Text
                    lumière naturelle: celle-ci, par réf1e-
xion sur le sol sableux et les rochers
environnants, a pour résultat de colo-
rer l'abri où se trouvent les peintures
en jaune orangé, de nuances et d'in-
tensités différentes détruisant toutes
les teintes bleue, verte, grise ou blan-
che. Par accoutumance, l'œil perçoit
ces teintes; au contraire, le film en
couleurs restitue fidèlement la domi-
nante jaune qui fausse l'ensemble. Il
fallut donc utiliser pour les prises de
vues en couleurs une lumière de tem-
pérature de couleur étalonnée, diffusée
par de puissantes lampes flash-ma-
gnésiques, montées dans des réflec-
teurs d'un matériel léger d'éclairage
de studio.


Le public familiarisé avec les célèbres
peintures du Tassili n'Ajjer, grâce aux
copies qui en furent faites, attendait
que lui fût enfin offert un ouvrage
contenant, non plus des relevés qui,
si précis soient-ils, ne sont qu'un
reflet des œuvres elles-mêmes, mais
des photographies directes. Le pré-
sent ouvrage comble cette lacune.


Il va sans dire que chacune des photo-
graphies exécutées avec un leica fut
prise selon un axe propre aux figures
qu'elle représente et qu'il ne peut
y avoir de déformations optiques qui
ne soient également sensibles à l'œil
qui les contemple directement sur la
paroi.


Son auteur, J.-D. Lajoux, au cours
d' uns é j 0 u r au Sa h a ra en 1957, avait
appris sur le terrain la géographie du
Tassili et relevé l'emplacement de
nombreuses peintures rupestres. Il
lui fallut franchir de multiples obs-
tacles pour mener à bien son projet
de les photographier. Retourné au
Sahara en 1961, il eut le cou rage de
s'aventurer seul, sans la moindre
escorte, au milieu du désert, aux prises
avec mille difficultés, transportant
avec lui un important matériel photo-
graphique.


L'auteur a suivi dans la présentation
des peintures un ordre chronologi-
que; toutefois, quelques écarts ont
été volontairement adoptés: ils per-
mettent de confronter deux ou plu-
sieurs œuvres d'époques différentes.


Nous avons conscience d'offrir au
public un ouvrage qui sera pour lui
une véritable révélation, celle d'une
des œuvres d'art les plus magistrales
conçue par l'homme.


La photographie pose là-bas des pro-
blèmes difficiles, tout particulièrement
la photographie en couleurs. Il est en
effet exclu d'utiliser pour cela la



DITIONS DU CH£NE
EXCLUSIVIT
 HACHETTE





A ma femme MERVEILLES DU TASSILI Nil AddER
.lEAN-DOMINIQUE LA.lOUX MERVEILLES DU TASSILI N'A.I.lER Avant-propos de ANDRÉ LEROI-GOURHAN Professeur à la Sorbonne Directeur de l'Institut d'ethnologie Etude de FRANK ELGAR BDITIONS DU CH-=NE PARIS 
Zone dscniql1e :':::::::::;\i}::::":"::,::,::::::::::::,::"" '::.:.:::' ". --- --- . . ...... .......... ::':':':':':':':'::::::r:t:::::::::f::. . . ..::: .' , ; . ",', . ,.' 1 l ,';11 AS SI LI,.. r :i \\>' .".., ' N ' ... .. ER . 1: } ,r. ,;. ,."" . . ";;:I: " ,., J" . .""nt... HOGGAti Î"') , "'. .. , \"'::f::'" ",{ .ADRAIJ 1 .} l" , "'AIR .' , '.,:( . ..... ENNEDI '. ,";'......... . " .....' :.'.....,..",::.? )f!!lilll. .J : 1 Savane : 1 1 s (c p pe Au mi lieu de ce qui est maintenant un désert, les principaux massifs montagneux constituèrent des lieux habités, au néolithique. La plupart d'entre eux renferment des sites d'art préhistorique, et le Tassili est, à l'heure actuelle, le plus important et le plus riche de ceux-ci. Voir à la suite de la page 194 le dépliant contenant les cartes des sites à peintures. 
Avant- propos On doit aux missions d'Henri Lhote d'avoir fait comprendre au grand public l'existence d'un art saharien; on doit à J,-O. Lajoux de l'avoir fait toucher dans sa véritable substance artistique. Si fidèles que soient le dessin ou la gouache, ils sont impuissants à restituer la saveur intime du document, surtout du document pariétal et s'il faut rendre un juste hommage à l'énorme documentation patiem- ment élaborée par les équipes de copistes successives que Lhote dirigea au Tassili pendant quinze ans, il convient de saluer celui de ses anciens équipiers qui a mis son grand talent photographique au service de la vision directe des œuvres d'art tassiliennes, La perfection atteinte par les émulsions et par la reproduction per- met maintenant de porter directement la paroi sur la table du lecteur, de déli- miter les superpositions de figures, de faire même apparaÎtre l'invisible à l'œil, La chronologie des œuvres sahariennes est encore très incertaine et J,-O. Lajoux s'est fondé sur les quatre périodes admises " celle des figures blanches, celle des pasteurs bovidiens, la période du cheval et celle du chameau; il a su insister sur le fait que, cette succession établie, on ne sait encore pas avec précision ni comment les périodes s'enchaÎnent, ni à quelles époques elles correspondent exactement. Cette ignorance paraÎtra peut-être au lecteur moins scandaleuse s'il lui souvient qu'il a fallu plus d'un demi-siècle et de très nombreuses fouilles pour dater avec une certaine précision les grottes décorées de France et d'Espagne, encore sont-elles, pour certaines, l'objet de discussions. Les fresques du Tassili nous apparaissent sans autre contexte archéologiq ue comme la preuve qu'un Sahara couvert de savanes a été habité depuis la plus lointaine préhistoire jusqu'à l'aube des temps actuels. Leur contenu est le seul guide qui puisse nous conduire, son témoignage est laconique mais cohérent. Les peintures à dominante blanche, placées sous les figures à dominante ocre, comportent beaucoup d'animaux sauvages et des bœufs, les peintures à l'ocre groupent énormément de bœufs et des animaux sauvages; elles se raccordent avec les peintures à chevaux attelés; les chameaux ferment le cortège avec les inscriptions récentes. Tout ce qu'on peut interpréter chronolo- giquement des œuvres tassiliennes se déroule apparemment entre l'apparition des 5 
premiers pasteurs de bœufs et l'époque actuelle. Assigner une date précise à l'apparition du bœuf domestique au Tassili est parfaitement illusoire pour le mo- ment,. on peut seulement supposer qu'en 4000 av. J.-C. il ne pouvait guère être parvenu jusqu'au Sahara et qu'en 2000 av. J.-C. il devait déjà être présent. L'as- sèchement progressif de la savane saharienne est un phénomène assez récent et jusqu'à l'Antiquité les conditions d'un élevage bovin se trouvaient réalisées autour du massif montagneux. Abstraction faite de figures plus anciennes qui restent à détecter, l'art tassilien est donc très vraisemblablement l'œuvre d'éleveurs de bœufs appartenant au même grand courant de civilisation pastorale que les Peuls, les Nilotiques ou les Bantous actuels. Comme chez ceux-ci, la chasse jouait un rôle important. Le problème des influences égyptiennes est à poser, mais n'est pas encore à résoudre. Il est certain que l'Egypte a appartenu, comme élément le plus dyna- mique, à cette large civilisation de pasteurs de bœufs dont les nappes successives sont venues s'étaler jusqu'en Afrique occidentale et en Afrique du Sud, mais si l'on emprunte une comparaison à l'Europe protohistorique, l'influence directe de la Grèce archaïque n'est pas sensible dans les populations de l'âge du bronze scandinave, on découvre seulement quelques traits généraux d'identité technique et économique qui donnent le champ aux particularités de chacune des ethnies. Il reste donc à prouver que les Egyptiens sont venus au Tassili,. il n'est pas impos- sible par contre de percevoir dans quelques œuvres tassiliennes l'influence de peuples voisins des voisins des Egyptiens, car il est normal de considérer les pas- teurs du Tassili comme s'étant trouvés sur le bord d'une auréole de civilisation dont le centre touchait la Méditerranée. L'art tassilien est pourtant plus africain qu'autre, sans même considérer le type physique de la plupart de ses acteurs, qui est franchement de race noire, les éléments de coiffure, de parure, de vêtement éveillent constamment des réminiscences dans les peuples actuels au sud du Sahara. Ces réminiscences ne doivent pas conduire à des rapprochements hâtifs avec telle ethnie moderne, mais elles commandent de considérer une part au moins des œuvres tassiliennes parmi les joyaux de l'art mélano-africain. Le sens des œuvres enfin est inconnu et J.-D. Lajoux se montre sagement réservé à cet égard. C'est en effet ne rien savoir qu'avoir la conviction que cet art est « magico-religieux »: ils le sont tous; qu'il répond aux besoins profonds d'hommes angoissés par le mystère de la mort et de la reproduction du gibier et des trou- peaux: ils y répondent tous, l'art paléolithique comme celui des Indiens ou la statue de plâtre de quelque petit saint local, protecteur des veaux dans nos cam- pagnes. Il est donc art, simplement, et pourrait-on dire, par conséquent religieux car on n'en connaÎt guère d'autre au niveau des populations archaïques. Que con- tient-il exactement? Pour répondre il faudrait qu'il ait été étudié en profondeur; or sa découverte est encore très récente et sur ses milliers de figures aucun groupe complet n'a été jusqu'à présent publié. Dire quels dieux ou quel dieu invoquaient 6 
les peintres, quels mythes ils ont résumés dans leurs figures est probablement à jamais impossible, à moins, puisqu'il s'agit d'un art relativement récent, qu'on ne parvienne à les saisir par le reflet des traditions écrites de l'Orient méditerra- néen ou par celui des mythologies africaines actuelles, Tout lien serait-il rompu avec le passé ou le présent qu'on pourrait encore en saisir les grandes lignes par un inventaire complet de chacun des ensembles et par la recherche des associa- tions entre les éléments qui les composent. Cette étude livrerait l'ossature de la pensée religieuse, squelette où l'on reconnaÎtrait les thèmes communs à tous les hommes de la terre.' le couple, la mère et l'enfant, le combat, la faim exprimée dans le gibier et le bétail. Pour banal que soit le résultat, il permettrait de saisir sans doute une évolution des thèmes et des rôles de chacun des acteurs et finale- ment de comparer la peinture religieuse tassilienne aux religions dont l'Europe a conservé les œuvres comme l'ensemble franco-cantabrique auquel appartiennent Altamira et Lascaux, ou l'ensemble du Levant espagnol qui, à première vue, res- semble beaucoup à l'art du Sahara. On pourrait situer l'art tassilien parmi les in- nombrables œuvres rupestres qui couvrent le reste des savanes africaines et le confronter aux milliers de gravures qui depuis l'Arabie jusqu'en Norvège sont apparues entre le néolithique et l'âge du fer, c'est-à-dire au même moment que lui. Mais l'œuvre d'art a toujours deux versants, celui des sciences qui cherchent à exprimer son contenu pour en faire l'aliment de l'histoire ou de la psychologie religieuse et le versant de l'én7otion esthétique. Nous ne saurons jamais rien des beautés de la langue dans laquelle les peintres successifs ont construit leur mythologie, mais le cortège des couleurs et des formes reste pour nous conduire capricieusement dans les détours d'une pensée évanouie, Ces formes sont d'une beauté et d'une personnalité remarquables et certaines de ces œuvres dont l'objec- tif de J.-D. Lajoux a su saisir toute la valeur, mériteront une place de choix parmi les trésors a'e l'art des hommes. ANDRÉ LEROI-GOURHAN 7 
1 ntraduction TAMRIT aysage typique du Tassili. Quelques millénaires se sont écoulés depuis la grande époque du Paléolithique supérieur qui nous a légué des œuvres d'art d'une grandeur incomparable. Le Mésolithique qui lui succède semble plonger l'Europe dans un sommeil léthargique. Pourtant, grâce à des conditions cli- matiques particulièrement favorables dans certains points privi- légiés du globe, une révolution des structures techno-économi- ques va bouleverser les traditions des sociétés humaines ayant jusqu'alors vécu simplement des produits de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Cinq cent mille ans d'évolution technologique ont permis à l'homme d'atteindre la perfection dans le travail de la pierre. Quelques siècles lui suffiront pour faire naÎtre la civilisation agri- cole dont notre propre civilisation n'est qu'un prolongement récent. Sept millénaires avant l'ère chrétienne, l'homme découvre les principes de l'agriculture et de l'élevage, puis rapidement il per- fectionne ses nouvelles techniques, il devient sédentaire, fait de nouvelles découvertes, de nouvelles inventions. La métallurgie, la céramique naissent de la conquête du feu. Elles engendrent le « forgeron », le premier spécialiste dans la société. Au quatrième millénaire, le grain est devenu l'aliment essentiel des populations. De son abondance et de ses possibilités de sto- ckage résulte une importante expansion démographique. Les agri- culteurs se groupent en villages, en « cités », et déjà s'organisent les « classes sociales ». Des cultures s'affirment et accusent leur origi- nalité; des « idoles» aux visages à demi effacés par le temps témoignent de la sensibilité artistique du peuple qui les a conçues. Dans la roche, les civilisations nouvelles sculptent des monu- ments alors que les représentants des tribus de tradition archaïque, en dehors de cette puissante évolution, taillent encore leurs armes dans la pierre. Pour faire face à leurs adversaires qui travaillent le bronze ou le cuivre, et pour combattre l'écart technique qui les sépare de ces nouvelles civilisations, ces peuplades primitives devront réaliser de véritables exploits techniques; elles parviendront à fabriquer des armes de formes et parfois de couleurs semblables à celles des armes métalliques. Ainsi nait une ère nouvelle, l'époque néolithique, l'âge de l'agri- culture. C'est également durant le Néolithique qu'apparaissent les moyens de transport. 9 
Par les pistes et par les mers, la nouvelle civilisation se propage dans le monde. Son influence atteint les populations d'un vaste pays: le Sahara. Aujourd'hui, domaine de l'aridité, cette terre rongée par un soleil brûlant fut, aux temps de la préhistoire, un pays couvert de végéta- tion, habité par des hommes industrieux qui ont laissé les traces de leur existence. En 1931, le comte Bégouen écrivait: « La présence sur toute la surface du désert de silex taillés de type différent est la preuve d'un long habitat. C'est un de ces faits qui frappe le plus le voyageur dans ces régions... » En effet, sur la quasi-totalité de l'espace saharien, des débris de l'industrie de la pierre, de toutes les époques, jonchent littérale- ment le sol. Si l'homme qui a abandonné ces objets n'avait pas laissé ainsi les preuves de son passage, nous ne pourrions pas imaginer qu'il ait pu habiter et vivre dans ce pays actuellement hostile à la vie. Mais son empreinte est restée, non seulement dans la profusion d'outillage et d'ustensiles qu'il nous a laissés, mais aussi dans l'expression de ses « idoles». Celles-ci constituent l'ensemble de gravures et de peintures rupestres le plus impressionnant qui soit dans le monde. Maint rocher qui émerge du sable en porte les traces. Maint abri reflète la fonction créatrice de l'esprit et de la main de l'homme dans des images, gravées ou peintes, dont la lecture est encore pleine de mystère. Dans les massifs du Hoggar et de l'Ennedi, dans ceux de l'Adrar ou des Tassilis, partout, cachées dans la pénombre des abris, elles semblent méditer dans le silence qui les entoure, dans l'isolement où elles survivent. L'étude des pollens fossiles - la palynologie - est venue tout récemment nous apprendre que de nombreux végétaux, aujourd'hui disparus, ombrageaient, de leurs feuillages, un sol fertile. Le chêne vert, le cyprès, l'olivier, l'aulne, le tilleul dressaient leurs silhouettes sous un ciel plus clément. Des prélèvements effectués dans le sol du Tassili, comme ceux effectués dans le Hoggar et dans l'Aïr, confirment, par leur analyse, la présence de cette végétation. Des échantillons de pollen ont pu être datés: 3250 et 2850 av. J.-C., pour ceux du Tassili n'Ajjer, qui étaient de plus associés à quelques ossements de bovidés. Les pollens du Tassili ont révélé la pré- sence de la flore précédemment citée. On la retrouve dans le Tefedet, ainsi qu'à Meniet, dans le Hoggar, où un gise- 10 
ment daté de 3450 av. J.-C. renferme également les ossements du « Bos Ibericus », du « Bubalus antiquus », de sauriens et de poissons divers. Enfin, à 2000 m d'altitude, dans le mas- sif de la Taessa, au Hoggar, un gisement de guano a permis de dater la fin de la période humide au Sahara central (2700 av. J.-C.). Le guano pourrit à l'humidité et son bon état de conservation prouve qu'il s'est accumulé pendant la période d'assèchement des régions situées à une telle altitude. A la lueur des études palynologiques, il apparaÎt qu'une végé- tation méditerranéenne couvrit toutes les régions montagneuses du Sahara central durant des millénaires avant l'ère chrétienne. Le climat de ces régions devait être semblable à celui de l'actuel Atlas saharien. Les auteurs de recherches palynologiques ne manquent pas de souligner l'erreur qu'il y aurait à déterminer les données clima- tiques à partir de gisements de faune fossile (rhinocéros, éléphant...) ou, pouvons-nous ajouter, de représentations rupestres. Les possi- bilités d'adaptation des animaux au milieu dépassent de beaucoup celles de la flore. Ce sont là des faits actuellement bien établis. En vérité, c'est l'homme qui, depuis la période historique, a le plus contribué à la destruction des grands mammifères d'Afrique du Nord; c'est l'homme qui détruit encore aujourd'hui les survivants de cette faune, et les derniers mouflons, gazelles, oryx et autres antilopes sont sérieusement menacés. Il est probable que les régions de faible altitude furent les pre- mières à ressentir les changements de climat, c'est-à-dire un assè- chement progressif du pays. Tout d'abord, au rythme des trans- humances, les populations durent émigrer des régions basses et sèches vers les régions hautes et plus humides; puis, la plaine s'appauvrissant, elles durent se fixer définitivement dans les hau- teurs et autour des points d'eau. Il y eut à l'échelle séculaire un regroupement des populations antiques sahariennes, entraÎnant un brassage de sociétés diffé- rentes mais de souche culturelle commune. Les échanges techno- économiques entre ces populations regroupées furent facilités, provoquant des changements dans les structures sociales et reli- gieuses et des interférences dans les manifestations artistiques. La situation géographique du plateau du Tassili n'Ajjer peut le désigner comme lieu propice au regroupement de populations très 11 
diverses venues du Nord et du Sud. Ces populations vont peu à peu régresser, jusqu'à ce que soit rétabli l'équilibre entre les ressources naturelles, que la sécheresse raréfie progressivement, et le nombre des habitants à nourrir. La supériorité technique des populations venues du nord-est du Tassili, en contact avec les grandes civilisa- tions qui s'épanouissent au Moyen-Orient, leur garantira une immu- nité qui fera défaut aux populations autochtones ou à celles venues du Sud. Le Hoggar verra également s'affirmer la suprématie d'adap- tation au climat des Berbères touareg. Les pasteurs noirs subsisteront néanmoins dans l'Ennedi et aux confins du Soudan; en Afrique occidentale, les Peuls seront les descendants des anciennes populations du Sud saharien. Les hommes qui se fixeront autour des points d'eau devront adopter l'agriculture. Seule cette technique leur permettra de faire fructifier les terres que leur dispense la nature avec parcimonie. Depuis, ces terres sont devenues les « oasis ». Les découvertes archéologiques confirment que le Sahara fut habité de tout temps. Les populations anciennes qui y vécurent présentaient vraisemblablement une certaine homogénéité cultu- relle, non seulement par leur niveau technique, comme le montre l'outillage, mais aussi par leurs moyens d'expression, dont l'art pariétal, gravures et peintures, est un témoignage frappant. Un art est né au Tassili. Un art qui n'a sa source nulle part ailleurs. Les influences étrangères que l'on croit déceler dans l'art tassilien sont simplement dues à un phénomène dit « de convergence», déterminé par la structure génétique de la sève qui le vivifie. Pui- sant aux mêmes racines, elle porte en elle les gènes identiques à ceux qui, ailleurs, engendrent tant l'art égyptien que les arts d'Afrique noire. Dès leur naissance, les cultures et la civilisation qui les exprime évoluent dans le sens qui leur est propre, selon un rythme particulier à chacune, et découvrent peu à peu leurs exi- gences, leur originalité. De temps à autre apparaÎtra simultanément un trait commun dans l'une et l'autre des civilisations qui portera à croire à quelque influence, venue de l'Est ou d'ailleurs. Pour le moment, il nous est encore impossible d'affirmer l'antériorité d'une de ces cultures par rapport à l'autre, et il semble plus sage d'attendre qu'un certain nombre de données archéologiques attestent des dates précises pour délimiter le jeu des influences réciproques, dans le cas où cela se serait produit. 12 
L'évolution d'une civilisation n'est pas commandée seulement par les influences subies au contact de civilisations différentes et voisines, mais encore et surtout par des conditions internes. Or l'évolution de cette civilisation c'est aussi l'évolution de ses formes d'expression. Ainsi en Egypte, des conditions climatiques locales permettent aux dynasties d'entreprendre leur prodigieuse ascension, le Nil pourvoit le pays en limon fertile et en eau que les cieux refusent alors au Sahara. Sur le Tassili n'Ajjer, l'art rupestre s'élabore lentement et ce sont les contingences climatiques qui arrêteront son développe- ment. Les styles évoluent selon une courbe dont le sommet se situe à l'époque des premiers symptômes de dessèchement, soit approxi- mativement entre 3000 et 2500 av. J.-C. En premier lieu, les peintres semblent rechercher une efficacité magique et symbolique, expres- sions d'un état de sensibilité qui se cristallisent dans une peinture au tracé brut, monumental, imprégné du mystère du rite auquel il obéit. Puis, l'habilité manuelle qu'il acquiert peu à peu amène l'artiste à une figuration plus précise, plus naturelle. Ce qu'il perd en efficacité symbolique, H le gagne en représentation naturaliste. La perfection est atteinte à l'époque oÙ le cheval apparaÎt dans les œuvres pariétales. Enfin, les conventions stylistiques qui défi- nissent cet art dégénèrent par affaiblissement de l'imagination créatrice. Il en résulte une schématisation dans le dessin. La figura- tion se rapproche du signe. L'écriture, nouvel instrument de domi- nation, de progrès, de puissance, naÎtra de la fonction du signe, et c'est elle qui désormais permettra d'assurer l'autorité des dieux et des hommes. Sur le Tassili, les Berbères, profondément imprégnés par les mœurs des autochtones du Sahara antique, seront les héritiers de cette évolution artistique. A l'appel de l'Islam qui, vers 700 ap. J.-C., introduit la langue et l'écriture arabes, tout ce passé grandiose tom- bera dans l'obscurité et l'oubli. Seul le glyphe, le signe magique dont le Touareg a perdu le sens originel, vivra dans les caractères de l'alphabet tifinar. Néanmoins, la signification magique de ces signes n'est peut- être pas totalement oubliée. Elle transparaÎt, malgré une inévitable évolution, dans les marques que les pasteurs peuls apposent sur les animaux de leurs troupeaux. « Koumen », le texte initiatique des pasteurs peuls, se présente comme le récit du voyage mythique que le pâtre doit effectuer par étape pour accéder à la sagesse 13 
suprême. Le bovidé apparaÎt comme étant la divinité mythologique d'un rituel complexe dont le but essentiel réside dans la perpétua- tion de la race humaine et animale. C'est pour assurer leur protection que les animaux, après leur naissance, sont marqués au fer rouge, à une époque déterminée par l'oracle, ou, dans d'autres tribus du Niger et du Cameroun, ont l'oreille incisée. Ces marques au fer rouge dont quatorze sont actuellement connues, par leur fonction symbolique, ressemblent étrangement aux glyphes antiques et aux signes des peintures ru pestres. Est-ce une évolution logique ou une simple coïncidence? C'est peut-être là une preuve de la permanence des sentiments religieux et de ses moyens d'expression à travers le temps, l'espace et les influ- ences diverses. Cette puissance des croyances primitives, héritées du fond antique saharien, s'exerce encore parmi les populations actuelles du Sahara. Ainsi dans le Tassili, les deux abris de Tin Tékelt et de Ouan Assahor dont les parois présentent une gravure ancienne, pro- fonde et polie de pied humain que les Touaregs Ajjer continuent d'oindre de beurre et de lait de chèvre. Plus que les hommes, ce furent leurs techniques matérielles qui voyagèrent et ce sera l'avènement des moyens de transport qui libérera le primitif quel qu'il soit du sol où il est attaché. Jusqu'alors il tourne en rond dans un pays dont il connaÎt tous les secrets et les moindres accidents. Selon ses besoins et ses possibilités, il tire parti de toutes les ressources qui l'environnent. Dans son pays, ses mythes, ses légendes, sont évoqués par telle montagne, telle source, tel arbre, tel rocher. Ses ancêtres morts y vivent encore, il ne doit pas les laisser, il ne veut pas les abandonner, il ne peut pas quitter ce sol pour aller à l'aventure dans ce qu'il croit être ailleurs le « bout du monde ». Ainsi, alors qu'il accrochait son univers olympien aux murs de la montagne, l'antique Saharien, sentant le sol se dérober sous ses pieds, s'y agrippa désespérément jusqu'à ce que, ses ongles arra- chés, il dut lâcher prise et retomber dans le néant d'où il était sorti. J.-D. LAJOUX 14 
L'art du Tassili 1 2 Puisqu'il m'appartient de commenter la manière dont furent exécu- tées les gravures et les peintures rupestres du Tassili, d'essayer de définir leur inspiration et les moyens employés pour la traduire plastiquement, force m'est bien dès à présent d'avouer mes hésita- tions et mes doutes. Les hommes du Sahara, en effet, ignoraient absolument l'esthétique ou la science du beau. L'art, ou plutôt la valeur d'art, n'avait guère pour eux de signification. En d'autres termes, ils faisaient de l'art sans le savoir, les figures qu'ils tra- çaient sur les roches ayant, dans leur esprit, une efficacité magique, nous dirions plutôt aujourd'hui pratique, fonctionnelle. A tout le moins, cette remarque liminaire s'applique-t-elle aux représenta- tions les plus anciennes, incontestablement nourries de sentiment mythique ou religieux. Voyez, par exemple, les personnages énig- matiques ainsi que les emblèmes et les symboles indéchiffrables des pages 52,55 et suivantes*1, ces monstres à tête ronde dressés sur leurs jambes massives, ces sortes de sorciers affublés d'un masque, le corps recouvert de tatouages de divers ornements. Voyez encore cette farandole de gnomes étranges, emportés en un mou- vement éperdu tout au long de la paroi d'un abri dont ils épousent si bien l'architecture naturelle (p. 68 et 69)*2. Ces êtres, qu'on pourrait croire enfantés par l'imagination de quelque visionnaire appar- tiennent vraisemblablement à un répertoire sacré, à une icono- graphie dont le sens nous échappe, mais dont la vigueur et la rudesse d'expression, si sommaire que soit le dessin, retentissent dans notre sensibilité. On s'explique mal, au surplus, la présence sur les falaises du Tassili de signes déjà repérés sur les peintures rupestres de l'Atlas, du Fezzan, de Libye et même du Levant espagnol: méandres, cercles, croissants, chaÎnes de points, empreintes de main hu- maine. Les relations de l'art naturaliste saharien avec celui du Levant espagnol, comme avec l'art pariétal des autres gisements du Continent noir posent un problème qui attend encore sa solution. Toujours est-il qu'on trouve dans ces régions, si éloi- gnées l'une de l'autre, si différentes par le style de leurs figurations, des sujets à peu près semblables: cérémonies, incantations, scènes de guerre, de chasse, de la vie quotidienne, traitées d'une façon narrative et dynamique. Presque partout, à l'entrée des cavernes ou des abris, apparaissent distinctement des archers courant, des silhouettes de femmes dansant, des représentations de la faune sauvage ou domestique, tout cela exécuté avec une tendance à la 15
schématisation de plus en plus marquée. Ici et là, il est aisé de découvrir des conventions stylistiques communes: bubales, bœufs, antilopes figurés de profil, tandis que les cornes sont vues de face. Les hommes et les femmes assis, les bras écartés, des pages 120 et 121*3, étaient déjà sur les roches du Fezzan. La composition par registres superposés (p. 127, 156, 159) répète celle des peintures de Nubie, de Hierakonpolis, de Rhodésie méridionale et d'Espagne orientale. Sans doute, ces similitudes relèvent-elles d'une même tradition. Il semble, en effet, que les divers arts rupestres africains aient été soumis à des lois d'évolution identiques. Le dessinateur ou le peintre exprime d'abord des intentions magico-religieuses par des formes élémentaires, un trait abréviatif et appuyé (p. 43, 45, 50, 56, 58, 64) où l'être humain et l'animal accusent l'indifférence au réel *4. Puis il éprouve le besoin d'exercer son habileté et de rendre compte de ce qu'il voit. Cette phase naturaliste est suivie d'une tendance à la simplification et à l'abstraction. S'écartant du modèle, l'artiste réduit les formes à des figures allusives, à des schémas, à des signes (p. 187, 189, 190). A la réalité perçue par les sens se substitue une réalité nouvelle reflétant les structures mentales. De l'acte rituel de l'artiste préhistorique, on passe, quand la société est par- venue à un état suffisant d'organisation et de stabilité, à la commé- moration du vécu et, de celle-ci, à l'écriture pictographique. Comme en Europe occidentale, les thèmes changent avec le développe- ment de l'état social. A l'homme s'adonnant aux pratiques de la sorcellerie succèdent le guerrier, le chasseur, le pasteur, l'éleveur, l'homme engagé dans la vie collective et familiale. L'artiste, qui s'intéressait d'abord à la forme brute, rudimentaire (p. 45, 46, 53) se souciera ensuite du geste, de l'attitude, du mouvement, de l'être en action (p. 95, 97, 134, 152, 158, 163)*5. La révolution accomplie est également perceptible dans les procédés techniques: le contour qui cerne durement les masses s'affine, disparaÎt, fait place à la tache, à l'aplat de couleur, en sorte que les hommes et les animaux apparaissent en ombres chinoises sur le fond de la roche. Ces analogies une fois notées, il convient d'insister sur les carac- tères propres et sur l'originalité de l'art rupestre du Sahara central. Les premières images de ce livre montrent que l'homme de la période archaïque utilisait de préférence la couleur blanche, soit exclusivement (p. 54, 73), soit en connexion avec l'ocre violacé ou jaune. Dans ce dernier cas, tantêt la forme claire est enfermée dans 3 4 5 16 
8 un contour foncé (p. 55, 56, 59) *6, tantôt c'est le contour qui est blanc tandis que la forme est sombre (p. 75/77)*7. Du contraste desdeuxtons, le peintre tire des effets qui surprennent par leur valeur picturale: jetez un coup d'œil, par exemple, sur les personnages masqués des pages 66, 67, 78. On s'est émerveillé, après l'abbé Breuil, de la fameuse Dame blanche, découverte à Brandeberg, parmi les pein- tures sur rocher des Bushmen. Avec quels mots exprimerons-nous alors notre admiration pour le chef-d'œuvre reproduit en page 77? Cette danseuse cornue, somptueusement parée, a le corps peint en vert, parsemé de pointillés blancs, qui indiquent sans doute des scarifications. Des brassards et de la ceinture pendent de fins réseaux de fibres blanches qui accentuent le mouvement de la danseuse. La position des jambes pliées, l'ondulation gracieuse des bras et la contre-courbe des cornes, l'harmonie de l'ensemble nous mettent en présence d'un art consommé. Rien n'y manque: l'élégance suprême de la ligne, l'équilibre des proportions, le rythme graphique et coloré, la composition elle-même, pleine d'intelligence. Il est difficile de croire que, dix mille ans avant Matisse, un homme s'est montré capable d'exécuter cette peinture exquise. Vous remarquerez les petits personnages en surcharge qui entourent la danseuse. Les roches ornées du Tassili nous offrent bien d'autres sujets d'étonnement. Tels les hommes et les femmes assis, dans des poses abandonnées, des pages 120 et suivantes. Loin d'atténuer leur naturel, les déformations ne laissent pas, au contraire, de l'accuser. Rien n'est inutile, rien n'est gratuit dans ces émouvantes silhouettes. On en a trouvé bien d'autres, dans des attitudes infini- ment variées: personnages se livrant aux plaisirs de la danse ou de la conversation, occupés à la garde des troupeaux, à la traite des vaches, aux travaux domestiques ou participant aux fêtes tribales, aux cérémonies d'initiation, à des rites pour nous incom- préhensibles. La vie de campement a inspiré des images charman- tes: cette femme tirant par la main son rejeton rétif (p. 131), la scène décrite page 130 où l'on distingue, à l'intérieur d'une hutte, un individu couché qui joue avec un enfant: sur une table on aperçoit son arc, sur le sol une marmite et divers récipients. Pour que la composition soit convaincante, la hutte et ce qu'elle contient sont figurés par un simple trait d'ocre rouge, tandis que les deux femmes et leurs bambins, situés à l'extérieur de l'habitation, sont entière- ment coloriés. Au contraire, l'énigme demeure entière pour l'extra- ordinaire peinture de la double page 124-125*8. Autour d'un cercle 6 7 17 
sont disposées des figures mystérieuses. Dans la circonférence de droite, qui, elle, représente d'évidence l'intérieur d'une case, deux personnages sont assis. Les figures graphiques qui rayonnent autour du cercle central semblent animées d'un rapide mouvement giratoire, auquel participent les formes humaines et animales voisines. Avec leurs coiffures en cimier ou piriformes, les personnages des pages 136, 137, 146, prennent part à une manifestation probable- ment cultuelle. Les pages 148 et suivantes nous font assister à des scènes de chasse et de guerre hallucinantes de vérité. Jamais peintre des temps historiques n'a exprimé la poursuite de la bête et la frénésie des combats (?) avec autant de passion sauvage, l'intrépidité du chasseur et du guerrier (?) à l'aide d'une écriture plas- tique aussi adéquate, aussi persuasive. De la page 150 à la page 165, nous avons une vue cinématique d'épisodes de ce genre: ces archers qui s'avancent en file indienne, qui se mettent bientôt à courir puis, dirait-on, à s'envoler, si grande est l'ardeur qui les emporte et les soulève... *9-10 L'outil à la main, l'artiste participe detout son esprit, de toute sa chair, à la lutte. Il la voit non seulement par l'œil, mais aussi par le regard de l'âme. Il n'est donc pas éton- nant qu'il use d'un dessin à la fois libre et précis, allongeant déme- surément les bras et surtout les jambes des hommes, ce qui lui permet de traduire la violence de l'action et de définir, du même coup, une perspective spatiale. C'est à peu près de la même manière qu'en 1920 Picasso, pour donner l'illusion de la profondeur, étirait délibérément et outrancièrement les membres inférieurs de ses Baigneuses sur la Plage. L'art animalier atteint au Tassili une ampleur, une énergie, un accent incisif et une maÎtrise technique qu'on trouve rare- ment ailleurs sur le Continent africain. On admire le ferme dessin de la page 97*11 et celui de la page 102, où l'exécutant s'est plu à représenter deux bovidés dans le même corps, les innombrables troupeaux qui paissent placidement ou qui trottent devant le ber- ger dont on croit entendre les cris. Les formes, la couleur du poil sont rendus avec une concision qui n'atténue en rien le réalisme du langage. Le peintre s'applique à reproduire les taches et les nuances de la robe. Le poitrail, l'encolure, les articulations, les attaches des membres sont étudiés avec une incroyable sûreté de main. Il en va de même pour les buffles, les mouflons, les antilopes, les girafes, les hippopotames, les rhinocéros, les autruches, voire les insectes figurés sur le roc avec une variété d'expression qui enchante: 9 10 11 18 
12 tantôt l'animal est signifié par la ligne (p. 86) ou la masse (p. 95), tantôt, le contour supprimé, par la couleur étalée en épaisseur (p. 54) ou par des mouchetures (p. 92)*12. Il arrive que des bêtes, dont le manque d'intelligence ou l'allure cocasse prête à la moquerie, inspirent au Saharien des images humoristiques (les autruches de la page 93). Par le seul jeu des lignes et des valeurs, l'artiste du Tassili essaie de donner à ses formes un volume, pour aussi surprenant que cela paraisse. Regardez les antilopes des pages 87 et 88, la girafe de la page 92, les bœufs des pages 106 et 111. Il a également le souci de l'espace, qu'il obtient par une ingénieuse ségrégation des plans: les animaux étant en général représentés de profil, les pattes les plus éloignées du spectateur sont, comme il convient, plus courtes ou moins colorées que les autres. Il est encore fréquent que l'ani- mai tourne légèrement la tête et que ses cornes se présentent frontalement. Lorsque les bœufs sont attroupés, ils s'échelonnent en profondeur, la position de chacun par rapport à celle du voisin étant précisée par des contrastes de couleurs, comme l'indique la planche 103, où alternent les ocres, les bruns, les bleus, les gris, les violets. Quand l'artiste observe les animaux sauvages, l'inspiration l'élève au-dessus de lui-même, sans doute parce qu'il lui faut vaincre maintes difficultés pour fixer l'image de l'hippopotame qui, au moindre bruit, plonge dans les eaux, de l'éléphant qui évente de fort loin la présence de l'homme, de l'autruche ou de l'antilope dont la vélocité passe celle du cheval au galop. Les insaisissables antilopes sont néanmoins reproduites avec une fidélité que l'objec- tif ne peut obtenir, car la main qui grave, dessine, peint, est capable, en exagérant ici un trait, amincissant ou schématisant là une forme, de donner la sensation aiguë de la peur panique. Voyez les gracieuses bêtes gambader, galoper ou filer comme une flèche, dont elles ont pris la forme. Voyez encore avec quel bonheur, uniquement avec quelques lignes et tout un assortiment de points, est figurée la girafe (?) de la page 92. Une vue plongeante nous la montre de dos, le corps de trois quarts et la tête de profil, solidement campée sur le trapèze formé par ses pattes, comme si l'auteur anonyme de cette œuvre admirable avait voulu donner la mesure de son génie en cherchant la solution la moins facile (cf. également les pl. 176-177)*13. Sur le tard, quand les populations du Sahara con- nurent le cheval et la roue, les roches se couvrirent de scènes où apparaissent des auriges conduisant des chars attelés de chevaux 13 -- 19 
fringants (p. 182 et 183)*14. Avec l'apparition du chameau, au début de notre ère, commence la décadence artistique (p. 184 et sui- vantes). L'exécution devient gauche, assez lourde, confuse. La sève créatrice parait s'être tarie en même temps que la contrée se desséchait et que les eaux y cédaient aux sables. Le nomade a remplacé le pasteur sédentaire, le style abstrait va se substituer au naturalisme qui a produit les merveilleux dessins, les grandioses polychromies, les puissantes compositions à étages, les peintures prodigieusement animées dont ce livre offre un saisissant aperçu. L'assurance du tracé, la pureté de la ligne, les justes rapports des proportions et des couleurs, l'ordonnance tantôt exubérante, tan- tôt majestueuse des formes, la beauté des hommes et des ani- maux, représentés avec une telle connaissance de leur anatomie, de leurs réflexes, de leur fonction vitale qu'elle n'a pu être acquise que par le chemin de l'émotion, de l'amour qui relie fraternelle- ment tous les êtres, tout ici contribue à faire notre plaisir. Mais le naturalisme dont il s'agit n'est pas l'imitation servile du réel. Les sensations les plus vives et l'imagination la plus déliée inter- viennent constamment pour interpréter de la façon la plus transpa- rente et la plus chargée de sens les données naturelles. J'ai dit que l'artiste du Tassili n'était pas un artiste, qu'il n'avait aucune notion de ce que nous appelons l'esthétique. On peut pen- ser, en effet, que les couloirs et les abris à peintures furent des lieux sacrés, que l'imagier du mésolithique ou du néolithique confir- mait la situation de son clan dans ce monde et sa destinée dans l'autre, qu'il assurait dans les hommes et les animaux figurés le rite propitiatoire dont les uns et les autres ont besoin quand ils vivent ensemble. Ce faisant, il était irrésistiblement enclin à affir- mer sa personne dans la matière, à extérioriser ses sentiments et ses impulsions. Pour traduire concrètement sa cosmogonie, il a trouvé en lui le mode d'expression le plus seyant, le plus limpide, le plus conforme aux lois de l'équilibre. Voilà pourquoi, si la signi- fication religieuse et sociale de ces peintures résiste à notre besoin de savoir, il nous suffit d'apprécier leur ensorcelante richesse plas- tique et de retrouver, à travers elles, l'individu de chair et d'os que nous sommes. 14 FRANK ELGAR 20 LA PISTE CHAMELIÈRE DJANET-RHAT, DANS L'AKBA (COL) DE TAFELALET Vue prise dans la deuxième Akba - face à une falaise de 300 à 350 m de hauteur. Les deux ânes guidés par un Targui portent le matériel utilisé pour les photographies des peintures. 
LES CYPRÈS DE L'OUED TAMRIT Avec l'olivier sauvage (olea laperrini), les cyprès (cupressus dupre- ziana) représentent les seuls vestiges végétaux de l'époque humide (climat méditerranéen) du Sahara central. Il reste environ cent cin- quante de ces cyprès sur le Tassili. Ils sont âgés de plusieurs siècles et les graines qui tombent sur le sol ne germent plus sur place. 
Une civilisation, c'est un phénomène et c'est par les monuments qu'elle laisse après elle que nous en apprécions la qualité et la grandeur. Elle est d'autant mieux définie qu'elle s'impose à nous selon un style plus impressionnant, plus vivant et plus durable. ELIE FAURE ....-:- - Vaste plateau situé dans la partie orientale du Sahara central, à près de 1500 km des côtes méditerranéennes d'Afrique du Nord, le Tassili n'Ajjer entoure de ses massifs gréseux la masse cristalline des monts du Hoggar. Sur l'immense étendue de ce plateau, arrêté au sud par une falaise de 500 à 700 m de hauteur, sont disséminés de loin en loin de mystérieux ensembles de rochers que la nature a modelés dans les formes les plus capricieuses, et que l'érosion a rendus encore plus tourmentés. L'appa- rition de ces forêts de rochers n'est pas sans provoquer, même sur le voyageur le mieux prévenu, une forte im- pression où l'hallucination se mêle à l'émerveillement, le tragique au féerique. De ces rochers qui se dressent, se hérissent, s'étalent, se gonflent, se bousculent dans les alignements chaotiques, surgissent mille visions fan- tasmagoriques: cathédrales, châteaux légendaires, palais baroques, villes mortes, sanctuaires titanesques, navires échoués, monstres antédiluviens protégés par une épaisse carapace rugueuse, enfin toute une profusion d'images suggérées, un amas de formes brutes dans un espace sans limite, visité seulement par le vent. Toutefois, malgré la crainte des « Djénouns», esprits malins qui hantent ces lieux désolés, des femmes touarègues accom- pagnant leurs chèvres à la recherche de quelques touffes d'herbe ou le chasseur de mouflon s'y aventurent parfois. Le reg, étendue de cailloux plate et noirâtre, qui environne chaque massif de rochers comme la campagne autour d'un village, est pour le Touareg, plus avenant, moins sinistre que ces mystérieux groupes de rochers dont la base érodée ne semble pouvoir les porter que sous l'action de forces malignes. 23 
Les formes monumentales de ces hauts lieux géologiques ins- pirent une inquiétude, une crainte voisine parfois de la vénération. L'étrange est, pour les populations de traditions archaïques, l'in- dice d'une présence surnaturelle. Il est donc facilement conce- vable que des hommes aient pu situer des lieux cultuels, des lieux d'initiation, dans les couloirs voûtés, au cœur de ces laby- rinthes. Ainsi pouvons-nous découvrir aujourd'hui les « idoles» des populations antiques qui jadis habitèrent ce pays. Ce sont plus spécialement les figures bizarres d'hommes masqués ou de mys- térieux symboles qui ornent les parois de quelques abris présen- tant les caractéristiques propres aux sanctuaires, notamment les rochers aux parois largement incurvées, cachés dans les retraits les plus sombres et les plus profonds. Avec les abris de forme simi- laire, isolés en bordure des oueds *, ils constituent le premier type d'abris à peintures que l'on peut distinguer sur le Tassili. Les plus anciennes peintures se trouvent généralement sur les parois de ces « rochers-sanctuaires ». Un deuxième type d'abris *, situé plus particulièrement dans les parties aérées des forêts de pierre, contient des peintures d'un style plus naturaliste, celles des pasteurs à bovidés. Ces abris sont toujours accompagnés d'une murette de pierres de dimensions variables, qui barre les couloirs donnant accès à l'abri orné ou délimite une aire semi-circulaire à sa base. Ces murettes, qui se dé- tachent sur le sol, aident à la découverte de nouvelles stations de peintures. On les aperçoit parfois de fort loin; tel est le cas du site d'Ozanéaré, découvert en 1961, qui offre le plus bel exemple d'en- sembles d'abris ornés ceints de murettes*. Enfin, quelques blocs de rochers isolés en bordure d'un reg donneront asile aux peintures de la troisième école de style sché- matique. Ces abris voisinent généralement avec les pistes chame- lières actuelles. Les peintures correspondent à l'avènement du cheval puis du dromadaire dans ce pays; elles représentent la période la plus récente et annoncent la décadence, puis la dispa- rition de la décoration rupestre: le chameau sonne le glas d'une civilisation, la fin d'un monde. Silencieuses, cachées dans l'ombre des abris, parfois légère- ment éclairées par la lumière du soleil que réfléchit le sable, les peintures rupestres font corps avec la roche, et seul un éclairage propice, à certaines heures du jour, permet de surprendre leur existence. 24 ASPECT DU PLATEAU DU TASSILI N' AJJER Rochers de Idoo non loin de la nouvelle route qui franchit le col de l'Assakao.
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DÉPART DU TROUPEAU POUR LE « PATURAGE» A TIN TEFERIEST Après la traite du matin, la bergère mène ses chèvres au « pâturage ». C'est dans les fonds d'oued que les animaux trouvent de quoi se nourrir. Le monticule de cailloux que l'on aperçoit immédiatement derrière la bergère est un tombeau préhistorique. Le campement abritant la famille est installé dans les rochers, à la lisière de la forêt de pierre. C'est en 1909 qu'un officier, le capitaine Cortier, détecta leur présence et signala la première découverte d'art préhistorique sur le Tassili n'Ajjer. Puis ce furent les découvertes de Lanney, de C. Ki- lian et de Bernard; mais il fallut attendre les années 1930 pour entrevoir l'importance de ce centre saharien d'art préhistorique, grâce aux découvertes d'un autre militaire, le capitaine Brenans. Il dénombra, au nord du Tassili, les richesses de l'oued 26 
Djorat et, au sud, celles de l'oued Amazar, ainsi que beaucoup d'autres sites de moindre importance. Plus récemment, durant l'hiver 1950-1951, une ethnologue suisse, Yolande Tschudi, voyageant seule avec un guide touareg, décou- vrit de nouvelles stations qui, avec celles du capitaine Brenans et de quelques autres, formeront les principaux ensembles rupestres tassiliens connus et inventoriés, auxquels s'ajoutera, en 1957, le très important site de Sefar, signalé par Claude Guichard, membre d'une des missions archéologiques dirigées par l'explo- rateur H. Lhote qui s'était chargé de faire exécuter des copies à la gouache des peintures de tous les sites déjà connus. Quelques mois plus tard, accompagnant moi-même une de ces missions en tant que cinéaste, je découvris la presque totalité des peintures de ce lieu. En 1960 et en 1961, deux séjours de trois mois chacun, me permirent de contribuer à la découverte de nouveaux chefs-d'œuvre et de nouveaux sites; parmi ceux-ci Ozanéaré offre quelques-unes des peintures les plus admirables. Le climat actuel, très sec, explique leur conservation depuis l'assè- chement du Sahara, soit depuis deux mille ans environ. Il est cependant difficile d'imaginer les facteurs qui leur permirent de traverser les trois ou quatre millénaires antérieurs dans une atmo- sphère plus humide. L'observation minutieuse des peintures montre que bien des œuvres de la période archaïque ont généralement été peintes en pleine pâte, sur la paroi, particulièrement en ce qui concerne la couleur blanche fréquemment utilisée par cette « école ». L'épais- seur de la matière est ainsi très sensible et parfois, des stries, visibles à l'œil nu, indiquent le sens dans lequel la pâte fut étalée. Cette couche, particulièrement épaisse pour les peintures de masques, est à peine perceptible dans les peintures de style natu- raliste. Les peintres de cette période durent délayer leurs couleurs avec un liant très fluide, eau ou lait (la caséine est un excellent fixateur et des analyses effectuées par le Dr Pietsch sur les matières colorantes des peintures rupestres libyennes en ont attesté la pré- sence). Dès son application sur la paroi, le colorant était absorbé par le grès, devenant ainsi plus difficilement destructible. Ce même phénomène est également sensible à Ozanéaré où il ne reste que quelques œuvres de l'école ancienne, perdues dans un parfait ensemble de l'école naturaliste. Quant aux colorants qu'utilisèrent les peintres pour fabriquer leur peinture, on les trouve à peu près partout, jonchant le sol. 27 
VUE AIRIINNE D'UN MASSIF DE ROCHERS DU TASSILI Il m'est arrivé de marcher pendant plusieurs centaines de mètres sur un véritable tapis d'ocre. Les couleurs les plus souvent employées sont les différentes nuances de rouge, de violacé, d'ocre jaune et d'ocre brun, couleurs des schistes les plus com- muns sur le plateau du Tassili. Le gris, le bleu et le vert sont plus rares mais n'en existent pas moins. La plus énigmatique reste la couleur blanche qu'il fallait aller chercher en des lieux précis et qui constituait peut-être, avec la poterie et le silex, les éléments d'une économie rudimentaire. La couleur était obtenue en écrasant ces schistes sur une meule dormante, pierre plate polie, à l'aide d'un broyeur; la poudre qui 28 
.. en résultait était ensuite délayée avec un liant, puis appliquée sur la paroi, vraisemblablement avec un pinceau pour les première et dernière écoles, certainement pour l'école naturaliste. Il semble que l'œuvre ait été élaborée directement avec la couleur sur la paroi; si une faute apparaissait, l'auteur corrigeait son erreur sans l'effacer, ces corrections nous font découvrir aujourd'hui des bovidés à quatre cornes ou des personnages à trois bras ou trois jambes*, mais qui sait toutefois si ces anomalies n'ont pas été voulues? Sur les parois des abris de Jabbaren, des gravures très fines sembleraient indiquer que les peintres naturalistes gravaient leurs œuvres avant de les peindre. Un examen attentif à la loupe fait sur de nombreuses figures n'a pas permis d'affirmer ou d'infirmer cette hypothèse. Il est impossible de détecter la moindre trace de gravure sur le contour des peintures, mais la couleur a pu en obturer les fins réseaux. Nous ne possédons en vérité que peu d'indices pour nous renseigner sur la façon dont le peintre travaillait et sur les SEFAR Abri typique des zones aérées des forêts de pierre où se trouvent en majeure partie les peintures de style naturaliste. 
instruments qu'il utilisait (pinceau, plume, bâton mâchonné). Seul nous apparaÎt le choix de l'emplacement à orner. Il eut semblé na- turel que le peintre ait voulu travailler debout, face à la paroi, dans une position confortable compatible avec la finesse de nom- breuses de ses œuvres, c'est-à-dire à main levée à hauteur de poitrine. Pourtant, de mystérieux impératifs l'ont fait travailler dans des recoins difficilement accessibles, incommodes, où il devait se trouver en position allongée, les bras en l'air, ou sur le flanc, en équilibre instable, dans une posture fatigante. Cela est d'autant plus inexplicable que des abris voisins, de même orientation, lui offraient de belles parois vierges et accessi bles. Ce choix étrange semble avoir été dicté par des motifs impé- rieux, pour la quasi-totalité des œuvres du Tassili: citons entre autres les peintures des magnifiques troupeaux qui ornent généra- lement les parties hautes de certaines parois érodées, protégées des souillures et des actes de vandalisme. De toutes les œuvres similaires, c'est-à-dire figurant des trou- peaux, que j'ai pu étudier du nord au sud du Tassili, aucune ne fut altérée par des surcharges d'autres peintures. Ce fait semble suffi- samment important à signaler car il existe de nombreux abris dont les peintures sont superposées. La chronologie et la datation de l'art paléolithique français ont été rendues possibles par la présence en stratigraphie dans le sol des cavernes d'objets ornés de gravures s'apparentant aux styles des peintures ou des gravures ornant les parois. Les données obte- nues, relatives à ces objets mobiliers découverts au cours de fouilles ayant bénéficié des techniques scientifiques les plus perfectionnées - en particulier datation par radiocarbone (C14) - purent être appliquées aux peintures et aux gravures rupes- tres par simple extension comparative entre elles et ces objets gravés. Une permanence dans les styles permet d'assurer par cette méthode une assez rigoureuse chronologie de l'art pariétal des grottes françaises. L'absence totale d'objets mobiliers gravés au Sahara ou sur le Tassili n'Ajjer empêche l'établissement d'une chronologie simi- laire pour l'art rupestre saharien. Une autre méthode a été utilisée, fondée sur l'étude à vue de peintures en superpositions multiples de certains abris du Tassili. L'observation directe des diverses épaisseurs de ces peintures permet d'établir une chronologie très relative des différents styles. 30 SEFAR Les peintures préhistoriques tassiliennes sont toujours à l'air libre. Ici, abri-sanctuaire, de faible profondeur, caché dans le centre du massif de Sefar. De nombreuses figures de même style sont super- posées sur ces parois (voir détail p. 60 et 61 - peinture de style archaïq ue). 
TANZOUMAITAK Bel ensemble de peintures superposées. Vue générale des parois du principal abri à peintures de Tanzoumaitak (abri-sanctuaire profond isolé en bordure d'oued, peintures de style archaïque). Il va sans dire qu'un tel procédé présente de sérieuses faiblesses. En aucun cas, il ne permet de dater les différentes couches ni d'évaluer le temps qui a pu s'écouler entre les applications de deux couches successives. Ensuite, tous les styles ne sont pas obligatoirement mêlés dans ces superpositions, certaines d'entre elles pouvant se contredire d'un abri à l'autre. Il serait néanmoins prématuré de considérer leur étude comme inutile. 32 
Peindre et repeindre sur la même paroi, à proximité d'abris à paroi vierge et présentant la même aptitude à être décorée, démon- trerait peut-être que nous sommes en présence d'un rite qui se célèbre encore aux antipodes du Tassili. Nous pensons à la restau- ration périodique, par les Australiens, des peintures rupestres « Wondjina » qui ornent les parois de certains rochers de leur pays, rite de multiplication ou de fécondité observé par Elkin, en Aus- tralie, fait corroboré par Frobénius au Sénégal où les jeunes initiés ont pour tâche, durant leur retraite, de rafraÎchir les peintures rupestres de leur clan, soit avec du sang soit avec de la couleur rouge. Un rite analogue est donc vraisemblablement à l'origine des pein- tures superposées du Tassili n'Ajjer. Si généralement, un graffiti en appelle un autre, aucune raison valable, sinon une nécessité rituelle, ne permet d'expliquer la constance de ces superpositions dans les peintures de style archaïque, alors que les œuvres maÎ- tresses des pasteurs à bovidés ne sont jamais surchargées. Seuls, les moyens actuels de la recherche scientifique per- mettraient d'éclaircir, sinon de résoudre, de telles énigmes: l'étude statistique des figures superposées ainsi qu'un carroyage photo- graphique systématique en couleur, en noir et blanc, et en infra- rouge, rendraient plus _ facile leur déchiffrement et seraient riches d'enseignements. Pour le moment, les données qui permettraient de saisir la nature du groupe humain dont les pages suivantes vont révéler les traces sont limitées à ces quelques observations. L'hermétisme de son message provient de ce que nous ignorons encore la signification de ces peintures. La fonction sociale d'un tel art ne pourra être saisie que lorsque les tombeaux et le sol des abris auront été fouillés. Or rien de scientifique dans ce domaine n'a encore été amorcé sur le Tassili. Son histoire n'est pas inscrite sur ses parois, aussi clairement qu'on veut bien le dire, mais elle est sûrement enfouie dans le sol et parfois sous des tonnes de pierres. Les tombeaux, simples monticules de cailloux*, de volumes variables, abondent sur ce plateau. Il y a également d'immenses constructions funéraires dont certaines pourraient symboliser par leurs formes les orga- nes génitaux mâles et femelles. Toutes ces observations amènent à penser que le Tassili et ses peintures rupestres forment un ensemble esthétique, économique, 33 
SEFAR Deux photographies de la même peinture. Celle de la page 34 a été prise à la lumière naturelle, celle de la page 35 à l'infrarouge (avec filtre absorbant les longueurs d'ondes inférieures à 8700 unités angstrœm). L'infrarouge est une partie du spectre situé au-delà de la limite de per- ception de l'œil. Des films photographiques spéciaux sont sensibles à ce rayonnement et sont utilisés principalement pour la photographie scientifique. L'application de ce procédé aux recherches sur l'art rupestre du Tassili a donné des résultats très intéressants. Ce moyen pratique, social et religieux indissociable. Déterminer la race d'un peuple, uniquement à partir de l'héritage iconographique qu'il nous a trans- mis, relève de la pure fantaisie. Le profil grec, on le sait, n'a sans doute jamais existé. Tout art est fait de conventions. Chaque école de peinture, de sculpture obéit à des lois esthétiques qui lui sont propres. Il n'y a pas forcément concordance entre l'objet et sa représentation. Personne n'accordera foi à l'existence d'une population 1 d'hommes sans tête* tels qu'ils figurent sur certaines des peintures 1 les plus récentes. L'homme du Tassili ne sera pas noir et stéato- pyge, les bœufs « bos africanus, primeginius ou brachyceros», 34 
qui ne demande que l'utilisation d'un film et d'un filtre spéciaux, sans apport lumineux artificiel, même lorsqu'on travaille dans l'ombre des abris, pourrait être utilisé sur une grande échelle, notamment pour photographier sys- tématiquement les peintures des abris à superpositions. Les colorants réagissent très diversement sous le rayon- nementinfrarouge. La coloration que l'œil perçoit normale- ment n'existe plus dans ce rayonnement - et dans le cas des peintures, ce sontde nouvelles compositions qui appa- raissent lors du développement des films ainsi exposés. tant qu'un certain nombre de données ostéologiques ne le prou- veront pas indubitablement. La peinture, telle que nous la voyons aujourd'hui, isolée de son substrat paléo-ethnologique, ne peut donc nous communiquer que ce qu'elle est en elle-même et par elle-même, c'est-à-dire le plaisir pur des formes et des couleurs. Seule la photographie est en mesure de nous restituer l'émotion que peut en procurer une vision directe et cela sans aucune alté- ration et aucune déformation de l'image réelle, dans le respect absolu de sa vérité. 35 
Aucun doute ne peut subsister sur l'authenticité d'un seul des documents qui figurent ici, alors qu'au contraire il yale précédent d'un ouvrage où étaient reproduites certaines peintures parfaite- ment apocryphes: deux d'entre elles étaient censées découler de l'art égyptien. Nous les avons vues; cinq années après leur décou- verte il n'en reste rien, si ce n'est le souvenir de la plaisanterie d'un des artistes chargés d'exécuter les relevés. Il s'agissait d'un fait exceptionnel; il eût fallu une armée de peintres de talent pour couvrir d'œuvres apocryphes les milliers de mètres carrés de rochers en plein cœur du Sahara! Les peintures du Tassili surprennent par leur puissance, la vigueur de leur dessin, la souplesse et la pureté de leur ligne, la richesse de leur mouvement et la franchise de leurs couleurs. Leur situation géographique, le décor qui les environne, contribuent également à rendre plus incroyable l'existence de telles œuvres. Sommes-nous en présence de décorations mythiques aux pou- voirs surnaturels? Telle peinture retrace-t-elle les grandes heures de la vie d'un des habitants enterrés sous un tumulus, à proximité de l'abri orné? Personne ne peut se prévaloir d'être en mesure de donner une quelconque explication des scènes représentées par ces œuvres préhistoriques. Aussi devons-nous limiter nos prétentions à recon- naÎtre dans ces figures pariétales des hommes, des femmes, des enfants, des animaux, des objets, des détails d'habillement, des attitudes... et supposer que le Tassili a vu de tels hommes, de telles femmes, de tels enfants près de leurs cases, qu'il y a eu des bœufs et d'autres animaux, que les hommes utilisaient des arcs de diffé- rents modèles, qu'ils s'habillaient de telle façon ou semblaient affectionner telle ou telle attitude. Toute description qui dépasse ce tableau n'est plus que simple hypothèse. Ainsi prévenu, le lecteur ne devra pas s'étonner de ne pas trouver ici les traditionnelles fables-légendes qui accompagnent générale- ment toutes les œuvres illustrant la plupart des livres consacrés à l'art préhistorique. Point n'est besoin d'inventer des titres tels que « Joséphine vendue par ses sœurs» ou « l'arracheur de dents», non plus que de déceler des scènes de circoncision, des monstres aux seins dans le dos ni des martiens. Il faut seulement se contenter d'admirer des formes qui égalent en grandeur et en noblesse les plus hautes créations de l'esprit humain. 36 
TANZOUMAITAK Personnages parés de l'époque archaïque. Vue du détail du centre de l'image de la page 32. Noter les superposi- tions de mouflons peints en blanc. 
1 Les peintures archai-ques Les admirables peintures de Lascaux, les gravures enchevêtrées de la grotte des Trois-Frères, les bisons d'argile du Tuc d'Audoubert ou les bas-reliefs d'Angles sur Anglin sont désormais célèbres. La peinture, la sculpture et la gravure naissent simultanément au paléolithique r . superieur. Quand, à une époque beaucoup plus proche de nous, l'art du Tassili n'Ajjer voit le jour, seules les gravures et les peintures apparaissent. La sculpture, ou tout au moins la sculpture monumentale n'existe pas. Des statuettes ont été découvertes aux abords du Tassili, mais aucune dans le Tassili même. Elles sont du reste peu nombreuses. Le dépouille- ment, la simplicité de leur forme réduite à l'essentiel font de ces sculp- tures animales des œuvres d'une grande beauté. Toutefois il n'existe aucun rapport entre ces formes polies et les formes peintes de l'art rupestre du Tassili. En revanche, une telle relation existe entre les pein- tures, les gravures et les sculptures paléolithiques. Les connaissances techniques des anciens habitants du Tassili leur permettaient de graver profondément la pierre et de polir certaines de ces gravures. Pourquoi ne furent-ils pas amenés à sculpter dans la matière brute qui les entourait? Nous l'ignorons. La taille de la pierre, en vue d'objets utilitaires, a suivi à l'égal des autres civilisations une évolution normale. L'outillage néolithique de certains sites sahariens soutient aisément la comparaison avec ceux du Fayoum ou de Mérinde, en Egypte. Une technique de taille extrême- ment fine a permis au Tassilien de fabriquer des pointes de flèches, des couteaux de silex, etc. qui ne sont pas seulement des outils, mais également des œuvres d'art, de véritables joyaux de silex ou de quartz, admirable adaptation de la forme à sa fonction. Parallèlement, la pra- tique de la gravure sur rocher n'avait plus de secret pour les Tassiliens qui nous ont laissé des milliers d'œuvres de qualité et de technique différentes (gravure profonde et polie, gravure piquetée, gravure fine, etc.). Ce sont souvent des dalles plates et noirâtres regar- dant le ciel qui ont été gravées, alors que les peintures décorent les parois verticales. Afin de rendre plus clair cet ensemble impressionnant de formes nouvelles, elles ont été divisées ici en trois grands groupes: 1'« école archaïque », 1'« école naturaliste », 1'« école schématique ». Ces écoles correspondent à trois modes d'expressions nettement diffé- rents, comprenant chacun un certain nombre de styles. Avant de pour- suivre, il semble nécessaire de préciser le sens donné à ces appellations. 41 
Le terme «école» groupera donc en plusieurs styles différents de nombreux sujets. S'il est employé de préférence à « époque », il ne correspond pas pour autant à une période donnée. Rien ne peut nous prouver qu'une école ne soit pas contemporaine d'une autre école. Elle ne situe donc pas les peintures dans le temps mais les différencie. Le terme « naturaliste» désigne une peinture qui est plus proche de la représentation des formes naturelles qu'elle évoque que la peinture archaïque qui a créé des formes à elle, figées par rapport à celles de l'école naturaliste. Le terme « schématique» s'applique à la représentation des petites figures simplifiées, presque géométriques. La succession des peintures reproduites dans ce livre sera faite selon une chronologie très approximative. Toutefois, certains écarts volon- taires ont permis de rapprocher les œuvres de deux écoles afin de mieux comparer leurs ressemblances ou les différences de style qui les carac- térisent. Les chronologies publiées jusqu'ici sont parfaitement in- cohérentes et très éloignées de ce que sera un jour une chronologie scientifiquement établie. Quelles sont les images qui, les premières, apparurent sur ces rochers? Comme tous les commencements, celui de l'art rupestre tassilien est insaisissable. Il n'y a rien, et puis il y a tout. Mêlées, enchevêtrées, imbriquées l'une dans l'autre, les figures s'étalent superposées sur les parois. Ces superpositions nous fascinent et notre imagination s'efforce en vain de trouver dans ces enchevêtrements une solution à ce qui nous semble une énigme. L'école archaïque qui englobe ici ce chapitre, celui des masques et des personnages masqués, ainsi que celui sur les symboles a produit parfois des œuvres totalement abstraites pour évoquer les êtres et les choses. Le symbolisme a commandé l'exécution de chaque œuvre. Il trans- parait dans chaque sujet. L'artiste a souvent tenté d'exprimer la puis- sance dominatrice, parfois par le gigantisme. Une présence supérieure se dégage encore de certaines œuvres tels les grands personnages r masques. La technique générale de cette école est l'aplat de couleurs, blanc généralement, cerné d'un trait large et peu souple, de couleur principale- ment violacée. Les sujets les plus courants sont les êtres humains de formes étranges, les animaux géants, les mouflons, les antilopes dont les cornes sont les éléments dominants. Parfois d'immenses cornes figurent seules un animal. On trouvera aussi de très petits personnages de quelques centimètres à l'allure de diablotins, des formes symbo- liques incompréhensibles, des points, des croix, des lignes, etc. 42 TIN TAZARIFT Les animaux de style archaïque sont généralement les antilopes, les bovinés et surtout les mouflons, parfois aussi les rhinocéros, les girafes, les autruches et les éléphants. A ce style appartiennent aussi de grands monstres, presque toujours très mal conservés. Ci-contre un éléphant, suivi de mou- flons (?). Sous l'éléphant on aperçoit des formes bizarres qui sont vraisemblablement deux orantes. 
Ainsi nous apparait l'art archaïque, avec le charme de sa naïveté, l'étrangeté de ses figures et le mystère de ses superpositions. Il ouvre la marche au cortège infini des figures rupestres tassiliennes et contient déjà en soi certains des éléments qui apparaitront plus tard dans les peintures de l'école naturaliste. N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0 , 05 m. et 3.20 m. de hauteur. 
SEFAR De chaque côté d'un étroit couloir, au centre du massif de Sefar, sont situés deux abris à peintures. L'un d'eux est littéralement recouvert de peintures superposées; la densité et l'enchevêtrement des figures rendent difficile la lecture de ces œuvres. Détail original, une frise de mouflons va d'un bout de l'abri à l'autre, sur une longueur de plus de 15 m. Ci-dessus une partie de cette frise située au-dessus de la zone reproduite en page 34-35. 45 
JABBAREN Oiseaux géants (autruches?) ornant la paroi d'un abri près de l'oued Jabbaren. 46 
T ANZOUMAIT AK Emergeant des superpositions diverses recouvrant la paroi de l'abri- sanctuaire de Tanzoumaitak (voir p. 32), voici un mouflon d'un aspect nouveau aux immenses cornes décorées. 47 
.... SEFAR Petits personnages masqués (comme le suggèrent les cornes et la petite crinière posées sur leurs tê- tes) de style archaï- que. 48 SEFAR Cette scène, qui nous semble représenter une réunion familiale intime, se caractérise . surtout par la présence de curieux objets sur lesquels apparaissent des points. Ces objets se retrouvent dans de nombreuses peintures et pourraient constituer un des « éléments directeurs» de ce que nous sommes convenus d'appeler « l'école archaïque». Les motifs géométriques ornant l'intérieur des têtes disco'ides des personnages semblables à ceux des pages 53 et 55 (ainsi que de nombreux symboles, notamment ceux qui ressemblent aux méduses ou ceux de forme ovale) pourraient fort bien être une adaptation en réduction de ce mystérieux chapeau que l'on retrouve, tantôt sur la tête d'un personnage (p. 48, bas, droite), tantôt posé près de lui, etc. 
TANZOUMAITAK  Partie droite de l'abri reproduit en page 32. Le chevauchement de ces deux personnages démontre que la superposition de peintures a été quelquefois voulue. Dans le cas de ces figures, le peintre avait toute la place qu'il désirait à la droite de la plus grande figure pour exécuter son œuvre. Il a donc obéi à un mobile précis en exécutant cette superposition. SEFAR 50 Personnages d'un style très proche de celui des personnages de la page 48. 
 / 52 JABBAREN Cet ensemble de personnages répète les critères relatifs aux superpositions dont le nombre ici est plus important. Des objets en forme de panier surmontent la tête de deux femmes de cette proces- sion; ils sont de même nature que ceux de la page 49. Les couleurs sont le jaune cerné de violacé. 
MATALEN.AMAZAR Une des rares peintures rupestres figurant des insectes d'une façon certaine. Ces figures reproduites à la grandeur des originaux sont peintes en blanc.  54 TIN TEFERIEST Grand personnage de 1 m de haut, de style archaïque. Comme presque toutes les peintures de cette époque, celle-ci est mêlée à d'autres fig urations qui s'apparentent aux persan nages reproduits à la page 48. (Remarquer le personnage en bas à l'extrême gauche qui a son homo- logue au centre de la peinture de la page 48). Il est impossible de déter- miner si la grande femme blanche est recouverte par les petits per- sonnages ou inversement. 
SEFAR Détail choisi parmi les peintures d'un abri de Sefar. Il représente un curieux assemblage d'étranges personnages. (Style archaïque pur). SEFAR  On notera ici la présence de deux objets symboliques que les personnages tiennent à la main. Ces objets apparaîtront également dans les peintures reproduites pages 58 et 59. 56 
 SEFAR Personnage cari- caturai figurant sur la même paroi que la peinture de la pag e 56. 58 SEFAR 1 Grand personnage masqué de 2,50 m de haut. Le gigan- tisme est un des traits particuliers aux peintures du style archaiq ue. Personnages ou animaux sont par- fois de dimensions considérables. Se-, far, où se trouv€t cette peinture, es1 de tous les sites connus actuelle- ment celui où ce figures sont le plus nombreuses  
A 60 B 
SEFAR A et C. Dans ce site, toutes les figurations géantes humaines ou ani- males de ce style sont accompagnées de femmes dans l'attitude de ces deux orantes. La figure de gauche est à proximité d'un bovidé archaique, d'une longueur de 2,50 m. B. Personnage masqué, semblable par la forme et par l'attitude à celui de la page précédente. Cette attitude se retrouve dans de nom- breuses peintures de petites dimensions. Celle-ci est un bel exem- ple de superpositions; cependant, l'enchevêtrement inextricable des sujets, tous ici d'un même style, démontre combien il peut être aléatoire de fonder toute une chronologie sur l'étude des superposi- tions. , ,.  ' > ..  ' .,, V.. #, ., ('... ll. f \.... , . '- . ;::!) . . .. . 61 c 
INAOUANRHAT Après les grands personnages masqués de style archaïque nous trouvons les peintures de masques proprement dites, s'apparentant directement aux figures précédentes. Nous découvrons en même temps un nouveau style de peintures, un style qui va nous offrir une série de figures exceptionnelles. La reproduction ci-dessus montre un masque isolé de son support humain, c'est une forme de représen- tation très rare, mais caractéristique d'un style particulier. 62 
2 G\) cp , J , ' oU Les masques Le masque est universellement connu. Actuellement, il est encore un instrument magique que de nombreuses peuplades considèrent comme un objet sacré donnant à l'homme qui le porte des pouvoirs surnaturels. Il doit lui permettre de s'élever au niveau des esprits. Le personnage masqué ne cherche pas à se dissimuler aux yeux de la foule, ne cherche pas à la tromper. Il perd simplement son état naturel d'être humain. Le masque lui confère les vertus du héros mythique, de l'animal toté- mique ou de l'esprit dont il est la représentation et, pour l'assistance devant laquelle il s'ébat, c'est l'esprit, le totem ou le héros qui danse. L'homme n'est plus qu'une enveloppe charnelle obéissant à l'esprit qui est venu l'habiter pour un temps. Cet homme fait partie d'une société secrète protégée par de nombreux interdits. Ceux-ci ne peuvent être transgressés sans grave danger pour les fauteurs, car les rites masqués ne sont pas connus par la collectivité. Les initiés seulement ont la garde des masques et ne pénètrent leurs secrets qu'au fur et à mesure de leur élévation vers la sagesse suprême. La fabrication du masque doit être entourée de mystère, de nombreuses précautions de toutes sortes sont prises par le sculpteur lui-même afin d'éviter tout acte déplacé vis-à-vis de l'esprit éternel que le fruit de son travail incarnera plus tard. Le masque n'est pas seulement un instrument rituel, il est aussi l'expression même du rite. La recherche esthétique qui mène à sa conception fait du masque une réelle œuvre d'art: un art sacré où prédominent le symbolisme et l'expression. Nous retrouvons ces deux éléments dans les peintures de masques que l'on découvre sur les parois des rochers du Tassili n'Ajjer. Un symbolisme puissant se dégage de ces représentations. Un symbolisme qui se ramifie dans chacune des œuvres de la période archaïque, où le masque émane de nombreuses figures; ensuite, il prend lui-même la place la plus importante dans l'art rupestre et, enfin, se désagrège, donnant quelquefois naissance à certaines représenta- tions abstraites et mystérieuses. (Cf. p. 61.) L'origine spirituelle des masques tassiliens pourrait être le mouflon. Les peintures de style archaïque nous donnent une suite d'images inter- médiaires entre l'animal et le masque proprement dit. Il n'existe pas, comme on l'a prétendu, de masque utilisé actuellement par les tribus Senoufo de Côte-d'Ivoire, ressemblant en quoi que ce soit aux figures rupestres du Tassili. N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0,70 m et 1,20 m de hauteur. 63 
TIN ABOTÉKA Ces personnages masqués sont les seuls de ce site. De couieui vert olive cerné de violacé, ils semblent l'expression de tout un mythe qui transparaît à travers l'attitude de ce masque qui, à l'image de ceux existant à 60 km de là, offrent les mêmes caractéristiques formelles. SEFAR Masque. Les figures de ce style sont souvent peintes en pleine pâte sur la paroi et l'examen attentif de cette repro- duction montre l'épaisseur de la matière colorante ainsi que les stries laissées par l'outil du peintre. Ces traces sont très visibles dans les zones de couleur blanche.  INAOUANRHAT ET MATALEN.AMAZAR (PI 66 et 67) Ce sont, avec Jabbaren, les trois sites qui nous ont livré jusqu'à présent des personnages de cette forme. Ils mesurent 0,80 m de hauteur.   64 
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TIN TAZARIFT Cette peinture est une des œuvres les plus chargées de symbolisme. Seul le bas en est reproduit dans ces deux pages. Tous les éléments symboliques accompagnant les masques sont réunis ici dans un même ensemble: festons, guirlandes de points, personnages mas- qués, etc., assemblés dans un dessein qui nous échappe. Un bovidé blanc, de facture rudimentaire, invisible ici, se trouve mêlé à ces figurations et participe effectivement à l'ensemble de la compo- sition qui se termine, en sa partie supérieure, par un groupe de cinq personnages masqués, figés dans une attitude hiératique. 
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3 Les personnages masqués Les masques sont généralement de couleur rouge et blanche, soulignée par un vert olive. Les représentations précédentes montrent vraisemblablement des êtres mâles comme cela semble évident pour les figures des pages 71-73, peut-être 74. Mais de nombreuses figures de même inspiration nous montrent des femmes portant un loup, et dont les seins affectent une forme particulière. Etant donné la diversité des figures qui sont grou- pées dans ce chapitre, leur assemblage peut paraÎtre arbitraire. Pour- tant, nous les avons réunies parce qu'elles sont proches des éléments symboliques qui accompagnent toujours les peintures de masques. Comme l'indique la légende des pages 68 et 69, chaque peinture de ce style est en effet toujours accompagnée d'un ensemble de figures géométriques symboliques telles que lignes, points, festons, frises diverses. La présence des points est quasi générale et remonte jusqu' aux peintures de style archaïque. Pour les femmes masquées, ces figures géométriques ont été dessinées généralement sur le person- nage même, quelquefois d'une manière discrète (voir p. 75). On pourrait croire qu'il s'agit ici d'ornements, de tatouages ou de scarifications, mais la coïncidence des ornements de cheville avec les mêmes ornements d'autres figures dispersées sur les rochers du Tassili ne peut être fortuite. Avec ce chapitre se termine une première période, un premier groupe de peintures duquel se dégage un symbolisme chargeant chaque œuvre de mystère, de puissance, d'une présence envoûtante presque insupportable. Leur pouvoir fascinant n'a pas été atténué par les siècles et quelle émotion vous étreint lorsque, brusquement, dans le silence quasi absolu, vous découvrez un de ces mystérieux personnages caché dans l'ombre et qui vous regarde intensément. Quelles cérémonies étranges ont pu se dérouler dans ce lieu où présentement vous posez les pieds? Exaltant et angoissant mystère de ces lieux silencieux où les dieux vous épient! On éprouve un véritable soulagement, comme au sortir d'un rêve obsédant, après une journée de travail à la recherche du passé dans ces labyrinthes de pierre, à retrouver le présent sous forme d'un coin de sable couvert d'un duvet et d'une caisse de matériel posée au pied d'un rocher devenu votre demeure, réconfortant micro'cosme où les d'ieux d'ocre de la préhistoire n'ont pas accès et où, malgré votre soli- tude au milieu du désert, vous vous sentez bien et incapable de vous en écarter dès que la nuit aura enveloppé cet univers fantastique. 70 N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0,70 m et 1,20 m de hauteur. 
TÉCHÉKALAOUEN Avec les figurations de ce genre, nous abordons un nouveau style de représentation de personnage masqué. Cette peinture est le détail d'un grand ensemble. Tout autour sont disposés les mêmes éléments symboliques que ceux qui accompagnent les masques du style pré- cédent. SEFAR (PI 72, couleur)  Personnage masqué. Le masque doit être de profil, comme semblent l'indiquer les zones de différentes couleurs qui fractionnent le bandeau frontal de cette figure.   Grande esquisse dessinée en blanc. Noter la ressem- blance avec la figure de la page précédente. INAOUANRHAT (PI 73) 71 
.... TIN TAZARIFT Person nage masq ué. SEFAR Femme masquée. 
SEFAR Petites femmes, aux multiples décorations corporelles du style des masques, peintes sur la paroi d'un abri surplombant l'entrée des canons de l'oued Sefar. INAOUANRHAT  Une des œuvres les plus extraordinaires du Tassili, située sur la paroi d'un abri totalement isolé. Cette femme courant porte sur elle tous les éléments symboliques caractéristiques du style des masques. 76  SEFAR (P. 78 et 79, couleur)  Rassemblement d'hommes et de femmes masquées dont le mufle ressemble étrangement à celui du dessin plus élémentaire de la figure de gauche de la page 57. Cette peinture contient deux conventions stylistiques qui gouvernent la création picturale depuis la naissance de cet art, c'est-à-dire: ventre féminin rebondi et ventre masculin généralement incurvé ou plat, toujours resserré à la taille. On retrouve parfois de semblables déformations conventionnelles dans les peintures de style naturaliste. 
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JABBAREN Main droite et main gauche négatives dans un ensemble de person- nages effacés du type de la page 72. Des centaines d'œuvres simi- laires décorent les parois des rochers du Tassili. 80 
4 Les symboles Les figures symboliques de style archaïque sont trop nombreuses pour être abondamment reproduites dans cet ouvrage. La plupart de ces figures sont totalement abstraites. Quelques-unes nous sont déjà familières: les masques, les points, les festons, etc. Les peintures de style archaïque nous en fournissent bien d'autres. Le sens de telles figurations n'est pas plus saisissable que ne le sont les spirales, les traits ou les points en lignes que nous révèlent les gravures. Pas davantage ne l'est celui de ces mains qui nous étonnent et qui, si réalistes soient-elles, demeurent des emblèmes mystérieux. Les mains sont présentes dans les sites d'art rupestre du monde entier. Dès que les peintures apparaissent au fond des grottes paléo- lithiques, les mains sont là; et, de nos jours, les Australiens de tradition archaïque apposent encore ce mystérieux symbole sur les parois des rochers qui les environnent. Le Tassili n'Ajjer recèle un certain nombre de ces peintures. La plu- part sont négatives et blanches, c'est-à-dire obtenues en pulvérisant (vraisemblablement avec la bouche) une solution colorante sur une main posée sur la paroi (p. 80) cela par opposition à la main positive qui est l'empreinte d'une main maculée de glaise par exemple appliquée sur une surface propre. On ne connaÎt pas encore de mains positives sur le Tassili. Mais il existe dans ce pays une autre sorte de repré- sentation: la main peinte ou plus précisément l'avant-bras peint que l'on trouve en assez grand nombre et d'un style difficile à déterminer. La décoration interne de ces mains est généralement géométrique. Outre les peintures, les tombeaux dont le sol du Tassili est recouvert (témoignage d'une certaine densité démographique) nous offrent encore une preuve de la place qu'occupa le symbolisme dans le psychisme de ces populations. La plupart ne sont que des tas de pierres, mais un certain nombre sont de véritables monuments funéraires de dimen- sions parfois considérables. Quel symbolisme se cache derrière ces tombeaux? Une gravure érotique que j'ai découverte à Matarat pourrait nous donner l'explica- tion de la forme de ces tombeaux * qui, à mon sens, représentent les organes génitaux mâle et femelle. La chambre sépulcrale se trouve sous un tas de pierres situé au centre du tombeau. La gravure rupestre à laquelle je fais allusion n'est pas singulière par son dessin et par son sujet, mais plutôt par l'emplacement où elle se N.B. Les mains et les bras reproduits dans ce chapilre sont figurés sur la roche en grandeur nature (dimensions de la main et du bras d'un adulte). 81 
trouve: c'est-à-dire le sol rocheux d'un abri surélevé (genre sanctuaire) où ne figure aucune peinture. Ce roc a été poli profondément, et la zone polie affecte la forme d'une couche épousant les courbes de la tête, du dos et des reins, de sorte que lorsqu'on s'étend sur cette partie de la roche, non seulement on ne ressent pas sa dureté, mais on éprouve une sensation de confort *. Ainsi, à cet emplacement précis, apparaÎt une gravure d'un genre particulier dont le Tassili regorge. Devant ces tombeaux et ces gravures érotiques, nous nous demandons si nous ne sommes pas en présence d'une autre forme, cette fois non plus abstraite mais figurative, de symbolisme rituel. 82 SEFAR Cette peinture montre trois styles de peintures superposées. Tout d'abord un avant-bras, ensuite, un rhinocéros dont l'arrière-train est visible dans la main et, enfin, une autruche dessinée en gros traits dont on n'aperçoit que le cou (coupé par le haut de la photographie) et le gésier. L'examen attentif de cette reproduction démontre la difficulté qu'il y a dans le cas de dessins superposés à déterminer l'antériorité de l'un par rapport à l'autre.  TIN TEFERIEST Main de style archaïque décorant la paroi d'un aliri-sanctuaire. 
TAMRIT Ces antilopes sont peintes sur une avancée à droite de la paroi:d'un abri-sanctuaire isolé, sur le bord de l'oued Tamrit. Sur le reste de la paroi de cet abri ne figurent plus que quelques autres traces de peintures (voir détail p. 87). 84 
5 L'art naturaliste Les peintures du Tassili nous offrent des images d'une grande variété de style. Certaines d'entre elles donnent le sentiment d'un art spontané et libre, apparemment de pure délectation. Elles viennent vers nous du fond des siècles, animées d'une vie qui rayonne de chaque figure. L'art naturaliste apparaÎt, semble-t-il, d'un seul coup. Dans une joyeuse exubérance, il envahit toutes les parois. L'étude des styles précédents indique déjà une nette évolution vers la représentation directe, mais la période transitoire est d'une grande pauvreté. Le style dit naturaliste a de multiples aspects: représentations ani- males: girafes, rhinocéros, antilopes, autruches, éléphants (les figures semblant représenter des hippopotames* sont de qualité inférieure, et cela quels que soient les sites où ils se trouvent). Viennent ensuite les bovinés et quelques autres animaux comme la chèvre, le mouton et le chien. Les seuls oiseaux sont les autruches; on trouve également quelques poissons. Comme pour l'école archaïque, il est toutefois impossible d'accor- der une dénomination commune à ces diverses représentations. Il serait absurde par exemple de parler de naturalisme, dans la signification habituelle du terme, à propos de la girafe de la page 92. Adopter l'appellation de « style de la période des bovidés» n'est pas davantage satisfaisant: c'est introduire une notion de temps absolu- ment gratuite. Nous ne disposons d'aucun élément qui nous permette de situer dans le temps les deux styles auxquels nous venons de faire allusion. Rien ne prouve qu'ils n'aient pas coexisté. En effet, sur une même paroi se trouvent côte à côte un personnage à tête discoïde et un admirable bovidé*: or ces deux figures, dessinées d'un trait extrêmement fin, sont presque certainement l'œuvre du même artiste; la technique d'exécu- tion, celle du dessin et celle de la couleur, sont exactement les mêmes. En dehors des innombrables représentations d'animaux de style naturaliste, il existe sur le Tassili des milliers de figurations humaines. Ces personnages, admirablement observés et décrits dans le moindre détail, nous déconcertent par la beauté, la noblesse, la diversité de leurs attitudes. Nous découvrirons à travers ces admirables peintures rupes- tres l'étrange séduction qu'exercent sur nous les populations qui ont vécu jadis sur le plateau du Tassili n'Ajjer. N.B, Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0,15 m et 0,35 m de hauteur. 85 
JABBAREN Il est difficile de rattacher cette peinture de petites gazelles à un style bien déterminé. Il paraît probable qu'avec les antilopes de Sefar reproduites pages 88-89 en grandeur nature, ces animaux consti- tuent des éléments intermédiaires entre les peintures de style archaï- que et celles de style naturaliste. TAMRIT  Antilopes.  SEFAR (P. 88 et 89, couleur)  Antilopes. De nombreuses représentations similaires ornent les parois des rochers du Tassili. 86 
TIN ABOTÉKA Les éléphants apparaissent très souvent dans les peintures rupestres, mais ils sont, soit de factu re archaïque soit de style récent. Le genre de représentation de celui qui est reproduit ici est assez rare. Peint en gris sur une petite zone lisse située au milieu d'une paroi présen- tant de fortes aspérités cet éléphant, semblant sortir de derrière un voile, évoque 1'« éléphant nuage» des peintures d'Afrique du Sud. OZANÉARÉ  Chaque site du Tassili recèle son rhinocéros ou son hippo- potame. Le rhinocéros d'Oza- néaré est un des plus admira- bles parmi ceux actuellement connus. 90 
, 91 
 SEFAR Cet animal, une girafe semble-t-il, voisine avec un grand troupeau de bovidés du style naturaliste le plus pur. Il nous fait découvrir un nouvel aspect de l'art du Tassili. JABBAREN Ces animaux représentent des autruches. Les pattes sont peintes alors que le reste du corps est gravé. Cette gravure est obtenue vrai- semblablement par piquetage. Ces autruches se trouvent au centre de l'abri (voir p. 156-157). L'autruche est fréquemment représentée dans la région de Tadjélamine et dans le nord du Tassili. 93 
JABBAREN En haut, à gauche et à droite, deux gazelles au galop. En bas on remarquera l'attitude étrange des trois personnages. L'un d'eux est assis avec son arc posé à terre assez loin devant lui, les deux autres sont dans la position du tireur, mais ils tiennent leur arc à l'envers, ce qui semble indi- 94 
quer qu'ils n'ont pas l'intention de tirer sur l'animal qui fuit devant eux. Il ne s'agit donc pas d'une scène de chasse. Celles-ci doivent être extrêmement rares dans l'art rupestre; nous n'en connaissons personnellement aucune sur le Tassili. 
& Les bovinés L'extraordinaire variété dans les figurations de bœufs nous contraint à un choix difficile. Il est indispensable, d'autre part, que les différents styles soient confrontés. Aussi, au long de ce chapitre, les soucis d'ordre chronologique ont dû être abandonnés afin de grouper quelques-uns des principaux chefs-d'œuvre de différentes périodes, parmi lesquels l'étonnante gravure de Térarart (p. 104-105). Tout le génie créateur des peintres du Tassili apparaÎt avec éclat dans ces figures. Le mouvement est admirablement observé: nous voyons des bovinés courant, mugissant, isolés ou en groupes, peints dans les couleurs les plus diverses et qui sont parmi les plus belles de l'ensemble tassilien. Le dessin est également d'une grande diversité: tantôt il souligne d'un trait épais l'image du boviné, tantôt le trait n'est plus continu mais constitué par un ensemble de tirets. La représentation des cornes est prétexte à une série d'interprétations où certains impéra- tifs semblent avoir guidé la main de l'artiste. Ainsi, dans un même ensemble, les cornes des bovidés sont représentées soit en perspective normale soit, au contraire de face alors que la tête est de profil. Quant au dessin du pelage, il semble difficile de se livrer à quelque interpréta- tion que ce soit sur les motivations qui ont pu l'inspirer tant la variété en est infinie. Quelle est la signification de ces innombrables animaux que l'on découvre sur les parois des rochers du Tassili? S'agit-il d'une sorte d'inventaire du cheptel ou plutôt d'une descrip- tion mythique en liaison avec la destinée des troupeaux, donc avec la survie du groupe humain qui en dépendait? Quelques animaux phéno- mènes sont purement légendaires; ainsi les bovinés ou la girafe à double tête dont quelques exemplaires existent çà et là sur le Tassili (p. 102). Etranges bêtes perdues dans un ensemble dont la signification nous échappe et risque de nous échapper à jamais. Enfin, notons encore que ce sont les bovinés qui servirent de thème essentiel aux plus grands ensembles rupestres ordonnés où, parfois, une centaine de bœufs marchent côte à côte. Ces peintures de qualités diverses sont généralement isolées et cou- vrent les parois de rochers cachés dans certains couloirs obscurs. Dans ces ensembles, les bovinés ne sont que rarement seuls, comme cela se présente dans le grand troupeau de l'oued Tamrit, qui n'est ac- compagné d'aucune représentation humaine. En effet, l'homme accom- pagne généralement le troupeau ainsi que nous le verrons plus loin. 96 N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0,15 m et 0,35 m de hauteur. 
SEFAR Taureau ambiant. On remarquera la position frontale des cornes alors que l'animal est représenté de profil. JABBAREN (P. 98 et 99)  Une des plus belles figurations animales du Tassili. Cette vache unicorne (pourquoi?) est peinte sur la voûte d'un abri très bas où on ne peut se tenir qu'accroupi et où on ne peut entrer qu'en rampant. Cette figure de couleur rouge est reproduite en grandeur nature. 97 
SEFAR Cette forme nouvelle est l'image d'un autre bovidé dont il ne subsiste que le train avant. La tête est dans une position étrange alors que le reste de l'animal est vu de profil. Le corps est de couleur brune et le pointillé est blanc. 100 
TIN TAZARIFT Ce bovidé de style géométrique est apparemment contemporain des personnages sans tête (voir p. 172). Il est donc d'époque plus récente que les animaux de style naturaliste. 101 
SEFAR Vache à deux têtes dessinée en rouge; elle figure, à côté de la peinture de la page 130, sur la paroi d'un petit abri isolé. 102 JABBAREN  Ce troupeau est la peinture du Tassili la plus richement colorée parmi celles inventoriées jusqu'à maintenant. Nous reproduisons ici la seule partie qui soit encore visible de ce grand ensemble de bovidés, tout le reste étant pratiquement détérioré. 
TÉRARART Gravées en traits profonds et polis, ces figures ru- pestres (qui par un cu- rieux phénomène d'op- tique apparaissent en re- lief alors qu'elles sont en creux) sont l'unique gra- vure reproduite dans ce livre. C'est peut-être la plus belle des gravures connues du Tassili. Le sol du bloc rocheux qui la supporte s'enfonce dans le lit de l'oued Edjériou. Lorsque celui-ci coule, à la suite des pluies, le plus bas des bovidés se trouve le mufle dans l'eau comme s'il buvait (voir ci-dessus). 104 
TADJÉLAMINE Ce bovidé, dont la tête est tournée vers l'arrière, est peint sur un rocher bordant l'abaraka (piste) Azoumzoum où se trouvent également le taureau figurant à la page 110 et les chars de la page 182. Il s'agit là d'une des peintures les plus curieuses du Tassili. Le pelage est figuré par des lignes ondulées, qui, par leur savante disposition, engendrent en même temps le volume. Le dessin indique le mouve- ment avec une précision et une vérité extraordinaires. 106 
SEFAR L'observation détaillée de la technique du trait nous fait découvrir une courbe partant du naseau et allant jusqu'au poitrail. A cet endroit, la couleur imprégnant le pinceau est épuisée; l'artiste recharge son pinceau et dessine d'un seul coup, avec une admirable maÎtrise, le poitrail de l'animal. Il en dessine également d'un même trait épais le dos. Ce bovidé est saisi dans sa course. On est frappé une fois de plus par la vérité de l'attitude. SEFAR (P. 108 et 109, couleur) Sur la même paroi que celle de la peinture précédente est peint un bovidé repro- duit ici en fac-similé. L'allongement du cou souligne le mugissement. La gueule ouverte, les yeux sont figurés en réserve ainsi que la corne qui accentue le mouve- ment de la tête. 107 
108 
TADJÉLAMINE Peinture de la période récente. 110 
SEFAR Ensemble de bovidés.  ç " -   .. - ,I115III, _. ",'.,r ,. 
Les personnages groupés ici, et qui tous accompagnent leur troupeau de bovidés, proviennent de sites différents. Le personnage de gauche de la page 112 est d'Duan Bender, les deux autres de Sefar. Enfin, celui de la page 113 se trouve à Jabbaren. 60 km à vol d'oiseau séparent le premier et le dernier de ces personnages. Ils sont tous, ainsi que celui de la page 115, de techniques différentes. Dans tous les cas, cependant, la position est identique. Il est remarquable que tous les personnages accompagnant un troupeau et figurant sur les rochers du Tassili soient représentés dans la même attitude. 112 
7 L'homme el les bovinés On se demande pourquoi on trouve tant de bovinés sur les parois des rochers. Des études sur la figuration des cornes, sur la disposition des bœufs, sur les taches du pelage des animaux ont conduit à de nombreuses hypothèses, extrêmement hasar- deuses. Seule l'étude statistique de toutes ces figures pourrait nous être de quelque secours. Telle figure est-elle constamment opposée à telle autre? La situation des peintures de troupeaux sur les parois correspond- elle à une constante? Y a-t-il dans chaque peinture de troupeau un animal aux cornes recourbées vers le bas? etc. Autant d'innombrables questions que seule une minutieuse analyse, exigeant des années de recherches, pourrait éclairer. L'introduction d'un personnage humain dans le troupeau donne une certaine unité à cet univers animal. En effet, à partir du moment où les troupeaux sont accompagnés de personnages, l'un de ceux-ci adopte une position immuable, debout, une main sur la hanche, un bras tendu vers l'avant; cela est vrai pour toutes les peintures similaires du Tassili et pour au moins une peinture du Haut Mertoutek dans le Hoggar. Les attitudes stéréotypées se retrouvent dans de nombreuses scènes ornant les parois du Tassili. Ici encore, l'attitude ou plus généralement les scènes groupant un nombre de personnages dans des attitudes déterminées semblent être l'élément actif de la peinture tout comme elles le furent pour des œuvres plus anciennes. A dessein, un certain nombre de leitmotive ont été groupés afin de mieux définir l'univers des formes qui s'imposèrent aux peintres du Tassili en vertu d'impératifs que nous ignorons. L'interprétation de l'art rupestre ancien à partir de données ethnographiques récentes retraçant la vie de telle ou telle popu- lation actuelle, présente certains inconvénients. Il est difficile de prouver que deux populations ayant vécu à quelques millé- naires d'intervalle puissent avoir des mœurs et des coutumes similaires; cela est même improbable. Pourtant, je recourrai à ce procédé comparatif, non pas pour donner une interprétation sur la vie des pasteurs du Sahara néolithique, mais pour entre- voir les processus psychologiques de la pensée des populations dites « primitives ». 113 
J'ai choisi les Baras, populations pastorales de Madagascar, pour mon- trer comment certaines coutumes, certains mythes régissent la destinée de ces peuples, et surtout pour préciser le rôle important que joue le boviné dans leur vie quotidienne. Dans cette société, ce sont les hom- mes qui connaissent les charmes magiques qui protègent les troupeaux; ce sont eux aussi qui traient les vaches. Les récipients à lait sont des objets sacrés et si, d'aventure, l'un de ces récipients est cassé on le dépose sur la paille du parc à bœufs. Les pièces de bois de ce parc ne sont jamais brûlées. Le foulage de la rizière par les bœufs donne lieu à des réjouissances auxquelles toute la famille doit assister. La vie de cet animal vaut celle de l'homme, et donner un bœuf c'est offrir un gage de vie. S'il est échangé, c'est contre un charme magique. Sans lui pas de rite possible, et sans rite pas de vie sociale. On le sacrifie pour obtenir la faveur des dieux et des ancêtres. Les alliances et les malédictions sont scellées avec son sang. Les Baras marquent aussi le bœuf aux oreilles et cette marque est un blason qui fait de lui un consanguin des membres de la famille dont le troupeau fait partie au même titre que les humains. Enfin, ce troupeau, qui constitue une véritable richesse, peut attirer la convoitise des voleurs, mais chez les Baras le vol est bien considéré -surtout le vol de bétail à main armée, acte de banditisme très honorable, exploit qui qualifie les « Hommes». On pourrait citer bien d'autres exemples. L'ensemble des rites montrerait à chaque fois le même genre d'interdits, de liaisons, de pactes entre l'homme et l'animal. Qu'y a-t-il de plus grave chez les Touareg Ajjer d'aujourd'hui, pour qui les chèvres ont remplacé les bovinés de jadis, que de jeter du lait ou même simplement de répandre les quelques gouttes qui restent au fond d'un récipient dont on vient de boire le contenu? Si quelques prières ne sont pas aussitôt récitées, la femme deviendra stérile. Ici, comme chez les Baras, comme pour les populations néolithiques, la vie de l'animal dépend toujours de celle de l'homme et réciproquement. Si le processus mental liant le Saharien antique et son troupeau était différent de celui des populations pastorales actuelles, ce fut sans doute par une rigueur plus grande et par le nombre plus élevé des rites et des interdits définissant ces liaisons entre l'homme et l'animal. On peut se demander si ces mythes et ces légendes, croyances d'une liaison intime entre l'homme et l'animal (mythes et légendes qui font partie d'un fond commun à l'humanité) ne furent pas à l'origine des pein- tures rupestres du Tassili dont aujourd'hui nous est seulement sensible la prodigieuse valeur esthétique. Mais c'est ici poser tout le problème de l'origine de l'art qui déborde le cadre de cet ouvrage. 114 N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0 , 15 m et 0 , 35 m de hauteur. TIN TAZARIFT  Signe de domestication, les bovidés apparaissent dans certaines peintures avec un collier autou r du cou - par- fois un objet (une amulette?) est attaché à l'extrémité de ce collier. Cette peinture nous montre l'animal du bas muni d'un collier et tenant dans la g ueu- le un petit objet fourchu que l'on retrouve également dans d'autres œuvres (p. 116-117, animal en haut le plus à droite).  SEFAR  (P. 116 et 117, couleur) U ne des œuvres maîtresses de style natu raliste du site de Sefar. Située à 5 m de haut, cachée dans un couloir étroit, cette peinture d'envi- ron 4 m de large, nous mon- tre un troupeau, deux cases, ainsi que divers personna- ges, dont trois enfants. Une impression de sérénité, de tranquillité, de grandeur se dégage de cette ample com- position. 
SEFAR Ce couple assis face à face près de ce qui est une case, figure sur la paroi de l'abri (p. 29). Cette composition en rouge et blanc procure, comme les peintures des pages précédentes, un sentiment de calme et de tranquillité. OZANÉARÉ On remarque la position de l'arc à à l'extérieur et à droite de l'entrée de la case fermée par un pail- lasson (?) à l'image des cases utilisées par les Peuls d'au- jourd'hui. 118 
SEFAR L'attitude de ces deux personnages assis se retrouvera dans la plus grande partie des peintures de ce style. SEFAR (P. 121 et 122) JABBAREN (P. 123)  Chacun des trois personnages s'apparente par son attitude aux personnages représentés parmi des troupeaux. La constance de cette attitude laisserait supposer qu'elle se rattache à un symbole déterminé qui pourrait être religieux. 120  INAOUANRHAT (P. 124 et 125, couleur)  Une des peintures les plus énigmatiques du Tassili. Seul est com- préhensible le cercle central qui figure une hutte dans laquelle - fait exceptionnel - sont assis des personnages. On ignore absolument ce que représentent les autres figures que l'on pourrait imaginer animées d'un mouvement giratoire autour d'un axe. Toute hypothèse sur leur signification ne pourrait être qu'arbitraire. Les ronds du centre se retrouvent dans de nombreuses peintures. Leur caractère symbolique paraît indiscutable. 
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SEFAR Une des peintures les plus expressives des pasteurs de bovidés. L'artiste a su magistralement se servir des accidents de la roche qui deviennent ainsi des moyens d'expression plastique intégrés dans la composition, d'une valeur équivalente aux éléments picturaux. En effet, tous les motifs utilisés dans les peintures de cette période sont rassemblés ici dans ce vaste ensemble qui mesure environ 5 m de large; nous apercevons des huttes, un couple assis face à face en haut, à droite un personnage dans la position désormais classique du « gardien» de troupeaux et, chose curieuse, les objets qui figurent généralement dans les huttes sont peints dans deux excavations de roches, comme si on avait voulu les y abriter. 126 
127 
TITÉRAS N' ÉLIAS Dans cette peinture apparaît une nouvelle variété d'attitudes. A gauche, un personnage accroupi tend à bout de bras une poterie à un autre personnage qui lui tourne la tête. Tous les gestes des per- sonnages, sauf ceux de celui qui est assis dans une pose hiératique à droite, sont orientés dans la même direction comme s'ils désignaient un objet lointain. Le sens de cette scène, comme de beaucoup d'autres, nous échappe entièrement. 128 OZANÉARÉ  Cette scène admirablement composée représente, ce qui est assez fréquent au Tassili, des adultes et des enfants. Il s'agit peut-être d'une scène familiale aux alentours d'un campement. 
129 
SEFAR Scène avec des enfants. Cette peinture d'époque plus récente, bien que faisant partie du même ensemble que celles qui suivent, nous révèle un curieux mode de perspective. La case où se trouvent enfer- més deux personnages et qui contient des objets, est figurée en plan, alors que l'homme couché et l'enfant sont représentés de profil, les ustensiles en coupe verticale. Il y a ici une correspondance évidente avec la peinture égyptienne. 130 
OZANÉARÉ Femme et enfant. OZANÉARÉ (P. 132 et 133. couleur)  Ozanéaré, qui contient fort peu de peintures de l'époque archaïque, est un des sites le plus riche en représentations anthropomorphes du Tassili. L'ensemble de ce massif rocheux contient des pasteurs de bovidés qui comptent parmi les peintures les plus belles de l'ensemble du plateau. 
JABBAREN Nous abordons avec les pages suivantes des peintures qui semblent évoquer des fêtes, des théories, des proces- sions. Le premier ensemble processionnel reproduit ci- contre a déjà été publié dans un ouvrage scientifique honoré d'une subvention de l'Institut de recherches sahariennes de l'Université d'Alger, sous forme d'un croquis exécuté d'après les carnets de relevés du capitaine Brenans. Le relevé dont on s'est inspiré date de 1938. Voici un extrait de la légende qui l'accompagne: « Panneau représentant la vente d'une femme à des étrangers: c'est « Joséphine». (Cette ({ Joséphine» est reproduite ici en page 123.) Ses sœurs toutes nues se tiennent par la main pour se donner du courage. Celle qui reçoit « le panier de cauris de la vente» tourne la tête en arrière comme si elle avait honte de leur acte... Joséphine résiste visiblement au ravisseur qui l'entraîne en la tenant au poignet. C'est une des plus curieuses scènes de ce lieu... Il y avait donc au Tassili n'Ajjer, à un moment évolué des bovidiens probablement, un trafic de femmes et dans les deux sens. » Nous ne saurions, pour notre part, adopter une inter- prétation aussi fantaisiste.  JABBAREN (P. 136 et 137, couleur)  L'examen attentif de l'ensemble des peintures du Tassili peut nous amener à préciser quelques détails dans l'ha- billement, dans la coiffure, dans l'armement des antiques populations de ce pays. Nous avons pu également remar- quer que les animaux sont généralement sexués - ici taureaux, là vaches ou génisses. Il en est de même pour les autres animaux. Au contraire, la figuration humaine de cette époque est à peu près totalement asexuée. Nous ignorons si nous sommes en présence d'hommes ou de femmes; le seul indice qui nous éclaire est la poitrine où parfois apparaissent des seins piriformes. Par exemple, cette peinture de Jabbaren évoque à nos yeux des danseuses. Or ce sont presque sûrement des hommes. 134 
136 l ..__ 
B ..... OZANÉARÉ La signification de cette scène nous échappe en- tièrement. Le monde animé du Tassili Le monde animé du Tassili nous apparaÎt plein de vie dans les repré- sentations qui suivent. Malgré leur réalisme apparent, bien peu de ces scènes nous sont accessibles. Nous pouvons découvrir çà et là un personnage offrant à bras tendus un récipient (poterie) à un autre person- nage debout près de lui (p. 128). Peut-être pouvons-nous imaginer des processions comme à la page 149. Certaines attitudes se répètent dans les peintures des pages 134, 136, 147 et 149; chaque fois, un homme ou une femme tourne gracieusement la tête vers l'arrière. Souvent, quelques personnages ont des attitudes singulières. Ici s'arrêtent les observations justifiées, qui puissent se faire sur cer- taines de ces peintures millénaires. Pourtant, si nous nous reportons à la littérature qui, jusqu'à présent, a traité de l'art rupestre du Tassili et même de l'art rupestre en général, nous découvrons une série d'inter- prétations qui, si elles nous font maintenant sourire, constituent le prin- cipal et le seul élément didactique mis à la disposition du public. Ainsi verra-t-on affirmer: « Les ponctuations blanchâtres qui maculent tout le corps ne sont certainement pas décoratives. Il s'agirait plutôt des stigmates d'une maladie comme la petite vérole». Une prétendue scène « d'accusation» est ainsi décrite: « En haut, ligne de cinq personnages. L'accusé crâne à gauche, le poing sur la hanche, faisant face aux autres qui l'accusent de concert, du geste et de la parole. » - De quoi? » - Un tel t'a vu en attitude très intime avec Mme X qui n'était pas fière d'être prise sur le fait, aussi baisse-t-elle la tête». Nous pourrions citer maints autres exemples d'extravagantes inter- prétations du même genre dues à des préhistoriens dont certains des plus éminents. Nous avons pris garde dans cet ouvrage de ne pas nous aventurer dans une voie aussi périlleuse. Le primitif est beaucoup plus simple que nous. Pour lui, la perpétua- tion de la race est un phénomène aussi normal que le jour et la nuit, et lorsque le Tassilien voulait peindre une scène de coït, il le faisait dans le même esprit qui se retrouve dans les autres peintures. Il faut noter que ce genre de représentation est rare dans les œuvres de style naturaliste, les hommes sont généralement asexués, à l'inverse des animaux qui, eux, sont sexués. Il existe toutefois des peintures de qualité inférieure représentant des hommes et des femmes filifor,mes dans des attitudes qui aujourd'hui seraient qualifiées d'obscènes. N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0,15 m et 0,35 m de hauteur. 139 
... SEFAR (P. 140 et 141, couleur; 142 et 143, couleur)  Une des peintures où se manifeste avec le plus d'éclat le génie créa- teur des artistes du Tassili. On est stupéfait de découvrir une telle maîtrise aussi bien dans la composition que dans le dessin, une telle force alliée à tant de grâce. Or, cette peinture fut exécutée il ya quelque cinq mille ans. De l'ensemble figurant en page 142 sont reproduits en grandeur nature, des détails en pages 140, 141 et 143. SEFAR (P. 144)   Les personnages marchant sont fréquents dans les peintures du Tassili. Souvent, l'homme marche devant, l'arc à la main, semblant guider la femme. TIN ABOTÉKA (P. 145) :.. Peinture de style récent. L'étrange coiffure que porte le personnage se retrouve souvent sur les rochers du Tassili. Le chien, au contraire, y figure rarement. 142 
OZANÉARÉ  Cette peinture, d'un équilibre parfait et d'une grande noblesse, égale en beauté, par son dessin et la science de la composition, celle qui est reproduite en page 143. JABBAREN Groupe de petits personnages portant pour la plupart une coiffure de forme arrondie. 146 
... TIN TAZARIFT Le style particulier de ces personnages rend difficile le classement chronologique de cette peinture. On ne peut déterminer si elle appar- tient à une époque plus ancienne ou au contraire plus récente que celle des pasteurs. On remarquera dans le haut une antilope couchée sur le dos et entre les deux personnages assis en haut, à gauche, une forme apparentée aux symboles figurant dans la peinture reproduite en page 49. OZANÉARÉ (P. 150-151)  Groupe d'hommes armés d'arcs et de flèches. Le personnage marchant en tête étend le bras dans la pose habituelle déjà souvent signalée antérieurement. SEFAR (P. 152) : L'objet que brandit ce personnage, reproduit ici en grandeur nature, est vraisemblablement une hache de pierre. SEFAR (P. 153) : Ce personnage courant tient dans ses mains des objets qu'il est impossible d'identifier. JABBAREN Personnages, vêtus de pagnes très amples et coiffés d'un bonnet, portant vraisemblablement des poteries. 149 
9 " .... OZANÉARÉ Les attitudes de ces divers archers, assez curieuse chez celui de droite qui brandit son arc en courant et tourne la tête vers la gauche, vont se retrouver dans toutes les images similaires qui vont suivre. Les archers La prodigieuse école des peintures dominées par le thème des bovidés vient de nous révéler quelques-uns de ses chefs-d'œuvre. La diversité des sujets, des scènes représentées, fait apparaÎtre une parfaite maÎtrise dans la transcription picturale du mouvement, d'un mouvement qui est interprété, transposé, rythmé avec une audace inventive qui confondrait les peintres d'aujourd'hui. A cet ensemble important va s'ajouter maintenant le dernier chapitre consacré aux peintures de style naturaliste. Il groupe une suite d'archers qui, dans l'art pariétal de cette époque, est un motif presque aussi répandu que le bovidé lui-même. A dessein, il n'est apparu que rarement dans les précédentes reproductions: il exigeait un chapitre particulier où il serait possible, par le regroupement, de confronter les diverses tendances stylistiques qui se dégagent de chacune de ces peintures. L'archer est la figuration exprimée dans les attitudes les plus sur- prenantes. L'homme semble n'être plus soumis aux lois de la pesanteur: il court, il saute, il vole même, brandissant ses flèches ou son arme en hurlant de terreur ou en criant de joie. La silhouette se déforme subtile- ment pour évoquer la vitesse, la souplesse ou l'attente. Enfin, l'arc bandé, l'attitude décidée, l'archer fait face à un adversaire souvent invisible. Pourtant, les pages 160-161 nous montrent une singulière bataille où les groupes sont en présence. Que dire de l'étrange personnage de Jabbaren (p. 165), peint au fond d'un couloir escarpé finissant en impasse et qui, absolument seul sur une petite tache lisse de la paroi, semble invoquer quelques forces invisibles? L'archer brandissant son arme accompagne généralement des représentations de groupes de personnages et bovidés en marche. Lorsqu'il précède une femme, il tient son arme d'une manière normale (p. 166). Il se plie ou se redresse dans certaines peintures qui pourraient représenter des scènes rituelles (p. 141, 154). Enfin, dans les scènes pastorales où animaux et personnages ont une attitude calme, l'arc est posé près de la case à la droite de son orifice d'entrée (p. 117-119). Ainsi, l'arc apparaÎt comme un accessoire essentiel, une arme que possède chaque homme de la collectivité, peut-être même l'emblème de 1'« homme» dans le sens prestigieux que lui confèrent les peuplades de tradition archaïque. N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0,15 m et 0,35 m de hauteur (jusqu'à la p. 165). Le personnage de la page 166 mesure 1,80 m celui de la page 168 1 , 50 m de hauteur. 155 
JABBAREN (P. 156-157) Au milieu de cette image on observe un troupeau en apparence paisible. Les archers ont des atti- tudes curieuses. Les uns semblent exécuter des mouvements de danse et même d'acrobatie, comme ceux du bas à droite qui font le grand écart en sautant. Les trois autres archers placés devant eux sont dans la position classique du tireur à l'arc. Tout est énigmatique dans cette étrange peinture. SEFAR (P. 158-159, couleur)  On remarquera l'écartement dé- mesuré des jambes de ces deux archers courant. Cette déforma- tion, comme toutes celles que l'on découvre dans les peintures ru- pestres du Tassili, a certainement été voulue par l'artiste pour accen- tuer le rythme de la composition (cf. les archers des grottes de Téruel, d'une similitude frappante). SEFAR (P.160-161-162)   Il s'agit peut-être ici d'une bataille rangée. Nous disons peut-être, en effet, aucun blessé ni aucun mort ne gisant sur le terrain. D'autre part, les flèches qui jonchent le sol sont tombées assez loin des com- battants et on observera qu'un de ces derniers, en haut à droite, semble brandir à très longue dis- tance de ses adversaires une hache. En tout état de cause, le sujet lui- même a été un prétexte pour l'ar- tiste à ordonner une composition de mouvements d'une magnifique ampleur et d'un remarquable équi- libre où, une fois de plus, la texture et la couleur de la roche sont judi- cieusement utilisées. Ici encore on remarquera l'écartement démesu- ré des jambes des personnages propre à la plupart des archers représentés dans ces peintures rupestres. En page 162 est repro- duit un détail (un des archers de la partie gauche en haut), agrandi deux fois, de cette peinture qui donne le sentiment d'être immense alors qu'elle ne mesure dans sa largeur que 1,43 m. TIN TAZARIFT (P.163) : D'un dessin beaucoup moins sou- ple que les précédents, cet archer porte ses flèches simplement atta- chées à la ceinture comme les archers de la page 156. 156 
- . 
162 
163 
SEFAR Archer figurant dans le même ensemble que ceux des pages 158-159. (reproduits en grandeur nature). Ils décorent les parois d'un couloir étroit, courant vers un but inconnu. On remarquera les bracelets que porte cet archer ainsi que l'empennage blanc des flèches. 164 
JABBAREN Cet archer, dont le dessin est d'une extraordinaire liberté d'exécution - le tronc très mince est relié aux jambes par le pagne qui utilise la couleur de la roche, le visage qu'une lign blanche sépare du cou, apparaît comme un masque - orne la paroi d'un abri situé dans un couloir se terminant en impasse. Le bras gauche démesurément étendu pour accentuer l'élan, il semble exécuter un mouvement de danse. Cette peinture égale celle des plus beaux vases grecs. 165 
TADJÉLAMINE Ces deux personnages au corps zébré - représentés en grandeur nature, peints sur la paroi d'un abri où figurent également un éléphant dessiné au trait et un troupeau de vaches blanches - sont caracté- ristiques du style intermédiaire entre le style naturaliste et celui de la dernière époque.  TIN ABOTÉKA Cet archer d'une grande noblesse d'attitude est exceptionnellement grand. Il mesure 1,80 m. Les peintures de grandes dimensions de ce style semblent réservées à certains sites. En dehors de Tin Abotéka, on en trouve à Tissoukal: un immense bovidé de 3 m de long, à Sefar: un couple assis plus grand que nature. 167 
10  JABBAREN Cet archer clôt le chapitre des peintures de style naturaliste. Ce personnage barbu aux che- veux longs - nous en connais- sons peu du même genre - se trouve à côté d'un animal mas- qué de grande dimension. Le reste de l'abri est décoré de peintures de style archaïque, notamment de celles représen- tées pages 52 et 53. I!:volution des lormes L'apparition du cheval dans les représentations rupestres coïncide avec une profonde modification des formes des figures pariétales et avec la naissance d'un nouveau style de peinture. Style qui, dans la recherche du dépouillement, de la simplicité, va nous léguer quelques unes des œuvres les plus singulières du Tassili. Parfois il s'agit d'une peinture isolée dans un massif de rochers en désagrégation, à proximité d'une piste chamelière (p. 176). Sont-ce les interférences climatiques qui se font sentir dans les créations picturales? C'est possible. Lente- ment, au rythme du dessèchement de la terre saharienne, la peinture évolue vers une schématisation de la figure peinte, c'est-à-dire vers son remplacement par le caractère d'écriture. Au long de cette évolution qui est plus sensible dans la figuration humaine, les silhouettes des peintures de style naturaliste s'épurent progressivement. A un certain moment, l'artiste n'utilise plus que le trait pour dessiner son motif. Le trait délicat, semblable au trait du dessin à la plume, a fait son apparition pour délimiter les cornes des bovidés, cornes effilées etcourbées harmonieusement, arborées parfois par des animaux dont la forme est peu plaisante. Puis, son utilisation allant croissant, l'artiste dessine le bovidé lui-même ainsi que les autres animaux. Enfin, l'évolution continuant, c'est au tour de la figure hu- maine d'être traitée de la sorte. Ce sera la marque d'une école nou- velle. Deux styles s'affirment. L'un utilise les personnages de l'époque précédente et les décrit avec la plus grande minutie: dans les visages, le trait décrit la chevelure, les yeux, les cils et les pupilles, le nez, la bouche, les colliers, les coiffures, etc., les mains et leurs doigts, etc., et les personnages se parent de curieuses zébrures qui, après une nou- velle évolution, resteront seules visibles avant de disparaÎtre à leur tour comme les victimes d'un bouleversement tectonique. Une deuxième forme d'expression se prolongera jusqu'à l'avènement de l'islamisme. Ce sont ces représentations qui, par ailleurs, se com- posent comme les figurations des peintres cubistes (p. 115, visage du personnage centre bas) ; la tête est décomposée en trois zones: le crâne, le visage et le cou; entre chaque zone existe une réserve. Un grand nombre de ces représentations orne les rochers du Tassili mais sont souvent dans un mauvais état. L'étape suivante de l'évolution est caractérisée dans les figurations humaines par l'absence de la tête et la représentation du corps en deux tronçons triangulaires opposés par leurs sommets. L'homme bitriangulaire ou « diabolo» voit le jour. Il y a peu 169 
.... TADJÉLAMINE Bras isolé d'une grande finesse d'exécution. La main très élé- gante s'ouvre comme une fleur. Cette œuvre est exemplaire, par son dessin, de la période qui s'ouvre après celle de style naturaliste. SEFAR  Personnage caricatural. L'hu- mour est fréquent dans les peintures rupestres du Tassili. 170   Voici une peinture très repré- sentative de l'évolution de l'art du Tassili. La période natura- liste est terminée. Le dessin va désormais s'abstraire de plus en plus jusqu'à devenir géomé- trique, pour ne plus être à la fin qu'un signe. On remarquera l'effilement des membres et l'absence de tête chez trois des personnages qui vont devenir la caractéristique du nouveau style. SEFAR (P.172-173) 
de chefs-d'œuvre dans cette période car, parallèlement, le schématisme s'empare des figures. Il est d'ailleurs possible que le Tassili, qui cache encore des milliers de peintures de toutes époques, nous révèle pro- chainement la grande époque bitriangulaire. Les personnages bitrian- gulaires sont toujours accompagnés de bovidés dont le pelage se pare de compositions géométriques. Enfin, le cheval que l'on devinait çà et là dans les œuvres précédentes, apparaÎt en nombre dans les troupeaux. Le cheval et aussi le char traÎné par des animaux déjà trop schématiques pour affirmer qu'ils sont réelle- ment des chevaux. Les personnages qui montent ces attelages précaires ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes. Un art schématique succède à la peinture rupestre qui vient de disparaÎtre. 174 N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent entre 0,10 m et 0 , 35 m de hauteur. Â TADJÉLAMINE  La région qui entoure l'oasis de Ihérir est une des parties du Tassili où se trouvent réunies q uelq ues-u nes des pei ntu res les plus audacieuses de tout l'art rupestre. Ces peintures sont d'époque assez récente puisqu'elles sont contemporai- nes de l'apparition du cheval. On remarquera l'étrange cos- tume dont sont revêtus ces per- sonnages, en train, semble-t-il, d'exécuter une danse rituelle. 
.... TADJÉLAMINE Tadjélamine se situe sur un reg immense où s'élèvent çà et là des monticules cou- verts de rochers en désagrégation. C'est à la base de ces rochers que l'on trouve des pei ntu res. Un de ces sites contient en son centre un grand abri où ne sont peints que deux personnages. C'est l'un d'eux qui est reproduit ici. Nous sommes loin du style naturaliste. Le person- nage est figuré uni- quement au moyen de traits dont l'orienta- tion diverse engendre la forme. TADJÉLAMINE  (P. 177-179) En page 177, ici à droi- te, est reproduit un détail de la peinture de la page 179 (couleur) où se trouvent grou- pés des sujets traités dans des styles diffé- rents mais dont l'exé- cution est due certai- nement au même peintre. La figure la plus extraordinaire est celle du personnage de la page 177, dont le style s'apparente en esprit avec cel ui de la page précédente, mais qui porte la marque d'une maîtrise encore plus grande. Le per- sonnage est signifié uniquement par des taches précises, diver- sement infléchies, qui non seulement créent la forme et le volume, mais aussi le mouve- ment. 
.... SEFAR Ces deux per- sonnages évo- quent à la fois des acrobates et des clowns. 
TIN ABOTÉKA Le char tiré par des chevaux au galop, dit « galop volant », va se retrouver désormais fréquemment dans les peintures du Tassili. De telles scènes annoncent le début de la décadence de l'art rupestre. Dans les pages qui suivent, nous avons reproduit des œuvres très caractéristiques de ce style intermédiaire qui s'achemine peu à peu vers le géométrisme pur. 180 
Il La dernière époque des peintures Le Sahara est devenu un désert. Seuls les grands fleuves roulent encore périodiquement les eaux de pluie descendues des montagnes. Chaque jour, la population diminue, décimée par la sécheresse; les bovi- dés ne sont plus figurés qu'en petit nombre sur les parois. Les animaux tels que le mouflon et la girafe apparaissent encore çà et là, ainsi que les chiens et les chevaux. Mais toutes ces représentations ont perdu leur saveur d'autrefrois. Après l'avènement des stupéfiants personnages bi- triangulaires élancés, représentés sans tête et armés d'une lance, l'art rupestre lui-même semble se dessécher. Sur le plan technique, la lance n'est-elle pas un autre signe de stagnation sinon de régression? L'ab- sence des arcs dont la puissance technique est supérieure à celle du javelot est peut-être due simplement à la disparition des matières pre- mières indispensables à leur fabrication. Pourtant, signe d'évolution, la roue est connue de ces peuplades. La roue ou plus exactement le char attelé que l'on découvre dans de nombreux sites du Tassili. Diverses hypothèses émises à son sujet le font venir d'Egypte, ou de Rome, monté par de valeureux conquérants en quête de colonies. L'observation de ces figures peut aisément nous fournir quelques preuves pour démontrer que cela est difficilement acceptable. Tout d'abord une étude, même très rapide, nous fait découvrir un véhicule extrêmement précaire où le conducteur se tient en équilibre sur le timon ou sur l'essieu de l'attelage. La position ne peut pas être C stable et exclut donc la possibilité d'un long voyage. Ensuite, il yale terrain: l'image d'un char au galop volant sur les pistes du Tassili est proprement inconcevable. Et, enfin, quel est le mobile qui aurait poussé l'habitant du Tassili à décorer les parois de ses rochers de l'image d'un char qui aurait trans- porté des étrangers colonisateurs? La vérité est, peut être, plus simple: Ou bien le char était utilisé par les populations tassiliennes: la pré- sence de peintures de chars à proximité de grandes places recouvertes d'un fin cailloutis m'a permis de penser à quelques courses auxquelles les Tassiliens se seraient livrés. Ou bien le char n'est que l'effigie d'un mythe importé peut-être avec le cheval qui pourrait correspondre par exemple au char d'Apollon. Et là se trouve sans doute la clé de l'énigme. Si les chars, de quelque provenance qu'ils soient, avaient sillonné le Tassili et le désert, il paraÎt 181 
incroyable qu'on n'en ait pas encore trouvé de vestige. Si le char du Tassili est la transcription d'un mythe, la présence de cette figure dans l'ensemble du Sahara, du Sud oranais et dans les endroits les plus reculés du Tassili, serait ainsi expliquée. Après le cheval, ce sera le dromadaire qui deviendra la bête de somme; une bête dont la constitution est adaptée au nouveau climat. Dans le monde antique, les Egyptiens, les Grecs, les Romains, etc., utilisent l'écriture; au Sahara, les derniers graffiti se transforment en idéogrammes. On laisse sur les parois quelques courts messages soit pour les dieux soit pour les hommes. La rareté des ressources alimen- taires provoque à la fois la dispersion et la concentration de ces derniers en des points déterminés. Que signifient ces messages? Peut-être, lorsque les caractères tifinars anciens auront été déchiffrés, cette découverte sera-t-elle un des éléments les plus décisifs pour la compréhension de l'art rupestre et de l'histoire des populations néolithiques du Tassili n'Ajjer. N.B. Les peintures reproduites dans ce chapitre mesurent en- tre 0,05 m et 0,40 m, TADJELAMINE (P. 182 et 183, en bas) TITÉRAS N'ÉLIAS (P. 183, en haut) Nous savons par les peintures précédentes que, à l'époque contem- poraine de leur exécution, la poterie existait, que les habitants du Tassili utilisaient des meules et des broyeurs pour écraser leurs graines, que la taille du silex (pointes de flèches, couteaux, grattoirs) avait atteint sa perfection. Soudainement apparaît la roue. Elle est rarement représentée isolée comme celle qui figure ci-dessous, mais généralement par paires accouplées à l'essieu d'un véhicule tiré par des chevaux. Bien peu de ces peintures sont demeurées en bon état de conservation. Le détail du char reproduit à gauche a été isolé pour montrer la posi- tion du conducteur debout sur le timon, dans un équilibre apparem- ment précaire. Ainsi que nous l'indiquons au début de ce chapitre, on imagine mal un char conduit de la sorte effectuant un long parcours. Le char reproduit en haut de la page 183 offre cette particularité peu courante d'être monté sur quatre roues. 182 
183 
TADJÉLAMINE L'apparition du chameau et du dromadaire coïncide avec la phase terminale du dessèchement de ce pays. La survie des habitants est conditionnée par l'utilisation de ces deux animaux. Les anciennes populations, nous les retrouvons aujourd'hui encore sur le Tassili et au Hoggar sous les traits des Touareg. 184 
'1-.... .' " d \ \ \) OUAN BENDER Dromadaire. Ultime témoignage d'une époque en voie d'achèvement. 
TISSOUKAL Une œuvre caractéristique du style géométrique. 
OUAN BENDER La case s'apparente à celle de la page précédente. Le personnage assis au centre est figuré par deux triangles. Nous arrivons ici à la transformation progressive du dessin qui deviendra bientôt un signe d' écritu re. .... ï\ -+11 187 
..... JABBAREN Détail d'un ensemble apparenté aux deux figures précédentes. On remarquera les deux triangles opposés par le sommet certainement issus d'une précédente représentation humaine et qui sont devenus des symboles encore inexpliqués. Certains ont voulu voir dans des représentations similaires du site de Inaouanrhat - d'une technique du reste très inférieure - des pirogues en jonc pour aller chasser l'hippopotame. Une telle inter- prétation nous paraît sans aucun fondement. OUAN MELLEN Ces trois personnages figurés par deux triangles ont également deux triangles sur la poitrine. 189 
SUTRA Cette peinture nous éclaire parfaitement sur l'évolution de la figure qui s'est acheminée vers le caractère d'écriture. 190 
TIN ABOTÉKA L'art rupestre va disparaître. Cette image en représente un des derniers sursauts. 191 
. .. ."",. 1."' 1-. ..r 4 ..._.. _ .. -... p_.-...II TISSOUKAL Les caractères tifinars - encore indéchiffrés - sont les seuls signes en partie adoptés par le tifinar actuel qui relient le Tassili actuel au monde de la forme des populations néolithiques tassiliennes. 192 
Conclusion Les images que nous venons de voir représentent une fraction infini- tésimale de l'ensemble des peintures rupestres du Tassili. Elles sont néanmoins les œuvres les plus remarquables et les mieux conservées parmi celles qui ont été inventoriées jusqu'à ce jour. Combien en reste- t-il qui nous soient encore inconnues? La surface de la couverture photographique aérienne qui figure à la fin de cet ouvrage comparée à la surface du Tassili peut donner une idée de l'étendue du territoire qu'il reste à parcourir et à fouiller si l'on veut être absolument sûr de découvrir toutes ces peintures (des centaines de milliers, si ce n'est des millions). Nous avons analysé ici l'ensemble des styles que nous offre le Tassili connu. Ce Tassili a été sondé du nord au sud et, par conséquent, peut être considéré comme un fidèle reflet du Tassili inconnu. Celui-ci sans aucun doute recèle des œuvres extraordinaires mais qui se rap- portent nécessairement à un des groupes présentés ici. Un site à pein- tures préhistoriques tassilien n'est pas quelque chose de désordonné, de fantaisiste: certaines règles se dégagent de l'ensemble des zones que j'ai inventoriées au cours de mes dix mois de séjour sur le Tassili. J'ai pu confronter, rapprocher, analyser les éléments divers qui consti- tuent un tel site. Cet ouvrage n'a donc pas la prétention d'être définitif. Mais il apporte sur les peintures rupestres du Tassili n'Ajjer un témoignage incontes- table qui, par-delà les temps, perpétuera leur image. Combien de temps résisteront-elles encore aux agents atmosphériques? L'avènement du tourisme en ce pays pourrait être néfaste à cet art original. André Malraux a envoyé récemment une mission pour étudier les possibilités de préserver ces peintures. Les expériences réalisées dans le site de Tissoukal permettent d'augurer favorablement sur les possibilités de les conserver et de les protéger. Maintenant, les regards doivent se baisser vers le sol. Après l'ampleur et la qualité des vestiges artistiques qu'il nous révèle, le Tassili doit devenir bientôt un immense chantier de fouilles qui permettront de mettre au jour une civilisation qui dort sous les pierres. N'est-il pas angoissant de sentir toute proche une civilisation extra- ordinaire, de la toucher du doigt en manipulant les tessons de poterie décorés au poinçon qui s'entassent sur le sol brûlé, décomposé, pulvé- risé par le soleil et balayé par le vent, un sol où l'on trouve également des pointes de flèches, des couteaux de quartz ou de chaille, des grat- 193 
toirs, des perles, des meules, des broyeurs, des outils inconnus en quantité inimaginable, un sol dans lequel, couchés sur le côté, les genoux repliés sur le ventre, les Tassiliens ensevelis, sous le sable et les pierres, attendent depuis plusieurs millénaires, notre curiosité pour se révéler de race noire ou de race blanche à moins que ces deux races aient coexisté. Les fouilles archéologiques s'imposent donc. Que saurions-nous en effet de l'Egypte, de la Grèce, de Sumer, d'Assur, si l'archéologie ne les avait pas révélés? Pourquoi continuer de négliger le Tassili dont nous connaissons uniquement les peintures? A travers ces représentations, nous com- mençons à pressentir les lois d'un univers totalement inconnu et les aspects d'une civilisation originale. Au hasard de quelques moments d'équilibre, son univers esthétique s'est affirmé dans des styles différents pour finalement créer un des monuments les plus prodigieux de tous les temps: les peintures rupestres du Tassili n'Ajjer. JEAN-DOMINIQUE LAJOUX  Cet assemblage de photographies aériennes montre l'aspect du plateau tassilien. Les peintures sont situées dans les bancs de rochers que l'on dis- tingue nettement par endroits. Les taches blanches sont des plages de sable. Les zones grises, sans détails saillants, sont les regs. C'est dans ce rectangle que se trouve la majeure partie des peintures connues. Malgré les recherches systématiques qui ont eu lieu dans cette région, tous les sites à peintures ne sont pas encore découverts. En replaçant cette zone sur la carte générale du Tassili, l'immensité de celles qui ne sont pas encore prospectées ressortira davantage. Cette photographie, avec la densité des sites et des abris à peintures qu'elle nous montre, laisse supposer qu'une population nombreuse habita jadis ce pays maintenant désolé. Dans cette région vivaient seulement six ou sept familles touareg lorsque je m'y trouvais en juin 1961. Photographies de l'Institut géographiq ue national. Les numéros renvoient aux pages du volume.  Imprimé en Suisse 
TABLE DES PEINTURES CLASSÉES PAR SITES Les astérisques renvoient aux planches en couleur ASSEDJEN-OUAN-MELLEN Page: 189 INAOUANRHAT Pages: 62, 66, 73. 77, *124-125 JABBAREN Pages: 46, 52-53.80,86. 93. 94-95, 98-99, *103.113, 123,134-135.*136-137,146.149,156-157,165,168.188 MATALEN-AMAZAR Pages: 54, 67 OUAN BEN DER Pages: 112.185, 187 OZANAR Pages: *91. *129, 131, *132-133, 138. *147. 150-151, 154 SEFAR Pages: 29 (abri), 31 (abri). 34-35, 45, 48, *49. 50, 56, 57, 58, 59, 60-61, *65, *72, 75, 76, *78-79, 82. *88-89, 92, 97, 100, 102. 107, *108-109, 111. 112, *116-117,118-119,120,121,122,126-127,130. *140-141,142, *143,144,152,153.*158-159,160-161. 162, 164, 171, 172-173, 178 SUTRA Page: 190 TADJLAMINE Pages: 106, 110, 167, 170. 174, *175, 176, 177, *179, 182-183, 184 TAMRIT Pages: *8 (paysage), 22-23 (L'oued Tarnrit), 84 (abri), 87 T ANZOUMAIT AK Pages: 32, *39, 47, 51 TÉCHKALAOUEN Page: 71 TÉRARART Pages: 104-105 TIN ABOTKA Pages: 64, 90. 145, *166, 180, 191 TIN TAZARIFT Pages: 43, 68-69, 74, 101, 115, 148, 163 TIN TEFERIEST Pages: 26 (paysage), *55, 83 TISSOUKAL Pages: 186, 192 TITRAS N' ÉLIAS Pages: 128, 183 195 
Achevé d'imprimer en septembre 1962 d'après la maquette d'Henri Jonquières sur les presses de l'Imprimerie Centrale à Lausanne. Le cliché de la jaquette a été gravé par Bussière et Nouel à Paris. Société Française des Presses Suisses 9, rue de Clichy Paris g e 
TABLE DES MATltaRES Carte du Sahara Avant-propos d'ANDRÉ LEROI-GOURHAN, 5 professeur à la Sorbonne, directeur de l'Institut d'ethnologie Introduction par J. D. LAJOUX . 9 L'art du Tassili par FRANK ELGAR 15 Le T assi Ii n'Ajjer 23 Les peintures archaïques 41 Il Les masques 63 III Les personnages masqués 70 IV Les symboles 81 V L'art naturaliste . 85 VI Les bovi nés 96 VII L'homme et les bovinés 113 VIII Le monde animé du Tassili n'Ajjer 139 IX Les archers 155 X Evolution des formes 169 XI La dernière époque des peintures 181 Conclusion 193 Carte des sites à peintures et à gravures du Tassili n'Ajjer Couverture photographique aérienne du plateau du Tassili n'Ajjer. Région du nord-est de Djanet. Photographie aérienne du site de Sefar.. Table des sites Ouvrages cités: LES ROCHES PEINTES DU TASSILI N'AJJER H. Breuil et H. Lhote Arts et Métiers Graphiques, Paris 1958 pages: 134 « Panneau représentant la vente d'une femme... » 139 « Scène d'accusation...» A LA DÉCOUVERTE DES FRESQUES DU TASSILI H. Lhote ARTHAUD, Paris 1958 page: 139 « Les ponctuations blanchâtres...» La photographie prise à Tin Tazarift et qui illustre les pages de garde au début de l'ouvrage représente une forêt de pierres typi:Jue du Tassili. Celle qui illustre les pages de garde à la fin est la vue d' un des points les plus élevés de Sefar.