de ceux qui courent sus à un ennemi, en particulier du chef qui entraîne ses troupes à l’attaque. Grippon quitte la ville de Laon, dont s’emparent Carloman et Pépin, en 742 (113). Grippon sort de la ville en regardant derrière lui. Il tient son bouclier par la partie supé- rieure et baissé. Dans l’autre main, il emporte une grosse clef. Ce qui signifie qu’il n’a pas rendu la ville et s’enfuit pendant que ses ennemis la prennent d’assaut. A Fontenoy-en-Puisaye, en 841, l’armée» de Lothaire 1er fuit devant celle de Charles le Chauve et de Louis le Germanique (120). Tous les fuyards se retournent. Sous le règne de Charles le Simple, en 898, Richard, duc de Bourgogne bat l’armée des Normands et poursuit les vaincus (125). En 990, Hugues Capet assiège la ville de Laon où est enfermé Charles, duc de Lorraine. Celui-ci tente une sortie et met en fuite Hugues Capet (130; 155 E). Philippe Auguste prend la ville du Mans en 1189. Henri II Plantagenêt s’enfuit avec son armée. Il regarde derrière lui et tient sa masse sur son épaule (139). Jusqu’au XVe siècle, on retrouve dans d’innombrables scènes de bataille ce stéréo- type de l’armée qui fuit sans un geste de résistance, toutes les têtes étant tournées vers les poursuivants1. La caricature de la lâcheté, représentée de façon satirique dans un quadrilobe de la cathédrale d’Amiens donne le schéma le plus simple de cette image typique : un homme fuit devant un lièvre (149; 155 D). Dans sa frayeur, il a laissé échapper son épée; il tourne la tête et regarde son petit adversaire. Tous les combats ne se livrent pas sur des champs de bataille, avec des armes de guerre. La lutte morale a elle aussi ses victoires et ses fuites. L’imagerie spirituelle médiévale a pris pour modèle l’imagerie temporelle. La Vierge tient la croix comme une lance et met le diable en fuite, en lui arrachant le pacte qu’il a fait signer à Théophile1 2. Le Christ chasse les vendeurs du Temple, ils renversent leurs tables dans leur fuite et se retournent. L’image par excellence de la fuite devant la tentation est celle de Joseph échappant à la femme de Putiphar qui l’agrippe par son vêtement. La Somme le Roi oppose à la prostituée figurant la luxure Joseph qui fuit la folle dame3. En 1432, Jean de Stavelot place cette scène biblique en regard de la tentation que surmonte saint Benoît4. Dans la série des vices de l’église de Nieul-sur-l’Autize, la luxure est représentée par la femme de Putiphar allongée sur un lit, la poitrine dévêtue (52). Elle tient le manteau de Joseph qui fuit, jetant les bras en avant mais tournant la tête en arrière. Les mouvements sont les mêmes dans une Histoire universelle de la fin du XIIIe siècle où ce sujet est également représenté (146). 1. Par exemple, dans Histoire romaine de Tite-Live, vers 1370, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 777, fol. 1, 33v, 194, 378v.- A la bataille de Poitiers, on voit au premier plan un groupe de chevaliers s’enfuir en abandonnant Jean II le Bon, dans les Grandes Chroniques de France, vers 1420, Toulouse, bibl. mun. ms. 5 12, fol. 392v. 2. Gautier de Coincy, Miracle de Théophile, milieu XIIIe siècle, Besançon, bibl. mun., ms 551 fol 15v (91). 3. Frère Laurent, Somme le Roi, XIIIe siècle, bibl. Mazarine, ms. 870, fol. 147. 4. Jean de Stavelot, Recueil d’écrits sur saint Benoît, 1432, Chantilly, musée Condé, ms. 1401, fol. 121v.
158 La fuite du mal est représentée d’une façon originale dans un Psautier de la fin du XIIIe siècle (98 ; 173 G). L’enluminure reprend une image contenue dans le texte et la transpose sous forme visuelle, en utilisant la relation du langage iconographique qui signifie la fuite. Le psaume 1 commence par Beatus vir qui non abiit in consilio impiorum et in via peccatorum non stetit et in cathedra pestilentiae non sedit. Le B initial est divisé en quatre scènes. Dans le quart inférieur droit, trois diables tiennent une chaire, la cathedra pestilentiae. Le roi David, auteur des Psaumes, tenant le livre, symbole de la vérité et de la loi, s’éloigne en regardant les ennemis qui le tentent. personnage en mouvement méfiance regardant derrière lui se dirigeant vers un lieu L’homme qui entre dans un édifice ou accomplit une action en regardant derrière lui manifeste sa méfiance, comme s’il redoutait d’être suivi par quelque ennemi invisible. Théophile repentant se rend dans une église pour y prier la Vierge (90; 173 F). Au moment où il ouvre la porte, il se retourne par peur du diable avec lequel il a passé contrat. L’avaricieux portant des bourses se retourne pour s’assurer que personne ne le suit (53 ; 155 F). Il est en marche vers un lieu dont la nature pourrait être indiquée par un arbre. Ce personnage, dont le bonnet ressemble à celui des Juifs, irait-il enfouir son trésor ?
CHAPITRE IX GESTES DE LA MAIN ET DU BRAS La main est l’organe le mieux articulé, le plus apte à produire des actions diversifiées et à exprimer une gamme étendue d’idées et de sentiments. Les doigts flexibles se meuvent dans l’espace avec des mobilités telles que l’on ne peut saisir et décrire les jeux de leurs relations et la variété des combinaisons qu’ils forment. De plus, le geste de la main est souvent indissociable d’un mouvement du bras. Certaines attitudes coordonnent les activités des deux mains. La description complète d’un geste supposerait que l’on prête attention à tous les éléments qui concourent à son accom- plissement et à toutes les relations que l’œil et la pensée peuvent établir entre eux. Mais des analyses aussi fines seraient impossibles, inutiles, et même dangereuses pour la compréhension des comportements. Sous prétexte d’objectivité, elles décomposeraient et morcelleraient leur objet au point de lui enlever ce qui lui est essentiel, son unité. Si les positions et les gestes sont complexes par la diversité des éléments et des relations, ils n’ont qu’une signification principale : accepter, refuser, affirmer, prendre, permettre, interdire, etc. Leur finalité commande leur structure et permet de réduire leur analyse aux relations essentielles entre les éléments, à un schème typique. A cette diversité et complexité des gestes de la main, qui rendent difficile l’établis- sement d’un classement et d’une typologie satisfaisante pour l’esprit, s’ajoutent des problèmes d’interprétation dus à l’incidence des contextes sur le sens premier du geste. On ne peut traiter a priori, d’après une distribution formelle, d’abord des gestes, puis des contextes et des significations. Entre les impératifs logiques et le simple empirisme, il a semblé possible de choisir une voie moyenne, où seraient conciliées les données de l’observation et les exigences rationnelles. Un examen méthodique de la masse documéntaire a mis en évidence la fréquence et la constance de signification de certaines relations. La typologie des gestes de la main et du bras a été organisée à partir de ces données dominantes. Leur description ne retiendra qu’une partie des mouvements et des orientations possibles.
160 LA MAIN mouvement de la main flexion - extension (articulation de la main et des doigts) main fermée main fermée un ou plusieurs doigts tendus index tendu index et majeur tendus index, majeur et pouce tendus main ouverte doigts serrés pouce écarté doigts écartés main serrée sur un objet adduction - abduction (articulation du poignet) main rejetée vers l’intérieur main rejetée vers l’extérieur rotation (mouvement de l’avant-bras) main en pronation (tournée vers l’intérieur) main en supination (tournée vers l’extérieur) orientation de la main vers le haut latérale vers le bas LE BRAS mouvement du bras flexion - extension (articulation du coude) tendu fléchi plié orientation du bras levé horizontal baissé en avant en arrière
161 La main intervient comme instrument privilégié dans quantité d’opérations. Avec ou sans outil, elle façonne et produit. Ses mouvements sont alors déterminés par des nécessités matérielles et techniques. Ils n’ont qu’accidentellement valeur de signe. Leur étude intéresse des recherches iconographiques différentes. Les gestes n’ont pas tous la même importance. Accomplis par les personnages principaux, typiques et lisibles, ils donnent à l’image sa signification ou la complètent. Mais les positions des mains mal définies, comme le sont souvent celles des personnages secondaires, peuvent être banales, sinon dépourvues de sens. MAIN FERMEE La main se ferme dans le geste de préhension. Elle saisit des objets, tient des instruments, tire, malaxe, tord des substances selon leur nature et leur forme. Son action porte sur une matière dont elle prend possession, qu’elle modifie ou transforme, qu’elle utilise comme un moyen. La main fermée vide, le poing, ne peut produire aucune activité précise autre que frapper. La main, si souple et diversifiée dans ses possibilités d’adaptation, devient une masse au bout du bras, un instrument de combat pour ceux qui n’ont pas d’arme. Les représentations du poing fermé sont relativement rares dans l’iconographie médiévale, peut-être parce que l’usage très fréquent des armes donnait à la violence d’autres moyens de s’exprimer. Mais elles se trouvent dans des contextes qui laissent peu de doute sur la signification de ce geste ou de cette position. Le coup de poing dont Charlemagne frappe le visage de Roland est une réaction naturelle d’agressivité qui se double d’un affront (163 A). Dans une illustration d’un manuscrit de droit canonique, un clerc expulse un indigne, pendant la célébration de la messe (153, 154; 163 B). Il le pousse vers la porte en lui posant une main sur l’épaule, et lève le poing droit au-dessus de sa tête, de façon menaçante, mais sans le frapper. Un autre texte juridique, le Décret de Gratien, a suscité une iconographie du plus haut intérêt pour l’étude du langage de la discorde, de la contestation et de la violence. La Causa XXVII expose le cas d’une femme dont deux hommes prétendent être l’époux légitime. Le premier, ayant fait vœu de virginité, l’a d’abord prise pour femme, mais elle, insatisfaite, s’est mariée ensuite avec un autre homme. Dans plusieurs manuscrits, l’initiale historiée représente les trois personnages de ce drame en état, et non en action (76 ; 163 C). La femme est debout, entre les deux hommes. Ses pieds et le mou- vement de sa robe sont orientés vers sa gauche. Elle tourne la tête dans l’autre sens. Elle se dirige donc vers le personnage situé à sa gauche et fuit celui qui est à sa droite. Les gestes de ses mains confirment son choix. Sa main droite, mieux dessinée dans le manuscrit de Cambrai que dans celui de Douai, a le pouce vers le haut. Le dos de cette main repousse le personnage. Sa main gauche, au contraire, entoure la hanche de l’autre homme. Celui-ci fait le même geste, et pose la main sur la hanche de son épouse.
162 L’homme qui a fait vœu de virginité tient le bras de la femme, mais la main recouverte d’un pan de son manteau, en signe de respect. L’affrontement et l’hostilité des deux hommes se manifestent uniquement par la position du poing levé. Dans une représentation du Triomphe de la Foi et de la Concorde, illustrant un manuscrit de la Psychomachie de Prudence, un des personnages, situé en bas de l’image, lève le poing de façon semblable (163 D). C’est la seule manifestation d’agressivité. Plus étonnante et symbolique encore, une enluminure de la Bible moralisée de Vienne illustre le texte : iesucrist, qi se prist a la croiz et par sa mort tua et confondi ses anemis, ce furent les gieus et les mescreanz, et sauva ses amis et trest fors d'enfer (163 E). Jésus est figuré devant la croix. Il lève le poing au-dessus des méchants, répartis pêle- mêle dans les débris d’un édifice qui s’écroule. MAIN FERMÉE A Charlemagne frappe Roland à la tête. Fierabras, début du XVe siècle. Hanovre, Bibl. nat., ms. IV 578, fol. 27. B Expulsion d’un indigne Henri de Suze, Summa de titulis decretalium, 1289. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 329, fol. 154v. C Deux hommes s’opposent à propos d’une femme. Gratien, Décret, Causa XXVII, fin XIIe siècle. Cambrai, bibl. mun., ms. 967, fol. 173v. Plusieurs manuscrits de la même famille contiennent des lettres historiées ne présentant que des variantes mineures : Troyes, bibl.mun., ms. 103, fol. 194;Douai,bibl.mun.,ms.590,fol.l80(76). D - Opposant marquant son hostilité Prudence, Psychomachie, deuxième quart du XIe siècle. Bruxelles, Bibl. royale, ms. 1066-77, fol. 135v. E - Jésus-Christ devant la croix, le poing fermé levé au-dessus des méchants Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol.64vc. F - La folie de Saül Bible moralisée, op. cit., fol. 38 A. Alors que le diable va lui entrer dans la bouche, Saül déchire son vêtement et ferme le poing droit. G - Chute de Simon le magicien Chapiteau, XIIe siècle, cathédrale d’Autun. H Apparition de Jésus à un apôtre, Pierre ou plus probablement Thomas Chapiteau, XIIe siècle, Issoire.
163
164 Dans une fresque du début du XIIIe siècle, Dieu manifeste son courroux à Caïn, qui tourne la tête au moment où il présente la gerbe du sacrifice, en faisant sortir de la nuée un poing fermé1. A côté de cette sainte colère, la violence insensée des fous, comme celle de Saül pendant ses périodes de crise, s’exprime aussi par le poing fermé (163 F). Pendant sa chute, Simon le Magicien a les poings fermés et tire la langue (163 G). Est-ce pour signifier que «son cœur n’est pas droit devant Dieu» et qu’il est «dans un fiel amer et les liens d’injustice» (Actes 8, 21-22)? Les mains fermées traduisent ici une méchanceté impuissante, mais on ne peut préciser la nature de l’opposition qu’elles manifestent. D’autres personnages serrent les poings sans que ce geste puisse s’interpréter comme un signe de menace violente. Il semblerait plutôt qu’il exprime le rejet, le refus ou même simplement la négation. Une initiale de la vie de saint Cyprien d’Antioche, dit le Magicien, représente le personnage en pied, la tête de trois quarts, le corps presque de profil1 2. Il tient sa main droite levée, deux doigts tendus dans un geste qui rappelle celui du professeur de rhéto- rique (97 ; 211 C). Ce geste signifie l’affirmation, l’autorité dans l’enseignement. Il ferme sa main gauche, au lieu de l’ouvrir comme le font les gens qui discutent (p. 212). Ce poing serré signifie probablement le refus des superstitions auxquelles il a été longue- ment initié avant de les rejeter, et son opposition aux démons qui occupent une part très importante dans le récit de sa vie. Un chapiteau d’Issoire représente plusieurs scènes d’apparitions du Christ après la résurrection. Sur l’une des faces, est figuré un personnage qui serre les poings (163 H). On a vu en cet homme saint Pierre ou un philosophe3. Si la main fermée est bien le signe de la négation, de l’opposition et du refus, il convient de reconnaître dans cet apôtre Thomas l’incrédule. Jésus présente d’ailleurs sa main gauche ouverte, où l’on distingue nettement les plaies de la crucifixion, comme preuve d’identité. Un épisode du poème sur Le Siège de Barcelone d’Ermold Le Noir met en évidence la signification de la main fermée, opposée à celle de la main ouverte. Captif des Francs, le chef infidèle Zado reçoit l’ordre de commander à ses gens qui défendent Barcelone d’ouvrir les portes de la ville. Mais Zado use d’un artifice pour faire comprendre aux Maures que les ordres qu’il leur crie sont proférés par contrainte. «Zado, bridé, suit son guide, et de loin il élève astucieusement sa main grande ouverte... Maintenant, tendant sa main vers les remparts amis, il crie «Ouvrez ces portes que vous avez si longtemps défendues». En même temps, par artifice, il repliait ses doigts et ses ongles sur la paume de sa main : c’était une feinte ; le geste signifiait qu’il fallait continuer la défense... Guillaume s’en aperçoit, s’en indigne, et le frappe de son poing : il ne feignait pas, lui »4. 1. Fresque de l’arc triomphal de St. Jakob zu Grissian, vers 1200. 2. Vies des saints, fin XIe siècle. Le Mans, bibl. mun,, ms. 227, fol. 199. 3. Z. SWIECHOWSKI, Sculpture romane d'Auvergne, p. 75. 4. ERMOLD LE NOIR, Poème sur Louis le Pieux, édité et traduit par Edmond FAR AL, Société d’édition «Les Belles Lettres», Paris, 1964, p. 43.
165 MAIN FERMEE, UN OU DEUX DOIGTS TENDUS La signification générale du doigt tendu est simple : il exprime une affirmation de la personne. Les autres doigts étant pliés, et donc la main partiellement fermée, le doigt pointé est en effet le signe d’une pensée ou d’une volonté qui se propose ou s’impose. De nombreux facteurs précisent, modifient et nuancent cette signification générale : - la condition, la situation et la position du personnage qui fait le geste - le ou les doigts tendus - l’orientation de la main - l’orientation des doigts - la présence ou non d’une personne ou d’un objet vers lequel le doigt est pointé La supériorité, l’égalité ou l’infériorité des personnages en présence modifie profondément le sens de leurs gestes, dans le cas de l’imitation par exemple, où le même geste exprime l’ordre, la contradiction ou l’obéissance, selon qu’il est fait par un supérieur, répété par un égal, ou imité par un inférieur (p. 51 -56). Le doigt le plus souvent tendu seul est l’index. L’adjonction du majeur ne change généralement pas la signification du geste mais correspond à la qualité, à la supériorité de celui qui l’accomplit. Dieu, le pape, l’évêque ou le maître font souvent le geste de l’enseignement et de l’ordre avec deux doigts au lieu d’un. Dans l’initiale du Livre des Nombres d’une Bible du XIe siècle, Dieu parlant à Moïse pointe horizontalement un seul doigt. Dans la même initiale d’une Bible du XIIe siècle, il fait un geste identique avec deux doigts (7,49). Le prophète Ezéchiel reproduit avec un seul doigt le geste du Christ enseignant (45). Les disciples qui apprennent la rhétorique s’appliquent à répéter fidèlement les gestes que leur apprend leur maître, mais ils ne lèvent qu’un doigt alors que le professeur en lève deux (97 ; 211 C). DÉSIGNATION L’INDEX POINTE vers un objet vers une personne dans une direction montrer quelque chose montrer quelque chose à quelqu’un ordonner quelque chose à quelqu’un accuser quelqu’un La seule désignation d’un objet ou d’une personne ne donne pas la signification de l’image. Elle indique et focalise seulement la relation principale, dont d’autres signes déterminent le sens et la portée. Montrer quelque chose ou quelqu’un Celui qui désigne un objet ou une personne manifeste une volonté intérieure dont le contexte précise la finalité et la forme. La désignation traduit la volonté d’atteindre, d’acquérir,, de posséder; lorsque l’objet est un bien désirable. Convoitise pointe l’index en montrant les biens après lesquels elle soupire (160; 149 E). Envie désigne un couple qui s’embrasse'(162 ; 183 I). Avarice désigne les biens d’une main et de l’autre elle
166 touche les pièces d’or placées sur un coffre devant lequel elle est assise (161). Située près des richesses, face à elles, elle est directement en contact avec des biens dont elle peut seulement redouter de les perdre. Convoitise et Envie étaient situées loin de l’objet de leur désir. Montrer quelque chose à quelqu’un La désignation de quelque chose à quelqu’un a des sens variés qui vont de «attirer l’attention de quelqu’un sur» jusqu’à « donner l’ordre à quelqu’un de». Au sens le plus faible, la désignation est une invitation à l’attention, une incitation à regarder ou à agir dans une direction donnée. D’autres signes, comme le fait de tourner la tête pour regarder ceux auxquels on s’adresse, peuvent renforcer la significa- tion de ce geste, en rendant la désignation plus pressante, voire impérative. Lorsque l’un des rois mages montre à ses deux compagnons l’étoile qui doit les guider, lorsqu’il montre la voie à suivre, il les invite par son geste à se hâter dans la direction que leur indique la providence1. Lors de la consultation des augures qui doit déterminer lequel d’entre eux sera le roi de Rome, Romulus et Remus pointent le doigt vers les vautours qui traversent le ciel devant eux, pour attirer l’attention des témoins vers lesquels ils se retournent (163; 149 A). L’ange montre à Moïse, ou plutôt Abraham, l’agneau qu’il doit sacrifier à la place de l’enfant (87 ; 169 H). Indiquer quelque chose à quelqu’un en pointant le doigt vers l’objet désigné est un geste naturel, dont l’interprétation est simple. Dans le langage iconographique médiéval, ce même geste peut se charger de significations plus précises et plus fortes, par un procédé conventionnel. Lorsqu’un haut personnage pointe le doigt vers une scène et non vers un objet ou une personne.il donne l’ordre à ses subordonnés d’accom- plir une action dont on connaît la nature parce qu’elle est déjà en voie de réalisation. Le plus souvent en effet, l’image présente simultanément deux moments bien distincts : celui de la décision et de l’ordre, celui de l’exécution. Le chef qui ordonne est situé à gauche de l’image narrative. Suivant le sens de la lecture, son action précède celle de ses agents, l’ordre est antérieur à sa réalisation. Certains thèmes ont engendré des stéréotypes qui, véritables clichés du langage iconographique, se sont répétés pendant plusieurs siècles, dans les enluminures, les émaux, les peintures murales et les sculptures. Le roi qui ordonne la construction d’un édifice fait le geste de désignation et d’ordre devant la bâtisse en voie d’achèvement (176 ; 55 A, B)2. Lorsqu’un chef donne l’ordre de tuer un homme, il est figuré assis, le plus souvent de face, surtout aux XIe et XIIe siècles. Il pointe l’index vers la scène d’exécution, l .Par exemple, vitrail, XIIIe siècle, Saint-Germer de Fly; Psautier, XIIIe siècle, Chantilly, musée Condé, ms. 1453, fol. 11. 2 . Autres exemples dans Annales de Hainaut de Jacques de Guyse, XVe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 809, fol. 23 -.Priant fit reparer Ylion... et reediffier et reffaire les murs de la cite; ms. 810, fol. 148: Apres la mort Dagobert..., son fils... repera au royaulme des Australiens les ruines que son pere y avoit faittes.- L’initiale du Livre d’Esdras étant un I, Cyrus ordonnant la reconstruction du temple est figuré soit au sommet d’une tour presque terminée, soit à sa base. Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 1185, fol. 127v.
167 pendant que lé bourreau tient l’épée levée. Les deux actions juxtaposées se situent ordinairement dans des espaces différents. Le roi est assis sur un trône, dans un édifice suggéré par des éléments architecturaux. L’exécution se fait en plein air, ce qu’indique, dans les vitraux surtout, la présence d’un arbre1. Dans les deux stéréotypes présentés, la nature de l’action était déterminée par sa réalisation. D’autres éléments du contexte peuvent éclairer le sens du geste de désignation. Accompli par un personnage couché, en présence de personnes marquant leur acceptation, il signifie le legs1 2 ; fait devant un juge, il signifie déposition et accusa- tion (170). Des données circonstancielles concrétisent l’objet et la forme d’une affirma- tion personnelle. Mais le doigt pointé horizontalement ou verticalement ne désigne pas nécessairement un objet ou une personne. Pour l’interpréter, à défaut d’indices empruntés à des éléments et des relations complémentaires, on doit se référer à la posi- tion de la main et à l’orientation de l’index. C’est du moins ce qui ressort de l’examen d’une masse documentaire étendue et variée. INDEX POINTÉ VERTICALEMENT autorité VERS LE HA UT commandement L’index pointé verticalement vers le haut, lorsqu’il n’indique pas la direction, un objet ou une personne, traduit la volonté d’un pouvoir qui ordonne. On a étudié précé- demment le commandement qui s’exprimait par désignation d’une action déterminée et particulière. Le doigt pointé vertical a un sens plus général. Il caractérise l’état et la fonction de celui qui fait le geste et sa signification est indépendante des détails qui éventuellement en spécifient l’application. Il semblerait qu’aux XIe et XIIe siècles l’attitude manifestant l’état soit plus souvent figurée que la désignation. Cette dernière serait progressivement devenue le signe de l’ordre, au fur et à mesure d’ailleurs que les représentations se rapprochaient de la réalité. Au XVe siècle, comme on l’a vu pour les scènes de construction, la désignation d’un objet ou d’une personne est le principal signe du commandement. Une figure du roi Philippe Auguste montre sa dignité et son pouvoir de plusieurs façons : il est assis sur un trône, la tête de trois quarts, il porte la couronne, il tient le sceptre, et l’index de sa main gauche est pointé vers le haut (137 ; 169 A). 1. Décapitation de saint Protais, vitrail, deuxième moitié du XIIe siècle, cathédrale du Mans.- Dans Vies des saints, XIIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 588, la formule est répétée sept fois : fol. 12, 104, 130, 141v (93), 154v, 163, 173v, 179v.- Sur un des panneaux de la châsse reliquaire de sainte Valérie, vers 1170-1180 Limoges, Léningrad, musée de l’Ermitage, la condamnation et l’exécution se déroulent de gauche à droite en plusieurs séquences : « 1) Tève le Duc condamne Valérie, 2) qu’un bourreau entraîne au supplice, 3) hors des portes de la cité fortifiée de Limoges, 4) puis qu’il décapite tandis que la sainte ramasse sa tête, 5) sous la main de Dieu au ciel» (M.-M. GAUTHIER, Emaux du Moyen Age occidental, p. 94-95).- David donne l’ordre de tuer Je messager qui lui a annoncé la mort de Saül : chapiteau, XIIe siècle, Vézelay (19); Bible, XIIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 15, fol. 118v ; Bible historiale, XIVe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 20, fol. 151.- Massacre des sept fils, initiale du deuxième Livre des Macchabées (15 ;p. 101).- Hérode ordonnant de tuer les enfants innocents et scène du massacre : peinture murale, XIIe siècle, Poncé-sur-le-Loir ; XIVe siècle, Sargé- sur-Braye.Clotaire II fait tuer les enfants mâles des Saxons (111 ; 189 C). 2. L'Infortiat, XIIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 394. Dans l’enluminure du fol. 107v, le malade désigne des habits suspendus à une barre ; dans celle du fol. 158v, il montre un sac et des tonneaux.
168 Saint Calais est figuré seul, en marche, levant le bras et le doigt tendu. Ainsi s’expriment son zèle d’apôtre, l’autorité de sa parole et de son exemple (169 B). Le roi Clotaire manifeste sa volonté et son autorité en tenant le doigt levé, et non en désignant Radegonde qu’il va obliger à devenir son épouse (5 ; 169 D). Le diable lui-même affirme son pouvoir par ce geste autoritaire (20 ; 169 E). Face à Moïse qui brandit les tables de la Loi, il oppose aux commandements de Dieu ceux de l’Enfer. Le caractère impératif de la règle de saint Benoît que le maître présente et enseigne au novice s’exprime par ce geste d’autorité (34 ; 169 F). INDEX POINTÉ A - Philippe Auguste (figure) Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 280. B - Saint Calais (figure) Lettre historiée, Vie de saint Calais, XIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 10, fol. 1. Droit dans l’axe vertical de la lettre C, le saint abbé est figuré en état. Il avance sa main gauche, l’index pointé. Ce geste exprime l’autorité de l’enseignant et du modèle. Le fait qu’il soit en marche montre le zèle avec lequel il accomplit sa mission (p. 128). C - David éprouve une vive douleur à l’annonce de la mort de Saül et ordonne d’exécuter le messager. Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay. D - Le roi Clotaire 1er Fortunat, Vie de sainte Radegonde, fin du XIe siècle. Poitiers, bibl. mun., ms. 250, fol. 22v. E - Le diable surgissant du veau d’or oppose ses commandements aux tables de la Loi. Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay. F - Enseignement de la règle de saint Benoît Initiale de la Règle de saint Benoît, avec le commentaire de Smaragde, XIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 349, fol. 2v. G - Le prophète Amos (figure) Initiale du Livre d’Amos, Bible, XIIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 262, t. III, fol. 239. H - Un ange désigne un bélier à Abraham. Initiale du Lévitique, Pentateuque, XIIIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 71, fol. 179v. I - Main de Salomon faisant le geste de l’enseignement Illustration du Livre de l’Ecclésiaste, Bible d’Ëtienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 56.
169 G (79) H (87)
170 INDEX POINTE HORIZONTALEMENT affirmation d’idées enseignement L’index pointé horizontalement lorsqu’il ne désigne pas une direction, un objet ou une personne, correspond à l’expression de la pensée personnelle. Ce geste est très fréquent. Il caractérise l’orateur, le professeur, le prophète, et d’une manière générale tous ceux que leur fonction ou leur activité du moment mettent en relation de commu- nication d’idées et d’enseignement. Il permet d’identifier des personnages figurés seuls. Dans une Bible du XIIIe siècle, Amos est peint en compagnie de ses moutons et tenant la houlette, ce qui rappelle que Dieu l’a choisi comme prophète alors qu’il était berger. Il est assis de face sur un trône, ce qui marque la dignité de sa fonction et son autorité. Il accomplit le geste de l’enseignement, en l’absence de toute personne à laquelle il pourrait s’adresser. Ce signe ne correspond pas à une activité passagère ou à une désignation quelconque, mais indique l’état de prophète, de porte-parole (79 ; 169 G)1. La Bible abonde en sujets divers où ce même geste de l’enseignement se répète sans qu’il puisse y avoir équivoque sur son interprétation. Parmi les principaux on peut citer tous ceux où Dieu s’adresse au peuple fidèle et à ses chefs (4, 7), Moïse parlant au peuple1 2, Salomon enseignant la Sagesse (14, 38; 169 I), saint Paul, figuré seul ou s’adressant aux différentes Églises (60, 61 ; 55 C, F). Le doigt pointé horizontal, sans nuance impérative, est le geste par excellence du maître dans une discipline du savoir (33). Il caractérise, comme s’il était un attribut spécifique de la connaissance qui se communique, les figures allégoriques de la Grammaire (75) et de la Sagesse (166 ; 55 E). Les orateurs font ce même geste, avec une variante que l’on se permettra de signaler, bien que la précision et la finesse d’analyse qu’elle suppose puissent faire croire que l’interprétation est née de l’esprit de système autant ou plus que de l’observation des images. La prédication est en même temps instruction et exhortation. Elle expose et explique la doctrine, elle incite également à sa pratique. Elle joint l’ordre à l’ensei- gnement. Or on constate que dans les images où une telle signification est certaine, le doigt de celui qui parle est orienté obliquement et plus ou moins courbé, dans une position intermédiaire entre celle du commandement et celle de l’exposé des idées3. Doit-on tenir la constance de cette variante typique pour un fait de hasard? 1. Autre figure d’Amos, Bible de Saint-Bénigne, XIIe siècle, Dÿon, bibl. mun., ms. 2, fol. 222v.- Statue d’Isaïe, XIIe siècle, dôme de Vérone. 2. Moïse pointe l’index, ou deux doigts, verticalement plus souvent qu’horizontalement (43, 64). On ne peut dissocier, pour les opposer, la fonction du chef de la fonction de l’enseignant. La transmission des instructions divines est à la fois communication d’une vérité et expression d’une volonté. 3. Voir par exemple : l’archevêque de Rouen prêche la croisade, en 1333, Fleurs des Chroniques de Bernard Gui, fin XIVe siècle, Besançon, bibl. mun., ms. 677, fol. 82v.
171 MAIN OUVERTE La représentation de la main ouverte, sans relation directe de contact ou de préhension, est de beaucoup la plus commune. Cette position, comme certains mots de la langue parlée ou écrite, a une gamme étendue d’acceptions, des sens forts et des sens faibles. Certains gestes de la main ouverte marquent une volonté formelle, certaines positions correspondent au repos. C’est dire s’il est important de distinguer les gestes et les positions signifiants de ceux qui ne sont pratiquement pas à prendre en compte dans la lecture de l’image. Les principales corrélations permettant de décrire et d’interpréter les gestes et positions de la main ouverte sont : - le mouvement de rotation de l’avant-bras main dans le prolongement naturel du bras main en pronation, tournée vers l’intérieur main en supination, tournée vers l’extérieur - le mouvement du poignet main rejetée vers l’intérieur main rejetée vers l’extérieur - l’orientation de la main main levée main horizontale main pendante - les mouvements et les orientations du bras L’image arrête le mouvement du bras à un moment déterminé de sa course. Il est plus ou moins tendu, plus ou moins levé, plus ou moins écarté. Le sens du mouvement ne peut être établi qu’à l’aide d’autres signes, qui impliquent extension ou flexion, élévation ou abaissement. Or les orientations du mouvement déterminent la signification des gestes pour une grande part. En conséquence, l’interprétation des positions et des gestes de la main ouverte est inséparable de celle des autres relations, en particulier des positions de la tête. MAIN OUVERTE sans mouvement de rotation du bras indication d’une direction ni mouvement du poignet La main ouverte prolongeant le bras plus ou moins tendu, sans rotation de l’avant- bras ni mouvement du poignet, indique la direction suivie ou à suivre. L’initiale du psaume 22 est l’occasion, pour un imagier illustrant les Commentaires sur les Psaumes de saint Augustin, de représenter l’Eglise donnant des prescriptions à des chrétiens, le doigt pointé, et ceux-ci partant avec ardeur dans la voie qui leur est indiquée. Le mouvement de leurs jambes est nettement suggéré, mais l’orientation de
172 leur marche est exprimée avec force parles mains exagérément grandies, qui franchissent le tracé de la lettre (173 A). Moïse fait sortir le peuple d’Israël d’Égypte pour le conduire vers la Terre promise. La recherche de ce pays est aussi importante que la fuite de la persécution : Moïse précède le peuple et lui désigne de la main la direction à suivre (173 B, D). Les apôtres envoyés par le Christ (173 C), les rois mages retournant dans leur pays (173 E), Théophile se déterminant à entrer dans une église pour prier la Vierge (90; 173 F), David fuyant la «chaire de pestilence» (98; 173 G), affirment leur volonté d’aller dans une direction donnée par le même geste. MAIN OUVERTE INDIQUANT LA DIRECTION A - Les fidèles prennent la direction que leur indique l’Église (p. 78). Initiale du psaume 22 Dominus pacit me et nihil mihi deerit, saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes, fin du XK siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 228, fol. 39v. B - Moïse fait sortir les Juifs d’Égypte (p. 98, 156). Émail champlevé, 1181, abbaye de Klosterneuburg. C - Jésus-Christ envoie deux apôtres en mission. Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol.40vb. Texte du commentaire : ihesucriz envoia ses deciples as paiens, por qerre bones âmes por lui rassazier. Jésus montre la direction. Les deux apôtres tournent la tête vers lui. L’un d’eux traduit son acceptation en pointant la paume de sa main gauche grande ouverte. L’autre indique la direc- tion avec sa main droite, imitant le geste de son maître, ce qui est aussi une façon de manifester son obéissance (p. 153, 232). D - Moïse fait sortir les Juifs d’Égypte. Initiale du Livre de l’Exode, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1185, fol. 23v. E - A la proue du bateau qui les ramène dans leur pays «par un autre chemin», un roi mage indique aux autres la direction à suivre (p. 156). Quadrilobe, XIIIe siècle, Amiens, portail occidental. F - Théophile se rend dans une église. Gautier de Coincy, Le Miracle de Théophile, milieu du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 551, fol. 11. G David fuit «la chaire de pestilence» (p. 156). Initiale du psaume 1 Beatus vir, Psautier, fin XIIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 157, fol. 8.
173 G (98)
174 MAIN OUVERTE paume rejetée vers l’extérieur disponibilité acceptation adhésion La paume de la main ouverte tournée vers l’extérieur marque la réceptivité d’une personne, à une exception près, celle où le bras en tension repousse une personne, un objet ou une idée. Cette disposition à l’accueil traduit des disponibilités et des adhésions fort différentes suivant les contextes. Si l’on se reporte à la gamme variée des significa- tions et de la portée du oui dans notre langue, on comprendra que son sens ne peut être déterminé et apprécié que dans un ensemble de circonstances. Rapide, explétif dans certaines phrases où il n’est guère qu’un élément de remplissage, le oui peut devenir le signe principal d’une affirmation : approbation d’une proposition, d’une argumentation, acceptation d’un engagement, d’un contrat. Le oui du mariage, le oui de la Vierge au moment de l’Annonciation, le oui par lequel on donne sa voix pour un vote, ne doivent pas être confondus avec les oui que l’on prodigue sans compter, et sans en prendre conscience, dans la conversation banale. De même si l’on considère la main ouverte comme le geste de l’acceptation, de l’approbation, il faut tenir compte de l’ensemble de la représentation pour l’interpréter. On ne peut qu’ébaucher, à titre indicatif, un classement des significations princi- pales de ce geste. Relation d’inférieur à supérieur Le geste d’acceptation fait en relation avec un être supérieur par la nature ou la fonction (Dieu, roi, maître, chef...) est une réponse au comportement de l’autorité. Il doit être interprété en fonction du plan sur lequel ce pouvoir se manifeste. - autorité s’imposant en tant que personne ou valeur reconnaissance de la personne et de sa valeur, adhésion totale à son autorité C’est la relation type entre l’homme et Dieu, figuré ou non. Celle de Job dans l’épreuve qu’il comprend mal, celle du nouveau baptisé (36,114,121 ; 177B, D, E, F, I). - autorité enseignant accueil de l’inspiration acceptation de la doctrine, adhésion intellectuelle (64; 177 C, J) - autorité ordonnant soumission aux décisions, obéissance aux ordres donnés (114, 115, 119, 177; 177 G, H, K). Relation d’égal à égal Le geste d’acceptation entre personnages égaux tire sa signification de la relation dans laquelle ils sont : - acceptation d’une proposition (177 A)
175 - discussion Le geste signifie la compréhension et l’acceptation d’une affirmation d’autrui. Habituellement les deux interlocuteurs font ce geste d’une main alors que de l’autre ils font le geste d’affirmation de leurs idées (211 A, B, C; 97). -vente Dans les scènes de commerce, les hommes et les femmes qui achètent une marchandise sont le plus souvent représentés comme s’ils passaient un contrat : d’une main ils montrent la marchandise qu’ils désirent, ou la touchent, et de l’autre ils font le geste de l’acceptation, acceptation que l’on peut supposer être celle des conditions de vente1. Relation de supérieur à inférieur La main ouverte signifie le bon accueil réservé par le supérieur à l’inférieur qui se présente à lui, les bonnes dispositions à son endroit1 2. Lorsque plusieurs personnages font des gestes différents, dont celui de l’accepta- tion, dans un ensemble assez diversifié, ce geste a généralement un sens faible. MAIN OUVERTE fortement rejetée vers l’extérieur refus bras tendu Les bras en extension, tendus, ou presque, les mains fortement rejetées vers l’extérieur, signifient le refus. Les paumes semblent repousser physiquement l’objet de la répulsion, alors qu’elles ne le touchent pas. Le refus, assez rarement représenté, traduit une aversion profonde et une réaction vive (193 F)3. MAIN OUVERTE tournée vers l’intérieur (pronation) rejetée vers l’intérieur opposition négation refus abandon Le mouvement de pronation et le rejet de la main vers l’intérieur exprime une négation, une opposition. Ce comportement est passif ou actif, selon que le personnage endure l’adversité ou manifeste plus ou moins énergiquement un refus volontaire. 1. Représentation fréquente dans les scènes de commerce des vitraux du XIIIe siècle. 2. Position fréquente des rois dans les livres de Chroniques. Dans Fleurs des Chroniques de Ber- nard Gui, fin XIVe siècle, Besançon, bibl. mun., ms, 677, Philippe VI accueille un traître et lui accorde le pardon, fol. 92v; Jean II le Bon et ses baillis, fol. 96 ;le duc de Normandie réunit les trois états, fol. 97 ; Charles V reçoit des cardinaux, fol. 108 ; acceptation d’une reddition, fol. 70 et 110.- Dans Grandes Chroniques de France, vers 1420, Toulouse, bibl. mun., ms. 512 acceptation d’hommages, fol. 317 et 356. 3. Sédécias, excédé par les remontrances de Jérémie, refuse de l’écouter en opposant sa main à celle du prophète qui, le doigt pointé vers le haut, lui assène ses vérités, chapiteau, XIIe siècle, Vézelay.
Y16 MAIN OUVERTE INDIQUANT L’ACCEPTATION A - Le mauvais escolier Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 50vd. Texte du commentaire : le mauves escolier cui deiables engigne et déçoit, et il renie son creator et devient hom au deiauble, et dex se corroce a lui. L’homme de profil, mal inspiré (p. 107), se détourne du Christ et accueille l’idole. B - Job (figure) Initiale du prologue de saint Jérôme sur le Livre de Job, Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 235v. Les deux mains ouvertes, Job exprime son entière disponibilité à la volonté divine, sa soumission à la Providence. C - Le prophète Ézéchiel, les yeux levés vers le Tétramorphe, reçoit sa vision. Initiale du Livre d’Ézéchiel, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1185, fol. 216. D - Carloman manifeste son acceptation de la règle religieuse. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 107. E - Célébrant attentif à la présence divine dont il accueille le message les mains ouvertes. Initiale du psaume 21 Deus Deus meus respice in me, saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes, fin XIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 228, fol. 37v. F - Louis le Bègue pendant son sacre Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, op. cit., fol. 202v. G - Religieux témoin de l’entrée en religion de Carloman Même manuscrit, fol. 107. H - Vierge de l’Annonciation Lettre historiée, Sacramentaire, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 102, fol. 291v. I - Constantin, baptisé par saint Sylvestre, reçoit la grâce divine en état de réceptivité totale. Lettre historiée, même manuscrit, fol. 283. J - Le prophète Amos reçoit l’inspiration. Initiale du Livre d’Amos, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 15, fol. 372v. K - Acceptation de la sentence d’un juge Le Digeste, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 395, fol. 26.
177
178 MAIN OUVERTE EN PRONATION A - Pilate renvoie Jésus et l’abandonne aux Juifs. Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol.39vb. Texte du commentaire : ligieu le gaberent et le bufeterent et pylate commanda qe l’en l’ostast en sus de lui et le laissa as gieus. B - Dieu bénit les bons chrétiens de la main droite, et rejette les mauvais princes, les voleurs et les usuriers, de la main gauche. Même manuscrit, fol. 28v a. C - A gauche, main de Moïse défendant au peuple de manger du loup, du lion et du porc. Mains des Juifs qui imitent son geste de refus. Même manuscrit, fol. 28v A. D - Bourgeois d’Orléans face à Louis VII Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 265v. E - Le peuple ne peut souffrir lagra^r clartei de la parole des bons prélats. Bible moralisée, op. cit., fol. 26v b. Texte du commentaire : li pueples les refusent, et dient qe il ne puent entendre la subtilitei de la devinitei iesucrist. F - Attitudes de ceux qui ont conspiré contre Léon III lors de leur jugement par le pape et l’empereur Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, op. cit., fol. 121v. G - Caïn nie devant Dieu sa culpabilité. Histoire universelle, troisième quart du XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 562, fol. 3v. H - Tristesse Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, troisième quart du XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1126, fol. 3v. I - Mains des réprouvés, après le pèsement des âmes Psautier de Marguerite de Bourgogne, première moitié du XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1273, fol. 19. J - La Synagogue déchue Initiale de l’Êpître aux Hébreux, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1180, fol. 355v.
179 H (158) I (105)
180 Lorsque les mains sont dans le prolongement du bras, et pendent simplement le long du corps, devant le ventre, le personnage subit son sort, dont les autres éléments de l’image indiquent la nature. Ismaël fuit dans le désert où le chasse Abraham (66). La Synagogue perd sa couronne, sa main droite traduit son impuissance à agir, son abandon, alors que la gauche exprime l’acceptation résignée (81 ; 179 J). La Tristesse affalée laisse pendre ses mains inactives (158 ; 179 H). L’infidèle frappé par Roland s’effondre touché à mort (127 J). Ses mains pendent inertes, avec un léger rejet vers l’intérieur. Les damnés ne peuvent rien contre leur sort, et leurs mains pendent sans réaction (105 ; 179 I). Les bourgeois d’Orléans qui reçoivent des remontrances du roi Louis VII font un geste qui ressemble à celui des personnages précédents, mais sont moins passifs. Ils plient un peu les bras. Entre l’acceptation et le refus ils ont une attitude réservée (136; 179 D). L’empereur Charlemagne, à la demande du pape Léon III, ne condamna pas les nobles qui avaient déposé le pontife, mais les exila. Dans l’illustration des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, le premier des personnages jugés est à genoux, implorant sa grâce, le second fait le geste d’acceptation de la sentence, le troisième est en marche, regarde derrière lui, de la main gauche fait le geste qui indique la direction, et de la droite rejetée vers l’intérieur traduit une soumission forcée (115 ; 179 F). L’imagier qui a illustré la Bible moralisée de Vienne utilise constamment la main en pronation, rejetée vers l’intérieur, pour signifier les rejets, les refus, les interdictions. Pilate renvoie le Christ aux Juifs qui se moquent de lui et le bafouent (179 A). Le peuple refuse d’écouter la parole divine que lui dispensent les bons prélats (179 E). L’obéissance à une interdiction se marque par l’imitation du geste de défense. Dans le Lévitique, Moïse interdit au peuple de manger du lion, du loup et du porc. Dans la même Bible moralisée, Moïse, détaché et plus grand que les gens de son peuple, fait le geste de la négation que reproduisent les hommes situés face à lui (179 C). Dans le commentaire, Dieu, sortant de la nuée, réprouve par le même geste les comporte- ments du mauvais prince, du prévôt et de l’usurier, signifiés par le lion, le loup et le porc (179 B). Les gens du peuple reproduisent son refus, la main en pronation, rejetée vers l’intérieur. Après son crime, Caïn se présente devant Dieu en retournant ses mains, les pouces en bas, de telle sorte qu’il en montre le dos et non la paume (144; 179 G). Par cette position, peu naturelle, il manifeste qu’il ne veut pas reconnaître sa culpabilité et rejette l’accusation divine. Présenter le dos de la main, c’est refuser, repousser (76 ; p. 161).
181 MAIN POSÉE SUR / SOUS Dans sa fonction de préhension, la main produit des gestes efficaces. Instrument souple et vif, délicat ou puissant, elle joue dans l’espace autour de ce qu’elle façonne et modifie, se transformant elle-même en variant ses actions. Dans sa fonction de toucher et de poussée, elle communique ou reçoit simplement une pression. L’orientation du bras et de la main détermine le sens dans lequel s’applique l’énergie. La main posée sur soi-même exprime l’attention aux mouvements de la vie intérieure. Cet affleurement de la conscience se traduit en langage d’anxiété et de douleur, de réflexion, de confiance et de maîtrise de soi. La main posée sur autrui extériorise l’énergie. Physique ou spirituelle, la communication manifeste un engage- ment dans une relation de personne à personne. MAIN POSEE SUR/SO US douleur SA JOUE ET SON MENTON sommeil La main soutenant la tête, plus ou moins inclinée sur le côté, quelquefois penchée en avant, a deux significations différentes : si les yeux sont ouverts, elle exprime la douleur, si les yeux sont fermés, elle exprime le sommeil. Les yeux ouverts douleur tristesse Le personnage incline la tête lorsque pèse sur lui un poids physique ou moral. La signification de cette position est précisée par le geste de la main. Placée sous la joue ou le menton, elle supporte la tête, au moins de façon symbolique. Cette attitude traduit la souffrance. Elle diffère d’autres formes de figurations de la douleur en ce qu’elle correspond à un sentiment, à une affection durable plus qu’à une réaction émotionnelle vive et éphémère (p. 223). La tête est posée soit sur la paume, soit sur le dos de la main, les doigts étant droits ou pliés. Il arrive qu’elle ne touche que leur extrémité. Lorsque l’autre main soutient le bras ou le coude, la signification est renforcée. Fréquente dans l’imagerie médiévale, cette position exprime toutes les formes de douleur, le contexte précise l’origine et la nature du mal enduré. La douleur physique, souvent vive et consécutive à un choc, se manifeste ordinai- rement par un comportement émotionnel (179 E). La main placée sous la joue traduit les souffrances continues de la maladie. Dans une initiale d’un livre de médecine, illustrant un chapitre sur l’estomac et les ulcères, le patient se présente devant le médecin la main posée sur la joue (95 ; 183 A)1. Il est figuré le ventre ouvert, laissant voir les organes. Celui qui l’accompagne et le soutient pointe le doigt vers cette plaie pour indiquer l’origine de la souffrance. 1. Dans le même manuscrit, l’initiale du chapitre consacré au mal de mer est illustrée par un person- nage assis dans un bateau, qui penche la tête et l’appuie sur sa main, Avicenne, Canon de Médecine, première moitié XIIIe siècle, Besançon, bibl. mun., ms. 457, fol. 43.
182 MAIN POSÉE SUR/SOUS SA JOUE/SON MENTON A - Malade indiquant qu’il souffre des viscères Avicenne, Canon de Médecine, première moitié du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 457, fol. 192. B - Douleur de Job Saint Grégoire, Moralia in Job, XIIe siècle. Cambrai, bibl. mun., ms. 215, fol. Iv. C - Douleur de Job Bible de Souvigny, deuxième moitié du XIIe siècle. Moulins, bibl. mun., ms. 1, fol. 204v. D - Douleur de la femme de Job Bible deManerius, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 9, fol. 162. E - Douleur d’un ami de Job Bible historiale, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 20, fol. 209v. F - Douleur d’un Juif captif Initiale du Livre d’Ézéchiel, Bible de Saint Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 195. G - Douleur du Juif devant saint Paul qui lui oppose la Loi nouvelle. Initiale de l’Êpître aux Hébreux, Bible, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 20, fol. 99. H - Douleur de Convoitise Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1126, fol. 2v. I - Douleur d’Envie Roman de la Rose, op. cit., fol. 3. J - Douleur de saint Jean au pied de la croix Sacramentaire de Saint-Amand, deuxième moitié du XIIe siècle. Valenciennes, bibl. mun., ms. 108, fol. 58v. K - Douleur devant la mort, les pleurants Cortège funèbre du tombeau de Gautier de Sully, milieu du XIIIe siècle, château de Sully. L - Affliction d’un guerrier devant la mort de Saul Illustration du deuxième Livre de Samuel, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève ms. 1185, fol. 84. M - Pleurant Sépulture royale de Poblet, troisième quart du XIVe siècle, musée du Louvre. N - Vierge folle Sigebert de Gembloux, Passion de sainte Lucie, vers 1130. Berlin, Kupferstich-Kabinett, ms. 78 A 4, fol. 18v. O - Damnés Tympan du portail occidental, milieu du XIIe siècle, cathédrale d’Autun.
183 O (27)
184 La douleur .morale, liée ou non à l’épreuve physique, est entretenue parla repré- sentation mentale d’un mal qui en détermine la nature et l’intensité. Job est l’archétype de l’homme affronté à l’adversité. L’insatisfaction du désir tourmente la Convoitise et l’Envie (39, 58, 62, 73, 86, 160, 162; 183 B-I, N). La mort engendre des douleurs profondes, qui s’intériorisent ou s’extériorisent selon les situations et les personnages. Aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles, la Vierge et saint Jean au pied de la Croix, dans une position stable et digne, expriment par ce seul geste l’intense chagrin qui envahit leur âme (183 J). Autour du lit du défunt, dans le cortège funèbre ou sur le lieu de la sépulture, amis et pleurants ont la même attitude, avec une expression du visage dont le caractère tourmenté et dramatique s’accentue au fur et à mesure que les représentations deviennent plus réalistes (102 ; 183 K, L, M). La douleur liée à la culpabilité s’exprime de la même façon. Théophile, accablé par le remords après avoir signé son pacte avec le diable, reste seul, assis, une main sous le menton, et l’autre sur la poitrine, comme s’il battait sa coulpe1. Charlemagne pénitent prend la même attitude lorsque le billet sur lequel est écrit son péché est déposé sur l’autel en présence de saint Gilles1 2. Au moment de la résurrection des morts, les damnés crispés et abattus par le désespoir, appuient leur tête sur leurs mains (27 ; 183 O). Les yeux fermés sommeil songe La main placée sous la tête d’un personnage couché sur le côté, les yeux fermés, signifie qu’il dort. Cette position correspond souvent au songe (119 A-C, F-I; p. 117). MAIN POSEE SUR SA POITRINE sincérité intériorité acceptation La main posée et appuyée sur sa poitrine complète une signification exprimée par d’autres éléments et relations. Cette position en effet, manifeste le caractère profondément pensé ou senti d’un comportement. Forme extérieure de l’intériorisation, elle n’est par elle-même sans autre contenu que le repliement de l’être sur soi, la concentration, l’intensité d’une présence. L’homme met en jeu sa personne dans une scène, qu’il y paraisse comme figurant ou comme acteur. Une femme qui repousse les avances d’un soupirant, pose une main sur sa poitrine : c’est de tout son être qu’elle refuse les sollicitations (96 ; 187 A). Pendant la Cène, saint Jean se penche sur la poitrine du Christ : la position de sa main signifie le total et confiant abandon de l’apôtre (101 ; 187 B). Les deux rois situés à la gauche de Childebert se rangent à l’avis de leur frère aîné. La main sur la poitrine signifie la loyauté de leur attitude (108 ; 187 C). Parce geste le figurant devient un témoin conscient et réfléchi, qui s’engage par son attitude dans une scène où il n’intervient pas directement comme acteur (114 ; 187 D). 1. Vitrail du XIIIe siècle, Saint-Julien-du-Sault. 2. Vitrail de Charlemagne, XIIIe siècle, cathédrale de Chartres (repr. dans F. GARNIER, Le vitrail au XIIIe siècle, p. 31).
185 « Livrée » par Êliézer à Isaac, Rébecca baisse la tête et pose sa main sur sa poitrine en signe de soumission totale et sincère à celui qui va être son époux (187 E). Une autre jeune femme a le même comportement lorsque Jacob la choisit (187 F). Le prophète reçoit avec ferveur le message divin (187 G), ainsi que le peuple d’Israël les instructions de Yahvé après la mort de Josué (187 H). Dans ces exemples, les personnages n’ont qu’une main posée sur la poitrine. Lorsque les deux mains sont croisées, l’attitude a le sens plus précis de l’acceptation d’une condition et d’une situation. Abisag devant David (57 ; 187 I), Marie devant l’ange de l’Annonciation (187 J), la reine Yseult recevant un message de Tristan (187 K), l’homme devant la réalité de la mort (187 L), ont cette position. MAIN APPUYÉE assurance SUR SA HANCHE / SA CUISSE / SON GENOU fermeté détermination La main appuyée sur sa hanche, sa cuisse ou son genou est une position qui s’accompagne d’une tension du bras. Plus ou moins fléchi et incurvé, le coude rejeté en avant, le bras et le dessus de la main font un angle de 90 degrés environ. La pesée exercée sur la cuisse est plus ou moins accentuée. Cette attitude est surtout celle des rois, des papes, des évêques et des juges. Elle manifeste une fermeté dans la volonté, une déter- mination dans l’exercice de son pouvoir personnel. Cette position n’a pas grande signifi- cation si un geste complémentaire ou certains éléments du contexte ne donnent pas un contenu et une orientation précise à l’affirmation du personnage. Le roi assis sur son trône prend cette position lorsqu’il décide et ordonne une exécution(15,93,111; 189 A, B,C),ou repousse un personnage qui lui déplaît (189 D,E). Priam commande à son fils Pâris d’aller ravir la reine Hélène ; celui-ci accepte avec la même détermination l’ordre qu’il va exécuter (107 ; 189 F). La Haine menace avec hargne et acharnement ceux qu’elle voudrait détruire (159 ; 189 G). Dans ces exemples, à l’exception de Pâris, le personnage qui met la main sur sa cuisse ou ses genoux est assis. Mais il prend aussi bien cette position lorsqu’il est debout. Le mauvais clerc chasce fors de son osteil la pucelle qant il li a tolu sa virginitei. En posant la main sur sa cuisse, au moment où il la jette dehors, il affirme le caractère irréversible de sa détermination (189 H). Pour donner plus de poids à son serment, Absalon jure à sa sœur de la venger en levant une main et en posant l’autre sur sa hanche, comme le diable dans une situation semblable, avec cette différence que le diable fait le geste du serment de la main gauche (189 1 et J). L’héroïne qui se tient droite et fière dans le I initial du Livre de Ruth d’une Bible du XIe siècle, tient de sa main gauche la lance qui porte le gonfanon et pose sa main droite sur sa hanche1. 1. Bible, deuxième moitié du XIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 1, fol. 82.
186 MAIN POSÉE SUR SA POITRINE A - Femme repoussant un soupirant Arbre d'amours, 1277, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2200, fol. 198v. B - Saint Jean se penchant sur la poitrine du Christ pendant la Cène Peinture murale, XIIIe siècle, Amné-en-Champagne (Sarthe). C - Les frères de Childebert acceptent ses ordres Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 16v. D - Attitude du dignitaire qui porte le sceptre pendant le couronnement de Pépin le Bref. Même manuscrit, fol. 107. E - Éliézer remet Rébecca, modeste et consentante, à Isaac. Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol.5vD. Ici vient Elyazar et livre Rebecqe a ysaac le fil abraham, et cil la reçoit volentiers et bonement. F - Jeune femme acquiesçant au désir de Jacob Même manuscrit, fol. 6v C. G - Michée reçoit le message divin. Initiale du Livre de Michée, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 15, fol. 376. H - Les Israélites reçoivent les instructions divines. Initiale du Livre des Juges, même manuscrit, fol. 72. I - Abisag consentante devant David Bible de Manerius, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 8, fol. 223. J - Vierge de l’Annonciation Peinture de Bemardo Daddi, XIVe siècle, musée du Louvre. K - Yseult reçoit un message de Tristan. Roman de Tristan, XVe siècle. Chantilly, musée Condé, ms. 315. L - Pleurant Sépulture royale de Poblet, troisième quart du XIVe siècle, Berlin, musée d’État.
187 L
188 MAIN POSÉE SUR SA CUISSE A - Antiochus ordonne le massacre des frères Macchabées. Bible d'Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 191. B - Roi ordonnant l’exécution d’un martyr Vies des saints, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 588, fol. 104. C - Clotaire II ordonne de tuer les garçons saxons. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 79. D - Le roi Achis repousse David qui feint la folie. Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 39vB. E - Nabal repousse les messagers de David. Même manuscrit, fol. 40v C. F - Priam ordonne à Paris d’enlever la reine Hélène. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, op. cit., fol. 2v. G - Haine Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, troisième quart du XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1126, fol. 2. H - Mauvais clerc chassant une jeune fille Bible moralisée, op. cit., fol. 46v a. I - Absalon faisant le serment de venger sa sœur Bible moralisée, op. cit., fol. 46v B. J - Diable promettant de venger une femme bafouée Bible moralisée, op. cit., fol. 46v b.
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190 MAIN POSEE SUR L'EPAULE encourager quelqu’un à PAR UN PERSONNA GE SITUE DERRIÈRE pousser quelqu ’un à contraindre quelqu’un à Lorsqu’un personnage situé derrière un autre lui pose la main sur le dos — princi- palement sur l’épaule — ce geste exprime la pression exercée pour faire accepter une proposition ou accomplir une action. Qu’il y ait ou non poussée physique, ce que l’image ne permet pas toujours de discerner, ce geste peut se traduire par : encourager quelqu’un à, pousser quelqu’un à, contraindre quelqu’un à. Ici comme ailleurs, le contexte iconique permet habituellement de préciser et de nuancer le sens de la relation. Ainsi s’explique le comportement du notable placé derrière la reine Radegonde lorsqu’elle vient demander à Médard de Soissons de la recevoir comme religieuse (6 ; 193 A). Cet homme, qui se tient immobile alors que la reine fait un vif mouvement en avant pour marquer sa détermination, a posé une main sur l’épaule de la femme. Il exprime ainsi son accord, son encouragement pour une démarche que les personnages qui entourent l’évêque désapprouvent. Dans une situation toute différente, Baudoin, jeune comte de Hainaut, devait, par traité de paix avec les gens de Flandre, prendre pour femme la fille de son oncle, Robert de Frison, laquelle il n’avoit point veue et laquelle estoit tant layde que quant il l’eut veue, il ne la vault point espouser1. L’illustration montre le refus du comte (193 F). Mais un des notables de sa suite a posé la main sur son épaule. Par ce geste il lui rappelle les exigences du traité et le pousse à l’acceptation. Le premier Livre des Rois, dans la Bible, raconte comment pour réchauffer David, avancé en âge, ses serviteurs lui proposèrent de lui amener une jeune fille vierge : « Elle couchera sur ton sein et cela tiendra chaud à monseigneur le roi» (I Rois, 1, 2). La présentation d’Abisag à David, racontée au début du livre, a été souvent illustrée. La jeune fille montrant sans doute quelque réticence, le personnage qui la conduit au roi, placé derrière elle, lui pose la main sur l’épaule ou sur le dos, comme s’il la poussait vers son maître1 2. Au moment où Tristan prend possession d’Yseult, en lui saisissant le poignet, pour la conduire au roi Marc, le père de la jeune fille, placé derrière elle, lui met la main sur la hanche. Ce geste manifeste son consentement. La reine sa mère, au contraire, incline la tête en se détournant (193 E)3. Eliézer pose la main sur l’épaule de Rébecca lorsqu’il la présente à Isaac, geste qu’avait déjà accompli le père de la jeune fille en la remettant au serviteur ( 193 C). Les disciples livrent Sainte Eglise à Jésus-Christ en faisant le même geste (193 D). 1. Jacques de Guyse, Annales de Hainaut, version française, XVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 811, fol. 40v. 2. Abrégé de la Bible, XIIIe siècle, Tours, bibl. mun., ms. 30\Bible historiale, XIVe siècle, bibl. Sainte- Geneviève, ms. 20, fol. 165.- Dans d’autres Bibles latines du XIIIe siècle, l’homme placé sur le côté, amène la femme au vieux roi en lui passant le bras derrière le dos, la main posée sur son épaule, par exemple : bibl. Sainte-Geneviève, ms. 15, fol. 130 et ms. 1180, fol. 97. 3. Roman de Tristan, XVe siècle, Chantilly, musée Condé, ms. 315-317. Dans Les principaux manus- crits à peintures du Musée Condé à Chantilly, Jacques MEURGEY a reproduit cette enluminure (pl. LXXVI A). Il donne comme légende «Tristan et Yseult reçoivent le breuvage amoureux» (p. 117), ce qui ne correspond pas à l’image. Elle illustre le début du chapitre dont le titre est : «Comment le roi d’Irlande bailla sa fille à Tristan qui l’avait prise pour le roi Marc son oncle et comment ils reçurent le breuvage amoureux».
191 Accompli par un personnage investi d’une autorité, le geste de la main posée derrière l’épaule, le bras à moitié plié, manifeste la volonté du pouvoir et le sens de ses décisions. Dans l’illustration de la Causa IX du Décret de Gratien, plusieurs imagiers ont figuré par ce procédé la déposition d’un chapelain par un évêque et la mise à sa place d’un autre prêtre. Tantôt l’évêque pousse le nouveau promu vers la porte d’une église1, et quelquefois il écarte en même temps l’ancien titulaire1 2, tantôt le nouveau chapelain célèbre l’office alors que l’ancien se voit interdire l’accès vers l’autel. Une des images les plus parlantes situe les personnages dans deux cadres architecturaux séparés par une colonne, sur des fonds différents, l’évêque posant la main sur l’épaule du célébrant3. L’expulsion d’un indigne pendant la célébration de la messe est signifiée par le même geste, mais de façon plus rude ( 153,154 ; 163 B). Le clerc qui pousse l’indésirable vers la porte lève l’autre main, le poing fermé, comme s’il ajoutait la menace physique à la contrainte morale. MAIN POSÉE SUR LA POITRINE prendre possession de quelqu’un PAR UN PERSONNAGE faire prisonnier PLACE DEVANT/ SUR LE CÔTE La main posée sur la poitrine marque la prise de possession d’un être sur un autre. Accompli par l’époux, ce geste manifeste son pouvoir sur la femme (195 B, C). Le chapiteau de Vézelay sur les méfaits de la musique profane, qui engendre la luxure, montre le diable posant la main sur la poitrine de la femme nue, victime de sa concupiscence (21 ; 195 A). Le diable en fait sa prisonnière. La signification de son geste s’éclaire si on le rapproche de figurations du même genre, empruntées à des scènes dont la signification ne soulève pas de problème. Trois enluminures, très postérieures sans doute, puisqu’elles sont du XVe siècle, prouvent de façon claire que la main posée sur la poitrine par un adversaire suffit à montrer qu’un homme est son prisonnier. Le vainqueur et le vaincu sont au centre de l’image, et nul autre signe que cette main posée sur la poitrine n’a semblé utile à l’artiste pour traduire ce qui était pour lui l’essentiel de la bataille représentée. A la bataille de Poitiers, en 1356, Jean II le Bon fut fait prisonnier par le Prince Noir. L’enlumineur d’un manuscrit célèbre des Chroniques de Froissart a peint le roi debout, le mézail relevé. Le Prince Noir, vêtu d’une cotte décorée de léopards et de fleurs de lis, pose simplement la main sur sa poitrine (195 D). Un soldat que rien ne peut distinguer des autres fait le même geste, dans la même position sur Bertrand Du Guesclin qu’il capture à la bataille d’Auray, en 1364 (174; 195 E). Dans une troisième scène, d’un manuscrit très différent par le contenu et le style, Saladin fait prisonnier Gui de Lusignan, roi de Jérusalem, à la bataille de Tibériade, en 1187 (175 ; 195 F). Son geste reproduit avec la fidélité d’un rite celui des vainqueurs de Poitiers et d’Auray. 1. Gratien, Décret, fin XIIIe siècle, Bibl. nat., ms. lat. 3898, fol. 159v. 2. Gratien, Décret, fin XIIIe siècle. Bibl. nat., ms. lat. 16898, fol. 177. 3. Gratien, Décret, fin XIIIe siècle, Bibl. nat., ms. lat. 3893, fol. 170. Dans une représentation un peu différente, l’évêque fait le geste sans que ses mains touchent les épaules du prêtre, Rome, bibl. vaticane, ms. Ross. lat. 308, fol. 171v.
192 MAIN POSÉE SUR L’ÉPAULE D’AUTRUI A - Un personnage encourage Radegonde à se faire religieuse, Fortunat, Vie de sainte Radegonde, fin du XIe siècle. Poitiers, bibl. mun., ms. 250, fol. 27v. B - (De gauche à droite) une femme adultère reproche à son nouveau mari d’avoir donné sa fille en mariage sans son consentement. Initiale de la Causa XXI, Gratien,Ztécref, fin du XIIe siècle. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, ms. clm. 17161, fol. 140v. C Éliézer remet Rébecca à Isaac. Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 5vD. D Les disciples remettent l’Église à Jésus-Christ. Même manuscrit, fol. 5v d. Texte du commentaire : Ce qu’elyazar livre Rebecqe a Ysaac et la reçoit, senefie les deciples, qi livrèrent famé, ce est sainte eglise, a iesucrist, et il la receut et se coniunst a li. E - Le père d’Yseult remet sa fille à Tristan. Roman de Tristan, XVe siècle. Chantilly, musée Condé, ms. 315-317. F - Le comte de Hainaut refuse la femme qui lui est présentée (p. 151, 175). Jacques de Guyse, Annales de Hainaut, XVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 811, fol. 40v.
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194 MAIN POSÉE SUR LA POITRINE D'AUTRUI A - Diable prenant possession d’une femme luxurieuse Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay. B - Homme prenant une femme pour épouse Gratien^ Décret, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. nat., ms. lat. 3884, t. II, fol. 67. C - Osée prend Gomer pour femme. Initiale du Livre d’Osée, Bible, XIIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 262, t. III, fol. 226v. D - Le Prince Noir fait Jean II le Bon prisonnier à la bataille de Poitiers, 1356. Jean Froissart, Gironiques, début du XVe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 864, fol. 172. E - Bertrand du Guesclin est fait prisonnier à la bataille d’Auray. Même manuscrit, fol. 250v. F - Gui de Lusignan est fait prisonnier par Saladin à la bataille de Tibériade. Guillaume de Tyr, Histoire d’Outremer, XVe siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 483, fol. 135.
195 F (175)
196 IMPOSITION DES MAINS transmission d’un pouvoir L’imposition de la main ou des deux mains au-dessus de la tête affirme et transmet un pouvoir. Ce geste est réservé à des personnages que leur nature ou leur fonction ont doté d’un savoir et d’une autorité. Il s’agit donc d’une relation de supérieur à inférieur dans une échelle hiérarchique quelconque, transmettant la réalité d’un pouvoir. Au sens le plus faible, celui qui reçoit l’imposition des mains bénéficie seulement de la garantie d’une protection (23 ; 203 A). Il jouit d’une sécurité qui n’inclut pas nécessairement l’acquisition de prérogatives nouvelles. Mais geste naturel sous la forme de prise sous sa protection, l’imposition des mains s’est chargée de significations symbo- liques et rituelles. Elle tient une place importante dans la liturgie et marque les phases essentielles de la confirmation, de l’ordination, de la consécration des évêques. On ne pourra relever ici que quelques exemples où ce geste est accompli par des personnages et dans des contextes différents. Le patriarche Jacob bénit Ephraïm et Manassé en leur posant la main sur la tête. Sa main droite détermine la primauté de la lignée d’Éphraïm (221 E). Saint Paul impose la main au nouveau soldat du Christ (83 ; 197 C). Saint Pierre impose les mains à saint Etienne, lors de l’institution des diacres, en disant Accipe Spiritum Sanctum (197 D). L’évêque impose la main aux ordinands debout devant lui (197 B). Le Christ, entouré des sept candélabres et tenant dans sa main droite les sept étoiles, pose sa main gauche sur la tête de saint Jean agenouillé et priant (197 A). Il ne faut pas confondre l’imposi- tion de la main dont il vient d’être parlé avec la main posée sur la tête en signe de prise de possession d’un être. Le guerrier prend possession de l’enfant qu’il va tuer (61 B). L’ange prend possession de l’âme qu’il arrache au démon (23 ; 203 A). IMPOSITION DES MAINS A - Le Christ pose la main sur le front de saint Jean. Illustration du Livre de l’Apocalypse, Bible historiale, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 21, fol. 258v. B - L’évêque impose la main à un diacre. Pontifical, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 148, fol. 16v. C - Saint Paul impose les mains au chrétien qu’il fait soldat du Christ. Initiale de la deuxième Épître à Timothée, Bible, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 4, fol. 382v. D - Saint Pierre impose les mains à saint Étienne. Tapisserie, fin XVe siècle, musée de Cluny.
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198 PRÉHENSION DE LA MAIN La tenue des objets et des instruments ne revêt de signification symbolique que dans les gestes rituels et dans certaines formes de présentation (p. 240). La saisie d’un bras ou d’une main peut avoir une fin utilitaire et viser une adaptation pratique immédiate. Mais en tant que relation de personne à personne, ce geste s’enrichit vite de significations associées et devient un signe conventionnel. En saisissant un membre, la main le prive de sa liberté d’agir ou le contraint à accomplir un acte qu’elle détermine. Cette propriété est peut-être à l’origine du sens le plus courant de la saisie de l’avant-bras, du poignet, de la main et même des jambes, dans l’iconographie médiévale. On distinguera la saisie effectuée sur soi-même de celle effectuée sur autrui. MAIN TENANT incapacité d’agir SON A UTRE MAIN / SON POIGNET situation dramatique douleur intense Lorsqu’un personnage se tient la main ou l’avant-bras, il manifeste son incapacité à agir ou à s’adapter. Cette impuissance, définitive dans la mort, est grave et durable dans la vie. L’homme se trouve dans une situation difficile, voire dramatique, qui s’impose à lui comme une nécessité. Le caractère irrémédiable de l’épreuve subie se retrouve dans trois conjonctures principales. Le personnage est placé devant un problème qui le concerne directement et lui est imposé par les circonstances, dont certaines ne dépendent pas de sa volonté. Il subit une situation de fait, due à des forces qu’il ne contrôle pas. L’épouse de Job ne peut que constater la déchéance et la détresse de son mari, accablé par les machinations malveil- lantes de Satan (201 A). Lorsqu’une femme remariée voit revenir son premier mari, qu’elle avait cru mort en toute bonne foi, elle se trouve partagée entre deux affections. Quelle que soit la solution donnée à ce conflit de devoirs, elle lui laissera une blessure définitive (201 B). Le personnage a déterminé lui-même la situation tragique dans laquelle il se trouve par ses mauvais comportements. Victime de sa faute, il traduit en se tenant la main ou le poignet la douleur intense de l’état d’irrémédiable damnation auquel son péché l’a réduit. L’homme ou la femme qui s’est livré à la luxure, le pécheur menacé de l’Enfer, dont on ignore le délit (201 C, D, E; 100), l’accusé soumis au jugement des hommes (201 F) manifestent de cette façon leur douleur devant une condamnation sans appel. La mort, plus que tout autre mal, s’impose aux hommes comme une réalité inéluctable, source d’une affliction profonde et durable. Le geste de la main ou du poignet tenu traduit ce sentiment. La Vierge au pied de la Croix, le parent charnel ou spirituel auprès du lit d’un mort (201 G), le personnage qui participe à un cortège funèbre (102 ; 201 H, I), expriment par ce geste leur douleur intérieure.
199 MAIN TENANT L ’A VANT-BRAS / LE POIGNET D’AUTRUI prise de possession de la personne protection contrainte La tenue du poignet est un geste par lequel une personne affirme le pouvoir qu’elle a, qu’elle prend ou qu’elle veut prendre sur un autre homme. Il ne s’agit pas d’une quelconque marque d’amitié, de sympathie. La nature de cette véritable possession dépend de la condition de chacun des personnages en relation, et des gestes complémen- taires. Manifestation corporelle d’une puissance physique ou morale, la saisie du poignet se rencontre dans des scènes très différentes. Le bourreau saisit par le poignet l’enfant qu’il va frapper, dans une représentation du Massacre des Innocents (103). Lorsque Satan dispute une âme à un ange, celle-ci est figurée sous la forme d’un petit être nu. Un chapiteau de Saint-Benoît-sur-Loire, sur lequel ce thème est représenté, oppose la puissance du bien et celle du mal sans qu’il y ait de lutte apparente (23 ; 203 A). Il ne s’agit pas d’un combat, d’une dispute après la mort d’un homme, mais d’une présentation de la condition humaine en même temps que de son dénouement : dans sa vie spirituelle, l’être est toujours partagé, attiré par les bonnes aspirations et les sollicitations mauvaises. Un chapiteau de Saint-Nectaire offre une scène très différente, par les éléments qui la composent comme par son organisation, mais que l’image de Saint-Benoît-sur- Loire pourrait éclairer. Les interprétations souvent données semblent en effet peu satisfaisantes. Il s’agit du chapiteau dit ordinairement « du droit d’asile » (203 B). Certaines erreurs sont dues à ce que des commentateurs ont travaillé sur une photogra- phie de la sculpture, et que par conséquent des détails importants, qui ne laissent aucun doute sur l’identité de l’un des personnages, leur ont échappé. Ils ont pris en effet celui qui tient la main de l’homme agrippé à la colonne pour un méchant seigneur : « Les seigneurs qui le poursuivent — l’un le tire par les cheveux, l’autre le tient par une main et s’apprête à le frapper avec son glaive — vont devoir cesser leur poursuite»1. Or il ne s’agit pas d’un homme mais d’un ange, dont l’auréole et les ailes sont fort distinctement sculptées. Ce qui change tout. Sans écarter l’hypothèse d’une allusion au droit d’asile, la colonne que saisit le petit personnage étant bien le symbole d’une église ou de l’Eglise, il faut voir ici une signification thématique. L’ange prend possession de l’homme qui cherche refuge dans l’église — bâtiment de pierre ou institution spirituelle — et se fait son protecteur contre la puissance de violence et de mal. Celle-ci est représentée par une tête de soldat et par deux mains, dont l’une désigne l’homme du doigt et l’autre le saisit par les cheveux. La revendication est aussi valable sur le plan spirituel que sur le plan corporel. Il n’est pas rare de voir le mal figuré par la violence, par les guerriers. Une illustration de l’Apocalypse, dans la Bible de Saint-Bénigne, presque contem- poraine du chapiteau de Saint-Nectaire, montre la main divine saisissant le poignet de l’homme dans sa détresse (42; 89; 203 C, D). De son côté, l’homme semble s’agripper au poignet divin. L’Eglise est présente sous la forme de la tour tenue par deux saints. 1. La vie seigneuriale du XIe au XIIIe siècle, CNDP, 1979, p. 22.
200 TENUE DE SON POIGNET A - Douleur de la femme de Job Initiale du Livre de Job, Bible, XIIe siècle. Troyes, bibl. mun., ms. 2391, fol. 25. B - Douleur de la femme dans une situation conjugale éprouvante et irrémédiable Initiale de la Causa XXIX, Gratien, Décret, fin XIIe siècle. Douai, bibl. mun., ms. 590, fol. 188. C - L’homme luxurieux, lié à la femme par le cou et tourmenté par un diable, se tient la main en signe de désespoir. Tympan du portail occidental, milieu du XIIe siècle, cathédrale d’Autun. Au-dessus de la Résurrection des morts et à gauche du Pèsement des âmes sont figurés quelques châtiments infernaux. D - Pécheur manifestant son désespoir Chapiteau du XIIe siècle, cathédrale d’Autun. Cet homme se tient la main.Un personnage diabolique armé d’une hache,le saisit parles cheveux. On a vu traditionnellement dans ce chapiteau le thème de la luxure. E - La luxure, représentée par une femme aux seins nus est couchée vaincue. Sculpture, XIIIe siècle, Villalcazar de Sirga. F - Démétrius condamné sans appel Tite-Live, Histoire romaine, deuxième moitié du XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 777, fol. 424. Démétrius, fils de Philippe V de Macédoine, victime d’une accusation calomnieuse de son frère Persée est condamné à mort. G - Douleur devant la mort Vie de saint Orner, fin du XIe siècle. Saint-Omer, bibl. mun., ms. 268, fol. 26. Les personnages qui entourent la couche du défunt traduisent de façons différentes la douleur ressentie devant la mort. Celui qui est représenté ici exprime le caractère définitif irrémédiable de la perte de l’être cher. H - Personnages manifestant leur douleur devant la mort Cortège funèbre du tombeau de Gautier de Sully, milieu du XIIIe siècle, château de Sully. I - Pleurant Sculpture du troisième quart du XIVe siècle. Collection Charles Sterling. J - Personnage en état de perplexité et d’impuissance Lectionnaire, XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 127, fol. 40.
201 H (102)
202 Dans l’initiale du Livre de Tobie, dans la même Bible, l’ange Raphaël a saisi les deux poignets du démon Asmodée, dont il a passé les bras de part et d’autre de la barre verticale du T, traitée comme une colonne. Il l’immobilise, ce qui permet au jeune Tobie de lui administrer une correction1. La fille de Pharaon protège le jeune Moïse en présence de son père (203 F). La pression s’exerce sur une personne avec douceur ou brutalement, par persuasion ou par force, dans une compréhension affectueuse ou par calcul trompeur. Un noble amène de force Radegonde devant le roi Clotaire (203 E). Le serviteur présente à Pharaon la femme d’Abraham, Saraï, sans brutalité (65 ; 205 B). Celle-ci est d’ailleurs consentante. Abraham la reprend sans agressivité (65; 205 C). Abisag est conduite à David avec fermeté mais sans violence (205 D). Quant à Osée, il passe affectueusement son bras droit autour du cou de Gomer, pendant qu’il lui serre le poignet gauche (205 E). La prise de possession à titre d’épouse d’une femme par un homme est, aux XIe, XIIe et XIIIe siècles, souvent marquée par ce geste de la saisie du poignet (205 B, C, E). Après de longues tractations, Marsile organise avec Ganelon la perdition de Roland. En serrant l’avant-bras du traître, le roi infidèle montre qu’il a réussi à prendre possession de sa personne pour le contraindre à agir selon sa volonté (118 ; 205 A). Un homme de mauvaise vie entraîne, en le tirant par le poignet un de ses sem- blables à accuser un évêque (205 F). Le mouvement de ses jambes et sa tête, retournée de profil, accentuent l’impression de contrainte exercée sur cet homme. 1. Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun. ms 2 fol 366v. TENUE DU POIGNET D’AUTRUI A - Le diable et l’ange saisissent une âme qu’ils se disputent. L’ange la prend sous sa protection. Chapiteau, XIe siècle, basilique de Saint-Benoît-sur-Loire. B - Ange prenant un homme sous sa protection (p. 137) Chapiteau, XIIe siècle, Saint-Nectaire. C - Main de Dieu saisissant l’homme en détresse Initiale de l’Apocalypse, Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Diion bibl. mun., ms. 2, fol. 470v. D - Main de Dieu retenant Théophile à l’entrée de l’Enfer Gautier de Coincy, Le Miracle de Théophile, milieu du Xllie siècle. Besançon bibl mun., ms. 551, fol. 10. v , • E - Homme présentant Radegonde prisonnière au roi Clotaire 1er Fortunat, Vie de sainte Radegonde, fin du XIe siècle. Poitiers, bibl. mun. ms. 250 fol. 22v. F - La fille de Pharaon tenant Moïse sous sa protection (p. 95) Initiale du Livre de l’Exode, Bible de Saint-Bénigne, op. cit., fol. 27v
203 E (5)
204 TENUE DU POIGNET D’AUTRUI A - Le roi Marsile tient le poignet du traître Ganelon Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl r - r i t ç? D TT ‘4 Z . „ .... . ’ 1D1-Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. B - Un serviteur présente la femme d Abraham a Pharaon Bible historiée, fin du XIK siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 108 fol 6 C - Abraham emmène sa femme renvoyée par Pharaon. Même manuscrit, fol. 6. D E F - Un homme présente Abisag à David. Initiale du premier Livre des Rois, Bible, XIIK siècle Bibl z ' KlbL Mainte-Geneviève, ms. 1180, fol. 97. Osée prend Gomer pour épouse (p. 214). Initiale du Livre d’Osée, Bible, XIIe siècle. Troyes, bibl. mun ms . r r . ncn - Un tomicateur en entraîne un autre a porter une accucat;^ ’ Initiale de la Causa VI, Gratien, Décret, fin du Xlie siècle lu" Covntre un éveQue (P- 222> ms. clm. 17161, fol. 69. ’ Munich, Bayerische Staatsbibliothek,
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206 PRISE D’UNE MAIN / DES DEUX MAINS A - Isaac prend les mains de Jacob. Chapiteau, milieu du XIIe siècle, basilique de Vézelay. B - Bénédiction d’un chevalier par un évêque Pontifical de Guillaume Durand, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 143, fol. 92. C - Théophile rend hommage au diable. Gautier de Coincy, Le Miracle de Théophile, milieu du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 551, fol. 7v. D - Le peuple se donne à un mauvais roi. . 2554, Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensi fol. 51 D. . signeor Li pueples... vint a un autre qi avoit som ieroboam, et se rendi a lui et le tint porroi e d’éls, et ieroboam lors fist assez piz qe li autres. E - Le peuple se donne au diable qui ensuite le persécute. Même manuscrit, fol. 51 d. F - Homme sage entrant en religion Même manuscrit, fol. 8v d. G - Osée prend Gomer pour épouse. Initiale du Livre d’Osée, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1181, fol. 293v. H - Hommage de Charles le Mauvais à Charles V r 1 103 Bernard Gui, Fleurs des Chroniques, fin XIVe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 677, f° • I - Premier Dauphin de France, le futur Charles V reçoit l’hommage d’un Viennois. Même manuscrit, fol. 93v. J - Le roi Charles V accueille l’empereur Charles IV à Paris. Même manuscrit, fol. 293v.
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208 SAISIE DES DEUX MAINS relation de dépendance supérieur-inférieur En prenant les deux mains d’un homme dans les siennes, on affirme son pouvoir et en même temps on transmet une aide, une protection. Cette relation de supérieur à inférieur, de suzerain à vassal, suppose un consentement et un engagement mutuels. Elle engendre des devoirs réciproques. Sur un chapiteau de Vézelay, Isaac prend dans ses mains celles de Jacob (18; 207 A). Le texte de la Genèse explique la supercherie par laquelle Jacob se fit passer pour son frère velu, en se couvrant les mains et le cou de peau de chèvre. « La voix est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d’Esaü», dit le père aveugle en les touchant (Genèse 27, 22). Mais la scène sculptée ne semble pas mettre le stratagème en évidence. Jacob n’a de poils ni sur le cou ni sur les mains, à peine visibles. Le geste de bénédiction paternelle est probablement remplacé par le rite médiéval de la mise des mains dans celles de son seigneur. Dans un Pontifical de Guillaume Durand, du XIVe siècle, l’évêque prend les mains du chevalier au moment où il le bénit (207 B). Il affirme ainsi la dépendance de la force temporelle par rapport aux valeurs spirituelles qu’elle doit servir. Dans la Bible moralisée de Vienne, une scène biblique et son commentaire montrent des hommes prenant pour seigneur un mauvais roi, Jéroboam, et le diable, par la mise de leurs mains dans celle du maître qu’ils se donnent (88; 207 C-E). Ces mauvais princes les frappent et les exterminent. A la porte d’un monastère, un religieux fait d’une main le geste qui repousse les séductions du diable. Il place l’autre entre les mains du moine qui l’accueille (207 F). Il fait ainsi acte de soumission et d’obéissance. POIGNÉE DE MAIN relation bienveillante d’égal à égal de supérieur à inférieur accueil La poignée de main diffère de la prise des deux mains parce que le geste est iden- tique de la part des deux personnes en présence, même si leurs positions ou d’autres signes, montrent qu’elles ne sont pas de rang égal. Geste d’accueil, le plus souvent, la poignée de main traduit les bonnes dispositions réciproques des personnalités qui se rencontrent, mais n’établissent pas de lien permanent. Dans une initiale historiée du Livre d’Osée, le prophète nimbé donne la main à Gomer qui baisse la tête et pose une main sur sa poitrine (207 G). Est-ce simplement un accueil bienveillant, ou une variante exceptionnelle de la prise du poignet? Le pape et l’empereur sont sur le même rang dans les hiérarchies spirituelle et temporelle. Lorsque Charlemagne arrive à Rome, le pape se rend au-devant de lui et lui serre la main (119). Lorsque Charles V accueille l’empereur Charles IV à Paris, il fait de même (207 J). Le roi de France se penche vers Charles le Mauvais venu lui rendre hommage, l’embrasse et lui tend la main (169; 207 H). Le dauphin, futur Charles V, reçoit les hommages des Viennois de la même façon (168; 207 I).
209 GESTE DES DEUX MAINS MAINS EN RE LA TION L'UNE A VEC L ’A ETRE argumen tation Celui qui fait une démonstration présente successivement une série d’arguments. Les gestes qui expriment cette relation traduisent de façon sensible l’énumération des considérants et des preuves. Le doigt pointé d’une main, habituellement de la main droite, désigne un doigt de l’autre main, dont les autres doigts sont tendus ou repliés selon le point d’avancement de la démonstration. En effet, cette relation très simple dans sa structure et facilement identifiable, prend des formes variées selon les doigts pliés ou tendus. Mais la diversité de ces combinaisons ne change rien à sa signification profonde. Quant au contenu de la démonstration et à sa portée, comme à chaque fois que l’on se trouve devant une relation spécifique qui ne met en jeu aucun élément particulier, il faut les chercher dans le contexte de l’image. Deux personnages de même taille, habillés de la même façon, dans des situations rapprochées et dans des positions qui reproduisent le même dessin, à l’exception des gestes des mains, également de profil et la bouche ouverte, s’entretiennent comme s’ils mettaient au point une mauvaise machination (118 ; 211 I, p. 64). L’un, le doigt tendu et levé énonce un projet, propose des conduites à tenir, en parfait accord avec celui sur le bras duquel il pose la main, dans un geste familier. Le second pointe un index vers l’un des doigts tendus de son autre main, comme s’il énumérait les bonnes raisons qui déterminent son opinion. A eux deux ces personnages figurent le conseil des infidèles, qui prépare le complot de Marsile et de Ganelon. Dans une illustration des Chroniques de France du début du XVe siècle, le geste de l’argumentation occupe la situation centrale de l’image (164 ; 211 D). Il est accompli simultanément par deux personnages qui se font face, à la tête de deux groupes. Ces notables appartiennent à des ordres différents et remplissent de hautes fonctions, il y a des religieux et des laïcs, des professeurs et des juristes. Cette image illustre un chapitre dont le titre ne laisse pas de doute sur sa signification : Si parle des grans questions faictes entre les barons de France, pour savoir a qui le gouvernement du royaume seroit commis. La présence d’une telle représentation dans un manuscrit des Chroniques de France du début du XVe siècle montre la relation qui a pu exister entre le choix des sujets et les préoccupations de l’époque. Le problème de la légitimité de la succession sur le trône de France domine la période de la Guerre de Cent ans. Cette image contient une réponse : c’est à la suite d’une délibération où toutes les thèses et les argumen- tations ont été présentées et défendues par des gens compétents, que fut prise et promulguée la décision concernant la légitime succession sur le trône de France. Chaque analyse d’image où figure ce geste de l’argumentation doit être conduite en tenant compte du contexte iconique et, lorsqu’il s’agit d’une enluminure, du texte illustré. Mais sa signification spécifique reste inchangée et entre pour une part impor- tante dans la signification principale de la représentation. Un religieux argumente pour justifier le choix d’un homme dans une élection (92; 211 J). Un ami de Job expose l’une après l’autre ses idées sur le problème du mal, pour essayer de convaincre le pauvre homme (62; 211 H). Jason revendique le royaume de son père en énumérant ses titres
210 GESTE DES DEUX MAINS DISCUSSION - ARGUMENTATION A - Le pape Innocent III face à l’empereur Frédéric II (p. 56,175) Vincent de Beauvais, Miroir historial, XIIIe siècle. Boulogne-sur-Mer, bibl. mun., ms. 130, t. II, fol. 319v. B - Discussion entre Abélard et Héloïse (p. 56,175) Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, vers 1370. Chantilly, musée Condé, ms. 665, fol. 60v. C - Professeur de rhétorique et son élève Gossuin de Metz, Image du Monde, 1277. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2200, fol. 58. D - Discussion pour savoir «à qui le gouvernement du royaume seroit commis». Grandes Chroniques de France, premier quart du XVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 783, fol.353v. E - Discussion entre Job et sa femme Initiale du Livre de Job, Bible, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 3, fol. 112. F - Jason argumentant Histoire universelle, troisième quart du XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 562, fol. 89v. G - Argumentation Jean Froissart, Chroniques, début XVe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 865, fol. 426v. H - Un ami de Job argumentant Initiale du Livre de Job, Bible de Souvigny, deuxième moitié du XIIe siècle. Moulins, bibl. mun., ms. l,fol.204v. I - Infidèles argumentant pour préparer la trahison de Ganelon Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 152. J - Religieux argumentant pour une élection Gautier de Coincy, Miracles de Notre-Dame, milieu du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 551, fol. 23v.
211 I (118)
212 à la succession (147 ; 211 F). Hélion de Lignac, chargé par le duc de Berry de plaider pour un mariage, en énumère les avantages (211 G). MAINS INDEPENDANTES discussion GESTES COMPLEMENTAIRES L’index tendu plus ou moins horizontalement correspond à l’affirmation de l’opinion d’un personnage sur un plan déterminé, philosophique, théologique, politique ou autre (p. 170). La main ouverte signifie la réception, l’acceptation d’une idée, d’une volonté, d’une situation extérieure (p. 174). La conjonction des deux gestes constitue le schème typique de la discussion, dans laquelle chacun des partenaires d’une part essaie de comprendre les thèses de son adversaire pour en retenir les éléments accep- tables, et d’autre part présente, développe et soutient ses propres opinions. Cette disposition gestuelle reproduit en image la formule «Je concède mais en contrepartie j’affirme que...». En raison de sa forme contradictoire, cette relation ne se rencontre que dans les scènes où figurent au moins deux personnages. Le caractère amical, courtois ou franche- ment hostile de la confrontation s’interprète à partir du contexte. Lorsque Abélard et Héloïse discutent assis côte à côte, sur un même banc, l’entretien, dont on ne saurait préciser le contenu, s’effectue dans l’entente même si les idées peuvent différer (211 B). L’opposition de Job et de sa femme est clairement figurée dans l’initiale d’une Bible du XIIIe siècle (85 ; 211 E). Il est impossible de connaître le contenu de leur conversation sans recourir au texte. L’image montre Job, plus grand que sa femme, répliquant geste pour geste avec ses mains, mais détournant la tête. Lorsqu’un conflit oppose l’empereur et le pape, suivis l’un des membres de son conseil, l’autre d’un évêque, la situation est différente. Le pape Innocent III défend les droits et les positions de l’Eglise contre les prétentions de Frédéric II (211 A). Il ne faut pas confondre le face à face de deux personnes ou groupes de personnes qui s’affrontent à égalité de puissance et la répétition du comportement d’un supérieur ou d’un maître par des subordonnés et des disciples. Dans une scène d’enseignement de la rhétorique, où le problème est justement pour les élèves d’apprendre à bien discuter, ceux-ci s’appliquent à reproduire fidèlement les gestes que leur montre le professeur (97; 211 C). De même le malade atteint d’un goitre reçoit les avis et prescriptions du docte et éminent médecin qu’il est venu consulter (94). MAINS JOINTES prière adoration demande action de grâce Les mains jointes paume contre paume, les doigts tendus, orientés vers le haut, les bras à demi pliés, manifestent une disposition intérieure profonde et une relation actuelle, particulière et précise, de prière. Ce geste accompagne l’agenouillement. Les mains reconnaissent qu’elles ne peuvent par elles-mêmes produire le bien désiré, mais l’attendent comme une grâce de celui qui détient le pouvoir dont l’homme dépend.
213 Cette position de la prière ne se prend que devant des êtres que leur nature ou leur personnalité place au-dessus de sa propre condition. Elle est la seule possible devant Dieu. Elle s’impose dans les demandes graves adressées aux puissances spirituelles ou temporelles, dispensatrices des biens, chargées de rendre la justice, disposant librement de leurs faveurs. Humble dans l’adoration, l’homme reconnaît sa faiblesse et fragilité devant Dieu, dont il attend les grâces, le pardon des péchés et la récompense des mérites. Prière individuelle ou prière collective, rituelle ou non, cette relation entre l’humain et le divin a les mêmes caractères : ellç, est à la fois un aveu d’impuissance à produire, obtenir et conserver par ses propres forces un bien désirable, un acte de soumission et une preuve de confiance. Dans les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, Dieu se penche du ciel pour remettre à Louis VII et à la reine Alix l’héritier si longtemps attendu et demandé (138). Cette naissance récompense la prière du couple royal et de tout le peuple. Pendant les sacres et les consécrations, ceux qui reçoivent leur pouvoir par l’intermédiaire du pape ou des évêques, montrent par cette attitude que leur autorité vient de Dieu (119, 122, 127, 135). Pendant leur exécution, les martyrs lèvent leurs mains jointes vers la main divine bénissante, qui sort de la nuée et dont ils attendent qu’elle les reçoive et leur remette la couronne de gloire (48, 93). Les élus joignent les mains dans l’action de grâces (105). Le pécheur demande son pardon. Devant la justice humaine, le coupable fait le même geste, pour implorer miséricorde et grâce (111, 115 ; 61 C). Il n’a pas d’autre recours devant la force. Dans le langage amoureux, l’homme qui sollicite les faveurs d’une dame s’adresse à elle, agenouillé à ses pieds, les mains jointes. Il demande comme une grâce une bienveillance dont il se reconnaît indigne, jusqu’à ce que, ayant gagné son amour, il montre une belle assurance (96). On a déjà vu que les mains jointes placées dans celles d’un haut personnage établissent une relation de dépendance (p. 208). GESTE D’UN BRAS La plupart des mouvements du bras tiennent leur signification de l’activité ou de la position de la main. Son extension, sa flexion et son orientation sont déterminées par des gestes précis et complexes, auxquels il participe comme instrument porteur. Aujourd’hui encore, on parle des mains plus que des bras. On dit «levez la main», «haut les mains», et quantité d’autres formules du même genre. Le bras fait partie d’un ensemble où il joue un rôle de subordonné. Le bras levé peut se terminer par une main ouverte en pronation, et c’est l’attitude du serment (215 B, C; 177 ; 189 I, J), par un doigt pointé, c’est la désignation ou l’ordre (215 A, 169 B, C, E), par le poing fermé, c’est la menace (163 B-E) ou la négation (163 F-H). Quelquefois cependant, la position du bras a une valeur de signe plus importante et la main semble ne fournir que des informations secondaires. On ne retiendra ici que deux cas où elle est essentielle.
214 BRAS TENDU HORIZONTAL AU-DESSUS DE PERSONNES protection Certains personnages jouent un rôle protecteur, par rapport à un groupe. Ils étendent leur bras, et souvent le manteau qu’ils portent, au-dessus de ceux qu’ils prennent en charge. L’image la plus répandue et la mieux connue est celle de la Vierge de Miséricorde. Mais ce geste du bras, cette position devrait-on dire pour ce type de figuration, qui traduit une relation durable ou permanente, se rencontre dans d’autres sujets. La Sagesse abrite ses sept filles sous le grand manteau qu’elle déploie largement pour les recouvrir (166; 55 E). Les boens prelaz qi governent les âmes les protègent contre les attaques des sirènes et autres tentations (215 D, E). Dans les figurations du mariage, l’époux exprime la possession par la tenue du poignet de la femme, et la protection affectueuse par le bras passé autour de son épaule (107; 215 F, 205 E, 195 C). L’Epouse du Cantique des Cantiques fait quelquefois le même geste que l’Epoux marquant la parfaite harmonie de l’union du Christ et de l’Eglise (215 G). Le même geste exprime l’accueil amical de Charlemagne par Constantin (131 A) et de Henri 1er par Robert le Diable (133 ; 131 D). BRAS TENDU VERTICAL ORIENTE VERS LE BAS inactivité abandon Le bras pendant, avec ou sans rejet de la main vers l’intérieur, traduit un manque de dynamisme, de réaction d’un personnage. Il se rencontre dans les situations d’embarras, d’impuissance, d’abandon, sur quelque plan que ce soit (145; 215 H, 179 D, E, J; 127 J). GESTE D’UN BRAS A - Un saint personnage désigne à un roi le ciel, source de toute sagesse. Illustration du Livre de l’Ecclésiastique, Bible, XIVe siècle. Saint-Omer, bibl. mun., ms. 68, t.II, fol. 30v. B • David faisant un serment Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 40v D. David iura qe il ocirroit et destruiroit et lui (Nabal) et tote sa lignie. C - Personnage jurant sur les Saintes Écritures Livre de Messire Lancelot du Lac, début du XVe siècle. Bibl. de l’Arsenal, ms. 3479, fol. 606. D - Bon prélat protégeant les âmes et repoussant les tentations Bible moralisée, op. cit., fol. 21v a. E - La Synagogue protégeant les Juifs, ses enfants Bible moralisée, op. cit., fol. 35 a. F - Paris enlève la reine Hélène. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 2v. G - Le Christ et l’Église Saint Grégoire, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, XIIe siècle. Troyes, bibl. mun., ms. 1869, fol. 180. H - Ouvrier perplexe et inactif, dans une construction de la tour de Babel Histoire universelle, troisième quart du XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 562, fol. 9.
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216 L’expression «baisser les bras» traduit exactement cette position. Une réserve s’impose qui, si elle n’en modifie pas le sens général, diminue l’importance qu’il faut lui accorder. Les personnages qui, dans une scène, ne participent pas directement à l’action mais jouent des rôles de figurants, peuvent avoir les bras baissés sans qu’il faille attribuer à leur attitude une valeur particulière. Dans l’image seuls les mouvements utiles, traduisant la signification principale, sont figurés. La multiplication et la diversification des conduites individuelles nuiraient à l’effet et à l’intelligibilité de l’action centrale. / GESTE DES DEUX BRAS Les bras d’un homme se livrant à une occupation prennent successivement toutes les positions qu’exige l’action entreprise, sans qu’aucune d’entre elles ait une importance ou une valeur particulière. Il n’y a donc pas lieu de relever ces instantanés qui n’ont pas valeur de signe. Mais lorsque les deux bras accomplissent simultanément des mouvements identiques ou complémentaires, que l’on retrouve comme schème typique dans d’autres scènes ou d’autres figures avec le même sens, ces attitudes ont une signification générale qui se nuance de significations secondaires selon les contextes. BRAS CROISES A l’exception de deux positions, le croisement des poignets, des avant-bras et des bras, extériorise une manière d’être, de penser et d’agir marquée par la contradiction. C’est dire l’importance d’un tel comportement pour la compréhension d’une image. Les divers sens sont déterminés par l’orientation des bras et des mains, et par l’activité ou l’inactivité des mains. bras croisés inactivité mains sous les aisselles Les personnages figurés les bras croisés, les mains sous les aisselles, ne manifestent aucune disposition pouvant donner lieu à interprétation. Cette attitude assez rare, se rencontre surtout dans les groupes (169, 170). bras croisés acceptation mains sur la poitrine recueillement Le croisement des bras n’ajoute que des nuances à la signification de la main posée sur la poitrine, dont il renforce le sens d’acceptation d’une condition (p. 184). avant-bras / poignets croisés contradiction mains vides orientées vers le bas mensonge impuissance Les mains croisées pendantes signifient à la fois la contradiction et ses effets. Le personnage inactif subit les conséquences fâcheuses des conflits et des antinomies.
217 Le mensonge, contradiction entre la parole et la pensée, serre celui qui le pratique et qui en est la victime dans des liens dont il ne peut se défaire. A fortiori est-il plus tyrannique et mauvais lorsqu’il s’agit d’une contradiction entre la vie et la pensée. Dans une illustration d’un texte de saint Augustin sur le mensonge, ce vice est représenté sous la forme allégorique d’une femme qui a les bras croisés, ainsi que les jambes (22;219 H). Un diable tient la corde avec laquelle il achève de la ligoter. Suspendue au-dessus d’une gueule infernale, elle regarde le monstre. On trouve ici réunis les signes de la contradic- tion, de l’impuissance d’action qu’elle engendre et des mauvais effets, allant jusqu’à la damnation, qu’elle entraîne. Dans une représentation de la tour de Babel cette position montre l’impuissance des bâtisseurs à achever leur œuvre (145; 219 C). Le plus grand des personnages, debout au pied de la tour en construction, a abandonné son outil. Il aies bras baissés, les mains croisées et regarde on ne sait où. Son inactivité est la conséquence d’un échec qui vient lui-même de multiples contradictions. Contradictions entre les hommes, incapables de s’unir pour mener une œuvre à bien, disproportion entre le projet démesuré et les capacités humaines. Chassée par Abraham dans le désert, Agar part les bras baissés en croisant les mains, c’est-à-dire sans pouvoir faire quoi que ce soit pour contrecarrer la décision dont elle est victime (66; 219 B). A côté du prophète Êzéchiel, un Juif déporté fait le même geste d’impuissance (39 ; 219 A). Le diable couronné qui s’est efforcé en vain de modifier et de corrompre la parole de Dieu reconnaît son impuissance en croisant ses mains, mais le mouvement de ses bras appuyés et sa bouche ouverte manifestent son courroux (219 G). Une allégorie de Tristesse dans le Roman de la Rose est le portrait de l’impuissance même de l’être à agir et réagir. Elle se laisse aller sur ses avant-bras croisés, les mains pendantes (158 ; 219 D ; p. 128). Le caractère faux et hypocrite d’une situation est clairement signifié par cette position des bras dans une illustration d’un Livre de Messire Lancelot du Lac (177;221 D). Elle permet de distinguer la fausse reine Guenièvre de la vraie. L’hérésie est viciée par l’erreur grave. Contraire à la Vérité, elle est fruit et source de péché. Le prévôt de Paris, Hugues Aubriot, publiquement accusé d’hérésie par l’évêque, est représenté les avant-bras croisés, sans que ses poignets soient liés comme ceux des prisonniers (170 ; 221 C). avant-bras repliés incapacité d’agir parallèles sur la poitrine pauvreté personnage inactif Certains personnages sont figurés repliés sur eux-mêmes, les bras croisés parallèle- ment sur la poitrine. Il ne semble pas qu’il s’attache à cette position un sens péjoratif comme dans les images précédentes. Elle marque seulement un état de fait. L’homme, dont la nudité totale ou partielle montre la misère et la vulnérabilité, est dans l’incapa- cité de produire ce qui est nécessaire à sa subsistance. Il subit l’infortune. Cette image du pauvre illustre l’initiale du psaume Beatus qui intelligit super egenum et pauperem de Commentaires sur les Psaumes de saint Augustin (32; 219 E). Sous la main bénissante de Dieu, un homme recouvre un malheureux transi d’une grande étoffe, qui en l’enve-
218 loppant prend la forme d’une mandorle. La présence d’un élément végétal situe la scène en plein air, ce qui rend l’acte de charité plus nécessaire. Job a une position semblable dans un manuscrit des Moralia in Job de la même époque (25; 219 F). Il subit les tourments de Satan qui le réduit à la misère. Les représentations médiévales du pauvre le placent ordinairement dans une scène d’aumône, le montrent infirme, lui mettent dans la main l’attribut spécifique des lépreux, ce qui explique peut-être la rareté de cette représentation des bras pliés parallèlement sur la poitrine. POIGNETS / BRAS CROISÉS A - Juif en exil Initiale du Livre d’Ézéchiel, Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 195. B - Agar chassée dans le désert Bible historiée, fin du XIIe siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 11. C - Un des constructeurs de la tour de Babel reconnaît son impuissance à achever l’œuvre entreprise. Histoire universelle, troisième quart du XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 562, fol. 9. D - Tristesse Guillaume de Lorris, Rothan de la Rose, troisième quart du XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1126, fol. 3v. E - Le pauvre, démuni et incapable de subvenir à ses besoins Saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes, début du XIIe siècle. Valenciennes, bibl. mun., ms. 39, fol. 86. F - Job réduit à l’impuissance par le Satan Saint Grégoire, Moralia in Job, XIIe siècle. Arras, bibl. mun., ms. 10,1.1, fol. 2. G - Le diable qui inspire les méchants pour leur faire falsifier les Écritures. Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 19 a. Texte du commentaire : les mauvés homes et les males genz, qi se poinent de muer et de changier la parole deu, mes lor poine tome a noient, H - Le Mensonge Saint Augustin, Oeuvres, première moitié du XIIe siècle. Cambrai, bibl. mun., ms. 559, fol. 73v. I - Homme enseignant l’erreur Initiale du psaume 72 Quam bonus Israël, Pierre Lombard, Commentaires sur les Psaumes, fin du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 56, fol. 125. J - Celui qui veut servir deux maîtres Lectionnaire de la cathédrale de Reims, fin du XIe siècle. Reims, bibl. mun., ms. 294, fol. 191. K - L’homme marié qui a fait vœu de chasteté Initiale de la Causa XXVII, Gratien, Décret, XIIe siècle. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, ms.clm. 17161, fol. 133.
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220 bras croisés personnage actif contradiction mensonge trahison changement Lorsque Abraham se rendit en Egypte pour échapper à la famine, il fît passer Saraï, son épouse, pour sa sœur. Comme elle était très belle, des Egyptiens l’amenèrent à Pharaon, qui la prit pour femme. «Et la femme fut emmenée à la maison de Pharaon. Celui-ci traita bien Abram à cause d’elle... Mais Dieu frappa de grandes plaies Pharaon, à cause de Sara, femme d’Abram» (Genèse 12,15-17). Une scène sous laquelle est écrit ce dernier verset, représente Pharaon couché dans une position qui n’est pas celle du repos, comme si le mouvement et la tension de ses jambes traduisaient le mal dont il souffre, également exprimé par la main qui soutient la tête (65 ;p. 181). De son autre main, Pharaon congédie Abraham et sa femme. Abraham entraîne Saraï en serrant son avant-bras, ce qui est une représentation normale. Mais, et cela n’est pas habituel, il la tient de sa main gauche, en croisant les bras. Ce geste insolite correspond exactement à l’événement : Abraham a menti, en cachant à Pharaon que Saraï était sa femme, et c’est de sa tromperie qu’ont découlé tous les maux. Le texte biblique rapporte les paroles de Pharaon lorsqu’il fît venir Abraham, et elles sont fidèlement traduites par l’image : «Que m’as-tu fait là? Pourquoi ne m’as-tu pas déclaré qu’elle était ta femme? Pourquoi as-tu dit : C’est ma sœur — de sorte que je l’ai prise pour femme? Et maintenant, voilà ta femme, prends-la et va-t-en » (Genèse 12, 18-19). La Bible moralisée de Vienne met en évidence la trahison par laquelle Dalila vendit Samson à ses ennemis : Ici vient la famé et trahist son segnor et le vent a ses anemis et em prent deniers (221 B). De sa main gauche, elle oriente vers Samson ceux auxquels elle le livre, de sa main droite, passée sous son bras gauche, elle reçoit l’argent. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le domestique de comédie, malin et menteur, qui s’ingénie à embrouiller les intrigues et à duper les gens, soit figuré croisant les bras avec excès. Un manuscrit de VAndria de Térence, du milieu du XIIe siècle, place Davus entre le vieux Simon et son fils Pamphilus dans l’attitude typique du fourbe (74, 221 A). POIGNETS / BRAS CROISÉS A - Davus, fourbe de comédie Térence, Andria, vers 1150. Oxford, Bodleian Library, ms. auct. F 2,13, fol. 16. B • Trahison de Dalila Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 63 B. C - L’hérétique Hugues Aubriot Bernard Gui, Fleurs des Chroniques, fin du XIVe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 677, fol. 111 v. D • La fausse reine Guenièvre Livre de Messire Lancelot du Lac, début du XVe siècle. Bibl. de l’Arsenal, ms. 3479, fol. 606. E - Jacob croise les bras pour poser sa main droite sur la tête d’Éphraïm (p. 196). Vitrail de l’Alliance, XIIIe siècle, cathédrale du Mans.
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222 On peut rapprocher de cette figure de théâtre un docte personnage qui inflige une leçon mensongère à un pauvre homme, pour l’induire en erreur (69 ;219 I). Dans une main, il tient un rouleau, devant lui. Mais il se tourne complètement, jusqu’à se présenter de profil, et, croisant les bras, fait de sa main gauche le geste de l’affirmation. On hésiterait à interpréter ainsi l’image, si les relations figurées ne s’accordaient avec le texte. «Nul ne peut servir deux maîtres» (Matthieu 6,24). Dans une lettre historiée d’un commentaire de Bède sur l’Evangile de Matthieu, le serviteur croise les bras pendant qu’il présente une coupe à son seigneur (8 ; 219 J). Ce comportement mauvais signifie qu’il recherche et sert simultanément deux biens opposés, les transitoria et les aeterna. Le maître est assis à gauche de. Le caractère contradictoire de deux exigences et de deux comportements est mis en évidence dans une illustration de la Causa XXVII du Décret de Gratien (219 K). Bien qu’il ait fait vœu de virginité, un homme épouse une femme qui, renonçant à cette première union, se marie avec un autre homme. Son premier mari qui désire la reprendre est représenté les bras croisés, tenant d’une main la palme symbole de virginité, et de l’autre l’alliance qu’il montre à la femme pour lui rappeler son devoir. Celle-ci croise également les bras, ce qui est le signe d’une situation et de sentiments pleins de contra- dictions. Cette attitude n’est d’ailleurs pas rare dans ce manuscrit (193 B, 205 F). Lorsque Jacob bénit les deux fils de Joseph, Manassé et Ëphraïm, il croise à dessein les bras. Sa main droite vient se poser sur la tête d’Êphraïm,le cadet, que Joseph avait volontairement placé à la gauche du patriarche. Dans des représentations typologiques du vitrail de l’Alliance, au XIIIe siècle, l’imagier suit le texte biblique qui décrit le geste préférentiel de Jacob. Néanmoins des figurations telles que celle du vitrail de la cathédrale du Mans excluent le personnage de Joseph, et modifient la représentation, de telle sorte qu’elles explicitent le changement dans la primauté des lignées, des «maisons» (221 E). Le fait que l’imagier n’ait pas figuré Jacob sur son lit, mais assis, de face, la tête en majesté, le fait qu’il ait placé une porte derrière chaque enfant, montrent que la signification principale, donnée par le croisement des bras, est ce changement de la primauté des lignées. Dans certains contextes la signification du croisement des bras est plus difficile à établir. Au sommet du P initial des Proverbes, Salomon fait de la main droite le geste de l’enseignement, en même temps qu’il tient le sceptre (38; 61 E). Sa main gauche posée sur la cuisse droite tient le phylactère qui descend vers le peuple. Dans une Bible du XIIIe siècle, les personnages passent souvent un bras sous l’autre pendant qu’ils parlent, soit qu’ils posent la main sur leur cuisse s’ils sont assis, soit qu’ils relèvent le pan de leur manteau s’ils sont debout (82). Il ne semble pas qu’il faille attribuer une signification précise à ces attitudes. L’élu qui ressuscite montre de la main droite le ciel et entraîne de sa main gauche, en croisant les bras, là femme qui le suit (26). Ce document pose un problème auquel il ne permet pas de répondre.
223 BRAS ÉCARTÉS L’écartement simultané des deux bras correspond à un comportement émotionnel, excepté dans le cas où les deux mains repoussent latéralement des personnes et des choses. bras écartés levés prière paumes vers le haut Le geste de l’orant est bien connu. Il lève les mains en regardant vers le ciel. La Bible moralisée de Vienne met en parallèle l’attitude de Moïse qui fet s'oroison a Deu, et tent ses braz en haut, et hure et aaron li sostienent les braz et le prêtre qui prie pendant la messe, soutenu par le Père, le Fils et le Saint-Esprit (225 A)1. La femme nimbée, agenouillée, représentant l’Êpouse du Christ dans l’illustration du Cantique des Cantiques de la Bible de Souvigny, a les bras et les mains dans la position de la prière;en même temps, elle communique avec Dieu transcendant, situé dans le ciel et séparé d’elle, par l’intermédiaire de phylactères (63 ; 225 B). L’un descend, franchissant le feston du ciel, avec les mots Surge arnica mea, speciosa mea, columba mea et veni ; l’autre, tenu par l’épouse, porte ecce tu pulchra es, dïlecte mi, et decorus; lectulus noster floridus (Cantique 2,13 et 1,15). bras écartés étonnement paumes de face peur devant un événement soudain Dans un Bestiaire de Richard de Fournival, l’homme surpris par le dragon dont la langue est venimeuse écarte les bras avec frayeur en regardant le danger qui le menace (225 C). Les Fleurs des Chroniques de Bernard Gui racontent que, en 1187, au moment où un prêtre élevait une hostie, elle devint sanglante. Dans une vignette qui illustre l’événement, le roi Philippe Auguste émerveillé écarte les mains, à hauteur des épaules (225 D). Un jour de fête de saint Pierre, le roi Robert vint déposer sur l’autel une cédule sur laquelle était écrit et noté le répons Cornélius centurio. Le pape et les cardinaux crurent qu’il avait fait une grande offrande et quant il i gardèrent, si n’i troverent autre chose. Dans la lettre historiée des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, le pape regarde le geste royal, les yeux grands ouverts et en écartant les mains (132 ; 225 E). bras pliés, coudes levés colère mains tirant les cheveux / violente douleur serrant la tête Ce mouvement complexe correspond à une réaction émotionnelle très vive, comme l’explosion de colère ou la douleur éprouvée au moment d’une mise au tombeau. 1. Meyer SCHAPIRO décrit et analyse l’évolution de la représentation de ce sujet biblique (Exode 17,9-15), dans Words and Pictures, p. 17. Il prend comme exemple de Bible moralisée le manuscrit d’Oxford, Bodleian Library, ms. 270 b, fol. 51v. Il insiste surtout sur l’aide apportée à Moïse par Hur et Aaron, qui lui soutiennent le bras. Ce geste naturel prend valeur de symbole dans les représentations en état.
224 GESTE DES DEUX BRAS A - Moïse en prière, les bras soutenus par Hur et Aaron Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 23 B. B - L’Épouse du Cantique des Cantiques communiquant avec le Christ qui est dans le ciel. Bible de Souvigny, deuxième moitié du XIIe siècle. Moulins, bibl. mun., ms. 1, fol. 235. C - Effroi de l’homme surpris par le dragon Richard de Fournival, Bestiaire d’Amour, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 526, fol. 30. D - Étonnement de Philippe Auguste devant un prodige Bernard Gui, Fleurs des Chroniques, fin du XIVe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 677, fol. 69v. E - Étonnement du pape lorsque le roi Robert dépose le répons Cornélius Centurio sur l’autel. Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 220. F - La Colère Robert de l’Omme, Miroir de vie et de mort, 1277. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 2200, fol. 166. Représentation de la colère s’arrachant les cheveux à l’extrémité d’une des sept racines de l’arbre des péchés où sont figurés les vices. G - Personnage se tirant les cheveux Initiale du Livre d’Abdias,Æz’Z>Zede Souvigny moitié du XIIe siècle. Moulins, bibl. mun., ms. 1, fol. 196. Le personnage à moitié nu, dont les jambes sont mordues par un dragon, peut figurer la colère, ce qui s’accorderait avec le contenu du Livre d’Abdias, qui respire la haine et l’esprit de vengeance. H - La femme de Putiphar feint le désespoir. Bible historiée, fin XIIe siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 27. Après avoir échoué dans sa tentative de séduction, la femme de Putiphar feint le désespoir devant son mari en accusant Joseph d’avoir tenté d’abuser d’elle. I - Désespoir d’un homme qui a tué sa mie sans raison. Recueil de textes français, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 526, fol. 10. J - Expression de violente douleur pendant un ensevelissement Bible d'Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 191. K - Expression de violente douleur pendant un ensevelissement Bible de Winchester, vers 1150-1160. Winchester, cathédral library, vol. III, fol. 135. L - Évêque séparant un homme et une femme dont il déclare le mariage nul. Justinien, Infortiat, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 394, fol. 4.
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226 Spontané et excessif, il semble qu’il soit réservé à la figuration de l’instant où la drama- tisation est la plus intense. Dans une iconographie médiévale généralement sobre et mesurée, ce geste des deux bras suffît à marquer l’exceptionnelle intensité et violence d’un comportement. Il y a lieu de distinguer deux positions et deux activités des mains. Les mains crispées sur les cheveux, comme si elles les arrachaient, sont figurées au cours d’un geste rapide, le personnage étant au paroxysme de son exaltation douloureuse. C’est le geste de l’allégorie de la colère, dont les dérèglements sont par excellence ceux de la réaction violente, du désespoir devant l’événement tragique, de la détresse, réelle ou feinte (225 F-K). Les mains serrées contre la tête, dans un mouvement inverse des bras, dont le repliement sur soi signifie l’intense prise de conscience de sa propre misère, traduisent l’aspect intérieur de la douleur. Les bras écartés correspondent à la réaction vive et spontanée (225 F-I). Lorsque les coudes reviennent le long du corps, l’état semble plus profond et plus durable, le sentiment est entretenu par la vision d’un état irrémédia- blement compromis et mauvais (225 K). Ce comportement est celui du damné au moment de la résurrection des corps. Repliement sur soi, abattement, prostration s’accompagnent toujours d’une flexion vers le bas qui marque la déchéance psycho- logique et morale. bras écartés horizontalement action de séparer Le mouvement latéral des bras qui s’écartent du corps est le geste naturel par lequel on sépare deux personnes. Il intéresse le langage iconographique dans la mesure où une signification morale et juridique s’attache au geste physique. Dans un manuscrit de VInfortiat du XIIIe siècle, l’évêque renvoie chacun de son côté l’homme et la femme dont il vient de déclarer le mariage nul (157; 225 L). La déclaration de la nullité du mariage de Charles IV le Bel et de la reine Blanche est figurée de la même façon1. Une illustration de la Causa XXXIII du Décret de Gratien se rapproche, dans sa forme et sans doute dans sa signification, des deux enluminures précédentes1 2. Ce geste manifestait donc l’affirmation juridique de la séparation. 1. Grandes Chroniques de France, vers 1420. Toulouse, bibl. mun., ms. 512, fol. 345v. 2. Gratien,Décret,vers 1300. Berlin, Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz, ms. lat. Fol.4, fol. 285.
CHAPITRE X POSITIONS ET GESTES DES JAMBES ET DES PIEDS Les jambes et les pieds ont des fonctions spécifiques limitées. Ils assurent la sustentation et la motricité, dont les formes se différencient par l’ampleur, le rythme et l’orientation des mouvements. Occasionnellement, l’homme se sert de son pied pour actionner une pédale, faire tourner une roue ou frapper un adversaire. Mais ces utilisa- tions très secondaires sont liées à l’emploi de machines, ou ne se rencontrent que dans des conjonctures trop accidentelles pour qu’elles puissent concerner l’étude de la syntaxe gestuelle. Les significations des positions et gestes des jambes et des pieds sont peu nom- breuses. Plusieurs des relations dans lesquelles les jambes sont en corrélation avec le corps ont déjà été étudiées (p. T13, 117, 123...). On essaiera de n’indiquer ici que les relations particulières aux jambes et aux pieds, indépendamment de leurs rapports avec d’autres parties du corps, ou au moins les relations dans lesquelles la jambe ou le pied jouent un rôle déterminant dans la signification. POSITIONS ET TENUE DES JAMBES En dehors de la motricité, les jambes n’ont de valeur signifiante que par le fait qu’elles sont plus ou moins couvertes ou dénudées, plus ou moins écartées ou jointes, croisées ou non, ou qu’elles accomplissent des mouvements désordonnés. JAMBES ET CUISSES SERRÉES / ÊCAR TÊES COUVERTES / DECOUVERTES Les personnages assis dont le vêtement est très ouvert et relevé ainsi que les personnages debout qui exhibent exagérément leurs cuisses, montrent qu’ils sont corrompus. Cette remarque semble une simple notation de bon sens. Il s’agit en fait d’une relation importante, mais qui n’a pas toujours été prise en considération. On insistera sur la constance de sa signification et la nécessité d’en tenir compte dans l’interprétation d’images qui ont été mal comprises.
228 Cette attitude est celle de l’abbé d’un riche monastère qui reçoit, en même temps qu’un enfant confié par son père, une somme d’argent (231 E). Assis dans une posture plus que négligée, le froc relevé découvrant les genoux, ce religieux est l’image du moine que l’argent et les facilités conduisent à mener une vie dissolue. Aucun élément du texte de Gratien ne fait allusion à ce comportement, dont l’initiative revient à l’imagier. Le chapiteau de Saint-Benoît-sur-Loire sur lequel un ange et un diable se disputent une âme offre le contraste de deux positions opposées parfaitement lisibles (23). L’ange se tient droit, les jambes serrées, les pieds rapprochés et parallèles. Ses ailes sont repliées, devant un vêtement qui lui descend jusqu’aux chevilles. Le diable a les pieds écartés et les cuisses ouvertes (231 G). Des ailes, traces de sa nature originelle, sont également ouvertes, comme les pans d’un vêtement court. Cette position diabolique est figurée de façon plus lubrique et provocante dans une scène biblique (231 F). Entraîné au péché par des femmes, Salomon se détourna de Dieu et adora des idoles. La Bible moralisée le représente à genoux devant un diable nu, les jambes écartées, élevé sur un autel. Dans la grande peinture murale représentant l’Enfer, à Asnières-sur-Vègre, le prince des diables, celui qui est assis de face alors que les autres s’agitent, la plupart de profil, tient devant lui un petit homme, comme les Vierges en majesté tiennent l’enfant Jésus1. Mais il ouvre très largement ses jambes et ses cuisses nues. Un chapiteau historié de l’église de Pirmil s’explique en partie par la tenue des personnages assis aux deux extrémités de la représentation, le charivari d’animaux qui donne la tonalité de l’ensemble occupant la face centrale de la sculpture. A la gauche de cette scène, un homme assis joue de la musique (231 A). Son vêtement est largement ouvert. On voit ses jambes disjointes et ses cuisses. Au contraire le personnage assis de l’autre côté, à la droite de la scène, est vêtu d’un habit long qui lui va à la cheville. Sans entrer dans le détail d’une analyse, qui étant donné la richesse du chapiteau, serait fort longue, on relèvera la posture du musicien comme un des signes des dangers que la musique profane fait courir à l’homme et à la femme, la perdition par la luxure. Une sculpture espagnole présente le même thème sous un autre angle de vue (231 B). Le musicien est assis de face et croise les jambes, son vêtement lui découvrant complète- ment les cuisses. Deux fomicateurs allant déposer contre un évêque sont reconnaissables à leur tenue (205 F). Il ne faut pas oublier dans la série des figures aux postures provocantes, l’insensé dont la nudité quelquefois exhibitionniste montre le caractère vicieux, qu’il soit représenté comme illustration du psaume Dixit insipiens ou dans d’autres contextes (49 ; 231 H)1 2. Le lien de la posture inconvenante avec le péché en général et la luxure en parti- culier, est trop constant, pour qu’on n’y voit pas une relation typique. Cette remarque peut paraître banale. Mais de nombreuses interprétations de figures, en particulier de chapiteaux, ont probablement souffert de ne pas lui avoir porté attention. Il aurait 1. Peinture murale, Xllie siècle, église d’Asnières-sur-Vègre (Sarthe). 2. Cf. F. G ARNIER Les conceptions de la folie d'après l’iconographie médiévale du Psaume Dixit insi- piens, p. 218-220, fig. 2,4, 7, 8.
229 semblé difficile, par exemple, de considérer comme un être vertueux, bon pasteur ou autre, un personnage dont le vêtement largement ouvert ou relevé laisse voir les cuisses1. JAMBES CROISEES La signification1 du croisement des jambes n’est pas évidente. Il n’est pas certain que cette position puisse être tenue pour une relation syntaxique régulière, parce que les observations n’aboutissent pas à des conclusions simples et certaines. Néanmoins il se dégage quelques constances dans les contextes et les corrélations, qui évoluent entre le XIe et le XVe siècle. En voici les grandes orientations. Au XIe siècle et pendant la première partie du XIIe siècle les grands personnages, le pape, l’évêque, le roi ne croisent les jambes qu’exceptionnellement. A Vézelay, lorsque David apprend la mort de Saül, il commande l’exécution du meurtrier tout en manifestant sa douleur. Ses pieds sont croisés (19; 231 C). Isaac a également les pieds croisés alors que son fils Jacob est représenté en marche (18; 231 D). Les jambes croisées, au-dessous du genou, se voient surtout à cette époque chez les personnages affligés par l’épreuve et l’échec. C’est l’attitude de Job et de l’homme dans la détresse1 2. Le personnage est souvent allongé ou accroupi. A partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les personnages qui détiennent une autorité, temporelle ou spirituelle, sont représentés de plus en plus fréquemment les jambes croisées, en particulier lorsqu’ils donnent un ordre3. Le croisement des jambes aurait deux significations principales. En corrélation avec une situation et une attitude marquant l’infériorité, il exprimerait la faiblesse, l’impuissance des personnages; en corrélation avec une situation, une attitude et tous les autres signes de supériorité, il confirmerait le pouvoir d’un personnage, comme tenue qu’il peut se permettre eu égard à sa valeur, ou qu’il se donne lui-même. MOUVEMENTS DESORDONNES DES JAMBES Qu’il soit en mouvement ou arrêté, l’homme fait des gestes sobres avec ses jambes, mesurés par les besoins de l’adaptation à sa situation et à son action. En dehors de la danse, dont les formes sont d’ailleurs réglées, les mouvements qui s’écartent, même légèrement, du comportement utilitaire apparaissent comme excentriques, drôles ou choquants. Dans l’imagerie médiévale, les anomalies et les excès correspondent à 1. Voir Z. SWIECHOWSKI, Sculpture romane d’Auvergne, p. 286. La signification du vêtement très court, ouvert ou relevé et découvrant les cuisses n’est qu’un aspect du problème de la nudité au Moyen Age. 2. Job dans l’épreuve (58,62); Bible de Saint-Bénigne, Dÿon, bibl. mun., ms. 2, fol. 235v; saint Grégoire, Moralia in Job, vers 1150,Berlin, Staastbibliothek Preussischer Kulturbesitz, ms. 88, fol. lv.- Homme en détresse (42 ; 203 C). 3. Saül menaçant David, Pierre Lombard, Commentaires sur les Psaumes, XIIe siècle, bibl. Sainte- Geneviève, ms. 56, fol. 44v.- Pierre Lombard écrivant les Sentences, Pierre Lombard, Livre des Sentences, fin XIIe siècle, Troyes, bibl. mun., ms. 900, fol. 1.- Dans les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, le roi croise deux fois les jambes pendant qu’il donne un ordre (111, 116).-Prince ordonnant l’exécution d’un martyre (93).- Haine (159).- Roi (Salomon) enseignant la Sagesse, Bible, XIIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 60, fol. 94v;- dans une même scène, l’enseigné, assis plus bas que le maître, est nu jusqu’à la ceinture, signe d’infériorité, et croise un peu les jambes, Bible, XIIIe siècle, bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1181, fol. 199.
230 un désordre signifiant, ils traduisent un mal, physique ou moral. Cette relation a déjà été rencontrée dans les positions du corps déséquilibré, en corrélation avec d’autres dérèglements (p. 123). Lorsque Pharaon renvoie Abraham et sa femme, parce qu’il est accablé de maux, l’imagier le représente étendu sur son lit, la jambe gauche allongée, mais la jambe droite complètement repliée (65). Au moment où le diable pénètre en lui, Saül perd toute dignité royale. Assis sur un trône dans son palais, il se met à gigoter de façon ridicule1. Les mouvements déréglés des jambes accompagnent comme un signe d’état les comportements, alors qu’il s’agit quelquefois de gestes vifs et excessifs. Ils signifient toujours un mal. 1. Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle. Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 64v c. Dessin du buste, des bras et de la tête p. 163. POSITIONS DES JAMBES ET DES PIEDS A - Musicien le vêtement ouvert et les cuisses nues Chapiteau, XIIe siècle, église de Pirmil (Sarthe). B - Meme représentation Sculpture, XIIe siècle, église Santiago, Carrion de los Condes (Espagne). C - David croisant les pieds pendant qu’il donne l’ordre d’exécuter le messager qui lui a annoncé la mort de Saül. Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay. D - Isaac croisant les pieds pendant qu’il prend les mains de Jacob dans les siennes. Chapiteau, milieu du XIIe siècle, basilique de Yézelay. E - Religieux menant une vie dissolue Initiale de la Causa I, Gratien, Décret, XIIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 1277, fol. 76. La jambe croisée découverte d’un riche personnage, comblé de présents et inspiré par le diable, pourrait avoir la même signification dans Bible moralisée, première moitié du XIIIe siècle, Vienne, Bibl. nat., codex vindobonensis 2554, fol. 8v C. F - Démon de la luxure ouvrant les jambes Bible moralisée, op. cit., fol. 50v D. G - Diable ouvrant les jambes Chapiteau, XIe siècle, Saint-Benoît-sur-Loire. H - Le frenetiq, que Moïse maudit par le commandement de Dieu Bible moralisée, op. cit., fol. 30 B. I - Géants figurant l’avarice, tenant des petits personnages par la jambe Chapiteau, milieu du XIe siècle, église de la Couture, Le Mans. J - Démon inspirant la luxure et tenant le pécheur par la cheville Chapiteau, XIIe siècle, Brioude. K - Pieds de Dieu en majesté Initiale de l’Apocalypse,Bible de Saint-Bénigne,première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl.mun., ms. 2, fol. 470v. L - Pieds de Job (détail d’une représentation en figure) Initiale du prologue de saint Jérôme sur le Livre de Job. Même manuscrit, fol. 235v.
231 K (42) L (36)
232 POSITIONS DES PIEDS Les positions des pieds peuvent être décrites dans les trois dimensions, et en tenant compte de leurs orientations respectives. Pratiquement, si l’on exclut les positions correspondant à la mobilité (p. 125-129), quelques positions seulement peuvent être considérées comme typiques, les légères variantes étant le plus souvent d’ordre stylistique et n’affectant la signification que de nuances. PIEDS SYMETRIQUES, TALONS RAPPROCHES, POINTES ECARTEES Le Christ en majesté et la Vierge en majesté tenant l’Enfant, ont les pieds posés symétriquement, les talons rapprochés, les pointes écartées, le pied étant vu du dessus (2, 3, 25, 31,35, 37, 42 ; 231 K). Cette position stable et équilibrée convient aux êtres représentés en état, qu’ils soient assis ou debout. Le plus souvent les person- nages sont sages et vertueux (33, 39, 41,44, 91, 140). UN PIED ORIENTE VERS L’A VANT, L’A UTRE LATERALEMENT Les personnages, debout ou assis, dont les pieds sont orientés l’un vers l’avant, l’autre vers la droite ou la gauche, sont représentés en état d’activité. La contradiction des termes n’est qu’apparente. L’action peut être figurée de deux façons. Ou bien l’imagier montre l’opération en train de s’accomplir. Il saisit un instantané. Ou bien il montre une manière d’agir de l’homme, en le figeant dans une position conventionnelle. Le personnage en état d’éloignement ne marche pas comme celui qui fuit réellement. La cécité de la Synagogue l’éloigne en permanence du Christ (35). Le lâche est en état permanent de fuite devant des ennemis aussi redoutables que le lapin ou le lièvre (149 ; 155 D). Nemrod (?), debout au pied de la tour de Babel dont l’achèvement est impossible, se tient dans une perplexité sans issue (145). Job est stable et constant dans l’acceptation de la volonté divine (36 ; 231 L; p. 38). Au contraire, les époux dont l’évêque vient de déclarer le mariage nul s’en vont chacun dans sa direction, et Joseph s’échappe en courant des mains de la femme de Putiphar (157, 146). POSITIONS DES PIEDS/DU PIED PAR RAPPORT À AUTRUI Le fait de fouler aux pieds un ou plusieurs personnages traduit une domination complète, la victoire sur un ennemi, l’écrasement du mal. En mettant son pied sur le pied d’un autre, un homme affirme son pouvoir sur celui qui est son allié, son vassal, son disciple ou son serviteur. Lorsque Jésus-Christ envoie ses disciples chercher de bonnes âmes, il pose un pied sur celui d’un des hommes «en état de mission» (173 C). En même temps qu’il lui pose la couronne sur la tête et lui prend le poignet, Jésus-Christ pose son pied sur celui de David (99). Marsile fait un mouvement de la jambe gauche pour pouvoir poser son pied sur celui de Ganelon, dont
233 il vient de s’assurer les services contre Roland et Charlemagne (118 ; 65 B, 205 A). Malheureusement les exemples de cette relation ne sont pas nombreux, du moins sous une forme suffisamment bien dessinée pour qu’il n’y ait pas de doute sur les positions respectives des pieds. Il y a souvent risque d’erreur sur leur appréciation. SAISIE DE LA JAMBE/DE LA CHEVILLE Il a été longuement question des préhensions de la main (p. 198-208). La saisie de la jambe, presque toujours de la cheville, est plus rare, surtout à partir du XIIIe siècle. Il semble que ce geste, représenté en état, ait la même signification que la saisie du poignet, mais exprimée avec plus de force. La posture et le comportement du personnage qui tient ses propres chevilles ne laissent pas de doute sur sa condition : il s’agit d’un être mauvais. Les deux démons ailés qui entourent l’avare de Brioude sont aux trois-quarts nus, à genoux les jambes écartées et les pieds rejetés vers l’extérieur. Si la saisie de son poignet traduit le caractère inéluctable d’une situation dramatique (p. 198), la saisie des deux chevilles signifie que le pécheur, et plus encore le diable, sont condamnés à l’impuissance, à l’échec étemel, cela de leur propre fait. La saisie de la cheville d’autrui lui enlève toute possibilité de mouvement. C’est peut-être pour cette raison que les puissances mauvaises serrent les chevilles de ceux qu’elles asservissent. Deux géants représentant l’avarice tiennent fermement, en état, les jambes des petits personnages dont ils ont pris possession (11 ; 231 I). Le diable qui inspire les conduites luxurieuses serre la cheville de ses victimes (231 J). Dans certaines représentations les diables s’emparent à la fois des poignets et des chevilles des damnés. A Besse-en-Chandesse, l’âme du Mauvais Riche est ainsi saisie par deux diables qui l’ont retournée la tête en bas, alors que les anges élèvent au ciel l’âme du pauvre Lazare en le tenant par le poignet, leur autre main accompagnant l’ascension en affleurant les jambes.
CHAPITRE XI RELATIONS AVEC LES OBJETS L’homme entretient avec son milieu de vie des relations permanentes, dont la plupart échappent à sa volonté et même à sa conscience. Cet ensemble de rapports peut être considéré sous trois aspects. Les adaptations physiques s’accomplissent automatiquement, par le jeu de forces qui échappent habituellement à la pensée. L’esprit interroge les faits puis élabore une vision intelligible du monde à un niveau d’abstraction où il perd ses propriétés sensibles. Entre ces deux zones d’activité sans lien apparent, également interdites au langage iconographique parce que peuplées d’objets trop particuliers ou de notions trop générales, il y a le plan où la vie humaine construit et organise un monde d’objets à la mesure de ses besoins et de ses capacités. Toutes les actions essentielles faites avec ou sur les éléments matériels procèdent de quelques fonctions élémentaires. Il semble que certaines structures de la syntaxe iconographique médiévale aient pris en charge l’expression simple, claire, et universel- lement intelligible de ces relations fondamentales. Faire ou défaire, posséder, donner, vendre, voler, toutes les opérations concernant la production, la destruction et la propriété des objets s’exprimeraient sous des formes typiques. On ne fera ici qu’ébaucher, en posant les problèmes à partir des significations et non des signifiants, les grandes lignes d’un programme de recherche qui demanderait de prendre en compte, comme étude préalable, les différentes espèces d’éléments figurés et leurs différentes significations. FAIRE / DEFAIRE Les représentations de la construction et de la destruction peuvent être réalistes ou symboliques. Seules relèvent du langage iconographique celles dans lesquelles les figurations, même réalistes, sont liées par des relations syntaxiques qui rompent avec les catégories de l’espace, du temps et des nécessités matérielles, comme l’absence de l’intervention d’un agent pour une édification ou une démolition.
236 LA CONSTRUCTION Dans la construction d’un édifice, comme dans la création de n’importe quel objet, on peut distinguer trois aspects : la pensée conçoit et décide Qui construit ? la main exécute matériellement Comment? la nature de l’édifice Quoi? La plupart des représentations médiévales de construction contiennent simultané- ment les trois éléments de ce schéma. Dans les Grandes Chroniques de France de Saint - Denis, Charlemagne fait édifier par des ouvriers une église en l’honneur de la Vierge. Les épisodes de cette construction sont juxtaposés dans l’ordre de la lecture (116;p. 88; 167,176). Dans les initiales historiées du premier Livre d’Esdras, Cyrus ordonne la reconstruction du Temple de Jérusalem, des maçons s’affairent, l’édifice est déjà presque achevé. La représentation simultanée de ces trois phases se retrouve dans le plus grand nombre des bibles illustrées du XIIIe siècle. Mais il ne s’agit pas de la copie d’un modèle, car les compositions sont très différentes. La représentation est quelquefois simplifiée. Dans un médaillon d’une Chronologie universelle, les murailles, deux tours et une porte sont en partie construites (239 A). On aperçoit de la végétation à l’intérieur de l’enceinte, dans ce qui sera la ville. Quelques blocs de pierre sont prêts à être appareillés, mais aucun ouvrier, aucun personnage n’est figuré. Il n’y a cependant pas de confusion possible, on est en présence d’une construction et non d’une destruction. LA DESTRUCTION Un épisode de la vie du pape Sixte II raconte sa lutte contre le paganisme. Sur l’injonction du saint, un temple s’écroule. L’illustrateur d’un manuscrit de la fin du XIIIe siècle résume la scène avec une sobriété telle qu’il faut faire attention pour en comprendre le sens. Le pape est debout devant une construction dont l’architecture permet de deviner qu’il s’agit d’un édifice religieux, mais sur lequel il n’y a pas de croix. Un autre saint se tient derrière le pontife, la main en pronation rejetée vers l’intérieur (p. 175). Sixte II fait un geste de bénédiction et deux clochetons se renversent (239 C) signifiant l’anéantissement du temple païen. Le prophète Nahum annonce la destruction de Ninive ainsi : «Toutes les forteresses sont des figuiers avec des figues précoces ; qu’on les secoue, elles tombent. » (Nahum 3, 12). Dans l’initiale historiée d’une Bible du XIIIe siècle, la ville est figurée de façon symbo- lique par une construction à plusieurs étages superposés, qui se termine par une tour de petit diamètre (239 B). Le prophète montre du doigt la pointe de cette tour qui se brise et tombe. L’anéantissement de la ville perverse est signifiée par ce qui pourrait passer pour un détail.
237 Dans une autre initiale du même livre, le faîte de la tour se détache et tombe, comme une couronne, en même temps qu’un vantail de la porte se décroche et amorce une chute (239 D). Dans une troisième, la ville détruite est figurée par un amoncelle- ment de maisons dans lequel trois ou quatre parties d’édifice sont penchées (239 E). Le caractère catastrophique de l’événement est davantage suggéré que dans les images précédentes. Mais la sobriété des représentations de la destruction est remarquable : un ou plusieurs éléments essentiels dans la figuration symbolique sont brisés et en train de tomber. Aucune place n’est faite aux victimes de ce drame figuré par une relation au niveau de l’objet. Dans un quadrilobe d’Amiens, la chute des idoles s’accompagne de brisures architecturales (239 F). Le désordre et la confusion sont plus grands mais la relation qui signifie la destruction ne change pas de nature. Dans d’autres représentations, la destruction est figurée par les flammes. Le pont de Mayence construit par Charlemagne s’écroula, racontent les Chroniques, et l’empe- reur conçut le projet de le reconstruire en pierre. L’imagier n’a suivi qu’en partie le texte. Il montre un pont en proie aux flammes, mais l’appareillage est celui d’une construction en pierre (116). La destruction de Troie est figurée de la même façon; là encore, aucune présence humaine ne donne un caractère tragique anecdotique à l’événement (171). La simple cassure de la lance portant le gonfanon montre la perte d’un pouvoir, comme celle d’un clocheton ou d’une colonne. La figure bien connue delà Synagogue supplantée par l’Eglise tient un bois en train de se briser (239 G). Le contraste est saisissant dans l’illustration du Cantique des Cantiques delà Bible de Saint-Bénigne (35). La lance de l’Eglise est droite, et son gonfanon se déploie horizontalement. Celle de la Synagogue se casse, et le mouvement des fanons, presque verticaux, alors que l’extrémité du bois de lance ne fait que s’incliner, suggère une chute rapide. Dans le cas de la lance comme dans celui de la ville, la relation ne peut être étudiée indépendamment des significations symboliques des éléments. Il appartient à des études sectorielles de définir les degrés de généralité des relations, pour distinguer nettement le motif, la relation particulière et la relation syntaxique. POSSEDER / DONNER / RECEVOIR La propriété d’un objet s’acquiert, se conserve, se cède ou se perd. Les rapports constants concernant la propriété de l’homme sur les choses s’expriment à travers des relations spécifiques précises. L’acquisition se fait par achat, don, vol ou héritage. La représentation de chacune des formes de transfert de la propriété ou de l’affirmation de la propriété pose des problèmes. Dans la mesure où des figurations typiques expriment et nuancent des relations réelles, l’étude de leur syntaxe fournira un instrument d’investigation et de contrôle à la fois iconographique et historique. On ne tracera ici, à titre d’exemple, que l’itinéraire d’une recherche sur la relation donner - recevoir.
238 CONSTRUCTION - DESTRUCTION A - Construction de Lutèce Chronologie universelle, début du XVe siècle. Orléans, bibl. mun., ms. 470 (rouleau). B - Nahum annonce la destruction de Ninive. Initiale du Livre de Nahum, Bible, XIIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 262, t. III, fol. 253v. C - Destruction d’un temple païen Vies des saints, fin du XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 588, fol. 141v. D - Nahum annonce la destruction de Ninive. Initiale du Livre de Nahum, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 15, fol. 378. E - Nahum annonce la destruction de Ninive. Initiale du Livre de Nahum, Bible, XIIIe siècle. Tours, bibl. mun., ms. 13. F - Chute des idoles et effondrement du temple païen Quadrilobe, XIIIe siècle, cathédrale d’Amiens. G - La Synagogue perd son pouvoir. Bénédictions et préfaces à l’usage de l’église de Sainte-Geneviève, XVe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 1286, fol. 46.
239
240 Lorsque deux personnages échangent un objet, l’un étant le donneur, l’autre le receveur, est-il possible de déterminer qui donne et qui reçoit à partir d’une situation et d’une position typiques? La relation typique,s’il yen a une, dépend-elle de la nature de l’objet? L’observation d’images où est figurée la remise d’une bourse faite sur des illustrations de la Causa I du Décret de Gratien et sur quelques médaillons de la Bible moralisée de Vienne, a montré qu’il fallait tenir compte d’une corrélation générale les situations verticales respectives du donneur et du receveur pour apprécier là situation de la main qui prend par rapport à celle qui donne. Dans le tableau qui suit, la situation du donneur par rapport au receveur, puis de la main du donneur par rapport à celte du receveur, est exprimée sous là forme graphique suivante : donneur à la même hauteur que receveur donneur receveur plus haut que donneur receveur receveur plus bas que donneur Cette disposition rend évidente la constance des relations entre la situation de la main du donneur et la situation de son corps par rapport à celui du receveur. Lorsqu’ils sont à la même hauteur, la main du donneur est dans 21 cas au-dessus de celle du receveur, dans 2 cas à la même hauteur. PRÉSENTER / UTILISER En plus de leurs utilisations pratiques, les objets peuvent avoir des significations symboliques. Les relations avec les objets, en tant qu’instruments ou porteurs de symboles, peuvent elles-mêmes avoir des significations typiques. Quelques exemples relatifs au vêtement et à la porte permettront d’esquisser la voie d’une recherche sur les significations distinctes mais complémentaires de l’opération et de la présentation. RE LA TION A VEC LE VÊTEMENT Dans une initiale d’un commentaire de Thomas de Perseigne sur le Cantique des Cantiques, un homme présente un vêtement. Il croise ses jambes nues (72). Mais il ne faut pas confondre son comportement avec celui des personnages corrompus (p. 231). La présentation du vêtement, symbole du changement d’habit, signifie la conversion. Le commentaire de Thomas de Perseigne cite le texte de saint Paul : « Il faut dépouiller le vieil homme et revêtir l’homme nouveau. » (Ëphésiens 4, 22-24). Dans le S historié de Commentaires sur les Psaumes de Pierre Lombard, le chan- gement d’habit symbolique est figuré par deux scènes (71). Dans la panse supérieure, l’homme se dépouille de son ancien vêtement, avec l’aide d’un autre personnage. Au- dessous, il se précipite dans le nouveau vêtement qui lui est présenté.
241 RELATION DONNER - RECEVOIR Manuscrit Décret de Gratien SITUATION donneur receveur MAIN donneur receveur Sienne, bibl. com., G.V. 23, fol. 137v Vatican, ms. Pal. lat. 622, fol. 59 Beaune, bibl. mun., ms. 5, fol. 57v Munich, Bibl. nat., ms. clm. 17161 fol. 43 Autun, bibl. mun., ms. 80, fol. 67v Dijon, bibl. mun., ms. 341, fol. 85v Douai, bibl. mun., ms. 588 Douai, bibl. mun., ms. 590, fol. 59v Baltimore, W.A.G., ms. 10135, fol. 81v Saint-Florian, ms. ÏII, 2, fol. 95 Vatican, ms. lat. 1371, fol. 73v Escorial, ms. ç I 8, fol. 79 Vatican, ms. lat. 1371, fol. 130v Tours, bibl. mun., ms. 588, fol. 93 Paris, Bibl. nat., ms. lat. 3898, fol. 92 Berlin, S.P.K., ms. lat. Fol. 6, fol. 73 Paris, Bibl. nat., ms. lat. 3893, fol. 98 Paris, Bibl. nat., ms. lat. 16898, fol. 100 Munich, Bibl. nat., ms. clm. 18050a, fol. 119v Vatican, ms. lat. 1370, fol. 75 Vatican, ms. Ross. lat. 307, fol. 97 Vatican, ms. Ross. lat. 308, fol. 99 Paris, bibl. Mazarine, ms. lat. 1270, fol. 95v Bible moralisée Vienne, Bibl. nat., cod. vind. 2554, fol. 23 d Idem, fol. 39v A Idem, fol. 63 B Idem, fol. 63 b
242 Dans une initiale historiée de la première Epître à Timothée, un évêque remet un vêtement, que rien en apparence ne caractérise comme habit liturgique, à un clerc incliné vers lequel il se penche (243 F). En même temps il lui impose la main. Le vêtement est ici encore le symbole d’une vie nouvelle. Le changement de vêtement est figuré dans d’autres contextes. Un prince, ayant laissé l’habit noble et le collier qui signifiaient sa dignité temporelle, accourt vers un monastère, à l’entrée duquel un religieux lui présente l’habit, qu’il saisit avec empressement (243 D). Un prêtre accablé par des infirmités décide de se faire moine en abandonnant son bénéfice. L’illustration d’un manuscrit du Décret de Gratien montre l’impotent se soutenant avec une béquille et désignant d’un doigt sa tête (243 C). Deux religieux se tiennent à côté de lui. L’un situé derrière, saisit son manteau, l’autre présente le nouvel habit. L’image résume ainsi le changement d’état et sa motivation. Un prêtre frappé par la maladie exprime le désir de renoncer à son bénéfice et de se faire moine. L’illustrateur le montre sur son lit, recevant d’un abbé le vêtement qui symbolise son entrée en religion (243 A). Placé contre son gré dans un monastère lorsqu’il était enfant, un homme décide de retourner dans le monde. Il quitte le monastère en abandonnant le vêtement symbo- lique. De sa main droite il désigne la direction opposée au couvent (243 B). Dans la marge d’un livre d’Heures, un personnage est représenté tenant le bas d’un habit religieux, alors qu’il porte des habits laïcs (243 E;p. 33). Il s’agit très probablement ici d’Une figuration symbolique du changement de vie. La paire de ciseaux évoquerait la coupe des cheveux, autre signe du renoncement au monde. RELATION AVEC LE VÊTEMENT A - Remise de l’habit religieux à un prêtre malade Causa XVII, Gratien, Décret, XIIIe siècle. Autun, bibl. mun., ms. 80, fol. 154v. B - Homme quittant le monastère Causa XX, même manuscrit, fol. 161. C - Prêtre malade changeant son habit pour celui de moine Initiale de la Causa XVII, Gratien, Décret, XIIe siècle. Douai, bibl. mun., ms. 590, fol. 135v. D - Un prince abandonnant son bel habit pour se faire religieux Jacques de Guyse, Annales de Hainaut, XVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 810, fol. 92. E - Laïc se disposant à prendre l’habit religieux Livre d’Heures, première moitié du XIVe siècle. Londres, British Muséum, Yales Thompson, ms. 13, fol. 180v. F - Remise du vêtement à un clerc Initiale de la première Épître à Timothée, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1180, fol. 351. Il faut distinguer cette remise du vêtement, qui signifie le changement de vie, du secours porté au pauvre, même de façon symbolique (32).
243 F __ _______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________
244 RE LA TION A VEC LA POR TE La porte joue un rôle important dans l’imagerie médiévale. En présentation, ouverte, elle signifie l’accès à un lieu dont la valeur symbolique est donnée par le contexte. C’est ainsi que la porte de l’Eglise triomphante ou de la Jérusalem céleste est ouverte derrière le Christ en majesté et l’Eglise qui le représente sur la terre (3). Au début du Livre des Proverbes, Salomon est assis devant une grande porte ouverte à deux battants. Elle montre que la Sagesse conduit à la cité de félicité (245 A). Aller vers la porte, même représentée seule, c’est se diriger vers la cité où l’on doit aller. Jonas sortant du gros poisson et fortifié par la puissance divine se précipite vers une porte, qui représente Ninive, la ville perverse qu’il doit convertir (245 B). L’homme sage fuit ceux qui commettent l’iniquité. L’illustration du Psautier d’Odbert le représente en mouvement ayant en partie franchi la porte de l’édifice où se commet le mal (1 ; 245 G). Il part seul et volontairement. Pour exprimer la fuite ou l’enlèvement, on fait passer les personnages par la fenêtre. Mikal pousse David afin qu’il échappe aux émissaires de Saül venus pour le tuer (245 C). Lorsqu’ils dérobent le corps de saint Martin, qu’ils veulent ramener à Tours, les moines passent le cadavre par une fenêtre, dessinée de façon artificielle, sans aucun autre élément d’architecture (245 D). Le caractère conventionnel de ces représentations est évident. Le contexte et les corrélations permettent d’aller assez loin dans la compréhension de ces images, même si on n’en connaît pas le sujet ou le thème. L’entrée d’une armée dans une ville, le franchissement de la porte, signifie la prise de cette ville. Au début du Livre de Daniel, on assiste à la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. Dans l’initiale de la Bible de Manerius, les soldats franchissent la porte de la ville comme s’ils défilaient (245 F). RELATION AVEC LA PORTE/LA FENÊTRE A - Salomon, maître de sagesse, devant la porte ouverte signifiant probablement l’entrée de la Jérusalem céleste Initiale du Livre des Proverbes, Bible, XIIe siècle. Reims, bibl. mun., ms. 23, fol. 2v. B - Jonas sortant du gros poisson se dirige vers Ninive. Vitrail de l’Alliance, XIIIe siècle, cathédrale du Mans. C - David s’enfuyant, poussé par Mikal Pierre Lombard, Commentaires sur les Psaumes, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 56, fol. 100. D - Le corps de saint Martin est passé par une fenêtre. Missel, XIIe siècle. Tours, bibl. mun., ms. 193. E - L’armée de Charlemagne prend la ville de Pampelune. Vitrail de Charlemagne, première moitié du XIIIe siècle, cathédrale de Chartres. F - Nabuchodonosor prend la ville de Jérusalem. Initiale du Livre de Daniel, Bible deManerius, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 9, fol. 111. G - L’homme juste fuyant l’assemblée des méchants Initiale du psaume 58 Eripe me de inimicis meis, Psautier d’Odbert, vers 1000. Boulogne-sur- Mer, bibl. mun., ms. 20, fol. 63v.
245
246 La prise de Pampelune par Charlemagne, dans le vitrail de Chartres, ressemble beaucoup à la prise du Mans par Philippe Auguste des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis. Les cavaliers s’engouffrent dans la ville (245 E ; 139, 113). On pourrait multiplier les exemples d’images où la porte et le passage sont chargés de significations précises. Il faudrait mentionner par exemple l’importance de l’accueil à la porte signifiant le changement de vie (243 D). La typologie des relations concernant les objets, ainsi que des rapports des hommes avec les objets, devrait être établie après une typologie des éléments figurés.
CONCLUSION Le survol d’un domaine aussi étendu dans l’espace et dans le temps, la multipli- cation des aperçus, les ressources entrevues font naître des sentiments contradictoires. Les résultats de la recherche sont à la fois exaltants, décevants et prometteurs. La connaissance, même approchée et provisoire, de la syntaxe recueille comme première satisfaction la réussite. Celle-ci s’éprouve dans les contre-expériences. Il suffit de déchiffrer des images nouvelles à l’aide des règles établies, puis de vérifier par d’autres voies, en particulier par le recours au texte, la valeur de l’interprétation. Cet exercice facilement renouvelable montre le bien-fondé et la fécondité de la syntaxe iconographique médiévale. D’autre part l’exploration de représentations jusqu’ici inexpliquées aboutit quelquefois à des déchiffrages probables ou certains. L’examen des interprétations reçues ou avancées à titre d’hypothèses peut remettre des opinions en question. Dans ces exercices critiques, la syntaxe elle-même, ainsi que la méthode qui permet de l’établir, subissent l’épreuve de la confrontation avec la réalité documen- taire. Elles en sortent fortifiées et corrigées s’il y a lieu. Lorsqu’il faut mesurer le profit d’une telle connaissance, le bilan des applications réalisées et possibles pèse plus que la cohérence formelle et la probabilité théorique. Mais la rapidité de l’examen laisse une insatisfaction. La vue d’ensemble révèle une texture syntaxique dont chaque maille contient une question et une réponse. On se plairait à collectionner des familles d’images racontant la même histoire avec pour nuances des variations syntaxiques. On pressent l’existence de structures sans pouvoir, par manque de documentation ou par défaut de certitude concernant la signification de l’image, cemer le signifiant et sa signification. Il est tentant de marquer de façon plus précise l’évolution du langage dans le temps, de suivre les transformations syntaxiques. Il a semblé, par exemple, que la situation « à gauche de » ne prenait un sens péjoratif typique, c’est-à-dire s’étendant à toutes les images thématiques, qu’à partir de la seconde moitié du XIe siècle. Mais il s’agit là de précisions qui ne se justifieraient que par des études sectorielles, par un accroissement de la masse documentaire et surtout une meilleure datation des images. Dans l’état actuel du savoir, il a semblé préférable de s’en tenir aux grandes lignes.
248 Ayant prélevé les exemples selon les besoins de l’exposé, on n’a traité chaque document que de façon partielle et morcelée. Les explications suivies sont rares. Il n’entrait pas dans cette étude de faire un commentaire détaillé exhaustif de chaque représentation reproduite. Cette application des règles de la syntaxe aurait été enrichis- sante, probante et en même temps plus séduisante. On a dû se limiter à quelques brèves remarques à propos d’un petit nombre d’images et à quelques notices un peu plus détaillées. En choisissant l’étude méthodique et systématique des relations, on écartait d’autres recherches, en particulier celles qui concernent l’origine, la transmission et la diffusion des usages syntaxiques. La syntaxe iconographique médiévale est simple dans ses grandes lignes mais complexe en fait, et par conséquent difficile à établir et à appliquer. On a vu l’importance du contexte et des corrélations dans l’interprétation de certaines positions. Ces structures complexes ne constituent pas des exceptions, des idiotismes. Elles existent comme formes typiques d’expression, du moins en général. Il résulte de cette richesse que le déchiffrage des images ne peut se faire par application aveugle de principes et de formules. Il demande quelquefois une analyse nuancée et prudente de la représentation. En dépit des difficultés, des lacunes et des imperfections, l’étude des relations dans le langage iconographique médiéval est prometteuse. La systématisation, l’extension et la formalisation de la recherche, menée conjointement avec le développement des documentations, devraient contribuer à une meilleure compréhension et à une meilleure utilisation des sources iconographiques médiévales.
249 INDEX DES SIGNIFICATIONS Cet index renvoie aux pages où il est expressément traité d’une relation et de sa signification. abandon 175,180,214 acceptation 38, 50, 51, 52, 129, 174, 180, 184,212,216 accueil 208 accusation 165 action (en) 41 activité 42, 143,232 adhésion 51,52,53, 174 affirmation (d’idées) 54, 170, v. aussi ensei- gnement agressivité v. violence antériorité 15,54,90 apparition 116 argumentation 209 assurance 185 attention 148,150 autorité 42, 53,90,94,112,167, 229, v. aussi hiérarchie bien 124 bienveillance 208 bon 89,98,107,120, 124 changement de vie 33,220, v. aussi conversion colère 19,137,164,223 commandement v. ordre communication 69,83,84,91 comploter 209 compréhension 52 condamnation 66 conduire 148, 156, v. aussi entraîner conflit 54 conscience 46, v. aussi intentionnalité construction 35,72,73,88,236 contradiction 216,220 contrainte 46, 89,190,199 conversion 240 corruption 227 culpabilité 147,184,213 défi 140 délibération 63,66 départ 148,152,153 dépendance 208 déplacement 96, 129, 244, v. aussi départ et fuir désespoir 19,137,141 désir 148 destruction 236 détermination 185, 190 détourner de (se) 148,151 détresse 117,229 dignité 38, 112,135,232 direction v. indication d’une — discussion 54, 56, 63, 64, 66, 90, 175, 212 disponibilité 174 domination 232 donner 35,237 douleur 19,45,90, 141, 181,184,198,223, v. aussi tristesse égalité v. hiérarchie empressement 112,114,129,140,168 encourager quelqu’un à 190 enseignement 52, 77, 84, 113, 168, 170, v. aussi affirmation d’idées entraîner 148, 156 espace 48, 167 état (en) 41,60,142 étonnement 223 événement 37,68,74,88,89 faute v. culpabilité fermeté 185 fou v. insensé foule 106 fuir 157,158 — un ennemi 148,156 - un lieu 96,148, 152 — un passé coupable 148 hiérarchie 51, 52, 53, 67, 69, 70, 72,73,74, 76, 77, 82, 83, 84, 86, 91, 98-104, 112, 146,174,196,208 - égalité 76,87, 113 - infériorité 72,86,136, 142 — supériorité 69,84,90,96,113, 142 - v. aussi autorité
250 hommage 90, 208 humilité 87,113,117,128, 141,213 idée 16,37,39,54 identification 92 idolâtrie 94, 121 imitation 51-56,95,154 impuissance 180, 198, 213, 216, 217, 229, 233 inactivité 214,216 indication d’une direction 171, 180 infériorité v. hiérarchie insensé 53,134,137,148,151,152,228 inspiration 107 intentionnalité 43, 45, 46, 64, 125, 129, 172 intériorité 184 intermédiaire 53 joie 45 jugement 89, 100 lieu 72 luxure 33,228 maître v. enseignement mal 83 malade 116 mauvais 59, 73, 90, 98, 107, 120, 121, 122,136,137,146,222, 228, 229 méfiance 148, 158 mensonge 58,216,220 montrer 148, 151, 165, v. aussi indication d’une direction mort 70,116, 125, 135, 136 mouvement 48,74,84 négation 175 obéissance 52, 53, 154, 156, 172, 180, 208 offrande 74, 114, 128 opposition 51, 54, 90, 164, 175, v. aussi discussion et refus ordre (donner un) 53, 88, 90,143, 165, 166, 167,185 orgueil 58,60,87,121 passivité 42,114 pauvreté 217 peur 223 possession de quelqu’un (prendre) 60, 64, 191, 196,199,202,232,233 pousser quelqu’un à 190 prédication 170 prière 113,128,212,223 prise de ville 244, 246 prisonnier (faire) 191 protection 76,95,199,214 punition 72 quantité v. foule réalisme 67,78,80,82 recevoir 35,237,240,241 récit 40,87,88 recueillement 216 refus 50, 148, 151, 164, 175, 180, 184, 190 v. aussi opposition regret 147 repliement sur soi 125, 128, 184 repos 117 respect 74, 94 rituel 44 séparation 226 sincérité 184 sommeil 117, 135, 181, 184 songe 184 soumission 51, 74, 87, 113, 141, 180, 185, 208,213 supériorité v. hiérarchie symbolisme 67, 78, 81,82 temps 15, 40, 47, 48, 63, 70, 88, v. aussi antériorité trahison 64,220 transcendance 84,99,100,121 transmission (d’un pouvoir) 53, 196 tristesse 128, 181 vente 175 vertu 59,62, 102,232 vice 122, 158 violence 58,87,161 vision 117 zèle v. empressement
251 INDEX DES PHOTOGRAPHIES ET DES DESSINS 1 - Lieux de conservation Amiens Bibl. mun. - ms. 23 (123 C);ms. 108(65-67, 105 E, 225 H) ; ms. 223 ( 115 A) ; ms. 483 ( 175) Cathédrale - portail occidental (148-151,61 B, 173 E, 239 F) Amné - en - Champagne Église - peinture murale (101) Arras Bibl. mun. - ms. 10 (25) ; ms. 435 (2, 3) Asnières sur - Vègre Église - peinture murale (139 M) Autun Bibl. mun. - ms. 80 (156, 243 A-B) Cathédrale - portail occidental (26, 27, 201 C); chapiteau (139 F-G, 139 K, 163 G, 201 D) Avennes Société historique - ancien Metz, bibl. mun., ms. 1151 (109 A) Beaune Église Notre-Dame - chapiteau (127 C) Berlin Kupferstich Kabinett - ms. 78 A 4 (183 N) Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz - ms. germ. Fol. 623 (127 J) ; ms. lat. qu. 198 S 4 (33) Musée d’État sculpture (187 L) Besançon Bibl. mun. - ms. 457 (94, 95); ms. 551 (88-92); ms. 677 (167-170,61 C, 207 J, 225 D) ;ms. 864-865 (174, 195 D,211 G) Boulogne-sur-Mer Bibl. mun. - ms. 4(123 D);ms. 14(93 E);ms. 20(1, 115 B);ms. 53 (46);ms. 130 (211 A) Bourges Cathédrale - vitrail (119 B) Brioude Église - chapiteau (139 Q, 231 J) Bruxelles Bibl. royale - ms. 1066-77 (163 D) Cambrai Bibl. mun. - ms. 215 (183 B); ms. 559 (22);ms.967 (163 C) Carrion de los Condes Église Santiago - sculpture (231 B) Chantilly Musée Condé - mss 315-317 (187 K, 193 E);ms.665 (211 B) Chartres Cathédrale - vitrail (119 F-G, 127 D-E, 131 A, 245 E) Dijon Bibl. mun. - ms. 2 (35-42,85 D, 93 C, 131 C, 203 F) ; ms. 3 (85); ms. 4 (82-84, 145 I); ms. 14 (14-17); ms. 15 (145 L); ms. 20 (86); ms. 170 (29, 30); ms. 180 (28); ms. 341 (154); ms. 526 (225 C, I); ms. 527 (178, 115 H); ms. 562 (144-147, 119 C); ms. 641 (24) Douai Bibl. mun. - ms. 590 (76, 201 B, 243 C) Florence Bibl. Laurentienne - ms. Plut. XII, 17 (61 D) Hanovre Bibl.nat.-ms. IV 578 (163 A) Issoire Église - chapiteau (163 H) Klosterneuburg Abbaye - émail (173 B) Laon Bibl. mun. - ms. 472 (123 B) Londres British Muséum - Yales Thompson, ms. 13 (243 E) Mans (Le) Bibl. mun. - ms. 1 (72); ms. 10(169 B); ms. 20 (4); ms. 157 (98, 99); ms. 214 (10); ms. 227 (9); ms. 228 (173 A, 177 E); ms. 254 (179); ms. 262 (78, 79, 195 C, 239 B) ; ms. 263 (47) ; ms. 349 (34) Cathédrale - vitrail (48, 221 E, 245 B) Église de la Couture - chapiteau (11-13)
252 Moulins Bibl. mun. - ms. 1 (62-64, 225 G) Mozac Église - chapiteau (139 P) Munich Bayerische Staatsbibliothek - ms.clm. 17161 (127 G, 193 B, 205 F, 219 K) Nieul-sur-l’Autize Église - chapiteau (50-53) Orléans Bibl. mun. - ms. 144 (103) ; ms. 470 (171, 239 A) Oxford Bodleian Library - ms. Auct. F 2, 13 (74, 221 A) Paris Bibl. de l’Arsenal - ms. 3479 (177) Bibl. Mazarine - ms. 1 (7) ; ms. 71 (87) ; ms. 80 (49) ; ms. 168 (165); ms. 870 (149 G); ms. 1277 (231 E) Bibl. nat. - ms. lat. 3884 (195 B) Bibl. Sainte-Geneviève - mss 8-10 (54-61, 105 B, 105 D, 109 B, 115 C, 245 F); ms. 14(85 B, 115 F); ms. 15 (177 J, 187 G-H, 239 D); ms. 20 (119 A, 183 E); ms. 21 (197 A); ms. 56 (68-71, 115 E, 245 C);ms. 102(177 H, I);ms. 127 (201 J);ms. 143 (207 B); ms. 148 (197 B); ms. 329 (153); ms. 391 (152); ms. 394 (155, 157, 145 J); ms. 395 (177 K); ms. 577 (93 F); ms. 588 (93, 239 C); ms. 777 (163, 201 F) ; ms. 782 (106-143) ; ms. 783 (164) ; mss 810- 811 (193 F,243 D);ms. 1015 (55 B);ms.l029 (166); ms. 1041 (75); ms. 1126 (158-162, 119I);ms. 1180 (80, 81, 145 E, 205 D, 243 F); ms. 1181 (115 G, 207 G); ms. 1185 (77, 173 D, 177 C, 183 L); ms. 1273 (105); ms. 1286(239 G);ms. 2200 (96, 97, 225 F);ms. 2690 (155 C) Musée de Cluny - tapisserie (197 D) Musée du Louvre - sculpture (183 M); peinture (187 J) Pirmil Église - chapiteau (231 A) Poitiers Bibl. mun. - ms. 250 (5, 6) Poncé -sur-le-Loir Église - peinture murale (123 F) Reims Bibl. mun. - ms. 23 (44, 245 A) ; ms. 294 (8) Saint - Benoît sur -Loire Basilique - chapiteau (23) Saint-Calais Bibl. mun.-ms. 1 (172,173) Saintes Abbaye-aux-Dames - portail occidental (104) Saint-Gall Stadtsbibliothek - ms. 302 (119 E) Saint-Nectaire Église - chapiteau (203 B) Saint-Omer Bibl. mun. • ms. 12 (93 A); ms. 68 (215 A);ms. 268 (201 G) Sens Bibl. mun. - ms. 1 (43) Cathédrale • vitrail (109 H) Sterling (Charles), coll. privée - sculpture (201 I) Sully Château - sculpture (102) Toulouse Bibl. mun. - ms. 512 (176) Tours Bibl. mun. - ms. 13 (239 E); ms. 193 (245 D); ms. 924 (73) Troyes Bibl. mun. - ms. 28 (45, 205 E); ms. 577 (105 C); ms. 1869(215 G);ms. 2391 (201 A) Valenciennes Bibl. mun. - ms. 39 (32); ms. 41 (31); ms. 108 (183 J) Vézelay Basilique - chapiteau (18-21) Vienne Bibl. nat. - codex vindobonensis 2554 (109 D-G, 127 F, 139 B-C, 139 N-0, 145 N, 163 E-F, 173 C, 177 A, 179 A-C, 179 E, 187 E, 187 F, 189 D-E, 189 H-J, 193 C-D, 207 D-F, 215 B, 215 D-E, 219 G, 221 B, 225 A, 231 F, 231 H) Villalcazar de Sirga Église des Templiers - sculpture (100) Winchester Cathédral library - vol. III (225 K)
253 INDEX DES PHOTOGRAPHIES ET DES DESSINS 2 - Matières Cet index permet de connaître la répartition des sources et de procéder à des recherches sectorielles. Le classement a demandé une certaine souplesse d’appréciation dans la mesure où il prend en compte simultanément la nature des sources (Bible, livre de chroniques, recueil de poèmes) et éventuellement le contenu de la représentation particulière (scène biblique représentée dans un vitrail, thème moral illustré sur un chapiteau). Les références des reproductions photographiques et des dessins sont reliées par un tiret lorsque plusieurs documents appartiennent à un même ensemble. DROIT Décret de Gratien - 76, 154, 156 ; - p. 127 G, 193 B, 195 B, 201 B, 205 F, 219 K, 231 E, 243 C Décrétales - 152,153 ; — p. 163 B Digeste - 155, 157 ; - p. 177 K HISTOIRE 106-143, 144-147, 163, 164, 167-170, 171, 174, 175, 176 ; - p. 61 C, 119 C, 119 F-G, 127 D-E, 131 A, 193 F, 195 D, 201 F, 207 H-J, 211 A, 211 G, 225 D, 239 A, 243 D, 245 E LITTÉRATURE Poésie - 96,158-162 ; - p. 119 E, 119 1,127 J, 163 A, 211 B, 225 C, 225 F Roman - 177,178 ;-p, 115 H, 187 K, 193 E.225 I Théâtre - 73, 74 MÉDECINE 33,94-95 MORALE 11-13, 21, 50-53,148-151, 166 ;-p. 55B.55E, 123 F, 139 R, 149 G, 163 D, 201 C, 201 D, 203 B, 231 A,231 B,231 J RELIGION Bible - Ancien Testament - Pentateuque - 7, 43,49,56,64,65-67,87 ; - p. 85 B, 105 C, 109 D-E, 119 A, 119 B, 127 F, 139 B-C, 173 B, 173 D, 179 B-C et E, 187 E-F, 189 D, 203 F, 207 F, 215 D, 219 G, 221 E, 225 H - Livres historiques- 15, 17, 18, 19,20,40,41,57 ;-p.93 C, 109 B, 109 F-G, 123 B, 131 C, 145 N, 163 E-F, 177 A, 179 A, 183 L, 187 H, 189 H-J, 205 D, 207 D, 215 B, 215 E, 221 B, 225 J, 225 K, 231 F - Livres poétiques et sapientiaux - 2-3,14,16, 25, 35, 36, 38, 44, 58, 59, 62, 63, 82, 85 ; — p.115 G,201 A, 215 A, 245 A - Psaumes - 1,77,98,99 ; —p. 115 B, 145 1, 155 C - Livres prophétiques - 39, 45, 54, 78-79 ; — p. 85 D, 177 C, 177 J, 187 G, 195 C, 205 E, 207 G, 225 G, 239 B, 239 D, 239 E, 245 B Bible - Nouveau Testament - Évangiles - 8, 24, 37, 55, 101, 103, 104 ;-p. 61 B, 93 E, 105 E, 109 A, 109 H, 115 C, 145 L, 163 H, 173 C, 173 E, 177 H, 179 A, 183 J, 187 J
254 - Actes des Apôtres - 48 ; — p. 127 C, 163 G, 197 D - Épîtres de saint Paul - 60, 61, 80-81, 83-84,86 ;-p. 105 B-D, 123 C, 123 D, 145 E, 243 F - Apocalypse - 42 ; — p. 115 F, 197 A Commentaires sur l’Êcriture -4, 28-30, 31, 32, 68-71, 72 ;-p. 93 A, 115 E, 173 A, 177 E, 215 G,245 C Eschatologie - 23, 26-27, 105 p. 139 M Patristique (voir aussi Commentaires sur l’Êcriture) - 22,46 ; — p. 61 D, 115 A Hagiographie-5-6, 9, 10, 93, 100, 165, 172-173, 179 ;-p. 169 B, 183 N, 189 B, 201 G, 239 C, 245 D Exempla - 88-92 Liturgie - 102 p. 183 M, 187 L, 197 B, 201 I, 207 B, 239 G, 243 F Règle monastique - 34 SCIENCE 47 Arts libéraux - 75,97 Toutes les photographies sont de l’auteur, à l’exception de: 102 (Archives photographiques), 177 (Giraudon).
255 BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE L’enquête sur la syntaxe iconographique médiévale présentée dans cet ouvrage repose sur l’observation des faits. Elle procède par examen systématique de séries d’images. Ce parti pris métho- dologique limite le recours aux acquis de l’histoire de l’art en matière de sémiologie de l’image. Une autre recherche, d’un intérêt évident, consisterait à relever dans les publications les analyses, les remarques et même les allusions qui se rapportent à la syntaxe iconographique médiévale. Ces éléments sont disséminés dans des livres et des articles aussi nombreux que divers. Il s’agirait d’un travail considérable. Seuls ont été retenus dans cette bibliographie sommaire quelques ouvrages concernant la docu- mentation présentée et les problèmes d’analyse iconographique. I - ÉTUDES SUR LES SOURCES, RECUEILS DE DOCUMENTS Pour les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis BOINET (A.), Les manuscrits à peintures de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Société française de reproduction des manuscrits à peintures, Paris, 1921, p. 39-47, notice sur le manuscrit, descrip- tion iconographique et bibliographie. VlARD (J.), Les Grandes Chroniques de France, Société de l’Histoire de France, Paris, 1920 sqq., édition du manuscrit de Sainte-Geneviève à laquelle on s’est référé. ALEXANDER (J. J. Norman illumination at Mont St Michel 966-1100, Oxford, 1970. Bible, trad. E. OSTY, iconographie F. GARNIER, Lausanne, 1970 sqq. La Bible moralisée de la Bibliothèque nationale d'Autriche, codex vindobonensis 2554, reproduit en fac-similé intégral, étude par R. HAUSSHERR, Paris, 1973. BOINET (A.), Les manuscrits à peintures de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Société française de reproduction des manuscrits à peintures, Paris, 1921. BUCHTHAL (H.), Miniature painting in the latin kingdom of Jérusalem, Oxford, 1957. GAUTHIER (M.-M), Émaux du Moyen Age occidental, Fribourg, 1972. KOECHLIN (R.), Les ivoires gothiques français, Paris, 1968. LEJEUNE (R.) et STIENNON (J.), La légende de Roland dans l'art du Moyen Age, Bruxelles, 1966. MacKlNNEY (L.), Medical illustration in médiéval manuscripts, Wellcome Historical Medical Library, 1965. MÂLE (E.), L'Art religieux du XIIe siècle en France, Paris, 1922. MELNIKAS (A.), The corpus of the miniatures in the manuscripts of Decretum Gratiani, Rome, 1975. MEURGEY (J.), Les principaux manuscrits à peintures du musée Condé à Chantilly, Société française de reproduction des manuscrits à peintures, Paris, 1930. OURSEL (Ch.), Miniatures cisterciennes (1109-1134), Mâcon, 1960. PÀCHT (O.) et ALEXANDER (J. J. G.), Uluminated manuscripts in the Bodleian Library Oxford, Oxford, 1966. Les pleurants dans l'art du Moyen Age en Europe, catal,, musée de Dijon, 1971. PORCHER (J.), L'enluminure française, Paris, 1959. RANDALL (L. M. C.), Images in the margins of gothic manuscripts, Berkeley, 1966.
256 SMEYERS (M.), La miniature, Turnhout, 1974. SWARZENSKI (H.), Monuments of Romanesque Art, The University of Chicago Press, 1967. SWIECHOWSKI (Z.), Sculpture romane d’Auvergne, Clermont-Ferrand, 1973. ZALUSKA (Y.), La Bible limousine de la Bibliothèque Mazarine à Paris, dans Actes du 102e Congrès national des sociétés savantes, Limoges 1977, Paris 1979, p. 69-98). II - ÉTUDES ICONOGRAPHIQUES, RECHERCHES SÉMIOLOGIQUES BLUMENKRANZ (B.), Le Juif médiéval au miroir de l’art chrétien, Paris, 1966. DAMISCH (H.), La peinture prise au mot, dans Critique, Paris, 1978, n° 370, p. 274-290. DUFRENNE (S.), Les illustrations du Psautier d’Utrecht, sources et apport carolingien, Paris, 1978. First international conférence on automatic Processingof art history data and documents, Pise, 1978. GARNIER (F.), Le vitrail XIIIe siècle, l’histoire de Charlemagne, Paris, 1969. — La guerre au Moyen Age XIe-XVe siècle, l’histoire par les documents iconographiques, Poitiers, C.R.D.P., 1976. — Les conceptions de la folie d’après l’iconographie médiévale du Psaume Dixit insipiens, dans Actes du 102e Congrès national des sociétés savantes, Limoges 1977, Paris 1979, p. 215-222. Iconographie et histoire des mentalités, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1979. Lexicon der christlichen Ikonographie, Rome, 1968. Médiéval Iconography and Narrative, Odense University Press, 1980. PANOFSKY (E.), Essais d’iconologie, Paris, 1967. - L ’œuvre d’art et ses significations, Paris, 1969. RÊAU (L.), Iconographie de l’art chrétien, Paris, 1955. SCHAPIRO (M.), Words and Pictures, The Hague - Paris, 1973.
257 TABLE DES MATIÈRES Avant-propos ................................................. 7 INTRODUCTION ................................................. 9 CHAPITRE I - LE LANGAGE ICONOGRAPHIQUE....................... 13 Le langage de l’image et les données de l’expérience sensible. 14 Langage iconographique et création........................... 15 la contrainte du texte................................... 16 le poids des traditions iconographiques .................. 17 L’étude du langage iconographique et ses problèmes CHAPITRE II - LA DOCUMENTATION ET SON EXPLOITATION 21 Extension de la documentation .............................. 22 les corpus.............................................. 23 les monographies .................................... 24 les corpus thématiques les corpus par champ ................................ 25 Base documentaire de l’étude............................... 26 documentation étudiée documentation présentée................................. 27 les reproductions de documents les planches de dessins ............................. 28 Exploitation de la documentation .......................... 29 règles de description analyse et synthèse grands nombres et séries................................ 31 extension de la série facteurs techniques destinataires diversité des thèmes............................. 32 diversité des sujets genre iconographique origine qualité des exemples lisibilité authenticité signification non équivoque l’image et le texte.................................... 34
258 contexte et corrélations essentielles.......................... 35 le contexte thématique le contexte événementiel le contexte hiérarchique les exceptions................................................. 36 CHAPITRE III - ASPECTS GÉNÉRAUX DU LANGAGE ICONOGRAPHIQUE - CADRES ET STRUCTURES Corrélations typiques.............................................. 37 genre iconographique........................................... 38 figure groupe de figures scène sujet et thème................................................. 39 image narrative et image thématique ........................... 40 représentation en état et représentation en action ............ 41 Aspects généraux des compositions.................................. 42 éléments et ensembles dimensions situations Aspects généraux des comportements personnels...................... 43 le geste les gestes rituels......................................... 44 geste simple et geste complexe............................. 45 analyse du geste le geste considéré au point de vue de l’agent le geste considéré au point de vue de l’objet........... 46 objet réel objet symbolique nature de l’opération produite.......................... 47 moment du geste la position ................................................... 48 geste et position l’expression .................................................. 49 l’attitude Aspects généraux des relations interpersonnelles................... 50 répétition - imitation imitation d’un supérieur par un inférieur...................... 51 reproduction totale d’un comportement reproduction partielle d’un comportement................... 52 imitation d’un égal............................................ 54
259 CHAPITRE IV - LES ELEMENTS..................................... 57 Eléments simples et éléments complexes Éléments complexes dans l’image thématique..................... 58 illustration du Livre de l’Ecclésiastique de \a. Bible de Saint- Vaast ............................. 59 Eléments complexes dans l’image narrative...................... 63 couronnement de Pépin le Bref trahison de Ganelon........................................ 64 condamnation de l’évêque Amauri de Chartres................ 66 CHAPITRE V - LES DIMENSIONS.................................... 67 Méthode de mesure ............................................. 68 mesures dans l’unité iconographique ....................... 69 initiale du deuxième Livre des Macchabées construction de la tour de Babel....................... 72 la Cène................................................ 73 construction d’une église mesures dans l’unité codicologique......................... 74 mesures dans l’unité thématique............................ 76 Dimensions des objets et des édifices......................... 78 dimensions symboliques des objets dimensions réelles des objets CHAPITRE VI - LES SITUATIONS.................................. 81 Situation verticale .......................................... 82 situation verticale dans un espace défini................. 83 situation verticale par rapport à un repère au-dessus de, au-dessous de sur, sous............................................. 84 à la même hauteur que............................ • • • 87 situation verticale dans les programmes narratifs et thématiques Situation latérale .......................................... 88 situation latérale dans l’image narrative situation latérale à signification thématique............. 89
260 Intériorité - extériorité - distance ................................. 91 situation intérieure.............................................. 92 situation sécante................................................. 95 situation extérieure - distance .................................. 98 éloignement séparation par la distance éloignement par une séparation matérialisée............... 99 séparation matérialisée par une forme non signifiante le tracé d’une lettre une forme géométrique .............................100 un élément décoratif ............................. 101 un fond conventionnel séparation matérialisée par un élément signifiant .... 102 élément de nature élément architectural............................. 103 mobilier forme symbolique ................................. 104 proximité la foule................................................. 106 l’inspirateur ........................................... 107 l’inspiration divine le bon et le mauvais conseiller CHAPITRE VII - LES POSITIONS DU CORPS.......................... 111 Station.............................................................. 112 station debout position assise.................................................. 113 position agenouillée position affaissée .............................................. 114 position couchée ................................................ 116 position couchée sur le dos, les yeux fermés position couchée sur le dos, les yeux ouverts position couchée sur le côté, les yeux fermés................. 117 position couchée sur le côté, les yeux ouverts position couchée sur le ventre position couchée désordonnée position stable et instable, équilibre et déséquilibre........... 120 Angle de vue......................................................... 124 position de face position de trois quarts position de profil............................................... 125 position complexe
261 Position fléchie et position en extension Mobilité et immobilité......................................... 128 CHAPITRE VIII - POSITIONS ET EXPRESSIONS DE LA TÊTE 133 L’expression du visage formes et expressions de la face........................... 134 les yeux ............................................... 135 la bouche la langue tirée......................................... 136 les cheveux............................................ 137 la calvitie cheveux ébouriffés en forme de flammes saisie des cheveux Les positions de la tête....................................... 140 mouvements verticaux de la tête tête levée tête baissée............................................ 141 tête inclinée mouvements latéraux de la tête tête de face «en majesté».................................. 142 tête de profil tête tournée en arrière ................................ 147 personnage immobile personnage en marche ............................... 151 CHAPITRE IX - GESTES DE LA MAIN ET DU BRAS ................ 159 Main fermée................................................... 161 Main fermée, un ou deux doigts tendus ........................ 165 désignation l’index pointé montrer quelque chose ou quelqu’un montrer quelque chose à quelqu’un...................... 166 index pointé verticalement vers le haut . ................ 167 index pointé horizontalement ............................. 170 Main ouverte ................................................. 171 main ouverte, sans mouvement de rotation du bras ni du poignet main ouverte, paume rejetée vers l’extérieur.............. 174 relation d’inférieur à supérieur relation d’égal à égal relation de supérieur à inférieur...................... 175 main ouverte, fortement rejetée vers l’extérieur, bras tendu main ouverte en pronation, rejetée vers l’intérieur
262 Main posée sur / sous............................................. * °1 main posée sur/sous sa joue et son menton les yeux ouverts les yeux fermés............................................ 184 main posée sur sa poitrine main appuyée sur sa hanche / sa cuisse / son genou............ 185 main posée sur l’épaule par un personnage situé derrière ......190 main posée sur la poitrine par un personnage situé devant / sur le côté ......................................... 191 imposition des mains ......................................... 196 Préhension de la main............................................. 198 main tenant son autre main / son poignet main tenant l’avant-bras/le poignet d’autrui ................. 199 saisie des deux mains .........................................208 poignée de main Geste des deux mains...............................................209 mains en relation l’une avec l’autre mains indépendantes, gestes complémentaires ...................212 mains jointes Geste d’un bras....................................................213 bras tendu horizontal au-dessus de personnes ..................214 bras tendu vertical orienté vers le bas Geste des deux bras................................................216 bras croisés bras écartés...................................................223 CHAPITRE X - POSITIONS ET GESTES DES JAMBES ET DES PIEDS......................................................227 Positions et tenue de la jambe jambes serrées/écartées, couvertes/découvertes jambes croisées................................................229 mouvements désordonnés des jambes Positions des pieds................................................232 pieds symétriques, talons rapprochés, pointes écartées un pied orienté vers l’avant, l’autre latéralement Positions des pieds/du pied par rapport à autrui Saisie de la jambe/de la cheville..................................233
263 CHAPITRE XI - RELATIONS AVEC LES OBJETS.....................235 Faire / défaire la construction.............................................236 la destruction Posséder / donner / recevoir ..................................237 Présenter / utiliser ..........................................240 relation avec le vêtement relation avec la porte .....................................244 CONCLUSION.....................................................247 Index des significations ......................................249 Index des photographies et des dessins 1 - Lieux de conservation...................................251 2 - Matières................................................253 Bibliographie .................................................255 Table des matières ............................................257 IMPRIMÉ EN FRANCE 9055-1982 — Maine Société Nouvelle, Tours.
1 1 - L’homme juste fuit l’iniquité des pécheurs. Initiale du psaume 58 Eripe me de inimicis meis, Psautier d’Odbert, vers 1OOO. Boulogne-sur-Mer, bibl. mun., ms. 20, fol. 63v (p. 171, 39,46, 98, 113, 146, 244). Le psaume 58 présente la supplication du juste qui fuit l’iniquité des méchants, goinfres, impurs, menteurs, orgueilleux et impies. L’imagier a utilisé la structure de l’initiale E pour situer et composer une scène qui illustre le texte de l’Ecriture. Le montant de la lettre forme la porte d’un édifice par laquelle le juste fuit la société corrompue. Son mouvement contraste avec les positions des hommes et des femmes figés dans l’état de leur péché.
2-3 2 - Dieu maître de Sagesse et de Justice, les quatre vertus cardinales, religieux écrivant Illustration du Livre de l’Ecclésiastique, Bible de Saint- Vaast, vers 1030. Arras, bibl. mun., ms. 435, t. III, fol. 1 (p. 171, 40,412, 59, 692, 892, 103, 113, 116, 124,232). 3 - Le Christ et l’Êglise Illustration du Cantique des Cantiques, Bible de Saint- Vaast, vers 1030. Arras, bibl. mun., ms. 435, t. II, fol. 141v (p. 171, 40,412, 53, 621,69, 891, 113, 124,232,244).
4 4 - Le Christ, F Église et les Chrétiens Initiale du Cantique des Cantiques Osculetur me osculo oris sui, Bède, Commentaire sur le Cantique des Cantiques. Le Mans, bibl. mun., ms. 20, fol. 86v (p. 171, 40, 414, 48, 894, 99, 103, 1071, 113, 129, 170). La tradition patristique traite l’Êpoux et l’Êpouse du Cantique comme les images symboliques du Christ et de l’Êglise (3). L’initiale du commentaire de Bède enrichit cette lecture mystique en développant son sens théologique. La forme circulaire du O est partagée selon son diamètre vertical par une colonne surmontée d’éléments architec- turaux figurant l’Êglise (cf. 42). Située sur cet axe privilégié entre le Christ et le peuple elle est l’intermédiaire entre Dieu et les hommes, elle porte le baiser de paix à celui qui le désire. Sa situation à droite de, sa dimension et sa position assise donnent au Christ figuré en état une présence et un rôle essentiels. Il tient un phylactère et fait de la main droite le geste de l’enseignement. La représentation du peuple est différente. La mobilité traduit le zèle avec lequel les hommes se portent vers la vérité qui leur est proposée, mais en même temps la pluralité des comportements exprime la diversité des réponses individuelles au message transmis par l’Êglise. L’un, au premier plan, le visage de trois quarts, imite le geste du Christ, mar- quant ainsi son adhésion (p. 52). Son voisin de droite, le visage de profil, tient sa main droite fermée ramenée sur son corps. Faut-il voir là les signes d’une réticence (p. 147 et 161)?
5 5 - Radegonde présentée au roi Clotaire 1er - Radegonde en prière Fortunat, Vie de sainte Radegonde, fin du XIe siècle. Poitiers, bibl. mun., ms. 250, fol. 22v (p. 141, 168, 202). En haut - Un notable présente la jeune prisonnière au roi en la tenant par le poignet. L’attitude de Radegonde est caractéristique. Par l’orientation de ses pieds et la légère flexion de ses jambes,elle esquisse un mouvement d’éloignement en même temps qu’elle tourne la tête en arrière comme tous ceux qui cherchent à fuir un ennemi (p. 156). En bas - Pendant la nuit — ce qu’indique la lampe — Radegonde vient prier devant un autel, la tête inclinée, les bras tendus en avant, une main recouverte en signe de respect, l’autre tendue en pronation (p. 175). Elle manifeste ainsi son humilité.
6 6 - La reine Radegonde demande à saint Médard de la recevoir comme religieuse - Saint Médard bénit Radegonde devenue religieuse. Ibid., fol. 27v(p. 108, 190). En haut - La vivacité avec laquelle la reine court vers l’évêque de Noyon, les mains projetées en avant, manifeste son zèle et sa détermination (p. 129). Le caractère symbo- lique du mouvement est confirmé par la position immobile et stable du personnage qui lui pose la main sur l’épaule pour l’encourager dans sa démarche. En bas - Radegonde a changé sa couronne pour la coiffe monastique. Sa position projetée en avant (p. 125) et les gestes de ses mains expriment l’ardeur avec laquelle elle s’offre et se soumet aux exigences de la vie religieuse.
7-8 7 - Moïse prosterné aux pieds de Dieu enseignant Initiale du Livre des Nombres Locutus est Dominus ad Moysen, Bible, seconde moitié du XIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 1, fol. 41v (p. 412, 692, 832, 871, 117, 124, 165, 170). Dococ^vixiXTosV oc^ reÆ Ec Sci e-fy&cÿcv oxnffH6V« M lUOftLJDijctr itic btf Ç ctpaüf fîuÇ,Nerno pütdL duobtif domintf fenxxff'/ ÿ Jrcecrni;OÂiet vgNSR GÉoF Pt5Rt.de tAüt'rLv. emo qutan 8 - Serviteur obéissant au mauvais maître Lectionnaire de la cathédrale de Reims, fin du XIe siècle. Reims, bibl. mun., ms. 294, fol. 191 (p. 222). (dttob;, Icimmti Toru rut L’initiale des Nombres (7) traduit en langage iconographique la relation entre Dieu et Moïse. Elle lui donne une signification que le livre biblique ne contient pas. Il est écrit : «Dieu parla à Moïse, au désert du Sinaï, dans la Tente de la Rencontre, le premier jour du deuxième mois, la deuxième année de leur sortie d’Egypte. Il lui dit... » Dans la lettre historiée, aucun détail ne précise le temps, le lieu et le décor. L’image, thématique et non narrative, présente la théophanie sur un marchepied, élément qui marque la sépara- tion entre les domaines matériel et spirituel. Dieu est en état, debout, de face en majesté, faisant le geste de l’enseignement. Moïse, beaucoup plus petit, est allongé dans une prosternation ordonnée et volontaire. Il tient le pied de la figure christique. Ainsi sont conciliées la transcendance de Dieu et sa manifestation au serviteur humble et soumis. Le commentaire de Bède sur l’Evangile de saint Matthieu développe une idée principale: Nul ne peut servir deux maîtres et rechercher simultanément les plaisirs matériels qui passent et les valeurs spirituelles, qui elles sont éternelles. Les deux lettres historiées 1 et Q traduisent cette pensée en image (8). Enroulé autour du I, le serpent représente le tentateur, le mal. Dans la panse du Q, le mauvais maître est assis à gauche de (p. 89), il fait le geste de l’ordre le doigt pointé (p. 167). Il affirme son autorité en tenant sa main posée sur sa cuisse (p. 185). Celui qui sert deux maîtres lui présente un bien matériel, une coupe de vin, en croisant les bras (p. 222).
9-10 .uuMiodcttnfifopi di nidu^THA faix-- paivncïli’lpkndi diflîm.tVMb ipfe IF\tiifnîTCte ndimaf ftiidiiCUbeinldi’ tnlhnituf Inqtw dochnw colLttio n impmiuibntŒûJnfêm fduphcaatbcnam idefb hiijt c^niduftrv ttddtdtc p meti pfà/W Iwcmrwn 'kn^OMiflurtr; fdLuidrani L jH|jl Imam lunffaentuplentrudi ! tr^^^^t^p^bwiitfAdveac-, be ciibiuhùu pfèc4ii:x’-^p "IwwâduOGtrwmô Àbornx ,.iuÙ6 Uwe t vïpkndet vofiib Ibmett^were-.dmtciifonu nï tTumVc]) Ornoxf-^ mwern; Qatéqmdê^rojjç péontifptnt ^jKuwTtvTpublia Ad >011011? pîîunpffc mfùçuA^ 'ucarciilmeti^t^imai y iviutu'Us omfvraidc’.âi’udi dtaatrpfaxuotxul v~. ? m dtuininras itidi v* \ cw/neqmd pfî’rao I niTJceflcr apfuv pci nfictnwi'fùaiiV; lk 10 - Homme en équilibre et homme en déséquilibre Initiale de la vie des saints Marin et Prélecte, Vies des saints, fin du XIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 214, fol. 211 (p. 41, 121, 134, 141). pdiûtuûnil»’ tun£ 9 - Saint Germain en majesté - personnage déséquilibré Initiale de la vie de saint Germain, Vies des saints, fin du XIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 227, fol. 83 (p. 41, 113, 121).
11-13 - L’avarice Chapiteau, milieu du XIe siècle, église de la Couture, Le Mans (p. 412, 137, 233). Ce curieux chapiteau est resté longtemps inexpliqué. Une hypothèse a été prudemment développée par Paul Cordonnier1. Il s’est demandé si les deux grands personnages occupant les angles de la corbeille n’étaient pas le père et la mère encadrant leurs enfants, un garçon et une fille. L’examen des éléments et des relations qui constituent cette représentation aboutit à une lecture différente. La composition est simple. La disposition des personnages se répète de façon presque symétrique par rapport à l’axe vertical médian. Deux petits personnages debout au centre sont encadrés par deux géants, eux-mêmes flanqués de deux formes animales grossières, dont on ne saurait dire à quelle espèce elles appartiennent. Les bêtes sont situées derrière les géants, si près d’eux que la pointe de leur bec, ou de leur gueule, touche le lobe de l’oreille. Cette position est typique (p. 107). Tous les mauvais conseillers, animaux, hommes ou diables, se tiennent ainsi légèrement en retrait derrière ceux auxquels ils soufflent les mauvaises paroles et inspirent les conduites vicieuses. La disproportion de la tête des géants par rapport à leur corps peut avoir deux explica- tions. Ou bien le volume manifestement exagéré est dû à la situation dans l’angle supérieur du chapiteau. Il se justifie alors par des raisons esthétiques et techniques. Ou bien cette dimension est chargée d’une signification. La grandeur peut exprimer le superlatif (p. 67). L’anomalie peut aussi être une marque de désordre. Dans ce cas elle est habituellement accompagnée d’autres signes (10 ; 123 G). Ici les deux géants ouvrent la bouche et tirent une langue démesurée. Un tel geste, une telle position doit-on dire puisqu’ils sont figurés en état, traduit le caractère profondément mauvais de ces personnages. En se méfiant des effets d’éclairage, on arrive à discerner deux éléments particuliers qu’ils ont en commun. Ils portent sur la poitrine une protubérance aplatie, à base circulaire, qui rappelle malgré son modelé sommaire la bourse qui pend au cou des avares. Un examen attentif permet de distinguer, surtout sur le personnage de gauche, la courroie passée autour du cou. D’autre part un sillon circulaire marque profondément chacune des langues tirées. Ne faut-il pas voir là une pièce de monnaie qui, comme la bourse, symbolise le vice d’avarice? Les géants tiennent les petits personnages par une jambe. Cette relation donne à l’image sa signification. Elle marque l’emprise profonde du vice d’avarice sur celui dont il fait son prisonnier. Quant à ces petits êtres, rien ne permet de préciser leur identité et leur condition. Leur taille n’autorise pas à affirmer qu’il s’agit d’enfants. Au Moyen Age, la dimension ne différencie pas seulement l’enfant de l’adulte, mais aussi l’inférieur du supérieur, le faible du puissant etc. (p. 67). Ils représentent l’homme en général, comme c’est le cas dans toutes les images thématiques du même genre. 1. Paul CORDONNIER, Chapiteaux de la nuit des temps, dans Revue historique et archéologique du Maine1965, p. 152-154.
11 -13
14 14 - Salomon enseignant la Sagesse Illustration du Livre de l’Ecclésiaste, Bible d’Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 56 (p. 692,89‘,91,1071,170). Le roi Salomon est assis sur un trône de face. S’il tourne légèrement la tête et apparaît de trois quarts, il ne baisse cependant pas les yeux et ne regarde pas les gens auxquels s’adressent ses instructions. Il est donc figuré en état, comme l’enseignant ayant autorité, ce qu’expriment à la fois le geste de sa main gauche, l’index tendu à l’hori- zontal, et le long phylactère qu’il tient. Sa situation au centre de l’image ainsi que la surface qu’il occupe expriment la qualité de sa personne et la valeur de son message. La comparaison des dimensions montre qu’il est 4 fois plus grand que le personnage placé à sa droite et 5 fois plus grand que ceux qui tiennent l’autre extrémité du phylactère (p. 79). L’homme barbu et d’apparence âgé, seul à la droite de Salomon, est assis sur un siège moins haut que celui du roi. Sa situation isolée, à la droite du maître, sa position assise sur un siège nettement visible, sa dimension moyenne, sa maturité apparente le désignent comme un intermédiaire, un dispensateur de la sagesse, sans qu’il soit possible de lui attribuer un rôle précis ou de reconnaître son identité. Le groupe des auditeurs situés à la gauche du maître n’est formé que de quatre person- nages. Deux disciples, au premier plan, saisissent la longue banderole. Les deux têtes qui se profilent derrière eux expriment la quantité (p. 106).
15 15 - Antiochus Épiphane ordonne le massacre des sept frères. Initiale du deuxième Livre des Macchabées, Bible d’Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 191 (p. 463,481, 101, 136, 185). L’initiale du deuxième Livre des Macchabées de la Bible d’Etienne Harding illustre le martyre des sept frères dont le récit occupe tout le septième chapitre. L’imagier a diver- sifié les représentations de supplices. Dans la partie inférieure du F, non reproduite ici, il a situé la mère, un fils avec les mains liées, un second enfant dont on crève les yeux et un troisième dans un chaudron bouillant. Dans la partie supérieure le roi donne l’ordre de mettre les enfants à mort et on les exécute. Selon l’usage médiéval (p. 48) ces deux activités sont représentées simultanément. Le roi, plus grand que les autres personnages, assis de face, la tête de trois quarts, fait le geste de l’ordre, l’index pointé vers le haut. Il appuie son autre main sur sa cuisse ce qui montre sa détermination. Ce haut personnage est situé sur un fond particulier dans le montant de la lettre F, ce qui le sépare des autres figures et le met ainsi en valeur. On assiste à trois moments de l’exécution. Le bourreau lève son épée au-dessus de la tête de sa prochaine victime qu’il tient par les cheveux. Un corps est en train de tomber la tête ayant déjà atteint le sol. Deux corps sont allongés sur le dos. Cette figuration simultanée de la cause et des effets est un procédé courant au Moyen Age.
16 16 - Départ de Tobie, béni par Fange Raphaël qui le prend en charge - Retour de Tobie qui guérit la cécité de son père Illustration du Livre de Tobie, Bible d'Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 165v (p.48, 113, 129, 1424,154). En haut - La scène est située à l’intérieur de la maison de Tobit. Tobie et Raphaël se prennent la main. Cette poignée de main signifie l’acceptation réciproque (p. 208). Tobie tourne la tête en arrière et regarde son père. Ce mouvement et le doigt orienté en sens contraire signifient le départ (p. 153). En bas - Dans la représentation du retour de Tobie et de l’ange, l’imagier a situé les personnages aux mêmes places qu’au moment du départ, en leur donnant même visage.
17 17 - La mort du guerrier au combat - On relève son corps - On le dépose dans le tombeau de ses pères. Illustration du deuxième Livre des Macchabées, Bible d'Étienne Harding, 1109. Dijon, bibl. mun., ms. 14, fol. 191 (p. 125, 1424, 223-226). Cette enluminure est placée après la table des chapitres et avant l’initiale du deuxième Livre des Macchabées (15). Il est difficile d’établir une correspondance entre les trois scènes superposées et des épisodes précis du texte biblique. Ces images thématiques autant que narratives reflètent cependant le contenu du livre dans lequel on assiste à de nombreux combats, au relèvement des morts (II Mac. 12,38-42), à l’ensevelissement «dans les tombeaux de leurs pères».
18-19 18 - Jacob se présente devant Isaac qui lui saisit les mains. Chapiteau, milieu du XIIe siècle, basilique de Vézelay (p. 103, 135^,208,229). 19 - David ordonne l’exécution du meurtrier de Saül. Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay (p. 463, 1353, 137, 1671,229). L analyse iconographique des chapiteaux historiés doit tenir compte de caractères spécifiques propres à la sculpture en général et à cette forme en particulier. En 1 absence de texte, l’identification des personnages se fait à partir des objets, des situations et des comportements. L’élément le plus facile à reconnaître et à interpréter est 1 attribut. Ce signe spécifique (coiffure typique du pape, de l’évêque, du roi, du juge...) ou individuel (aigle de saint Jean, roue brisée de sainte Catherine...) permet soit de déterminer avec précision le nom du personnage représenté, soit, si le même attribut est commun à plusieurs personnages, de réduire le problème de lecture à un nombre limité d’hypothèses. La forme des tables de la Loi est typique. Dans un grand nombre de représentations cet objet est l’attribut de Moïse (20, 43). Mais elles peuvent aussi être tenues par la figure allégorique de la Sagesse ou par la Synagogue. En parallèle avec le calice, elles signifient l’Ancien Testament face au Nouveau. Dans le chapiteau de Vézelay, le personnage qui brandit les tables de la Loi est un homme. Le bovin fait penser au veau d’or dont parle la Bible. Ce rapprochement conduit à dire que le chapiteau représente une scène biblique. Il y a une part de vrai dans cette affirmation, mais une lecture qui se limiterait à cette identification ne tiendrait pas compte du contenu particulier de la représentation, lié à la forme du chapiteau. En effet, les chapiteaux offrent à l’imagier trois faces différentes par la situation et la dimension. La face la plus grande, devant, au centre de, contient soit la totalité des éléments signifiants, soit la partie essentielle de la représentation, celle qui détermine la signification de l’ensemble. Son rôle est particulièrement important dans les images thématiques. Dans la sculpture de Vézelay représentant le veau d’or, la face centrale est occupée par l’animal, de grande dimension. Un diable aux cheveux de flammes
20-21 20 - Moïse et le veau d’or Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay (p. 120, 136, 168). 21 - Musique profane et luxure Chapiteau, début du XIIe siècle, basilique de Vézelay (p. 891, 120, 122 F, 135, 141, 191). surgit de sa gueule. Il est situé exactement au centre de cette face, en haut. Il fait de la main droite le geste de l’autorité. La puissance diabolique de l’idole donne donc à l’image sa signification principale. Face à elle, à droite de, Moïse lève les tables de la Loi qui opposent l’autorité des commandements divins aux prétentions démoniaques. Dans sa main droite il tient un bâton levé, comme le bourreau brandit l’épée dont il va frapper sa victime (19, 93, 103). Ce geste signifie la destruction de l’idole. De l’autre côté du chapiteau, s’avance un second personnage. Il porte sur ses épaules un ovin, ce qui a pu le faire prendre à tort pour le Bon Pasteur. En effet il est figuré à gauche de, en marche, si près du bovin que, vu sous le meilleur angle, il apparaît derrière, contre, presque au-dessus. D’autre part la croupe de l’animal diabolique est recouverte d’une étoffe dont la dimension et les nombreux plis interdisent d’ignorer l’importance. Ce voile de séparation montre le respect porté à l’idole. Tous ces signes, toutes ces relations représentent symboliquement le culte zélé rendu à l’idole. Dans la Bible de Manerius l’initiale historiée du premier Livre des Macchabées illustre la scène d’idolâtrie qui déchaîne la colère de Mattathias1. L’enlumineur a figuré un bœuf sur un autel. Un homme de profil lui présente en offrande un ovin qu’il élève respectueusement sur ses mains recouvertes d’un pan de son manteau. Cette scène d’idolâtrie présente des analogies avec le chapiteau de Vézelay. Dans les deux cas il s’agit d’images thématiques. Sur la face centrale du chapiteau qui représente les effets fâcheux de la musique profane, un musicien se contorsionne en jouant (21). A droite de, une femme bien vêtue et pudique fait face à une autre figure de musicien. A gauche de, une femme nue, que la musique profane a conduite à la luxure, est devenue la proie du démon. 1. Bible de Manerius, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 10, fol. 87v.
22 - 25 22 - Le Mensonge entravé par un diable Saint Augustin, Oeuvres, première moitié du Xlie siècle. Cambrai, bibl. mun., ms. 559, fol. 73v (p. 39, 40, 58, 146, 23 - Ange et démon se disputant une âme Chapiteau, XIe siècle, basilique de Saint-Benoît-sur-Loire (p. 196,199,228). 24 - Saint Matthieu et son attribut Illustration de la passion de saint Matthieu, Légendaire de Cîteaux, XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 641, fol. 57 (p. 41,83). 25 - Le Satan se présente devant Dieu et lui demande l’autori- sation d’éprouver Job - Le Satan persécute Job. Initiale de la dédicace à Léandre Dudum te, frater beatissime, Grégoire le Grand, Moralia in Job, XIIe siècle. Arras, bibl. mun., ms. 10,1.1, fol. 2 (p. 832, 103, 113, 218, 232).
26-27 26 - Résurrection des morts, les élus Tympan du portail occidental, milieu du XIIe siècle, cathédrale d’Autun (p. 128, 140, 222). 27 - Résurrection des morts, les damnés Tympan du portail occidental, milieu du XIIe siècle, cathédrale d’Autun (p. 128, 136, 141, 184).
28 28 - Saint Grégoire écrivant sous l’inspiration de l’Esprit Saint Grégoire, Lettres, XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 180, fol. 1 (p. 41,891, 91, 150). De beaucoup le plus grand, situé sous une tenture au centre de l’image, assis de face la tête de trois quarts, saint Grégoire reçoit l’inspiration de l’Esprit (p. 107). A sa gauche et à sa droite, des disciples de petite taille (p. 77) tournent et lèvent la tête vers le maître.
29-30 29 - Moine prosterné aux pieds d’un ange porteur du Livre : figure de l’humilité Initiale du Livre XI Quamvis in prolixo opéré, Grégoire le Grand, Moralia in Job, 1111. Dijon, bibl. mun., ms. 170, fol. 6v (p. 86, 117,121,137). 30 - Cavalier tombé de cheval, ayant perdu son manteau : figure de l’orgueil Initiale du Livre XXII Quod a me. Ibid., fol. 47 (p. 48,60,86, 87, 121, 134).
31-34 31 - Dieu en majesté bénissant David assis à sa droite Initiale du psaume 109 Dixit Dominus, saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes, XIIe siècle. Valenciennes, bibl. mun., ms. 41, fol. 56v (p. 69, 124,125, 135, 141,232). 32 - Dieu bénit l’homme bon qui secourt le pauvre. Initiale du psaume 40 Beatus qui intellegit, saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes,XIIe siècle. Valenciennes, bibl. mun., ms. 39, fol. 86 (p. 217, 242). 34 - Enseignement de la Règle à un novice Règle de saint Benoît avec le commentaire de Smaragde, XIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 349, fol. 2v (p. 894, 103, 146, 168). 33 - Médecins et apothicaires Recueil de manuscrits de médecine, 1132. Berlin, Staats- bibliothek Preussischer Kulturbesitz, ms. lat. qu. 198, S. 4 (p. 83,894,1352, 136, 141, 144, 170, 232).
35-36 35 - Christ en majesté entre l’Êglise et la Synagogue Initiale du Cantique des Cantiques Osculetur me, Bible de Saint - Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 301 (p. 171, 40, 412, 692, 781, 891, 90, 94-95, 124, 135, 232,237). 36 - Job (figure) Initiale du prologue de saint Jérôme sur le Livre de Job Job exemplar patientiae. Ibid., fol. 235v (P- 38,412, 174,232). Les illustrations de la Bible de Saint-Bénigne constituent sur le plan iconographique un ensemble homogène d’une rare richesse. La plupart des relations syntaxiques du langage médiéval y sont utilisées avec une rigueur qui ne souffre pratiquement pas d’exception. Les éléments figurés, dont le nombre est réduit au minimum, jouent un rôle indispen- sable dans l’expression des idées. Ils doivent donc être tous pris en compte dans l’inter- prétation de l’image. Le palais d’Ochozias (40) et le temple de la déesse Nanaéa (41) ne sont pas des décors. Ils situent l’action et lui donnent son sens. Ochozias ne tait pas une chute banale, il tombe de son palais. Antiochus pille à l’intérieur d’un temple et tient un calice, au vol s’ajoute le sacrilège. Cette Bible contient des images très simples, comme la représentation de Job dans l’initiale du prologue de saint Jérôme au Livre de Job (36). Le personnage est debout, en état, un pied orienté vers l’avant et l’autre latéralement, le corps de face et la tête de trois quarts, les deux mains ouvertes les paumes rejetées vers l’extérieur. Ces cinq relations expriment les mêmes idées que le texte de saint Jérôme : Job est un «exemple de patience». La complexité d’autres enluminures du même manuscrit est telle qu’il faut procéder avec prudence à une analyse approfondie pour en expliciter le sens.
37-38 urr. utn mtr. npcn. AlJtU inuin> iddtnir . uw HCll’il LtV0> Il 15 Ht PàKAUoI Q vfüi HfDKFi •faendim (tpwinum vTdifciphium'.tfni Idatn crudrcwiuin dikTJiiK.'nirtimm er ftudtaum cquicrrrni. ttrderur parmi |i$4fhKU.'<T4oddânu kiflicu-^mtrl lecnw. Axidicn> Ctpwnf ûpKntuv enr prrdli^nf^ibûiMimli pHfîJelnr.Anmi L0Mmrrj»fbâK»kni cTnfnrpn’nrtwne Ledit ûjnentwnn xrcmgnLtct ûtnim. SS ' Zima drirprinapiinn ftptmttcS.t 1* j partum 4tzp dtvtnium ' fhitn def ptctunr. Audi filttni dtfnphîMm pttnftui.ürnrditnma«l^pnn matra tne/irr add-Ttur^intu ctpm wevTOj4|iid*<rfli> oia ilimifice Linaumirr |wûttp.’cs. . n • —f ne.0<jmdcifra. Sidixntrr tient n<»lnfcuni.',iii fidtennir £m«puni .tHcmitUmtiftnidiailas cour -• •* «1 < « « - / ?n7inS‘ aViT con,ten?p|ant Dieu pendant qu’il écrit son Évangile du xmsiècle™^. liïÏÏÏX 38 - Le roi Salomon enseignant la Sagesse Initiale du Livre des Proverbes Parabole Salomonis. Ibid., fol. 289 (p. 412, 58, 84, 170,222).
39 39 - Vision d’Ézéchiel, assis parmi les exilés, près du fleuve Kebac Vignette et initiale du Livre d’Ézéchiel Et factum est in trigesimo anno. Ibid., fol. 195 (p. 832, 104, 184,217,232). La hiérarchie des personnes est fortement exprimée dans cet ensemble de deux images. Dieu transcendant est figuré dans une nuée, au-dessus du soleil et des anges, séparé d’eux par un tracé semi-circulaire continu. Le monde céleste de la vision représentée dans une vignette est situé au-dessus de la lettre historiée. Le prophète de grande taille occupe le diamètre vertical du E. La tête levée, un doigt désignant le ciel, il est attentif à la vision et non au peuple qui l’entoure. Les exilés se répartissent latéralement dans des positions variées dont certaines expriment l’impuissance et la douleur.
40 40-Chute d’Ochozias - Ochozias malade envoie consulter Baal-Zeboub pour savoir s’il guérira. Initiale du quatrième Livre des Rois Prevaricatus est autem Moab, Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 135v(p. 39, 784, 103, 121, 134, 136,154). Inspirée par le texte biblique, cette lettre historiée raconte une histoire (p. 154) qui trahit en fait le récit du Livre des Rois. En effet celui-ci rapporte que les messagers d’Ochozias furent interceptés par le prophète Elie qui, au nom de Yahvé, leur donna l’ordre de rebrousser chemin et d’annoncer au roi sa mort prochaine. Cet exemple montre combien il serait dangereux de vouloir interpréter les enluminures en les consi- dérant comme de simples transpositions des textes.
41 L V JL y bi cipvi7<»c iriuitun iiiiUfUuülS .wicuii uioas pîvceptr ‘V lixvJ [tnuitn nirni BW j£r ÎHni’Liü üUCHABf 0j25 CVHBVS t pcre^mï •> nick’HrCt lutrin di " cunrfmnts qui lunt uuliétvfolitni* ituki. et qui nntxponc tacicd^riumnlxnû. Benc&cur lUn* &: crincmiiicnt idtuncnn fin. qtux> aixtlnaluiii. CT ÿla.U'. CC Luub • loqiUttU* dt fcruitnim fttonun Wrluun /Fr4et iu?bi< ou omnibus ut cobras ewm/ crfiicuns cuis uobuiCTTcmcaak’ iwupio oCUllUliO 2 unn nilcge liu cr mprcœp ns fuis/ cr faute ptcctn. a\uUltv ounoncs ums.x oiiciliexiu* uobis/ucciiol 41 - Mort d’Antiochus pendant qu’il pillait le temple de Nanaéa - Envoi de la lettre aux frères d’Égypte Initiale du deuxième Livre des Macchabées Fratribus qui sunt per Egyptum. Ibid., fol. 393v (p. 69-72, 783,784,84, 232). Aux XIe et XIIe siècles, les imagiers ont illustré l’initiale du deuxième Livre des Macchabées de façons variées. Sans négliger la remise de la lettre adressée aux Juifs d’Êgypte, qui deviendra le sujet presque unique des représentations aux XIIIe et XIVe siècles, ils ont emprunté à différents chapitres du livre des épisodes où les scènes de violence mettent en relief la cruauté des méchants (15) et la lutte héroïque des justes, traitant souvent les sujets comme des thèmes.
42 - Vision de saint Jean Initiale du Livre de l’Apocalypse, Bible de Saint-Bénigne, première moitié du XIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 2, fol. 470v (17f, 832, 103, 117, 135, 2292, 232). Le Livre de l’Apocalypse relève d’un genre littéraire qui a ses procédés propres. Des images symboliques, rassemblées dans des visions compliquées, confuses voire hermétiques, sont porteuses de messages qui dévoilent et préparent le futur pour l’initié. L’illustration de ce livre dans la Bible de Saint-Bénigne est un exemple particulièrement riche et instructif de représentation inspirée par un texte, suivant un récit, mais construite selon les usages propres du langage iconographique médiéval. L’imagier a créé une interprétation originale. Il a choisi dans le texte biblique certains objets, certains personnages. Il en a ajouté d’autres. Il a disposé tous ces éléments dans une structure signifiante qui ne doit presque rien à l’Apocalypse. Cette lettre historiée fait des emprunts à différents passages du livre, où d’ailleurs se répètent les mêmes formules, et plus précisément à la vision du premier chapitre : «Et m’étant retourné, je vis sept lampadaires d’or, et au milieu des lampadaires quelqu un de semblable à un fils d’homme, vêtu d’une robe talaire et ceint à hauteur de poitrine d une ceinture d’or. Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme la laine blanche, comme de la neige, et ses yeux comme une flamme de feu, et ses pieds semblables à du bronze qu’on aurait purifié au four, et sa voix comme la voix des grandes eaux. Et il avait une épée acérée à double tranchant, et son visage était comme le soleil quand il brille dans sa puissance. Et lorsque je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Et il posa sur moi sa droite, en disant : Sois sans crainte...» (Apocalypse 1, 12-17). L illustration respecte en partie certains détails du texte. Jean, situé en bas sous une sorte de porte, se retourne du côté de l’objet de la vision. Mais il ne la regarde pas, car son visage est de trois quarts, presque de face, comme il convient à sa dignité. y a bien sept lampadaires d’or, mais le Christ ne se tient pas «au milieu». Son buste est au-dessus. On pourrait continuer ainsi objet par objet, personnage par personnage, inventaire des éléments et de leurs relations. Il y a les formes circulaires, les douze colonnes, les six têtes aux fenêtres d’une architecture atypique, la table mise qui rappelle la Cène... L ensemble des relations le plus original est situé dans la partie inférieure de la lettre, n petit personnage nu représente l’âme, l’homme dans la vérité de sa condition terrestre. Couché sur le dos, dans une position déséquilibrée, les jambes croisées, i se ledresse avec l’aide de deux forces. La main divine descend et franchit le demi- cerclc qui marque la séparation, la distance. Elle se tend pour secourir l’homme. e ui-ci, de son côté, saisit le bras qui lui est offert. Deux personnages auréolés désignent le Pantocrator, le doigt pointé vers le haut. De leur autre main ils tiennent un édifice en forme de tour. Ce phare, que l’on trouve dans les bas-reliefs paléo- chrétiens, représente 1 Église, qui éclaire et conduit l’âme humaine dans ses tribulations. Le personnage nu appuie sa main droite ouverte sur la base de ce phare. La paume est tournée vers le haut et le doigt pointé désigne le sauveur. Doit-on établir un lien entre cette scène et le texte « Lorsque je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Et il posa sa main sur moi en disant : Sois sans crainte...»? C’est possible, mais il ne peut s’agir d une simple réplique en image. Cette synthèse théologique et mystique procède d’une autre inspiration et s’exprime par un autre langage.
42
43-44 u qucdcaiaïf f tnoyft& omt the a 11 ccptrdnf^mânum nwÿûait filiofrfr!' m campefàify metâfàperwi thencbck ri Ri uigintf a' fcfrtxm protuncufqtaj faürtnfôtio ng- cittf crardittm futr • Car» tgtc! anno 43 - Moïse présente les tables de la Loi à Aaron et au peuple. Illustration du Livre du Deutéronome, Bible, XIIe siècle. Sens, bibl. mun., ms. 1, p. 157 (p. 414, 112, 129, 135, 136, 1702). 44 - Le roi Assuérus, Esther à sa droite, Aman à sa gauche Initiales du Livre d’Esther In diebus Assueri, Bible de Saint -Thierry, XIIe siècle. Reims, bibl. mun., ms. 23, fol. 69v(p. 53, 101,136,232).
45 45 - Vision d’Ézéchiel, assis parmi les exilés Initiale du Livre d’Ézéchiel Et factum est trigesimo anno, Bible, XIIe siècle. Troy es, bibl. mun., ms. 28, t. I,fol.220(p.414, 53,692, 832,891,911, 101, 1071, 113, 124, 146, 165). L’imagier a utilisé la structure du E initial du Livre d’Ézéchiel et lui a donné une valeur signifiante. La barre horizontale sépare le milieu céleste et le milieu terrestre. Les person- nages principaux, Dieu et le prophète, sont situés sur le diamètre vertical de la lettre. La supériorité divine se manifeste par plusieurs relations. Assis en majesté, au-dessus de, Dieu fait le geste d’autorité avec deux doigts levés. De son autre main il tient le livre, symbole de la Vérité. Ézéchiel reproduit plusieurs positions et gestes de Dieu, avec des variantes qui marquent son infériorité. Il fait le geste de l’autorité avec un seul doigt levé, en s’adressant à des groupes situés à sa droite et à sa gauche, ce qui particularise son action. Son visage est de trois quarts. Ézéchiel est donc l’intermédiaire fidèle entre Dieu et les hommes qui, figurés de profil, répètent son geste pour marquer leur récepti- vité et leur adhésion. Ces deux groupes d’exilés correspondent dans la composition aux anges qui tiennent les roues symboliques. Mais les anges sont figurés en présentation, figés en état, alors que les positions diverses des Juifs, celles de leurs jambes en particulier, donnent à la scène inférieure un caractère événementiel.
46 46 - Jugement dernier, saints au Paradis, la Sagesse Initiale du livre XI Interea Roma de la Cité de Dieu de saint Augustin, XIIe siècle. Boulogne-sur-Mer, bibl. mun., ms. 53, fol.73 (p. 89,100, 125). 47 - Pline écrit YHistoire naturelle la nuit - Pline offre son manuscrit à l’empereur. Pline, Histoire naturelle, XIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 263, fol. lOv (p. 41, 113, 129, 143).
41
48-49 48 - Lapidation de saint Étienne, saint Paul regarde la scène. Vitrail, seconde moitié du XIIe siècle, cathédrale du Mans (p. 39,41, 102, 126,213). 49 - Dieu dans le ciel, Moïse sur la montagne, homme nu cabriolant Initiale du Livre des Nombres Locutusque est Dominus ad Moysen, Bible, fin du XIIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 80, fol. 2v (p. 41,832,121,124, 165).
50-53 50 - Le paresseux se reposant au lieu de travailler Chapiteau, XIIe siècle, Nieul-sur-l’Autize (p. 117). 51 - Mort d’Abel victime de la jalousie et de la colère de Caïn Chapiteau, XIIe siècle, Nieul-sur-l’Autize (p. 118). 52 - Joseph fuit la femme de Putiphar, image de la luxure. Chapiteau, XIIe siècle, Nieul-sur-l’Autize (p. 157). 53 - L’avare, une bourse dans chaque main et une sous le bras, regarde s’il n’est pas épié. Chapiteau, XIIe siècle, Nieul-sur-l’Autize (p. 158).
54-55 LOICW nœin mffio luanu. bernttall 'uenur mo rra- mcnon. manu- onbus ta'rnœ >anotr fuccef roflio mœag mmcnfcfcrw ûe/faftumd mtmnuagj robabclfiliu cmniïMart betbfacerdm {^aivdffe g ____tt. -A_ . Usenet’ cCqSmufi a;fcucrbum.”cr c^.qSifcc irarcaitar. Lutins m apitb^mce’& boooaranpnc Omtujpipfiur mcipfofadun faftumcmipfo inraaarlxjrbc mraicbnslnca nannpbcrôm tno miffuô tàa iobs.f)icuauri uctdhmoniupl mnieaiconi&crc flonœartllclu] nwnnïpbibcw BAftanhir, uaa< rabtuonr rt/pfh ATlfV 54 - Le prophète Aggée transmet au peuple le message reçu de Dieu par l’intermédiaire d’un ange. Op. cit., ms. 9, fol. 147 (p. 78 4,84,107'). 55-Dieu, l’aigle de saint Jean, l’évangéliste présentant son livre Initiale de l’Évangile de saint Jean In principio erat Verbum. Op. cit., ms. 10, fol. 191v(p. 83). Les documents 54-61 illustrent la Bible de Manerius, deuxième moitié du XIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, mss 8-10. 56 - Moïse parle au peuple d’Israël. Initiale du Livre du Deutéronome Haec sunt verba. Op. cit., ms. 8, fol. 116v (p. 692, 78 4, 89 4). 58 - Job entre sa femme et les amis, Dieu et le Satan Initiale du Livre de Job Vir erat in terra Hus. Op. cit., ms. 9, fol. 162 (p. 101,135, 146, 184, 2292). 60 - Saint Paul s’adressant aux habitants de Colosses Initiale de l’Épître aux Colossiens Paulus... eis qui sunt Colossis. Op. cit., ms. 10, fol. 279v(p. 52,784, 894, 99, 1004, 146, 170). 57 - David et Abisag Initiale du troisième Livre des Rois Et rex David seneverat. Op. cit., ms. 8, fol. 223 (p. 1352, 185). 59 - Mort d’Holopherne pendant son sommeil, Judith et sa servante Initiale du Livre de Judith Arphaxad itaque. Op. cit., ms. 10, fol. 78 (p. 143). 61 - Discussion entre saint Paul et les Juifs Initiale de l’Épître aux Hébreux Multifariam. Op. cit., ms. 10, fol. 291v (p. 56,90, 1071, 170).
56-61
62-64 62 -Job, tourmenté par le diable, et les trois amis Initiale du Livre de Job Vir erat in terra Hus, Bible de Souvigny, seconde moitié du Xlie siècle. Moulins, bibl. mun., ms. 1, fol.204v (p. 101,102,137,184,209,2292). 63 - Dieu dans le ciel, l’Êpoux, prié par l’Êpouse auréolée Initiale du Cantique des Cantiques Osculetur me. Ibid., fol. 235 (p. 832,102,223). 64 - Moïse parle aux Israélites. Initiale du Livre du Deutéronome Haec sunt verba. Ibid., fol. 61 (p. 692, 78, 79, 83, 894, 99, 107, 1702, 174).
65 - 67 A* fuLUtn «r t Jktnn ybAruntif, 4bpAKt ù bwjd1 r 65 - Un serviteur présente la femme d’Abraham à Pharaon - Pharaon renvoie la femme d’Abraham. Illustration du Livre de la Genèse 12, 15, Bible historiée, fin du XIIe siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 108, fol. 6 (p. 202,220,230). 66 - Abraham chasse Agaret Ismaël - Un ange réconforte Agar et Ismaël. Illustration du Livre de la Genèse 21, 14. Ibid., fol. 11 (p. 36, 154, 180,217). 67 - Laban confie Rébecca au serviteur d’Abraham pour qu’elle devienne l’épouse d’Isaac - Voyage de Rébecca Illustration du Livre de la Genèse 24, 51 et 61. Ibid., fol. 14 (p. 154).
68-70 68 - Religieux et religieuse priant Dieu 69 - Homme donnant un mauvais enseignement Initiale du psaume 50 Miserere mei, Pierre Lombard, Initiale du psaume 72 Quam bonus Israël. Ibid., fol. 125 Commentaires sur les Psaumes, fin du Xlie siècle. Bibl. Sainte- (p. 146, 222). Geneviève, ms. 56, fol. 89 (p. 414, 99, 124, 126). ----4 70 - Saint Jean sur les épaules d’Ézéchiel Initiale du psaume 42 Judica me. Ibid., fol. 77v (p. 84).
71 - 72 71 - Le changement de vêtement symbole de la conversion Initiale du psaume 68 Salvum me fac. Ibid., fol. 116 (p. 462, 240). 72 - Présentation du vêtement Lettre historiée du Cantique des Cantiques Tempus putationis advenif (Cant. 2, 12), Thomas de Perseigne, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, fin du XIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 1, fol. 60v (p. 240). Dans le psaume Quam bonus Israël Deus le psalmiste gémit sur l’arrogance des méchants. Ils jouissent avec orgueil et domination des biens de ce monde, et leurs paroles ne connaissent pas de retenue «... leur langue se démène sur la terre. C’est pourquoi mon peuple se tourne vers eux, à pleine bouche il avale leurs eaux» (v. 9-10). Dans l’initiale des Commentaires sur les Psaumes de Pierre Lombard (69), cette idée s’exprime de façon simple et forte. Un personnage tient un rouleau et fait le geste de l’enseigne- ment (p. 170). Il s’agit donc d’un homme qui affirme des idées avec autorité. Mais il est assis à gauche de (p. 89), son visage est de profil, il croise les bras. Cette situation et ces positions montrent qu’il s’agit d’un maître d’erreur. Le mouvement par lequel il se retourne pour imposer ses propos implique un effort. Il traduit l’ardeur avec laquelle le méchant entreprend de tromper. Les artistes du Moyen Age ont transposé sans la modifier une image littéraire deux fois utilisée par saint Paul et souvent commentée par les Pères de l’Eglise. «Il vous faut renoncer à votre vie passée, dépouiller le vieil homme... et revêtir l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité» (Ephésiens 4, 22-24). La signification du changement de vêtement était développée dans les instructions aux nouveaux baptisés. «Maintenant que tu as dépouillé ces vieux vêtements et que tu as revêtu ceux qui ont la blancheur spirituelle... » (Cyrille de Jérusalem, Catéchèse IV, 8). «Tu as reçu le vêtement blanc, preuve que tu avais dépouillé la lourde tunique du péché, et que tu avais revêtu les chastes voiles de l’innocence...» (Ambroise de Milan, Traité des Mystères, 34). Les théologiens du Moyen Age ont repris cette comparaison. On a rapproché ici deux illustrations qui appartiennent à des genres iconographiques différents. Le S de Salvum me fac représente deux scènes complémentaires (71). D’abord, en haut, l’homme enlève la vieille tunique. Un personnage tire sur le vêtement comme s’il l’en dépouillait. Dans la boucle inférieure de la lettre, l’homme converti se précipite de son propre mouvement dans le nouveau vêtement qu’on lui présente. L’autre illustration est la figure d’un homme tenant un vêtement en présentation (72). Tempus putationis advenit, le temps de la taille, de la conversion, est venu. Cette présentation en état de l’objet symbolique constitue l’énoncé d’une obligation.
73- 74 73 - Chrémès et Ménédème Illustration de Térence, Héautontimoroumenos, acte I, scène 1, XIIe siècle. Tours, bibl. mun., ms. 924, fol. 28v (p. 181, 184). 74 - Simon, Davus et Pamphilus Illustration de Térence, Andria, acte III, scène 4, vers 1150. Oxford, Bodleian Library, ms. Auct. F 2, 13, fol. 16 (p. 220). L’illustration de la première scène de V Héautontimoroumenos (73) est un exemple typique de l’image qui résume une situation et un dialogue de comédie. La pièce de Térence commence par une discussion entre deux vieillards, Chrémès interpelle son voisin Ménédème. Il lui reproche amicalement de passer tout son temps à bêcher, à labourer ou à transporter quelque chose. Un tel travail ne convient ni à son âge, ni à sa richesse. Il faut qu’il soit accablé par une grande infortune pour s’infliger à lui-même un pareil traitement. Ménédème avoue qu’il éprouve une grande douleur et il en explique la raison. L’image contient les données principales du texte. Nous sommes en présence de deux hommes dont la barbe marque l’âge avancé. Ménédème, la tête inclinée, tient sa main sous sa joue, ce qui est l’expression la plus courante de la dou- leur (p. 181). Les instruments de culture ne manquent pas. Leur nombre et leur diversité ne correspondent pas aux nécessités de la culture. Ils montrent l’intensité du travail auquel se livre Ménédème. Les gestes de Chrémès ont aussi leur éloquence. Il tire de sa main gauche un outil incliné comme s’il l’arrachait à une résistance. Il tient un râteau dans sa main droite comme s’il l’éloignait de Ménédème.
75-76 75 - Le Trivium, la Grammaire, la Rhétorique et la Dialectique Illustration de Martianus Capella, Satyricon, avec commen- taire de Rémi d’Auxerre, fin du XIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 1041, fol. 1 (p. 894, 170). 76 - Conflit provoqué par un homme marié ayant fait vœu de chasteté Causa XXVII, Gratien, Décret, deuxième moitié du XIIe siè- cle. Douai, bibl. mun., ms. 590, fol. 180 (p. 891, 161-162, 180). Les illustrations des comédies de Térence, dont deux exemples (73, 74) ne font que suggérer les genres, présentent pour la connaissance du langage iconographique un intérêt particulier. Placées en tête des scènes, elles en résument souvent l’essentiel. Les personnages très typés, le père avare, l’amoureux, la courtisane, le parasite intrigant, la servante ingénieuse, sont figurés dans des situations concrètes précises. Leurs positions et leurs gestes peuvent donc être comparés en tenant compte du caractère de chaque personnage et de son comportement dans les différentes scènes. Chrémès paraît 14 fois dans le manuscrit 924 de Tours, toujours de trois quarts. Syrus, esclave intrigant, est figuré 10 fois de profil. L’imagier l’a représenté de trois quarts lorsqu’il était seul (acte II, 2) et lorsque situé entre deux groupes de personnages il croise les bras, signe de la fourberie qu’il manigance (acte IV, 4), comme Davus dans VAndria (74). Il ne s’agit là que de deux relations, pour deux personnages, dans une seule pièce. On devine la fécondité qu’aurait une recherche systématique portant sur le corpus complet des manuscrits de théâtre. Les trois représentations allégoriques du Trivium, la Grammaire, la Dialectique et la Rhétorique, sont nimbées (75). Cette sacralisation correspond à une croyance qui s’exprime sous d’autres formes en iconographie : la connaissance de la vérité, sa défense et sa mise en pratique sont des œuvres saintes ; toute science et toute sagesse conduisent à Dieu. La Dialectique présente le serpent, l’attribut de la vertu de prudence. La Rhéto- rique tient trois lances et un bouclier. Ces armes sont aussi le symbole du combat que mène le soldat du Christ. Dans le D initial du Livre de la Sagesse on voit Salomon remettre à un jeune chevalier une épée, une lance ou un bouclier. Dans certaines panses du P de Paulus, le miles Christi part au combat. La représentation de la Grammaire est à rapprocher d’autres illustrations non allégoriques du même sujet, du Livre des Proverbes ou des Epîtres de saint Paul (82, 84). Le maître, plus grand que l’enseigné, tient une verge. La plupart du temps le disciple est à moitié nu. Cela ne signifie pas que le maître utilisait le châtiment corporel lorsqu’il enseignait la grammaire, alors qu’il ne le faisait pas pour les autres matières. Cette représentation très fréquente affirme le lien entre la vérité et la sagesse. L’une s’apprend dans les livres, l’autre dans l’ascèse, qui sont inséparables.
77-81 77 - L’insensé obéit au diable et le suit. Initiale du psaume 52 Dixit insipiens, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1185, fol. 159v (p. 53, 146, 156). 80 - D’après saint Paul, les Juifs sont de faux sages. Initiale de l’Épître aux Romains Paulus... quod ante erat, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Sain te-Geneviève, ms. 1180, fol.334v (p. 94). 78 - Vision d’Ézéchiel Initiale du Livre d’Ézéchiel Et factum est, Bible, XIIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 262, t. III, fol. 169 (p. 102, 117). 79 - Le prophète Amos, assis et faisant le geste de renseignement Initiale du Livre d’Amos Verbum Amos. Ibid., fol. 239 (p.412,42, 113, 170). 81 - Saint Paul élève la croix, la Synagogue perd sa couronne et baisse le bras. Initiale de l’Épître aux Hébreux Multifariam. Ibid., fol. 355v (p. 90, 141, 180). Si on les compare aux grandes Bibles illustrées des XIe et XIIe siècles (2-3, 7, 14-17, 35-42, 43, 44, 45, 49, 54-61, 62-64, 65-67), les Bibles du XIIIe et du XIVe siècle peuvent paraître d’un moindre intérêt (77-87). L’illustration est réduite à des initiales de petites dimensions. Il semble que les sujets se répètent d’un exemplaire à l’autre, comme si une fois le modèle établi l’usage avait voulu que l’on s’en tienne à une série de formules figées pour la décoration de tous les manuscrits. Certes, l’écart est immense à tous points de vue entre les grandes lettres historiées, les vastes compositions où l’invention personnelle crée des images originales et uniques, et le remplissage de la
82-87 82 - Salomon enseignant la Sagesse Initiale du Livre des Proverbes Parabolae Salomonis, Bible, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 4, fol. 196 (p. 83, 146, 222). 85 - Job et sa femme discutant Initiale du Livre de Job Vir erat in terra Hus, Bible, XIIIe siècle. Dijon, bibL mun., ms. 3, fol. 112 (p. 56, 212). 83 - Saint Paul imposant les mains au chrétien, soldat du Christ Initiale de la deuxième Épître à Timothée Paulus... secundum promissionem vitae. Ibid., fol. 382v(p. 153, 196). 84 - Maître enseignant Initiale de l’Êpître à Tite Paulus... secundum fidem. Ibid., fol. 383v(p. 83). 86 - Saint Paul opposé au Juif dolent qui représente l’Ancienne Loi Initiale de l’Êpître aux Hébreux Multifariam, Bible, XIIIe siè- cle. Dijon, bibl. mun., ms. 20, fol. 99 (p. 90, 184). 87 - Sacrifice d’Abraham (figuré comme Moïse) Initiale du Livre du Lévitique Vocavit autem Moysen, Bible, XIIIe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 71, fol. 179v (p. 166)' panse d’une initiale par une figure ou une scène typique. Mais l’examen d’une masse documentaire étendue montre que si certains sujets ont pratiquement été recopiés pour des reproductions en série, d’une part la variété des illustrations d’un meme livre est plus grande qu’on ne le croit, d’autre part et surtout les imagiers ont traité les sujets avec des variantes syntaxiques qui en diversifient profondément les significations. Derrière une apparente uniformité se cachent des originalités quelquefois insolites (80). Il revient à l’analyse iconographique de les mettre en relief et de les élucider.
88-91 88 - Théophile rend hommage au diable. Lettre historiée Theophylus li desvoiez (v. 267), Gautier de Coincy, Le Miracle de Théophile, milieu du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 551, fol. 7v (p. 163,90, 146,208). 89 - Dieu arrête Théophile sur le chemin de l’Enfer. Qant Diex droit sens li eut rendu (v. 651). Ibid., fol. 10 (p. 163,91, 199). 90 - Théophile entre dans une église pour prier Notre-Dame. Quant li las s'est tant tormentez (v. 833). Ibid., fol. 11 (p. 163,784, 158, 172). 91 - La Vierge prend le pacte au diable. Theophilus de chief en chief (v. 1421). Ibid., fol. 15 (p. 163, 157,232).
92-95 92 - Délibération sur l’élection et la consécration d’un clerc Gautier de Coincy, Miracles de Notre-Dame, milieu du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 551, fol. 23v (p. 66, 150,209). 93 - L’empereur ordonne l’exécution de saint Valentin. Vies des saints, fin du XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 588, fol. 141v (p. 463, 481, 66, 137, 1671, 185, 213, 229 3). 94 - Médecin donnant des prescriptions pour un goitre Initiale Per guttur, Avicenne, Canon de Médecine, traduit en latin par Gérard de Crémone, première moitié du XIIIe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 457, fol. 170v (p. 129, 212). 95 - Malade souffrant des viscères Initiale Meri quid est apositum. Ibid., fol. 192 (p. 181).
96-97 97 - Professeur enseignant la rhétorique Gossuin de Metz, Image du Monde, X.T17. Ibid., fol. 58 (p. 39, 52, 77, 894, 99, 164, 165, 175, 212). 96 - L’Arbre d’amour Illustration du poème Ci commence del arbre d'amours, 1277. Bibl. Sainte-Geneviève,ms. 2200, fol. 198v (p. 113,184,213). L’image de l’Arbre d’amour répartit en trois phases le mouvement ascensionnel de l’amour, selon une dialectique psychologique nette et rigoureuse. En bas, dans la première phase de la rencontre, le soupirant est agenouillé, les mains jointes dans le geste de la supplication. La jeune femme fait d’une main le geste du refus et détourne la tête. Son autre main posée sur sa poitrine affirme que c’est de tout son être qu’elle repousse la demande. Au palier supérieur, le soupirant est encore à genoux, les mains jointes. Il s’est un peu rapproché de la dame, qui elle a franchi un grand pas et tend les mains vers celui que désormais elle désire. Arrivés au terme de leur cheminement amoureux les personnages ont des comportements tout différents. Assis à la même hauteur, sur le même banc, les amoureux sont à égalité. Mais l’homme est de face, la main appuyée sur sa cuisse, c’est-à-dire sûr de lui et fort de son pouvoir. Quant à la dame, le corps de profil, les mains tendues, elle est devenue demanderesse. Au faîte de l’arbre, le Dieu d’Amour domine cette évolution comme une force aveugle.
98-99 99 - Dieu couronne David - David contrôle sa parole devant le diable tentateur. Initiale du psaume 39 Dixicustodiam. Ibid., fol. 22 (p. 232). 98 - Combat de David contre Goliath - David joue de la musique pour calmer Saül - David fuit «la chaire de pestilence». Initiale du psaume 1 Beat us vir, Psautier, fin du XIIIe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 157, fol. 8 (p. 69, 158, 172). L’imagier a illustré de trois façons (98) le premier verset du psaume 1 Beatus vir « Heureux l’homme qui ne marche pas en suivant les conseils des méchants, qui ne se tient pas dans le chemin des pécheurs, et qui ne s’assied pas dans la chaire de pesti- lence.» Dans la partie supérieure de la panse, deux scènes narratives racontent le combat de David contre Goliath. Dans la partie inférieure un sujet et un thème sont juxtaposés. A gauche, David essaie de calmer Saül qui, possédé par un esprit mauvais, tente de le transpercer avec sa lance (I Rois 19, 10-11). David a le visage de profil et Saül de trois quarts. David est inférieur à Saül. Il ne sera sacré à Hébron qu’après la mort de ce dernier. La dernière scène illustre le thème de la tentation en suivant le texte biblique. Trois diables tiennent un siège «la chaire de pestilence». David s’en éloigne, il fuit le péché (p. 158, 172). Le premier verset du psaume 39 Dixi custodiam commence une supplication (99) : «J’avais dit : je vais surveiller mes voies, de peur de pécher par ma langue, je mettrai un bâillon sur ma bouche tant que le méchant sera devant moi. » Dans une première scène l’illustrateur montre Dieu faisant de David son roi. La partie inférieure du corps du Christ, plus grand que David (p. 67), est de face et sa tête de trois quarts (p. 125), alors que le juste a le visage de profil (p. 143). En même temps qu’il lui met la couronne sur la tête et lui saisit un poignet (p. 199), Dieu pose son pied sur celui du nouveau roi (p. 232). Ces signes marquent la prise de possession de la personne. La seconde scène correspond au texte du psaume. Le roi David, de grande taille se tient debout, la partie inférieure du corps de face, le buste et la tête de trois quarts. Devant lui le diable, la tête de profil (p. 146), fait le geste de l’ordre, le doigt pointé (p. 167), pour l’inciter à la faute. Mais le roi désigne sa bouche pour signifier qu’il n’en sortira pas de mauvaises paroles. Les deux scènes sont-elles juxtaposées ou constituent-elles deux ensembles liés par une relation (p. 55-66)? On devrait dans ce cas lire la lettre historiée de la façon suivante : après avoir reçu l’investiture divine et parce qu’il est l’homme du Seigneur, le roi David est capable de faire face au démon et de lui résister.
100-102 100 - Saint Michel terrassant le dra- gon - la luxure vaincue Sculpture, XIIIe siècle, église de Villarcazar de Sirga (p. 842, 198). 101 - La Cène Peinture murale, Amné-en-Champagne (Sarthe), XIIIe siècle (p. 73, 113, 184). 102 - Pleurants Tombeau de Gautier de Sully, milieu du XIIIe siècle, château de Sully (p. 141,198). Le geste de la saisie de son propre poignet s’interprète en fonction du contexte. La femme qui, le sein nu, est placée au-dessous de saint Michel terrassant le dragon (100) représente la luxure vaincue et vouée au châtiment étemel. Dans l’Enfer du Jugement dernier de Conques, une femme également à moitié nue, debout à droite du prince des diables, fait le même geste et a la même signification. Dans le cortège de pleurants (102), les trois femmes qui se tiennent le poignet manifestent le caractère irrémédiable de la mort et de la douleur qu’elle entretient.
103-104 103 - Massacre des Innocents Lettre historiée, Pontifical de Chartres, vers 1230. Orléans, bibl. mun., ms. 144, fol. 78v (p. 199). 104 - Massacre des Innocents Sculpture, XIIe siècle, voussure du portail ouest de P Abbaye aux Dames, Saintes. L’initiale historiée de la collecte des Saints Innocents est une des enluminures les plus originales du Pontifical de Chartres. Le personnage principal est situé sur l’axe vertical central de la panse du D. Un bandeau bâillonne la bouche de l’enfant. Ce linge serré sur les lèvres traduit en langage visuel l’énoncé de la prière liturgique : «O Dieu, dont en ce jour les Innocents martyrs ont publiquement professé la foi non en parlant mais en mourant...» La femme, les bras tendus, présente son enfant au bourreau. Ce geste est celui de Marie offrant Jésus au-dessus de l’autel dans les nombreuses figurations médiévales de la Présentation au Temple. Aucun accent douloureux, aucune note dramatique dans les attitudes de la mère et du fils. Comme dans d’autres représentations du même genre (15, 178), l’imagier montre simultanément la cause et l’effet et non un instantané de l’action : le bourreau brandit son épée et un enfant gît à ses pieds, la tête séparée du corps. La troisième voussure du portail ouest de T Abbaye aux Dames représente le Massacre des Innocents. Un groupe de trois personnages est répété quinze fois, comme si l’imagier avait reproduit un motif stéréotypé jusqu’à ce que l’espace soit complètement couvert. Il n’en est rien. Les relations changent d’un claveau à l’autre. Ici la mère réagit violemment et se tire les cheveux, là elle exprime sa douleur en se tenant le poignet, ailleurs elle offre son fils en sacrifice (104). Le bourreau saisit l’enfant par les cheveux, et le frappe. Les deux mains du martyr se trouvent libres. Tendues en avant, les paumes tournées vers le haut, elles expriment l’acceptation, l’offrande. La mère pose la main droite sur le flanc de son fils, comme dans plusieurs autres scènes de cette voussure. Ce geste exprime une pression, un encouragement (p. 190). Cette signification est confirmée par le mouvement de l’autre main qui tendue ouverte vers le ciel accepte la volonté divine. Dans le Pontifical de Chartres comme dans la voussure de Saintes, l’imagier donne d’un événement tragique un commentaire thématique. Quelques relations simples lui permettent de développer avec des variantes dans la forme une même interprétation spirituelle.
105 - Jugement dernier - Résurrection des morts - Pèsement des âmes - Enfer Psautier de Marguerite de Bourgogne, première moitié du XIIIe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1273, fol. 19(42,89,101, 1063, 136, 140, 141, 147, 180,213). Quatre sujets illustrent l’unique pleine page du Psautier de Marguerite de Bourgogne. Si l’on met à part la Résurrection des morts, où les valeurs ne sont pas séparées, une mesure approchée des surfaces relatives occupées par les bons et par les mauvais montre que l’expulsion et le châtiment des damnés occupent 70 % des images. Le Christ, saint Michel et les élus ne représentent que 30 %. Une telle répartition se retrouve dans nombre de programmes iconographiques, comme si la peinture du mal avait la préférence des imagiers. L’explication de ce fait serait à rechercher sur plusieurs plans. Au point de vue de l’enseignement et de la formation morale, la crainte du châtiment peut être considérée comme un mobile plus puissant que l’aspiration au bonheur, difficile à concevoir. Le Christ du Jugement dernier est séparé des autres personnages par une mandorle. Assis sur un trône, de lace, il est figuré en présentation, on pourrait même dire en majesté si un détail, important pour la signification, ne retenait l’attention. Il s’agit d une position insolite dans une telle représentation. Le visage du Christ est tourné vers la droite. 11 regarde les élus et se détourne des réprouvés. Aucun autre signe ne traduisant la décision du juge, ne manifestant la sentence qu’il prononce, cette orien- tation du regard a le poids d’un arrêt. Comme tous les personnages figurés dans le ciel, les élus et les damnés du registre supérieur sont habillés du costume caractéristique de leur condition. Le roi porte la couronne et le sceptre, la reine une couronne seulement. Les évêques sont coiffés de la mitre. L’évêque réprouvé tient sa crosse la tête en bas, en signe de déchéance. Ici comme dans la grande majorité des représentations médiévales du Paradis et de l’Enfer, l’imagier ne manque pas de placer au premier rang des damnés comme des élus un pape, un roi, une reine, un évêque, un religieux... Ce rappel permanent souligne que si les ordres sociaux sont une réalité terrestre fondamentale, tous les hommes sont égaux au jugement de Dieu. Tirés par un diable qui leur a passé la corde au cou, les damnés s’éloignent du Christ. Un ange, en mouvement et l’épée levée les expulse du Paradis. Plusieurs regardent derrière eux. C’est une attitude traditionnelle de la fuite sous la contrainte. Les anges de la Résurrection des morts sonnent de la trompette dans le ciel. Les corps se lèvent du tombeau. Avant le jugement, bons et mauvais sont mêlés. Pour distinguer les uns des autres il faut regarder les comportements. Tête levée, visage de trois quarts, main levée dans le geste de l’acceptation, mains levées et jointes caractérisent les bons. Tête droite ou baissée, tête de profil, tête tournée en arrière comme si le regard se portait vers un passé coupable, mains baissées en pronation désignent les mauvais. Les attitudes des élus et des réprouvés sont plus nettes et uniformes dans le Pèsement des âmes. Les premiers lèvent leurs mains, les seconds les tiennent baissées, en pronation, en même temps qu’ils inclinent la tête. Le mouvement des premiers est libre. Les seconds sont enchaînés et subissent leur tourment.
105
106-107 106 - Le moine Primat offre au roi le manuscrit des Grandes Chroniques de France. Lettre historiée, Grandes Chroniques de France de Saint - Denis, vers 1275. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 782, fol. 1 (p.961). jlqmcefttoiuut menœatou; eut ccftchÿftotwltw falirçcntwfatfai 107 - Priam ordonne à Pâris d’enlever la reine Hélène - Pâris s’embarque - entouré d’hommes d’armes, il s em- pare d’Hélène - il la ramène. Vignette. Ibid., fol. 2v (p. 16, 63J, 784, 96, 101 , 185, 214). Le manuscrit des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis conservé à la biblio- thèque Sainte-Geneviève sous le n° 782 est célèbre. Son texte a été publié et étudié. Ses illustrations ont fait l’objet d’une description sommaire dans la présentation d’Amédée Boinet Les manuscrits à peintures de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Plusieurs d’entre elles ont été reproduites. Ce manuscrit contient un nombre d’enlumi- nures suffisamment élevé pour offrir un éventail ouvert de formes, de genres et de sujets, mais néanmoins assez limité pour qu’une publication intégrale soit possible. Par la clarté et la rigueur de leur écriture iconographique, ces peintures constituent un ensemble représentatif pour l’étude du langage de l’image1. Composé, peut-être à la demande de saint Louis, par le moine Primat de l’Abbaye de Saint-Denis, le manuscrit a été achevé en 1275 ou peu après. Le texte des Grandes Chroniques est illustré de 19 lettres historiées et 15 vignettes, soit 34 enluminures, auxquelles il faut ajouter une grande vignette en frontispice qui précède la dédicace en vers, une figure de saint Louis au commencement d’une Vie de saint Louis, et une carte du monde. Les deux dernières peintures sont du début du XIVe siècle. Contrairement à ce qui a été fait pour les autres documents, le plus souvent agrandis, quelquefois réduits, les enluminures des Grandes Chroniques ont été reproduites ici à leurs dimensions réelles. De nombreux dessins faciliteront la lecture de celles qui offrent le plus grand intérêt pour l’étude des relations. Une vignette, a été présentée à sa taille réelle et en agrandissement (107). Elle repré- sente l’enlèvement d’Hélène par Pâris. Le texte des Grandes Chroniques dit simplement : Quatre C et IIII anz avant que Rome fust fondée, regnoit Prianz en Troie la grant. Il envoia Paris, Vainzné de ses fiuz, en Grece pour ravir la roine Heleine, la famé au roi Menelau, pour soi vengier d'une honte que li Grec li ourent ja fete. L’imagier a décomposé l’histoire de l’enlèvement d’Hélène en quatre scènes qui forment une suite narrative, se lisant de gauche à droite et de haut en bas. 1 - Voir les principales synthèses p. 63-66, 74-76, 95-98, et la bibliographie.
107 La première scène se passe dans un intérieur, suggéré par un arc, dans la ville de Troie dont la puissance est indiquée par la porte de grande dimension flanquée de deux tours. Le roi fait le geste de l’ordre, le doigt pointé vers le haut. Pâris exprime son acceptation la main grande ouverte. L’un et l’autre ont une main posée sur la cuisse, le coude rejeté vers l’extérieur, signe de la fermeté de leur détermination. Dans la seconde scène, Pâris s’embarque sur un navire. Un guerrier a saisi un de ses poignets, son autre main indique la direction. Accompagné de soldats, Pâris s’empare d’Hélène dans une salle, près d’un autel sur- monté de deux lampes. La reine est debout, située dans l’axe vertical médian de l’image. Pâris lui tient le poignet, signe de prise de possession, mais en même temps il la prend sous sa protection en passant son bras droit par dessus ses épaules. Aucune violence, aucune dramatisation dans cette scène. Les mêmes personnages principaux, Hélène et Pâris, occupent la même situation au centre de l’image dans la scène du retour. Ils sont figurés de face, alors que les guerriers sont de profil.
108-111 108 - Le roi Childebert entouré de ses frères Thëodoric, Clodomir et Clotaire. Plus grand qu’eux, assis sur un trône et le doigt pointé, il affirme la prééminence du roi de Paris sur les trois autres. Vignette. Ibid., fol. lôvfp.ÇS1, 184). 109 - Chilpéric étrangle en son lit sa propre espouse qui nul mal ne lui fesoit. La reine Galswinthe a les mains jointes, signe de sa bonne conscience et de sa ferveur. Vignette. Ibid., fol. 36 (p. 76). 110 - Gontran, roi de Bourgogne, donne son royaume à Childebert II : Li rois Gontrans tendi à son neveu une hante que il tenoit et li dist ensi : «Biaux très douz nies, par ce signe puez tu savoir que tu régneras après moi en mon régné. » Vignette. Ibid., fol. 62v. 111 - Combat entre Clotaire II et les Saxons - Clotaire II donne l’ordre de tuer tous les garçons saxons plus grands que son épée : à soveraine desconfiture les mena par force d'armes, et les donta si que il occist toz les hoir masles qui estoient plus lonc que l’espée que il portoit en bataille. Vignette. Ibid., fol. 79 (p. 463, 481, 66, 743, 901, 951, 137,1671,185,213,229 j.
112-114 113 - Carloman et Pépin prennent la ville de Laon, leur frere Grippon s’enfuit en emportant la clé symbolique. Le contenu de l’image diffère de celui du texte : si frere esmurent lor oz et l'asistrent dedenz la cité; à la parfin se rendi à els quant il vit que la force n ’estoit pas soue et que il ne lor pooit contrester. Lettre historiée. Ibid., fol. 103 (p. 743, 784, 98, 146, 112-Sacre de Chilpéric II par deux évêques. Dans ce manuscrit des Grandes Chroniques de France 11 lettres historiées représentent des couronnements et des sacres. S’agit-il d’illustrations passe-partout qui comblent des vides? II ne semble pas. Dans deux cas, la scène de cou- ronnement accompagne un texte très pauvre qui ne fournit matière à aucune autre représentation. De Louis V le chroniqueur dit simplement qu’il fut couronné, régna neuf ans et fut inhumé à Compiègne (129). Il ajoute : De lui ne de ses faiz ne parole plus l’estoire. Il n’en dit guère plus du règne du roi Eudes (124). Mais la plupart des scènes de sacre et de couronnement se justifient par l’importance de cet événement sur le plan historique et par les circonstances dans lesquelles il s’est produit. C’est vrai pour le couronnement par le pape de Pépin le Bref (114), de Charlemagne (115) et du fils de Charlemagne Louis le Débonnaire (119). C’est vrai également pour le couronnement de Chilpéric II (112). D’après le texte, Dagobert étant mort, Lors eslurent li François I clerc qui avoit nom Daniel; mais aucunes hystoires dient que il fu freres ce roi Dagobert qui devant ot régné, ses cheveus li lessierent croistre et puis le coro- nerent; son non li changierent et l’apelerent Chilpéric. L’illustrateur a situé le couronnement des deux fils de Louis le Bègue à l’intérieur d’une église dont l’architec- ture tient une place importante dans l’image (122). Il a introduit un bénédictin dans la scène. Est-ce pour indiquer que ce sacre eut lieu à la hâte dans l’abbaye de Ferrières? Le couronnement de Louis VI le Gros à Orléans se produisit dans des circonstances analogues (135). Louis IV d’Outremer, fils de Charles le Simple, ayant fui en Angleterre, les barons de France durent envoyer l’archevêque de Sens Guillaume lui demander de retour- ner dans son pays. Quant li enfes Loysfu retornez, li dux Guillaumes et li dux Hues li Granz et li autre baron du roiaume le firent coroner sollempnement en la cité de Loon(m). Dans les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis, les représentations des couronnements correspondent à des circonstances qu’il faut prendre en compte pour l’étude du programme iconographique et de la significa- tion de chaque illustration. Lettre historiée. Ibid., fol. 100 (p. 95’). 114 - Après délibération, le pape couronne Pépin le Bref - Carloman, fils de Charles Martel renonce à la royauté et entre en religion. Vignette.Ibid.,fol. 107 (p. 63,74,95,96,107,174,184).
115-118 115 - Le pape Léon III couronne Charlemagne à Rome - Le pape et l’empereur jugent les conspirateurs. Vignette. Ibid., fol. 121v (p. 50, 76, 87, 951, 96, 113, 174,180,213). 116 - Charlemagne donne l’ordre de construire une église en l’honneur de la Vierge - Le pont de Mayence en flammes. Vignette. Ibid., fol. 129v (p. 40,414,463, 76 \ 78 4, 88, 901,2293, 236, 237). 117 - Charlemagne regarde le chemin d’étoiles qui conduit au tombeau de saint Jacques - Saint Jacques apparaît à l’empereur. Vignette. Ibid., fol. 141 (p. 742). 118 - Délibération des infidèles, le roi Marsile décide le traître Ganelon à lui livrer Roland. . Vignette. Ibid., fol. 152(p. 40,64,951, 103,107,112 , 134,136,146,202,209,233).
119-122 119 - Charlemagne, accompagné de son fils Louis est accueilli par le pape à son arrivée à Rome - Là fu h enfes enoinz et coronez à roi par la main l’apostoile Adrien. Vignette. Ibid., fol. 161 (p. 951, 174, 208, 213). 120 - L’armée de Lothaire arrive devant Fontenoy-en- Puisaye - Elle est mise en fuite par celle de Charles le Vignette. Ibid., fol. 187 (p. 743, 157). 121 - Couronnement de Louis le Bègue par l'archevêque de Reims Hincmar Vignette. Ibid., fol. 202v(p. 107\ 174). 122 - Couronnement précipité des deux fils de Louis le Bègue, Louis III et Carloman : Li abbés Hues et li autre baron de France... tantost envoierent aucuns des evesques ovec les II enfanz à l’abbaie Saint Pere de Ferrieres en Gastinois, et une partie de leur gent, et les firent là sacrer et coroner à rois. Lettre historiée. Ibid., fol. 206 (p. 784, 213).
123-128 123 - Arrivée d’une armée, peut-être des Normands, devant une ville Lettre historiée. Ibid., fol. 208v (p. 743, 96). 124 - Couronnement du roi Eudes Lettre historiée. Ibid., fol. 208v (p. 1071). 125 - Richard, duc de Bourgogne, met en fuite l’armée des Normands. Lettre historiée. Ibid., fol. 209 (p. 743,96, 157). 126 - Louis, fils de Charles III le Simple, fuit une ville. Lettre historiée. Ibid., fol. 21 Iv (p. 742, 784, 96, 152). 127 - Sacre de Louis IV d’Outremer Lettre historiée. Ibid., fol. 212 (p. 213). 128 - Sacre de Lothaire Lettre historiée. Ibid., fol. 217 (p. 107 *).
129 -134 irtouttrauc 129 - Sacre de Louis V Lettre historiée. Ibid., foL 219 (p. 1071, 1121). 130 - L’armée de Charles, frère du roi Lothaire, sort de la ville de Laon et met en fuite celle de Hugues Capot. Lettre historiée. Ibid., fol. 219 (p. 743, 98, 157). 131 - Le roi Hugues Capet, assisté de ses barons, accorde à Richard duc de Normandie le pardon qu’il est venu demander pour Arnoul, comte de Flandre. Lettre historiée. Ibid., fol. 219v(p. 1071). 132 - A Rome, le roi Robert dépose sur un autel, devant le pape, le répons Cornélius centurio. Lettre historiée. Ibid., fol. 220 (p. 223). 133 - Robert, duc de Normandie, accueille le roi Henri 1er venu lui demander aide et protection. Lettre historiée. Ibid., fol. 224v (p. 684, 76, 96, 129, 144,214). 134 - Herpin, vicomte de Bourges, vend sa vicomté au roi Philippe 1er avant de partir à la croisade. Lettre historiée. Ibid., fol. 230 (p. 66, 1071, 1121).
135-138 135 - Couronnement hâtif de Louis VI le Gros à Orléans par l’évêque de Sens Daimbert. Là fu sacrez et coronez à roi par la main dam Daimbert, arcevesque de Senz; la corone li midrent ou chief et li ceindrent l’espee de joutise... Encores n’estoit pas li arcevesques devestuz des garnements où il out la messe chantée, quant li message de l'église de Reins sorvindrent, qui aporterent lettres de contradiction, par quoi il aussent destorbé le coronement le roi... Le personnage situé à gauche de, la main en pronation rejetée vers l’intérieur (p. 175) représente probablement le messager de Reims qui conteste le cou- ronnement d’Orléans. Il ne faut pas confondre son geste avec celui de l’évêque situé à droite de, qui tient sa crosse de la main gauche et marque sa participation au sacre de la main droite. Lettre historiée. Ibid., fol. 242 (p. 213). 137 - Le roi Philippe Auguste. Figuré en état, assis sur son trône, le roi fait le geste de l’autorité, le doigt pointé vers le haut. Lettre historiée. Ibid., fol. 280 (p. 742, 167). 136 - Louis VII, ayant à ses côtés son conseil, dont un juriste reconnaissable à sa coiffure au premier plan, face aux bourgeois d’Orléans qui voulaient s organiser en commune. . Lettre historiée. Ibid., fol. 265v (p. 107 , 112 , 180). 138 - Louis VII et la reine Alix reçoivent de Dieu le fils qu’ils lui ont demandé, Philippe Auguste appelé aussi Philippe Dieudonné. Vignette. Ibid., fol. 280 (p. 76, 213).
139-140 139-Prise du Mans par Philippe Auguste. L’armée du roi de France s’engouffre dans la ville par une porte, Henri II s’enfuit par une autre. Vignette. Ibid., fol. 295 (p. 39, 692, 743, 784, 98, 146, 140 - Après délibération, le pape Innocent III condamne Amauri de Chartres. Vignette. Ibid., fol. 312 (p. 66, 232). Le programme iconographique des Grandes Chroniques de France de Saint-Denis s’étend à l’ensemble des manifestations du pouvoir royal et à l’action de l’Eglise. La sauvegarde de la continuité et de la dignité royale (108, 126, 133), la transmission du pouvoir (110), sa légitimité marquée par le sacre (112) concernent directement la personne du roi. Les relations du souverain avec l’ordre divin providentiel se mani- festent par le songe et la vision (117), la prière (132) et sa récompense (138). Ses comportements politiques se traduisent dans les relations avec le pape (115, 119), avec un comte coupable de trahison (131), avec un noble qui part en croisade (134), avec les bourgeois d’une ville ( 136). Le mauvais roi apparaît deux fois. Marsile l’infidèle manigance la trahison de Gane- lon (118). La cruauté de Chilpéric se manifeste lorsqu’il étrangle Galswinthe (109). Mais la reine est figurée dans l’attitude d’une sainte. A la violence, représentée sans outrance, s’opposent la douceur et la vertu. Un événement brutal et anecdotique devient pour l’imagier l’occasion de développer un thème. La vie militaire prend les aspects de l’expédition et de l’enlèvement (107), de l’affron- tement en bataille rangée (111 ), de la chevauchée vers la ville ( 120, 123), de la prise de ville (113, 139), de mesures répressives (111). Aucun signe de dramatisation ne donne aux scènes un caractère de réalisme tragique. Les opérations, en particulier la prise de ville, la fuite et la mise à mort, s’expriment par une relation typique (p. 48, 156, 244). L’Êglise est partout présentent la primauté du pouvoir spirituel partout affirmée (p.74- 76; 114, 141...). Une scène est même réservée à l’exercice de son pouvoir dogma- tique (140). Cette insistance est probablement liée à l’origine monastique du manuscrit. Circonscrites dans le cadre géométrique des vignettes ou régulièrement inscrites dans les panses des lettres historiées, avec les seules exceptions que justifient les exigences de la signification (p. 96-98), les figures et les scènes de ce manuscrit sont autant d’exemples de ce que peut exprimer l’image lorsqu’une syntaxe rigoureuse met en rapport un petit nombre d’éléments aisément identifiables.
141-142 141 - Le moine Primat offre les Grandes Chroniques de France au roi Philippe III le Hardi. Vignette en frontispice. Ibid., fol. 326v (p. 137). 142 - Saint Louis tenant un sceptre et un modèle de la Sainte-Chapelle Initiale historiée d’une Vie de saint Louis, premier quart du XIVe siècle. Ibid., fol. 327. La primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel affirmée dans l’ensemble des enluminures du manuscrit, s’exprime avec éloquence dans la représentation de l’offrande du livre (141). Les grands bénédictins occupent les deux tiers de l’image. Face à face, le roi et l’abbé tiennent le sceptre et la crosse, symboles de leurs pouvoirs respectifs. Par son geste de désignation, le doigt pointé vers le livre, la main au-dessus de la tête du moine Primat, Matthieu de Vendôme se pose comme le chef responsable, détenteur du pouvoir spirituel, qui prend à son compte l’œuvre accomplie dans l’abbaye de Saint-Denis. Quant aux conseillers laïcs du roi, témoins dociles d’une scène à laquelle ils participent peu, ils sont relégués à une place mineure.
143 143 - Carte du monde Peinture sans rapport avec le contenu du manuscrit, XIVe siècle. Ibid., fol. 374v (p. 83!). Cette carte du monde n’a aucune valeur scientifique. Elle situe les territoires et les villes selon une répartition providentielle, dans une perspective chrétienne où les valeurs de l’histoire du salut se substituent aux réalités géographiques. Le Paradis est en haut et l’Enfer en bas. Jérusalem occupe le centre de la circonférence avec à sa droite Nazareth. D’autres villes sont représentées sous la forme d’édifices fortifiés, la Mecque, Babylone, Ninive, Troie, Antioche, Damas, Alexandrie, Constantinople, Athènes, Paris et Rome. La Mer rouge a une grande étendue. Les noms des douze vents sont inscrits dans douze demi-cercles régulièrement répartis autour du globe.
144-147 144 - Offrandes de Caïn et d’Abel - Caïn tue Abel et subit les reproches de Dieu. Histoire universelle, troisième quart du XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 562, fol. 3v (p. 89,91,180). 145 - Construction de la tour de Babel Ibid., fol. 9 (p. 72, 214,217, 232). 147 - Jason revendique le royaume de son père devant Pélias l’usurpateur, qui l’envoie quérir la Toison d’Or. 7ôzri., fol. 89v(p. 212). 146 - La femme de Putiphar tente de séduire Joseph qui s’enfuit. //rid., fol. 47v (p. 157,232).
148-151 148 - L’insensé avance en regardant derrière lui et mord une pierre (p. 122, 146,152). 149 - Le lâche fuit devant un lièvre et laisse échapper son épée (p. 157, 232). Reliefs quadrilobés, XIIIe siècle, portail occidental de la cathédrale d’Amiens. Des reliefs quadrilobés de la cathédrale d’Amiens, comme certains médaillons des soubassements de Notre-Dame de Paris, présentent en parallèle les séries des vertus et des vices. Les premières sont situées au-dessus des seconds. Les figures allégoriques de femmes tenant les attributs et les symboles traditionnels des vertus sont présentées assises, en état. Les personnages, le plus souvent masculins, qui incarnent les vices accomplissent un ou plusieurs actes coupables typiques.
152-153 153 - Expulsion d’un office Henri de Suze, Summa de titulis decretalium, 1289. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 329, fol. 154v(p. 161, 191). 152 - Expulsion d’un office Décrétales de Grégoire IX, XIVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 391, fol. 186v(p. 137). L’iconographie juridique médiévale constitue un champ spécifique pour l’étude de la syntaxe. L’abondance des représentations permet les comparaisons synchroniques et diachroniques d’illustrations du même texte, d’un chapitre du Digeste ou d’une causa du Décret par exemple. Les textes juridiques présentent les hommes et les femmes dans des situations qui ne se rencontrent guère dans les autres champs iconographiques, à propos de problèmes religieux ou civils, du mariage, de l’éducation, des héritages etc. L’iconographie juridique médiévale traduit probablement en images des pratiques et des expressions verbales propres aux usages du droit et les intègre dans des représen- tations qui se conforment par ailleurs aux règles générales du langage. La recherche dans ce domaine devra donc réunir les compétences complémentaires de l’historien du droit et de l’iconographe. Une même composition générale, la célébration d’un office, une main fermée levée par un clerc, invitent au rapprochement des trois premières enluminures (152-154). Mais il serait hasardeux de leur donner la même signification. Plusieurs questions se posent. Qui est écarté et expulsé? Par qui? Pourquoi? Comment? Dans deux scènes (152-153) le personnage chassé se dirige vers une porte et tourne la tête en arrière (p. 156). Un clerc le pousse d’une main et lève son autre main fermée dans un cas au-dessus de la tête comme s’il s’agissait d’une menace physique, dans l’autre cas à une certaine distance, ce qui rend le geste plus symbolique. L’homme expulsé n’est pas tonsuré. 11 s’agit d’un laïc. Au contraire, le personnage du Décret porte l’habit monastique, qui contraste avec la tenue des autres clercs. Ce moine n’a pas l’attitude de la fuite. Il a les deux mains pendantes en pronation et la tête inclinée. Un clerc lui tient le bras droit, comme pour entraver ses mouvements. Un autre clerc lève sa main fermée au-dessus de lui. On l’empêche de, on lui refuse et interdit de. Cette représentation correspond au texte de la Causa XVI. Après avoir eu en sa possession une paroisse pendant quarante ans, un moine se la voit retirer par le clergé séculier.
154-157 154 - Expulsion d’un office Gratien, Décret, Causa XVI, XIIIe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 341, fol. 197v(p. 161, 191). 155 - Des legs sous condition Digeste de Justinien, Livre XXXV, XIIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 394, fol. 198v (p. 146). 156 - Juge séparant un homme et une femme adultère Gratien, Décret, Causa XXXIII, XIIIe siècle. Autun, bibl. mun., ms. 80, fol. 227v (p. 226). 157 - Évêque séparant l’homme et la femme dont il déclare le mariage nul Digeste de Justinien, Livre XXIV, XIIIe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 394, fol. 4 (p. 102, 226, 232).
158-162 - Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, troisième quart du XIVe siècle. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 1126 Au cours de la promenade matinale qui commence son récit, l’auteur du Roman de la Rose se trouve face à un grand mur crénelé. Sur ce mur sont peints des portraits qu’il décrit longuement. Il y a là Haine, Félonie, Vilenie, Convoitise, Honte, Envie, Tristesse, Vieillesse... Guillaume de Lorris accumule les expressions suggestives et multiplie les adjectifs pour caractériser le vice incarné par chacun des personnages. L’illustrateur du manuscrit conservé à la bibliothèque Sainte-Geneviève a traité l’une après l’autre ces différentes figures. On devine l’intérêt de la comparaison des formes d’expression littéraire et picturale. On s’en tiendra ici à quelques remarques. L’imagier simplifie et schématise la représentation. Là où le poète diversifie les compor- tements, l’enlumineur résume le portrait en une situation et quelques relations typiques. A propos de Convoitise (160), le poète parle de prêt à usure, de vol, d’héritages détour- nés. Il évoque les larrons et les ribaudiaus, les tricheors, les faus pledeors. Il ne précise qu’un trait physique de Convoitise Recorbelees et crochues avoit les mains icele ymage (v. 188-189) Dans l’image, une étoffe suspendue à une barre et un coffre représentent symbolique- ment toutes les richesses désirables. La femme assise de face tourne le buste et la tête, ce qui montre l’orientation et la tension de son désir. Elle désigne d’une main les biens et son autre main, crochue, placée sous la tête penchée, montre la douleur qu’elle éprouve de ne pas les posséder. La représentation d'Envie (162) ne diffère de celle de Convoitise que parla nature de ce qui est à l’origine du désir contrarié et de la douleur. On convoite quelque chose et on envie quelqu’un. Dans le portrait d’Envie l’imagier a remplacé l’étoffe et le coffre par un couple d’amoureux. Le texte insiste sur les plaisirs qu’éprouve Envie Quant el voit grant desconfiture sor aucun preudome cheoir... (v. 242-243) quant el voit aucun grant lignage decheoir ou aler a honte... (v. 246-247) et sur son irritation lorsqu’il arrive quelque bien à autrui. Il la peint cruelle ét isolée, sans véritable parent ni ami. Les cinq derniers vers, sur cinquante cinq, font allusion au regard qu’elle porte sur les autres ainz clooit un oil en desdaing, qu’ele fondoit d'ire et ardoit quant aucun qu’ele regardoit es toit ou preuz ou biaus ou genz ou amez ou loez de genz. (v. 286-290) On ne voit pas trace de colère dans l’image, qui donne de l’Envie une analyse psycholo- gique identique, mais sous une forme et dans un langage différents. Le texte s’en tient à la description du visage et de l’habillement de Hayne ( 159). L’image reprend certains de ces traits, mais définit la haine comme une relation avec autrui en plaçant face à la figure allégorique la personne qu’elle déteste.
158-162 158 - Tristesse pourtraite fol. 3v (p. 412,452,128, 141,180,217). 159 - Hayne pourtraite fol.2(p. 138, 185, 2293). 160 - Convoitise pourtraite fol. 2v (p. 462, 783, 99, 125, 141, 150, 184). 161 - Avarice pourtraite fol. 2v (p. 40,46, 783,99, 166). 162 - Portrait de Envie, fol. 3 (p. 40,462,99, 125, 141, 150, 165, 184).
163-166 Kornulus et Remus consultent les augures. Fite-Live, Histoire romaine, traduction française de Pierre de Bressuire, seconde moitié du XIVe siècle. Bibl. Sainte- Genevieve, ms. 777, fol. 7 (p. 15, 151 166) 164 - Les barons de France discutent pour savoir à qui le gouvernement du royaume seroit commis. Ils reconnaissent Philippe VI de Valois. Grandes Chroniques de France, premier quart du XVe siècle. Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 783, fol. 353v (p. 125, 209). 165 - Saint Jacques en pèlerin, suivi d’un disciple qui essaie de l’imiter Postilles sur les Épîtres, XIVe siècle. Bibl. Mazarine, ms. 168, fol. 139 (p. 51,692). 166-La Sagesse présente ses sept filles, abritées sous son manteau, au comte Gaston Phébus. Barthélémy l’Anglais, Livre des Propriétés des choses, traduc- tion provençale anonyme, vers 1350-1355. Bibl. Sainte- Geneviève, ms. 1029, fol. 8v (p. 53, 170, 214).
167-170 167 - Le roi Philippe Auguste fait paver les rues de Paris et clore de murs le bois de Vincennes, fol. 69v (p. 414, 80, 99, 236). 168 - Premier dauphin de France, le futur Charles V reçoit les hommages des Viennois, fol. 93v (p. 208). 169 - Hommage du roi de Navarre, Charles le Mauvais, au roi de France Charles V, fol. 103 (p. 208). 170 - Le prévôt de Paris, Hugues Aubriot est accusé d’hérésie par l’évêque, fol. 11 lv (p. 167,217). 167-170 - Bernard Gui, Fleurs des Chroniques, fin du XIVC siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 677. Les vignettes qui illustrent ce manuscrit traitent avec une grande sobriété les sujets les plus divers. L’imagier simplifie et résume les scènes en conservant à la relation sym- bolique une place essentielle dans la signification, alors que les personnages et les autres éléments sont figurés de façon plus réaliste qu’au siècle précédent, en apparence au moins. Seul le texte, dont l’image reste très proche, permet d’identifier les lieux et les personnes. Là où l’image dit (167) : un roi donne l’ordre - de paver une rue - et de faire un mur autour d’un bois, le texte permet d’ajouter : Philippe Auguste, Paris, Vincennes. L’image dit (170) : un évêque désigne (accuse) - un personnage qui va contre la vérité (hérétique) - devant le peuple assemblé, le texte permet d’ajouter : l’évêque de Paris, Hugues Aubriot prévôt de Paris.
171 171 - Destruction de Troie - Départs d’Énée, de Turtus et d’Helenus Chronologie universelle, rouleau du début du XVe siècle. Orléans, bibl. mun., ms. 470 (p. 142,76,237). La Chronologie universelle conservée à Orléans, comme un certain nombre d’autres manuscrits appartenant à la même famille, est illustrée de médaillons circulaires qui ponctuent le déroulement de l’histoire du monde. Us représentent des scènes ou des figures qui ont fait et marqué l’histoire. Les imagiers ont traité ces enluminures avec une sobriété telle qu’elles n’expriment qu’une idée principale dont les éléments secon- daires, lorsqu’il y en a, ne font que compléter le sens. La destruction de Troie est suggérée par quelques gerbes de feu disposées comme des symboles au sommet des édifices. La puissance massive des remparts, les nombreuses maisons serrées les unes contre les autres et les deux tours de très large diamètre donnent l’impression d’une cité considérable, forte et imprenable. Il suffit de quelques flammes pour signifier son anéantissement. L’illustrateur n’a représenté ni attaquants ni défenseurs, ni incendiaires, ni pillards, ni massacres. Les trois chefs militaires qui fuient la ville de Troie sont situés dans le diamètre vertical des médaillons. Leur taille est sans commune mesure avec celle des personnages dont on ne voit que les casques, exprimant de façon symbolique la quantité. Les navires, de meme forme, même dimension et même situation par rapport à un fond conventionnel, ne naviguent pas. Leur présence a une valeur purement symbolique.
172-175 172 - Saint Jacques en pèlerin, suivi de deux hommes qui tentent de l’imiter. Livre d’heures, XVe siècle. Saint-Calais, bibl. mun., ms. l,fol. 152 (p. 51,692, 103, 156). 173 - Sainte Catherine d’Alexandrie tenant ses attributs, le livre et l’épée, à ses pieds l’empereur Maxence qui l’a persécutée. Ibid., fol. 166v. 174 - Bataille d’Auray, Bertrand du Guesclin est fait prisonnier et Charles de Blois tué. Jean Froissart, Chroniques, début du XVe siècle. Besançon, bibl. mun., ms. 864, fol. 250v (p. 692, 191). 175-Bataille de Tibériade, Gui de Lusignan est fait prisonnier par Saladin. Guillaume de Tyr, Histoire d’Outremer, traduction, XVe siècle. Amiens, bibl. mun., ms. 483, fol. 135 (p.692, 191).
176 176 - Charlemagne donne l’ordre de construire une église, construction de l’église. Grandes Chroniques de France, vers 1420. Toulouse, bibl. mun., ms. 512, fol. 96 (p. 39,414,463, 53, 692,73,784,80, 151, 166,236). Ce sujet a été traité dans les Grandes Chroniques de France de Saint-Denis (116). Comme à la fin du XIIIe siècle, on trouve dans cette représentation du XVe siècle le personnage qui ordonne la construction, les bâtisseurs, l’édifice dont la construction est en partie réalisée et le saint personnage en l’honneur duquel il est élevé. Mais dans le manuscrit de Saint-Denis les ensembles sont alignés de gauche à droite, sur un fond conventionnel uniforme. Ici ils se répartissent dans un espace tridimensionnel où les éléments qui enrichissent l’énoncé de l’idée ne manquent pas. Une lecture correcte de l’image doit faire la part de ce qui est figuration réaliste et la part des procédés du langage iconographique traditionnel. Parmi ceux-ci on relèvera en particulier l’utilisa- tion des dimensions relatives pour mettre en valeur la qualité et la dignité des hommes. L’empereur Charlemagne est de beaucoup le plus grand des personnages, bien qu’il soit situé en arrière-plan. Les deux hommes qui suivent Charlemagne ont une taille intermédiaire entre la sienne et celle des ouvriers. Mais les outils de chaque artisan ont des dimensions proportionnées à sa taille. L’édifice est miniaturisé de telle sorte qu’il permette la mise en valeur des activités et des relations des hommes. C’est là une pratique constante qui ne disparaîtra progressivement que dans la seconde moitié du XVe siècle. Néanmoins l’imagier a soigné dans le détail les éléments et les décors d’architecture qui, à une échelle réduite, reproduisent les réalisations de son époque. Il n’en était pas de même au XIIIe siècle.
177 177 - Bertelas le Viel jure sur les Saintes Écritures que ceste Genievre fut espouse au roi Artur, l’autre reine, la fausse Genièvre est démasquée. Livre de Messire Lancelot du Lac, début du XVe siècle. Bibl. de l’Arsenal, ms. 3479, fol. 606 (p. 174, 217). Cette illustration est si riche d’éléments et de relations signifiantes qu’elle donne connaissance de l’essentiel de l’histoire sans que l’on ait besoin de recourir au texte, si ce n’est pour préciser le nom des personnages. Un roi est assis. Devant lui un homme à genoux pose une main sur un livre. Il prête serment sur les Ecritures. Derrière lui il y a deux reines. L’une tient la main droite levée et ouverte, geste d’acceptation (p. 174). L’autre croise les bras baissés, les mains en pronation rejetées vers l’intérieur. Cette attitude implique la contradiction, le mensonge, l’hypocrisie. Derrière elle se tient un homme de profil, sans doute est-il partisan de cette fausse Genièvre qui va être démasquée par Bertelas le Viel. La similitude des visages des deux femmes permet, comme leur couronne et leur vêtement, de préciser la nature du serment demandé au personnage agenouillé.
178 178- Combat de deux chevaliers Quête du Graal, début du XVe siècle. Dijon, bibl. mun., ms. 527, fol. 66v (p. 481). Ce combat de deux cavaliers en pleine campagne ne serait qu’un affrontement banal, présentant peu d’intérêt pour l’étude iconographique, si deux relations ne méritaient de retenir l’attention. La première, de moindre importance concerne les dimensions. Les trois arbres du premier plan ont la même hauteur que ceux, en tous points sem- blables, qui sont représentés en arrière-plan. C’est dire qu’ils paraissent tout petits devant la masse impressionnante des chevaux et de leurs cavaliers. Mais cette dispro- portion affecte peu la signification de l’image. Au contraire le fait que le cavalier vaincu soit représenté en pleine chute, disparaissant derrière son cheval les pieds en l’air, alors que son adversaire se précipite la lance pointée, présente une invraisemblance que seule une relation conventionnelle signifiante peut expliquer. L’imagier a représenté simultanément la cause et l’effet, il a contracté le temps, assemblant dans une même image des épisodes qui se succèdent dans la réalité. Ce procédé a été très souvent utilisé dans les siècles antérieurs (15,41, 103; p. 70). Mais on peut aller plus loin dans la lecture de l’image. En dissociant ainsi les temps d’une action, l’illustrateur peut figurer l’un des personnages dans une position signifiante. Ici la posture du chevalier les jambes en l’air est ridicule. Elle rappelle celle d’un autre chevalier du même manuscrit (115 H), et d’une façon générale les personnages en état de chute ou de déséquilibre (p. 123). Une valeur morale s’attache donc à cette scène.
179 179 - Translation du corps de saint Julien Missel de Philippe de Luxembourg, fin du XVe siècle. Le Mans, bibl. mun., ms. 254, fol. 65v (p. 142, 48 >,98). Comme plusieurs autres enluminures de ce riche manuscrit cette illustration de la translation du corps de saint Julien témoigne de la lenteur avec laquelle se sont opérées les transformations iconographiques. Elle conserve des structures et des relations conventionnelles signifiantes, mais son décor assez réaliste est peuplé de personnages bien campés. Les cavaliers qui conduisent la litière sur laquelle est étendu le corps du saint franchissent chacun une porte. Le premier sort d’un lieu, le second entre dans un autre lieu, la ville du Mans. Saint Julien est allongé bien horizontalement, au milieu de l’image, au-dessus d’un cours d’eau, qui selon toute vraisemblance ne peut être que la Sarthe, franchie à gué. L’un des cavaliers est presque de face, l’autre tourne le dos. Cet irréalisme des situations et des positions est d’autant plus signifiant que les éléments de la représentation sont mieux dessinés et identifiables. Les contractions de l’espace et du temps permettent de figurer le corps de saint Julien en présentation au centre de l’image, alors que la litière est en mouvement, et de situer entre des portes sans murailles, au centre de l’image également, un groupe de religieux et de laïcs. Le corps du saint est d’une dimension réduite par rapport à celle des cavaliers. L’explication de cette relation est sans doute à chercher au niveau des nécessités de composition et non sur le plan de la signification.
© Copyright « Le LÉOPARD D’OR », 1982 ISBN 2-86377-014-4 2e édition